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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 18 septembre 2025, n° 21/03304

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 21/03304

18 septembre 2025

N° RG 21/03304 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K7MY

C8

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL LX GRENOBLE-

CHAMBERY

la SARL BONNET FLORENT AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 18 SEPTEMBRE 2025

Appel d'un jugement (N° RG 2020J110)

rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE

en date du 05 mai 2021

suivant déclaration d'appel du 16 juillet 2021

APPELANTS :

Mme [C] [Z]

née le 21 Octobre 1965 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

M. [T] [N]

né le 09 Mai 1968 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

S.N.C. LE CELTIC au capital de 2.500 € immatriculée au RCS de ROMANS-SUR-ISERE sous le numéro 482 894 714, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié es-qualité audit siège ;

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Mbaye-Yacine THIAM, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉE :

S.A.R.L. DAMV CONSEIL au capital de 32.000 €, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de ROMANS SUR ISERE sous le numéro B 451 381 628, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié es qualités audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Anthony FLORENT de la SARL BONNET FLORENT AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 juin 2025, Mme FIGUET, Présidente, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et Me THIAM en sa plaidoirie,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,

Faits et procédure :

La société Le Celtic exploite à [Localité 6] un fonds de commerce de bureau de tabac, papeterie, bimbeloterie, jeux de la Française des jeux, PMU, vente de timbres. Elle était détenue par Madame [G] [O] à hauteur de 74 parts sociales et par Monsieur [F] [S] à hauteur de 76 parts.

La société DAMV Conseils a une activité en matière de transaction sur les immeubles et sur les fonds de commerce ainsi qu'une activité de courtage en opérations de banque et en service de paiement. Elle est affiliée au réseau «Cabinet d'affaires Michel Simond ».

Par acte signé le 25 janvier 2017, Monsieur [F] [S] et Madame [G] [O] ont donné à la société DAMV Conseils un mandat de vendre les titres de leur société.

Le 2 mai 2017, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z], son épouse, ont fait une proposition d'achat du fonds de commerce de la SNC Le Celtic à la suite de la visite organisée le 28 avril 2017 par la société DAMV Conseil, ladite offre comprenant une clause particulière faisant état d'une « vente en parts sociales ».

Par acte sous seing privé du 29 mai 2017, Monsieur [F] [S] et Madame [G] [O] ont cédé à Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z], son épouse, sous conditions suspensives les 150 parts sociales représentant 100% du capital social de la société Le Celtic au prix provisoire de 658.452 euros, le prix définitif étant ajusté en fonction de l'actif net de la société Le Celtic tel qu'il ressortira du bilan qui sera arrêté à la date du 31 août 2017.

Les conditions suspensives ayant été levées, l'acte de cession a été signé le 1er septembre 2017. Le même jour, les parties ont signé une convention de garantie d'actif et de passif.

Un projet de détermination du prix définitif de cession des parts sociales de la SNC Le Celtic a été établi par les cédants, le complément de prix étant fixé à la somme de 10.189 euros. Les cessionnaires n'ont pas signé cet acte, ni versé le complément de prix.

Par ordonnance du 13 novembre 2018, le juge des référés a :

- condamné Madame [C] [Z] à payer à Madame [G] [O] au titre du complément de prix définitif une provision de 5.026,42 euros,

- condamné Monsieur [T] [N] à payer à Monsieur [F] [S] au titre du complément de prix définitif une provision de 5.162,42 euros,

- condamné la SNC Le Celtic à payer à Monsieur [F] [S] une provision de 43.839 euros pour solde de son compte courant d'associé,

- condamné la SNC Le Celtic à payer à Madame [G] [O] une provision de 39.782 euros pour solde de son compte courant d'associé.

Par acte du 17 juin 2020, la SNC Le Celtic, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] ont assigné la société DAMV Conseil aux fins de voir engager sa responsabilité.

Par jugement du 5 mai 2021, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a :

- dit que la SAS DAMV Conseil s'est conformée au mandat qui lui avait été confié par Monsieur [F] [S] et Madame [G] [O], cédants des parts sociales de la SNC Le Celtic,

- dit que la SAS DAMV Conseil n'a pas manqué à son devoir de renseignement et de conseil dans l'accomplissement de sa mission vis-à-vis de Monsieur et Madame [N],

- débouté en conséquence Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné solidairement la SNC Le Celtic, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] à payer à la SAS DAMV Conseil la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- liquidé les dépens pour être mis à la charge commune de la SNC Le Celtic, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N].

Par déclaration du 16 juillet 2021, la SNC Le Celtic, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions qu'ils ont énoncées dans leur acte d'appel sauf du chef concernant les dépens.

Par arrêt du 21 décembre 2023 auquel il convient de se référer, la cour d'appel de Grenoble a :

- infirmé le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

- dit que la Sarl DAMV Conseils a failli dans son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. [T] [N] et Mme [C] [Z],

Avant dire droit sur le préjudice et les mesures accessoires,

- ordonné la réouverture des débats,

- invité les parties à s'expliquer sur la perte de chance résultant du manquement au devoir d'information et de conseil avant le 25 janvier 2024 pour les appelants et avant le 22 février 2024 pour l'intimée,

- renvoyé l'affaire à la mise en état.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2025.

Prétentions et moyens de la SNC Le Celtic, M. [T] [N] et Mme [C] [Z] épouse [N]

Dans leurs conclusions remises le 22 janvier 2025, ils demandent à la cour de:

- infirmer le jugement du 5 mai 2021 en ce qu'il a débouté M. [T] [N] et Mme [C] [N] de leurs demandes indemnitaires,

Jugeant à nouveau,

A titre principal :

- juger que les manquements de la société DAMV Conseil à son devoir de conseil et d'information ont pour conséquence pour M. [T] [N] et Mme [C] [N] une perte de chance de ne pas acquérir la SNC Le Celtic,

- juger que M. [T] [N] et Mme [C] [N] ont subi une perte nette de 473.097 euros, à parfaire,

- juger que la perte de chance de ne pas acquérir la SNC Le Celtic ne saurait être estimée à moins de 95 % de cette perte,

En conséquence :

- débouter la société DAMV Conseil de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société DAMV à indemniser à hauteur de 449.442,15 euros minimum M. [T] [N] et Mme [C] [N] de leur entier préjudice financier et patrimonial au titre de la perte de chance de ne pas acquérir la SNC Le Celtic,

A titre subsidiaire,

- juger que les manquements de la société DAMV Conseil à son devoir de conseil et d'information ont pour conséquence pour M. [T] [N] et Mme [C] [N] une perte de chance d'acquérir à moindre coût la SNC Le Celtic,

- juger que M. [T] [N] et Mme [C] [N] ont subi une perte nette de 203.516,10 euros,

- juger que la perte de chance d'acquérir à moindre coût la SNC Le Celtic ne saurait être estimée à moins de 95 % de cette perte,

En conséquence :

- débouter la société DAMV Conseil de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- condamner la société DAMV Conseil à indemniser M. [T] [N] et Mme [C] [N] de leur entier préjudice financier et patrimonial au titre de la perte de chance d'acquérir la SNC Le Celtic à moindre coût à hauteur de 193.340,30 euros minimum,

En toute hypothèse,

- condamner la société DAMV Conseil à indemniser M. [T] [N] et Mme [C] [N] de leur entier préjudice moral à hauteur de 50.000 euros chacun,

- condamner la société DAMV Conseil à payer à M. [T] [N] et Mme [C] [N] la somme de 57.148 euros, telle que provisoirement fixée, à actualiser au jour de la décision, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel ;

- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la première lettre de mise en demeure du 17 septembre 2019,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

En réponse au moyen soulevé par la société DAMV Conseil selon lequel les demandeurs ayant fait le choix de ne pas poursuivre l'annulation du contrat sur le fondement du dol, leur préjudice réparable correspond uniquement à la perte de chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ils font remarquer que :

- la jurisprudence invoquée n'est pas pertinente dès lors qu'ils n'ont jamais recherché la responsabilité des cédants pour dol,

- aux termes de l'arrêt du 21décembre 2023, rien ne s'oppose à ce qu'ils sollicitent la réparation de leur préjudice au titre de la perte de chance de ne pas acquérir,

- correctement conseillés, ils n'auraient jamais acheté l'affaire,

- le vendeur n'explique pas comment ils auraient pu acquérir à un prix moindre alors que cette option n'est jamais clairement apparue pendant le processus de négociation de la cession.

Sur le préjudice, ils font valoir que :

- ils ont décaissé des liquidités pour un montant de 299.694 euros qu'ils n'auraient jamais déboursé s'ils avaient été correctement informés,

- ils ont ainsi perdu le bénéfice de placement très rémunérateurs dont le rendement a été chiffré à 69.489 euros, ils ont notamment dû résilier un placement en assurance vie le 23 novembre 2018,

- ils ont supporté un coût de formation de 7.518 euros que la société DAMV Conseil devait prendre en charge, ils ont dû ainsi alimenter la trésorerie de la SNC Le Celtic afin qu'elle puisse avancer les coûts de formation,

- ils n'ont pu utiliser leur capital pour acquérir une maison d'habitation et ont dû régler des loyers pour un montant de 56.160 euros,

- ils ont supporté des intérêts d'emprunts (18.804 euros) et des frais d'assurance (21.432 euros) qu'ils n'auraient pas engagés s'ils n'avaient pas acquis le bureau de tabac en étant mieux informés.

- c'est sur la base d'informations viciées concernant le montant de leur apport personnel et le montant du prêt qu'ils ont consenti à l'acquisition ce qu'ils n'auraient pas fait en étant mieux informés,

- leur perte doit s'évaluer à 95%, dûment informés, ils auraient compris que le coût d'acquisition allait être exhorbitant, qu'ils y laisseraient l'essentiel de leurs économies accumulés tout au long de leur précédente carrière professionnelle dans la coiffure, qu'ils perdraient leur qualité et leur niveau de vie, que ce projet ne correspondait pas à leurs attentes et à leur projet de reconversion professionnelle , ils auraient alors renoncé de façon certaine à leur acquisition,

- il ne peut leur être reproché de ne pas avoir remis en cause le solde des comptes courants des cédants lors de la cession alors qu'ils ont refusé de signer l'acte de détermination du prix définitif de cession,

- le fait de ne pas avoir remis en question la cession conclue en 2017 n'a pas pour effet de réduire le champ de leur aléa décisionnel alors que leur action n'a jamais eu vocation à attaquer la cession mais à relever les manquements de la société DAMV Conseil qui les a empêchés de renoncer à l'acquisition du bureau de tabac.

Subsidiairement, si le préjudice devait être apprécié en perte de chance de ne pas acquérir le bureau de tabac à des conditions plus favorables, les consorts [N] relèvent que leur préjudice correspond à l'ensemble des sommes qu'ils ont dû engager en plus de celles initialement prévues, soit la somme de 203.516,10 euros sur laquelle doit être appliqué un pourcentage de 95%.

Ils soulignent que leur préjudice moral est attesté par les nombreuses attestations versées aux débats, le comportement de la société DAMV Conseil les a laissés complétement démunis et impuissants, ils subissent des conditions de travail exténuantes devant assumer seuls sans salarié la charge de travail, leur niveau et leur qualité de vie se sont dégradés, cela a eu des répercussions sur leur vie de famille conduisant à une séparation du couple.

Prétentions et moyens de la société DAMV Conseil

Dans ses conclusions remises le 20 novembre 2024, elle demande à la cour de:

- juger que les époux [N], bien que concluant au vice de leur consentement par dol lors de l'acquisition des parts sociales de la SNC Le Celtic, n'en ont pas tiré les conséquences en ne sollicitant pas l'annulation de l'acte d'acquisition,

- juger en conséquence qu'ils ne peuvent prétendre qu'à une perte de chance de ne pas avoir acquis ces parts sociales à des conditions plus avantageuses,

- juger que les surcoûts, représentant l'assiette constitutive de la perte de chance à laquelle les époux [N] pourraient prétendre, ne saurait excéder la somme de 31.370 euros,

- juger dès lors que la perte de chance d'acquérir les parts sociales de la SNC Le Celtic à un prix plus avantageux ne saurait être estimée à plus de 30 % de 31.370 euros,

Dès lors et en tout état de cause :

- limiter à la somme maximale de 9.411 euros l'indemnisation susceptible d'être due par la société DAMV Conseil à M. [T] [N] et Mme [C] [N] en réparation de leur préjudice financier consécutif à la perte de chance résultant du manquement au devoir d'information et de conseil,

- débouter M. [T] [N] et Mme [C] [N] du surplus de leurs demandes formulées au titre de leur préjudice financier et patrimonial,

- débouter M. [T] [N] et Mme [C] [N] de leur demande d'indemnisation au titre de leur préjudice moral,

- limiter l'indemnité qui sera accordée à M. [T] [N] et Mme [C] [N] et à la SNC Le Celtic sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 1.000 euros,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle fait valoir que :

- la Cour de cassation considère que le préjudice de la victime ayant fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat correspond uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses (Cass Com 10 juillet 2012 n°11-21.954 ; Cass Com 5 juin 2019 n°16-10.391),

- en effet, la victime ne peut soutenir qu'elle n'aurait pas conclu le contrat alors qu'elle a choisi de le maintenir,

- les époux [N] ne peuvent soutenir avec forces arguments avoir été victimes d'un dol de la part de la société DAMV Conseil et n'en tirer aucune conséquence en ne sollicitant pas la nullité du contrat sur le fondement de l'article 1138 du code civil,

- ils ne peuvent dès lors qu'être indemnisés de la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses,

- il ne peut être pris en compte que les sommes déboursées par M. [T] [N] et Mme [C] [N] en plus de celles initialement prévues, à savoir un apport personnel de 200.000 euros et un emprunt de 610.000 euros,

- il n'est pas démontré que le remboursement par la SNC Le Celtic de l'avance de trésorerie consentie par les époux [N] soit impossible de façon certaine et définitive, cette absence de remboursement ne résultant que de la volonté des époux [N], dès lors il ne peut être retenu au titre du préjudice l'avance en compte courant de la somme de 85.352 euros,

- le préjudice de perte de chance de négocier à des conditions plus avantageuses ne peut porter que sur la somme de 14.342 euros,

- M. [T] [N] et Mme [C] [N] ne sauraient réclamer l'indemnisation de gains manqués sur la somme de 200.000 euros alors qu'ils savaient dès le départ qu'ils devaient investir cette somme,

- ils ne démontrent pas qu'ils ont dû résilier leur assurance vie pour solder les comptes courants plutôt que d'assurer ces paiements directement à partir de la trésorerie de la SNC Le Celtic,

- ils ne démontrent pas qu'ils auraient pu financer l'acquisition d'une résidence principale et se dispenser d'acquitter des loyers alors que de toute façon, la somme de 200.000 euros devait être investie dans l'acquisition de la SNC Le Celtic,

- le coût supplémentaire au titre du supplément d'emprunt n'est pas contesté et ne saurait excéder 1.028 euros,

- s'agissant du coût de la formation, il n'est pas démontré qu'il a été financé sur les fonds personnels des époux [N] et non pas par la SNC Le Celtic, il n'y a pas de lien direct entre le manquement au devoir de conseil imputé à la société DAMV Conseil et le financement de cette formation, ce coût ne figurait pas dans le détail des sommes prélevées par les époux [N] sur leurs fonds personnels pour financer l'acquisition,

- en résumé, l'assiette de la perte de chance est de 31.370 euros,

- ils ont signé en toute connaissance de cause le contrat de prêt édité le 25 août 2017 et ils n'ont pas refusé à ce moment-là de s'engager alors qu'aucune clause pénale n'était prévue dans la promesse de cession du 29 mai 2017, ils ont reçu le 25 mai 2018 un projet d'acte de détermination du prix définitif de cession et du solde définitif des comptes courants des cédants sans remettre en cause le solde des comptes courants, lors de la procédure en référé ils n'ont pas soulevé en défense la nullité du contrat pour dol,

- au vu des ces éléments, la perte de chance de conclure à des conditions plus avantageuses ne saurait dépasser 30%,

- s'agissant du préjudice moral, les époux [N] procèdent par voie de simples affirmations, les attestations relatent essentiellement les propos des appelants, il n'est pas justifié d'un lien de causalité.

***********

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision :

Si les appelants sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] de leurs demandes indemnitaires, la cour relève que par arrêt du 21 décembre 2023, le jugement a déjà été infirmé en ses dispositions soumises à la cour.

1/ Sur la nature de la perte de chance

La société DAMV Conseil soutient que selon la Cour de cassation (Cass. Com. 10 juillet 2012, n°11-21.954), le préjudice de la victime ayant fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat correspond uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.

Toutefois, la jurisprudence visée a été rendue dans le cadre d'une action en responsabilité diligentée à l'encontre des cédants pour dol.

En l'espèce, il ne s'est pas agi pour les appelants de rechercher la responsabilité des cédants pour dol mais d'engager celle de la société DAMV Conseil pour manquement à ses obligations de conseil et d'information et déloyauté.

En effet, même si dans une partie de leurs conclusions, les appelants font état d'éléments caractéristiques du dol, ils mentionnent dans le dispositif de leurs conclusions le manquement de la société DAMV Conseil à son obligation de conseil.

L'arrêt du 21 décembre 2023 a d'ailleurs retenu ce manquement à l'obligation de conseil et d'information de la société DAMV Conseil à l'égard de Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] sans faire état d'un dol. Il résulte aussi de l'arrêt le non respect par la société DAMV Conseil de ses obligations dans le cadre de l'assistance et l'accompagnement au financement de l'opération, indépendant de tout dol.

En conséquence, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] sont bien fondés à considérer que leur préjudice est constitué par la perte de chance de ne pas acquérir la SNC Le Celtic.

Informés du montant réel des fonds qu'ils devaient injecter dans l'opération, la probabilité était grande qu'ils renoncent à leur acquisition. Néanmoins, dès lors qu'ils disposaient d'une épargne importante et qu'il souhaitaient réellement s'engager dans une reconversion professionnelle, cette perte ne peut être évaluée à 95% comme sollicité par les appelants mais à 75%.

2/ Sur les postes de préjudice

Il résulte du rapport Grant Thornton que Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] qui avaient prévu de faire un apport personnel de 200.000 euros ont dû injecter une somme supplémentaire de 99.694 euros.

Cette somme n'a pu ainsi être placée et générer des revenus alors qu'un placement de janvier 2018 à décembre 2023 aurait pu procurer des revenus de 17.944 euros (99.694 x 3% x 6).

Ils ont dû également emprunter une somme supplémentaire de 16.000 euros et régler la somme de 480 euros au titre des intérêts supplémentaires et celle de 548 euros au titre des frais d'assurance supplémentaires.

En revanche, les époux [N] ne démontrent pas qu'ils ont dû financer sur leur fonds propres le coût de leur formation.

De même, ils ne peuvent solliciter le remboursement des loyers de leur logement au motif qu'ils auraient pu, à défaut d'acquérir les parts sociales de la société Le Celtic, acheter une résidence principale alors qu'il ressort de leurs écritures qu'ils étaient en reconversion professionnelle et voulait acquérir un fonds.

En conséquence, le préjudice résultant de leur perte de chance s'élève à la somme de 100.999,5 euros (134.666 euros x 75%).

Par ailleurs, il ressort des multiples attestations versées aux débats émanant tant de membres de la famille des appelants que de personnes extérieures à la famille que les consorts [Z]/[N] ont connu après l'acquisition des parts sociales de la société Le Celtic une très forte dégradation de leur qualité de vie et des tensions dans leur couple, que cela a entraîné une fragilité morale se traduisant par un stress important, des insomnies et un état dépressif.

Au regard de ces éléments, leur préjudice moral sera indemnisé à hauteur de la somme de 10.000 euros chacun.

3/ Sur les demandes accessoires

La société DAMV Conseil qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au regard des frais qu'ils ont dû engager pour assurer leur défense, Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] se verront allouer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant à nouveau,

Dit que Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] ont subi une perte de chance de ne pas acquérir les titres de la société Le Celtic.

Condamne la société DAMV Conseil à payer à Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] la somme de 100.999,5 euros en réparation de leur préjudice financier.

Condamne la société DAMV Conseil à payer à chacun de Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] la somme de 10.000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Condamne la société DAMV Conseil à payer les entiers dépens de première instance et d'appel.

Condamne la société DAMV Conseil à payer à Monsieur [T] [N] et Madame [C] [Z] épouse [N] la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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