CA Rennes, 2e ch., 23 septembre 2025, n° 23/02421
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Agco Finance (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseiller :
M. Pothier
Conseillère :
Mme Picot-Postic
Avocats :
Me Laudic-Baron, Me Moalic
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 26 juillet 2016, M. [U] [N] a souscrit un contrat de crédit-bail auprès de la société Agco Finance portant sur le financement d'un tracteur Challenger 645 prévoyant le règlement d'un premier loyer à la livraison d'un montant de 22 390 euros HT, puis de sept loyers annuels de 28 590 euros HT à compter du 27 novembre 2016 et enfin sur la valeur résiduelle de 11 195 euros HT le 27 décembre 2022.
Suivant jugement du 23 mars 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de M. [U] [N]. La société Agco Finance a déclaré sa créance pour un montant de 253 689 € qui a été admise le 22 juillet 2018 pour ce montant. Par jugement du 28 juin 2018, le tribunal a approuvé le plan de continuation et d'apurement des créances de M. [N] sur 15 ans.
Suivant procès-verbal du 20 septembre 2019, M. [U] [N] a procédé à la restitution du matériel loué et un accord de restitution volontaire et de résiliation amiable du contrat de crédit-bail a été signé par le locataire. Suivant contrat du 5 septembre 2019, le tracteur a été vendu au prix de 192 000 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 février 2020, la société Agco Finance a mis en demeure M. [N] de lui régler la somme totale de 44 689 € au titre du décompte de résiliation après déduction du prix de vente du tracteur et d'un acompte de 17 000 €, en vain.
Suivant acte extrajudiciaire du 27 janvier 2022, la société Agco Finance a assigné en paiement M. [U] [N] devant le tribunal judiciaire de Lorient.
Suivant jugement du 29 mars 2023, le tribunal judiciaire de Lorient a :
- rejeté la demande de condamnation de M. [U] [N] à paiement d'une créance de la société Agco finance,
- fixé à 44 689 TTC la créance de la société Agco Finance, outre les intérêts au taux légal,
- rejeté les autres demandes,
- laissé les dépens à la charge de la demanderesse.
Suivant déclaration du 19 avril 2023, la société Agco Finance a interjeté appel.
En ses dernières conclusions du 17 juillet 2023, la société Agco Finance demande à la cour de:
Vu les articles 1134 devenu 1103 et 1343-2 du code civil,
Vu l'article 514 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté sa demande de condamnation de M. [U] [N] à paiement de sa créance,
- fixé à 44 689 TTC sa créance, outre les intérêts au taux légal,
- rejeté les autres demandes,
- laissé les dépens à sa charge.
- Le réformant et statuant à nouveau,
- débouter M. [U] [N] de l'intégralité de ses demandes, moyens et conclusions,
- condamner M. [U] [N] à lui payer la somme de 44 689 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 17 février 2020, date de la mise en demeure,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner M. [U] [N] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [U] [N] aux entiers dépens.
M. [N] a constitué avocat mais n'a pas conclu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions précitées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le procès-verbal de restitution du matériel
Il convient de souligner que la société Agco Finance qui sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a également rejeté les autres demandes, ne remet nullement en cause ce rejet par les premiers juges, notamment celle portant sur la prétendue renonciation de la société Agco Finance aux conditions contractuelles de la résiliation, les premiers juges ayant considéré que M. [N] ne rapportait pas la preuve par un écrit émanant de la société Agco Finance de ce qu'elle aurait accepté la restitution amiable du tracteur pour solde de tout compte et donc renoncé à l'indemnité contractuelle due en cas de résiliation.
- Sur les sommes dues à la société Agco Finance
Selon l'article L 622-21 I du code de commerce, 'le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent'.
Selon l'article L. 622-17 I du même code, 'les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance.
II. Lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10 [L. 3253-2 et L. 3253-3], L. 143-11 [L. 3253-4], L. 742-6 et L.751-15 [L. 7313-8] du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure et de celles garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code».
Aux termes de l'article L. 622-24, ' à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire dans des délais fixés par décret en Conseil d'État» (...)
Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture, autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17 et les créances alimentaires», sont soumises aux dispositions du présent article. Les délais courent à compter de la date d'exigibilité de la créance. Toutefois, les créanciers dont les créances résultent d'un contrat à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État (...)'.
La société Agco Finance, qui rappelle que sa créance était hors plan, fait grief aux premiers juges d'avoir retenu qu'elle ne pouvait pas poursuivre M. [N] jusqu'à la clôture du plan de redressement.
Elle fait valoir qu'il n'est pas contesté que le contrat de crédit-bail a été régulièrement poursuivi postérieurement au redressement judiciaire de M.[N], que les sommes réclamées en exécution du contrat sont donc des créances postérieures qui doivent être payées à l'échéance, tout en rappelant que les contrats poursuivis par une société in bonis suivent les règles de droit commun de sorte que la résiliation postérieure n'a pas à être déclarée contrairement à ce qui a été indiqué.
Il y a lieu de rappeler que le loyer prévu pour un contrat à exécution successive poursuivi par le débiteur est une créance de la procédure pour la période afférente à la période postérieure au jugement d'ouverture qui n'est pas soumise à l'obligation de déclaration et constitue une créance née antérieurement au jugement d'ouverture pour la prestation afférente à la période antérieure à ce jugement et soumise à déclaration au passif.
En l'espèce, il est constant que le contrat de crédit-bail conclu le 26 juillet 2016 entre la société Agco Finance et M. [N] pour le financement d'un tracteur Challenger 645 s'est poursuivi après l'ouverture du redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Lorient du 23 mars 2017.
Il est avéré que la société Agco Finance a déclaré sa créance pour un montant de 253 689 € qui a été admise définitivement le 22 janvier 2018 pour ce montant.
Par jugement du 28 juin 2018, le tribunal judiciaire de Lorient a approuvé le plan de continuation et d'apurement des créances de M. [N] sur 15 ans, qui a par ailleurs constaté que ce plan mettait notamment à la charge de M. [N] la poursuite des contrats Agco Finance directement par ce dernier.
Suite à la résiliation du contrat de crédit-bail le 2 septembre 2019 à l'initiative de M. [N], la société Agco Finance justifie avoir déclaré sa créance, par déclaration du 8 octobre 2019, pour un montant de 236 689 € se décomposant comme suit :
- 155 911,20 € à titre de chirographaire échu (dont 150 666 € au titre d'une indemnité de résiliation au 20/09/2019)
- 80 777,20 € à titre échu privilégié (en application de l'article L 622-17 du code du commerce), - sans la déduction du prix de revente du tracteur.
Selon le décompte de résiliation en date du 17 février 2020 produit par la société Agco Finance, sa créance se décompose comme suit :
- créance échue :
¿ un loyer annuel proratisé (du 21/07/2017 au 22/03/2017) : 5 146,20 €
¿ frais de dossier : (27/01/2017) : 99,00 €
- impayés au titre de la poursuite du contrat : 99 777,80 €
- indemnité de résiliation au 20/09/2019 : 150 666,00 €
(4 loyers annuels du 27/01/2020 au 27/01/2020 et valeur résiduelle)
- acomptes postérieurs (virement du 06/0/2018) : 17 000,00 €
- vente matériel 192 000,00 €
- total échu déclaré 44 689,00 €
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que lors de sa première déclaration de créance, à l'ouverture de la procédure collective, la société Agco Finance a déclaré pour le même contrat, un montant au titre d'un loyer échu impayé (outre les frais de dossier), et un montant au titre des loyers à échoir et que la somme de 44 689 € correspond bien au solde de l'indemnité de résiliation.
Le créancier qui déclare une créance postérieure (au titre des loyers à échoir), et qui est admis au passif au titre de cette créance, la transforme en créance antérieure, soumise par voie de conséquence aux règles de l'interdiction des paiements, de l'arrêt des poursuites et des voies d'exécution.
Au vu de ces éléments, les premiers juges ont à juste titre considéré que la créance de la société Agco Finance n'était pas 'hors plan' (contrairement à ce qu'indique l'appelante) mais que le plan l'avait intégrée en mentionnant la poursuite du contrat Agco finance directement par M. [N] et que la créance de la société Agco Finance n'était pas incluse dans le remboursement des autres créances à hauteur de 100 %, par dividendes annuels sur 15 ans, le contrat de crédit-bail devant se poursuivre par le paiement des loyers annuels, dans le cadre du plan. Il s'agissait en effet d'une contrepartie nécessaire à la continuation de son activité.
Cependant, du fait de la résiliation amiable intervenue le 2 septembre 2019, les premiers juges ont également à juste titre considéré que la créance de résiliation due à la suite de cette résiliation devait être considérée et traitée comme une créance antérieure, comme étant la conséquence d'un contrat né avant l'ouverture de la procédure collective (Cass. Com. 15 octobre 2002 n°00-10.898). En effet, les créances consécutives à la résiliation d'un contrat intervenue après le jugement d'ouverture naissent bien de la décision de résiliation et les indemnités sont soumises à déclaration comme pour les créances antérieures au jugement d'ouverture
La société Agco Finance ne peut donc utilement invoquer les dispositions de l'article L.622-17 du code de commerce pour prétendre que les sommes réclamées en exécution du contrat sont des créances postérieures qui doivent être payées à l'échéance et que la résiliation postérieure n'a pas à être déclarée.
L'article R.622-21 alinéa 2 du code de commerce prévoit d'ailleurs que les cocontractants mentionnés aux articles L.622-13 et L.622-14 doivent déclarer les indemnités et pénalités mentionnées au 2° du III de l'article L.622-17 en cas de résiliation d'un contrat régulièrement poursuivi.
Dès lors que la créance de la société Agco Finance a été admise à titre définitif le 22 janvier 2018 au passif de la procédure collective (même si elle n'avait pas à l'être du fait de la poursuite du contrat de crédit bail), elle a été fixée à ce passif pour le montant déclaré et la société Agco Finance ne peut solliciter la condamnation de M. [N] au paiement de la créance de résiliation en application de l'article L 622-21 I précité, sauf à se trouver en contradiction avec la décision du juge commissaire. En effet, la société Agco Finance ne peut demander la condamnation de M. [N] à payer une créance antérieure admise définitivement comme créance chirographaire, cette créance devant être réglée dans le cadre du plan, et non par priorité sur les autres créanciers inclus dans ce plan, sauf à contrevenir au principe de traitement égalitaire de tous les créanciers.
L'interdiction de toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent concerne toutes les créances qui ne sont pas visées au I de l'article 622-17 précité et tel est le cas de la créance de résiliation.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de condamnation de M. [N] au paiement de la créance de résiliation de la société Agco Finance et l'ont fixée à la somme de 44 689 € au vu du décompte produit aux débats par ladite société. Le jugement entrepris sera donc confirmé.
- Sur les demandes accessoires
La décision déférée confirmée en ses principales dispositions, il en sera de même s'agissant des dépens et frais irrépétibles.
Partie succombante en cause d'appel, la société Agco Finance sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le'29 mars 2023 par le tribunal judiciaire de'Lorient en toutes ses dispositions';
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société SAS Agco Finance aux dépens de la procédure d'appel;
Rejette les autres demandes.