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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 19 septembre 2025, n° 24/05133

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Lesaffre et Compagnie (SA)

Défendeur :

Ibis Backwarenvertriebs GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Salord, M. Buffet

Avocats :

Me Pecnard, Me Breton, Me Vignes, Me Piat

Paris, du 12 févr. 2024

12 février 2024

Vu le recours formé le 8 mars 2024 par la société Lesaffre et Compagnie, inscrit sous le numéro de répertoire général 24/05133, contre la décision rendue le 12 février 2024 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI), aux termes de laquelle il a dit la demande en nullité NL 23-0054 présentée par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh partiellement justifiée et déclaré partiellement nulle la marque n°21/4827312 déposée le 17 décembre 2021 par la société Lesaffre Et Compagnie pour les produits suivants : « améliorants de panification à usage industriel ou artisanal ; améliorants de la pâte, à savoir : adjuvants de panification ; farines et préparations faites de céréales, pain ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiserie et pâte à pizza »,

Vu le second recours contre cette décision formé par déclaration du 3 mai 2024 de la société Lesaffre et Compagnie, inscrit sous le numéro de répertoire général 24/08719,

Vu les conclusions notifiées par la voie électronique par la société Lesaffre Et Compagnie au soutien de son recours le 4 juin 2024,

Vu l'ordonnance présidentielle du 28 novembre 2024 ordonnant la jonction des affaires et disant qu'elles se poursuivront sous le numéro de répertoire général 24/05133,

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique par la société Lesaffre et Compagnie le 8 avril 2025,

Vu les conclusions en réponse notifiées par la voie électronique par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh le 26 octobre 2024,

Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI reçues au greffe le 22 avril 2025,

Vu l'audience du 22 mai 2025, les conseils des parties et l'INPI entendus en leurs observations orales, le ministère public ayant été avisé de la date de l'audience,

Par message notifié par RPVA le 10 juillet 2025, la cour a sollicité les observations des parties avant le 29 août 2025 sur la recevabilité des pièces n°28 à 44 produites par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh, qui semblent ne pas avoir été produites lors de la procédure administrative devant l'INPI. Une demande en même sens a été formalisée auprès du directeur général de l'INPI.

Vu la note en délibéré de la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh du 22 juillet 2025,

Vu la note en délibéré du directeur général de l'INPI du 21 juillet 2025.

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties et du directeur général de l'INPI.

Dans sa décision du 12 février 2024, le directeur général de l'INPI rappelle que la demande en nullité formée par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh est uniquement fondée sur l'enregistrement international n°689365 désignant la France portant sur le signe semi-figuratif « IBIS ». Il retient qu'il existe un risque de confusion entre les signes dans l'esprit du public compte tenu de de l'identité du produit « pain », se trouvant dans les libellés des marques en présence, s'agissant d'un produit identique, de la similarité des « préparations faites de céréales » de la marque contestée qui présentent la même nature que les « pain, viennoiseries, pâtisseries » de la marque antérieure, et de la faible similarité avec ces produits des produits « améliorants de panification à usage industriel ou artisanal ; améliorants de la pâte, à savoir : adjuvants de panification ; farines ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiserie et pâte à pizza » de la marque antérieure laquelle est cependant compensée par les grandes ressemblances visuelle, phonétique et conceptuelle entre les signes, renforcées par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants et du caractère intrinsèquement distinctif de la marque antérieure.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 avril 2025, la société Lesaffre et Compagnie demande à la cour de :

- la juger recevable en son recours RG 24/08715,

- infirmer la décision rendue le 12 février 2024 par M. le directeur de l'INPI en ce qu'elle a fait droit à la demande en nullité de la marque semi-figurative n°21/4827312 pour les produits « améliorants de panification à usage industriel ou artisanal ; améliorants de la pâte, à savoir : adjuvants de panification ; farines et préparations faites de céréales ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiseries et pâte à pizza »,

- confirmer la décision rendue le 12 février 2024 par M. le directeur de l'INPI en ce qu'elle a rejeté la demande en nullité de la marque semi-figurative n°21/4827312 pour les produits « enzymes destinées à la panification et à la fermentation ; exhausteurs de goût pour produits alimentaires ; additifs chimiques pour la fermentation » et en en ce qu'elle a fait droit à la demande en nullité de la marque semi-figurative n° 21/4827312 pour le produit « pain » ;

Statuant à nouveau :

- rejeter la demande en nullité de la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh à l'encontre de la marque semi-figurative n°21/4 827 312 ;

En tout état de cause :

- débouter la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh de l'ensemble de ses demandes, fins et présentions ;

- condamner la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh à verser à la société Lesaffre Et Compagnie la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh au paiement des entiers dépens qui seront recouvrés par Me Camille Pecnard du Cabinet Lavoix en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions en réponse notifiées par la voie électronique le 26 octobre 2024, la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh demande à la cour de :

- dire irrecevable la société Lesaffre Et Compagnie dans son recours RG 24/08719,

- constater qu'il existe un risque de confusion entre la marque internationale n°689365 et la marque semi-figurative n°21/4827312,

- confirmer en conséquence la décision rendue le 12 février 2024 par M. le directeur général de l'INPI en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque n°21/4827312 pour les produits suivants :

- en classe 1 : « améliorants de panification à usage industriel ou artisanal ; améliorants de la pâte, à savoir : adjuvants de panification ».

- en classe 30 : « farines et préparations faites de céréales, pain ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiserie et pâte à pizza ».

- dire et juger que la demande en nullité de la marque semi-figurative n°21/4827312 doit par conséquent être accueillie,

- condamner la société Lesaffre Et Compagnie à payer à la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que l'arrêt à intervenir sera notifié par le greffe aux parties et au directeur général de l'INPI et inscrit au registre national des marques.

Aux termes de ses observations écrites, le directeur général de l'INPI fait valoir que c'est à bon droit que l'institut a conclu à l'existence d'un risque de confusion entre les marques en cause.

SUR CE :

Sur la recevabilité des pièces n°28 à 44 communiquées par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh :

L'article R.411-19 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « Les recours exercés à l'encontre des décisions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 411-4 sont des recours en annulation.

Les recours exercés à l'encontre des décisions mentionnées au deuxième alinéa du même article L. 411-4 sont des recours en réformation. Ils défèrent à la cour la connaissance de l'entier litige. La cour statue en fait et en droit. »

L'article L.411-4 alinéa 2 prévoit que le directeur général de l'INPI statue sur les demandes en nullité ou en déchéance de marques et sur les oppositions formées à l'encontre des brevets d'invention, mentionnées au 2° de l'articleL. 411-1.

Au cas d'espèce, le recours portant sur une décision du directeur général de l'INPI en matière de nullité de marque, celui-ci est un recours en réformation.

Il s'ensuit que les pièces nouvelles en cause d'appel n°28 à 44 communiquées par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh sont recevables.

Sur la recevabilité du recours enregistré sous le n°24/08719 :

La société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh fait valoir que la déclaration de recours rectificative déposée le 3 mai 2024 enregistrée sous le numéro de répertoire général 24/08719 est irrecevable car formée plus d'un mois après la notification de la décision contestée. Elle ajoute que ce recours est caduc en ce que la demanderesse n'a pas déposé de mémoire à son appui.

La société Lesaffre Et Compagnie réplique qu'une première déclaration d'appel peut être complétée par une seconde dans le délai imparti à l'appelante pour conclure, que, lorsque la première déclaration de recours respecte les prescriptions de l'article R.411-25 du code de la propriété intellectuelle, le recours est recevable, la déclaration de recours rectificative venant seulement apporter une précision relative à l'objet du recours, sans que cela ne cause un grief au défendeur au recours, de sorte qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des affaires et de déclarer le recours recevable, que le recours formé par déclaration du 8 mars 2024 est intervenu dans le délai de l'article R.411-21 du code de la propriété intellectuelle, que le recours rectificatif formé le 3 mai 2024 est intervenu dans le délai de trois mois pour conclure fixé au 10 juin 2024, que l'objet de ce second recours rectificatif, effectué par précaution, était seulement d'ajouter que ce recours : « tend à réformer, infirmer ou annuler (ladite) décision », que la première déclaration de recours est recevable, la déclaration de recours rectificative venant seulement apporter une précision relative à l'objet du recours, sans que cela ne cause aucun grief à la société défenderesse. Enfin, elle fait valoir que cette société ne peut se prévaloir de la caducité d'une instance qui n'existe plus du fait d'une jonction, étant précisé qu'elle a notifié ses conclusions le 4 juin 2024 sous les numéros de répertoire général 24/05133 et 24/08719.

Réponse de la cour :

Il n'est pas contesté que la déclaration de recours du 8 mars 2024 enregistrée sous le numéro de répertoire général 24/05133 a été formalisée dans le mois de la notification à la société Lesaffre et Compagnie de la décision contestée, laquelle est intervenue le 15 février 2024 et que cette déclaration est donc intervenue dans le délai édicté par l'article R.411-21 du code de la propriété intellectuelle.

Cette déclaration précisait que l'objet du recours tendait à l'annulation de cette décision et remplissait les conditions exigées par l'article R.411-25 dudit code qui impose notamment que l'acte de recours contienne, à peine de nullité, l'objet du recours.

Si la société Lesaffre Et Compagnie a effectué une seconde déclaration de recours le 3 mai 2024 enregistrée sous le numéro de répertoire général 24/08719, soit dans le délai qui lui était imparti par l'article R.411-29 du code de la propriété intellectuelle pour conclure, cette déclaration n'avait pour objet que de préciser que l'objet du recours tendait à réformer, infirmer ou annuler la décision.

Cette seconde déclaration s'est donc incorporée à la première, la complétant dans le délais requis.

La société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh sera donc déboutée de sa fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité du recours enregistré sous le numéro de répertoire général 24/08719.

Enfin, la société Lesaffre Et Compagnie a signifié ses conclusions au soutien de son recours sous ce numéro le 4 juin 2024 et a donc conclu dans le délai de trois mois imparti par l'article R.411-29 du code de la propriété intellectuelle, de sorte qu'aucune caducité ne saurait être encourue, laquelle n'est au demeurant pas demandée dans le dispositif des écritures de la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh.

Sur la validité de la marque n°21/4827312 déposée par la société Lesaffre Et Compagnie :

La société Lesaffre Et Compagnie a déposé la marque semi-figurative n°21/4827312 le 17 décembre 2021 :

L'enregistrement de cette marque a été publié au BOPI 2022-14 du 8 avril 2022.

La marque a été enregistrée pour désigner les produits suivants en classes 1 et 30 :

- classe 1 : « Améliorants de panification à usage industriel ou artisanal ; améliorants de la pâte, à savoir : adjuvants de panification ; enzymes destinées à la panification et à la fermentation ; exhausteurs de goût pour produits alimentaires ; additifs (chimiques) pour fermentation » ;

- classe 30 : « Farines et préparations faites de céréales, pain ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiserie et pâte à pizza ».

La demande de nullité présentée par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh devant l'INPI reposait sur un risque de confusion avec la marque internationale désignant la France n°689365 enregistrée le 13 février 1998 :

pour désigner les produits suivants en classe 30 : « pain, viennoiseries, pâtisseries ».

La société Lesaffre Et Compagnie sollicite la confirmation de la décision du directeur général de l'INPI concernant les produits de la marque contestée reconnus comme différents des produits de la marque considérée et sur le produit « pain ».

Elle conteste cependant cette décision concernant les autres produits des classes 1 et 30. Elle fait valoir que les « préparations faites de céréales » de la marque contestée et les « pains, viennoiseries, pâtisseries » ne partagent pas la même nature que les produits « pain ; viennoiseries ; pâtisseries » et « levures ; poudres à lever » et ne sont pas similaires ; que les produits en cause sont différents dans leur nature, leur fonction et leur destination ; qu'ils ne sont donc pas concurrents, ne relevant pas du même circuit de distribution ; que les produits commercialisés sous les signes litigieux sont destinés à des publics différents, aucun particulier n'allant acheter les produits Lesaffre pour faire du pain maison, que la comparaison des signes montre des différences visuelles et conceptuelles ; que tout risque de confusion entre les marques est exclu.

La société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh réplique que les produits comparés sont similaires et qu'il existe un risque de confusion entre les marques, que l'INPI a justement apprécié l'affaire qui lui était soumise en tenant compte de la situation actuelle et de la tendance des entreprises du secteur à proposer à la fois des produits finis et des ingrédients destinés à leur fabrication sous une seule et même marque, que l'ensemble des produits visés par la marque contestée sont exclusivement destinés à la fabrication des produits de boulangerie-pâtisserie désignés par la marque antérieure, ces produits étant tant à destination des professionnels que des particuliers, que ces produits sont donc interdépendants, que nombreux sont les consommateurs qui fabriquent leurs propres produits de boulangerie et de pâtisserie, notamment depuis le confinement de mars 2020 lié à la crise sanitaire, que de grands groupes fabriquent et distribuent tant des produits finis que des produits essentiels et nécessaires à leur confection, que le terme « IBIS » commun aux marques en présence jouit d'un pouvoir distinctif intrinsèque très élevé pour désigner les produits en cause, ce qui renforce le risque de confusion, que les produits visés par la marque contestée sont susceptibles d'être rattachés à la même origine par la clientèle en raison de leur identité et similarité avec les produits couverts par la marque opposée, les signes en présence étant quasi-identiques dès lors que la marque contestée constitue l'imitation de la marque antérieure.

Le directeur général de l'INPI conclut à l'existence d'un risque de confusion entre les marques en cause.

Réponse de la cour :

La décision du directeur général de l'INPI n'est pas contestée en ce que la marque litigieuse a été déclarée partiellement nulle pour le produit « pain » désigné par les marques en présence. La société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh n'a pas formé de recours incident en ce que la nullité n'a pas été prononcée pour les « enzymes destinées à la panification et à la fermentation ; exhausteurs de goût pour produits alimentaires ; additifs (chimiques) pour fermentation ».

Aux termes de l'article L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement d'une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, en application de l'article L. 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L. 711-2, L. 711-3, L. 715-4 et L. 715-9.

En vertu de l'article L.711-3 I 1° b) dudit code, ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle, une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment une marque antérieure, lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure.

Au cas d'espèce, les « préparations faites de céréales » visées en classe 30 par la marque contestée sont des compositions culinaires qui présentent la même nature que les « pain, viennoiseries, pâtisseries » de la marque antérieure, ainsi que le directeur général de l'INPI l'a relevé à juste titre dans la décision contestée. Il s'agit de produits similaires.

S'agissant des « améliorants de panification à usage industriel ou artisanal, des améliorants de la pâte, à savoir des adjuvants de panification » (produits visés en classe 1 dans la marque contestée), « des farines ; levure, améliorants de panification ; poudre pour faire lever ; levain, ferments pour pâte, arômes (autres qu'huiles essentielles) et préparations aromatiques à usage alimentaire ; mélanges pour faire des produits de boulangerie ; mélanges de boulangerie (mélanges à panifier prêts à l'emploi) ; préparation à base de levure pour pain, viennoiserie et pâte à pizza » (produits visés en classe 30 dans la marque seconde), il est incontestable que ces produits sont destinés à la fabrication du pain, de la pâte à pizza et des viennoiseries, produits visés par la marque opposée, à l'exception de la pâte à pizza, qui est un produit d'une nature très proche du pain.

Ces produits sont donc complémentaires.

Si la société Lesaffre Et Compagnie oppose que ces produits ne sont pas similaires, n'étant pas destinés aux mêmes circuits de distribution ni au même public, la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh justifie d'un engouement du consommateur français pour faire son pain soi-même, motivé par des considérations ludiques et économiques, la tendance au pain maison s'étant accentuée avec le confinement de mars 2020 dans le cadre de la crise sanitaire (pièces défenderesse 8, 9, 10, 11,12,13, 14, 33, 36, 37, 38, 39).

Aussi, les produits visés par la marque contestée peuvent, compte tenu de la pratique devenue courante chez le consommateur de fabriquer lui-même son pain, être destinés au même public que les produits finis de boulangerie, et vendus dans les mêmes lieux de distribution, boulangeries-pâtisseries ou supermarchés, ou dans des rayons proches.

Il est, à cet égard, justifié que des opérateurs du secteur proposent au public, sous la même marque, à la fois des produits finis de boulangerie-pâtisserie et des ingrédients nécessaires à leur fabrication.

Ainsi, les produits de marque « ALSA » concernent des préparations de muffins et de c'urs coulants mais également des levures chimiques et du sucre vanillé (pièce défenderesse n°21). La société Grands Moulins de Paris commercialise sous sa marque des pains, pâtisseries et viennoiseries, mais également des améliorants de panification de viennoiserie et de panification, des ingrédients, des graines, des malts et des levains, des farines, des mélanges pour viennoiseries (pièces défenderesse n°25 et 26). La société Schär commercialise également sur son site Internet marchand des farines et pâtes permettant la cuisson de pains et viennoiseries (pièce défenderesse n°42). Est commercialisé enfin sous la marque POILANE des pains, viennoiseries et des farines de blé (pièce défenderesse n°41).

Ce souci de diversification auprès du consommateur était également présent chez la société Lesaffre Et Compagnie puisque sur son site Internet accessible à l'adresse lesaffre.fr/nos-produits/ se trouvait au 8 décembre 2022 une page à destination du « Grand public » « Entre amateurs de pain maison » mentionnant « les techniques de production de levure ont progressivement évolué pour s'adapter aux différentes attentes des boulangers et des amateurs de pain maison. Dans tous les cas, elles apportent à vos panifications le moelleux, le volume et la saveur que vous aimez tant ! » (pièce défenderesse n°6).

La société Lesaffre Et Compagnie reconnaissait donc clairement, dans sa communication commerciale, que les produits couverts par ses marques ne sont pas exclusivement destinés à des artisans-boulangers mais également au consommateur désirant fabriquer son pain, reconnaissant que l'évolution technologique rend de plus en plus aisée l'utilisation de produits de fabrication par le public pour des résultats satisfaisant ses besoins.

Par conséquent, compte tenu de l'évolution des usages du secteur et du développement de l'offre des produits de fabrication aux consommateurs, il y a lieu de retenir que les produits en cause visés par les marques, qui s'adressent au même public, sont similaires.

Sur la comparaison des signes, la marque contestée porte sur le signe semi-figuratif :

Et la marque antérieur le signe semi-figuratif :

Sur le plan visuel, la marque contestée est composée de l'élément verbal « IBIS » surplombé d'un élément figuratif représentant un échassier en vol, et la marque antérieure du seul signe verbal « IBIS ».

Même si l'élément verbal « IBIS » est reproduit dans les signes avec une graphie différente, cet élément commun leur confère une forte similitude visuelle et phonétique, la prononciation de ce signe étant identique.

Par ailleurs, cet élément verbal commun confère également aux signes une forte identité conceptuelle.

Le nom « IBIS » signifiant, selon le dictionnaire Larousse (pièce défenderesse n°24), un grand oiseau échassier, l'élément figuratif de la marque contestée ne vient que renforcer l'élément verbal qui y est associé. Aussi, il ne sera pas particulièrement mémorisé par le consommateur qui ne retiendra que l'élément verbal « IBIS ».

Le public sera amené à attribuer dans les signes une même signification à cet élément verbal commun dont l'association à un animal est spontanée sans avoir à l'esprit que le terme « IBIS » reproduit dans la marque antérieure se réfère à l'expression « Internationaler Backwaren Import Service », ainsi que le soutient la société Lesaffre Et Compagnie.

Par conséquent, les signes sont fortement similaires, tant visuellement que phonétiquement et conceptuellement, de sorte que le public pertinent, constitué à la fois du grand public, doté d'un degré d'attention moyen et du public professionnel, d'attention plus élevée, pourrait considérer que la marque contestée est une déclinaison de la marque antérieure, présentant une même distinctivité forte eu égard à la nature des produits qu'elle désigne.

Les produits étant similaires, le public pertinent pourra être amené à faire un rapprochement entre les marques et leur attribuer une même origine.

Le risque de confusion avec la marque antérieure est donc caractérisé et la demande de nullité justifiée.

Le recours contre la décision du directeur général de l'INPI doit en conséquence être rejeté.

La société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh a dû engager des frais qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE recevables les pièces n°28 à 44 produites par la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh,

DECLARE recevable le recours formé par la société Lesaffre Et Compagnie enregistré sous le numéro de répertoire général 24/08719,

REJETTE le recours de la société Lesaffre Et Compagnie contre la décision du directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle du 12 février 2024,

CONDAMNE la société Lesaffre Et Compagnie à payer à la société Ibis Backwarenvertriebs-Gmbh la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que la présente décision sera notifiée par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties ainsi qu'à M. le directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle.

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