Livv
Décisions

Cass. com., 1 octobre 2025, n° 24-18.021

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (Sté)

Défendeur :

Ha Un 18 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Riffaud

Avocat général :

Mme Henry

Avocats :

SCP Delamarre et Jehannin, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Versailles, ch. com. 3-2, du 21 mai 2024

21 mai 2024

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 mai 2024), la société HA UN 18, filiale du Groupe Horizon, détenue en son intégralité et présidée par la société Horizon Engineering Management (la société HEM), a émis trois emprunts obligataires en 2018 et 2019 pour un montant total de 27 500 000 euros destinés à être investis dans des projets immobiliers menés par des sociétés de droit allemand appartenant au groupe GPG qui, en mai 2020, ont fait l'objet de procédures d'insolvabilité.

2. Le 20 janvier 2022, la société HA UN 18 a été mise en redressement judiciaire, la société [Y] [H] étant désignée administrateur et la société ML Conseils mandataire judiciaire.

3. Par une ordonnance du 14 avril 2022, le juge-commissaire a autorisé l'administrateur à constituer des classes de parties affectées.

4. L'administrateur a constitué sept classes de parties affectées et inscrit la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (la CAPSSA), qui avait souscrit à concurrence de 8 000 000 euros à l'un des emprunts obligataires émis par la société HA UN 18, dans la classe F des obligataires sans accès au capital.

5. Le 12 décembre 2022, la CAPSSA et d'autres créanciers de la classe F ont formé un recours portant sur leur qualité de partie affectée et la répartition en classes. Ce recours n'ayant pas été accueilli par le juge-commissaire, ils ont interjeté appel de l'ordonnance qu'il avait rendue le 22 décembre 2022. Un arrêt du 14 mars 2023 a déclaré caduque la déclaration d'appel.

6. La société HEM a fait des propositions de rachat de leurs créances aux créanciers obligataires, qui les ont acceptées, à l'exception de la CAPSSA.

7. Le projet de plan prévoyait la création d'une société de défaisance, dénommée Allemagne Real Estate (ARE), ayant pour objet de poursuivre les démarches engagées pour recouvrer les créances relatives aux projets GPG et la conversion de la quasi-totalité des créances, dont celles des créanciers obligataires, en capital de la structure de défaisance. Il a été approuvé par les classes, à l'exception de la classe C, constituée des créanciers bénéficiant du privilège du Trésor public, qui ne s'est pas prononcée, et d'un seul créancier de la classe F détenant 27 % des voix, la CAPSSA, qui a voté contre le plan.

8. Le 19 juin 2023, la CAPSSA a présenté une requête au tribunal de commerce pour contester le vote des classes de parties affectées sur le fondement des articles R. 626-64, I et L. 626-33, I du code de commerce.

9. Lors de l'examen du plan, la CAPSSA a contesté les conditions de mise en oeuvre de la règle dite du « meilleur intérêt des créanciers » et soutenu que le plan ne lui permettrait pas de satisfaire à ses obligations réglementaires en matière de solvabilité.

10. Par un jugement du 19 septembre 2023, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société HA UN 18, la société [E] [H] étant désignée en qualité de commissaire à son exécution.

11. La CAPSSA a interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen, pris en ses cinquième à dixième branches

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La CAPSSA fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en ses contestations non fondées sur l'article R. 626-64, I du code de commerce, de rejeter ses demandes et d'arrêter le plan de redressement de la société HA UN 18, alors « que le droit fondamental d'accès au tribunal s'oppose à ce que la décision de constitution des classes de parties affectées, lorsqu'elle affecte les droits fondamentaux d'un créancier, ne puisse faire l'objet d'aucun recours de la part de ce dernier ; qu'en l'espèce, la CAPSSA soutenait que l'adoption du plan par les classes de parties affectées portait atteinte à ses droits fondamentaux, notamment son droit de propriété et sa liberté contractuelle ; qu'en retenant pourtant, pour dire irrecevable le moyen pris de l'irrégularité de la constitution des classes de parties affectées, que l'ordonnance du juge-commissaire du 14 avril 2022 ayant autorisé l'administrateur judiciaire de la société HA UN 18 à constituer les classes de parties affectées est une "mesure d'administration judiciaire, qui ne peut faire l'objet d'aucun recours, [et] ne peut être remise en cause par la CAPSSA devant la cour", la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

14. En premier lieu, lorsque le juge-commissaire autorise l'administrateur à constituer des classes de parties affectées, les articles L. 626-30, V et R. 626-58-1 du code de commerce ouvrent à chacune d'elles la faculté de le saisir d'une contestation portant sur la qualité de partie affectée et les modalités de répartition en classes et de calcul des voix correspondant aux créances ou droits leur permettant d'exprimer un vote et la décision de ce juge ou, si celui-ci n'a pas statué dans les dix jours de sa saisine, celle du tribunal, est susceptible d'un recours porté devant la cour d'appel.

15. En second lieu, les articles L. 626-33, I et R. 626-64, I du code de commerce ouvrent un recours à une partie affectée qui, ayant voté contre le projet de plan, entend contester le respect de la condition prévue au 4° de l'article L. 626-31 ou du cinquième ou du dixième alinéa de l'article L. 626-32 de ce code et la décision du tribunal sur cette contestation est également susceptible d'un recours porté devant la cour d'appel.

16. Il en résulte que, si la qualification de mesure d'administration judiciaire conférée, à l'article R. 626-54 du code de commerce, à la décision par laquelle le juge-commissaire autorise la constitution de classes de parties affectées lorsque celle-ci est facultative, prive tout créancier affecté de la faculté de frapper cette décision d'un recours, les créanciers ne sont pas privés de toute protection de leurs droits pendant le cours de la procédure et de la faculté d'exercer, au moment qui leur est réservé par ces textes, un recours pour en assurer la garantie.

17. L'arrêt, après avoir relevé que la CAPSSA avait exercé un recours contre la composition des classes et que ce recours avait été rejeté, retient exactement, sans porter aux droits de celle-ci, garantis à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée qui ne serait pas justifiée par les impératifs d'efficacité et de célérité qui s'attachent au traitement d'une procédure collective, qu'en cette matière les voies de recours étant soumises à un régime dérogatoire au droit commun et que la directive n° 2019/1023 du 29 juin 2019, comme le législateur, ayant fait le choix de restreindre le champ des contestations des parties affectées dissidentes, les contestations de la CAPSSA, non fondées sur l'article R. 626-64, I du code de commerce, sont irrecevables.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

19. La CAPSSA fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2° / qu'une partie affectée qui a voté contre le plan peut saisir sur requête
le tribunal de sa contestation ; que la décision du tribunal est susceptible de
recours devant la cour d'appel ; que ce recours est formé, instruit et jugé suivant les modalités de la procédure d'appel avec représentation obligatoire ; qu'aucune disposition ne prévoit que seraient seules recevables devant la cour d'appel les contestations émises par la partie dissidente dans sa requête introductive d'instance ; qu'en retenant pourtant que "la qualité de partie de la CAPSSA résulte du dépôt de sa requête devant le tribunal de commerce de Versailles fondée sur les contestations visées par l'article R. 626-64, I du code de commerce. L'appel, qui est ouvert, aux seules parties de première instance, ne peut donc porter que sur les mêmes contestations que celles soulevées dans sa requête", la cour d'appel a violé les articles L. 626-33 et R. 626-24 du code de commerce ;

3°/ qu'une disposition restreignant le droit de recours au juge n'est conforme au droit d'accès au juge qu'à la condition de reposer sur une règle dépourvue d'ambiguïté et une jurisprudence précise ; que ni les articles L. 626-33 et R. 626-24 du code de commerce, ni une quelconque décision jurisprudentielle n'affirment expressément que seraient seules recevables devant la cour d'appel les contestations que la partie dissidente avait soumises au tribunal dans sa requête introductive d'instance ; qu'en retenant pourtant que "la qualité de partie de la CAPSSA résulte du dépôt de sa requête devant le tribunal de commerce de Versailles fondée sur les contestations visées par l'article R. 626-64, I du code de commerce. L'appel, qui est ouvert, aux seules parties de première instance, ne peut donc porter que sur les mêmes contestations que celles soulevées dans sa requête", quand une telle limitation du droit au recours n'était absolument pas raisonnablement prévisible et ne reposait sur aucune règle précise, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

20. En premier lieu, il résulte des articles L. 626-32, I, L. 626-33 et R. 626-64, I du code de commerce que, lorsqu'une partie affectée ayant voté contre le projet de plan entend contester le respect à son égard de la condition prévue au 4° de l'article L. 626-31 ou du cinquième ou dixième alinéa de l'article L. 626-32, le tribunal, après avoir déterminé la valeur de l'entreprise, statue dans un même jugement sur ces contestations relatives à l'application de l'article L. 626-31 ou de l'article L. 626-32 et sur l'arrêt du plan.

21. En second lieu, il résulte des articles L. 661-1, 6°, L. 626-33 et R. 626-64, II de ce code que seules les décisions prises par le tribunal sur ces contestations, formées par un créancier affecté qui a voté contre le projet de plan, sont susceptibles d'un appel de la part de ce créancier.

22. La cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif du recours exercé par la CAPSSA, limité aux seules contestations énoncées aux articles susvisés, a ainsi exactement retenu et sans que sa décision présente un caractère imprévisible, que, au-delà des contestations qui lui étaient ouvertes par ces dispositions, la CAPSSA entendait étendre l'objet de son appel à l'arrêté du plan de redressement lui-même et qu'elle n'y était pas recevable.

23. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en ses première à quatrième branches

Enoncé du moyen

24. La CAPSSA fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes et d'arrêter le plan de redressement soumis au vote des classes de parties affectées, alors :

« 1°/ que lorsque des parties affectées ont voté contre le projet de plan, aucune de ces parties affectées ne doit se trouver dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu'elle connaîtrait s'il était fait application soit de l'ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l'entreprise, soit d'une meilleure solution alternative si le plan n'était pas validé ; que si l'exécution du plan contraint une partie dissidente à contrevenir à ses obligations légales ou réglementaires, cette partie se trouve dans une situation moins favorable que celle qui serait la sienne en présence d'une solution alternative ; que le critère du meilleur intérêt du créancier ne se limite donc pas à une analyse des seules perspectives de recouvrement et impose de tenir compte des éventuelles obligations légales ou réglementaires de la partie dissidente ; qu'en retenant à l'inverse qu'"afin de déterminer si le critère du meilleur intérêt a été respecté au sens des dispositions de l'article L. 626-31 4° du code de commerce, il appartient au juge de comparer les perspectives de désintéressement du créancier dissident entre le projet de plan et l'hypothèse d'une distribution en liquidation judiciaire ou en plan de cession et non de vérifier les conséquences du plan sur la situation personnelle de ce créancier", la cour d'appel a violé l'article L. 626-31 du code de commerce ;

2°/ que les institutions de prévoyance sont soumises au principe de la personne prudente ; qu'elles ont donc l'obligation de n'investir que dans des actifs et instruments présentant des risques qu'elles peuvent identifier, mesurer, suivre, gérer, contrôler et déclarer de manière adéquate ainsi que prendre en compte de manière appropriée dans l'évaluation de leur besoin global de solvabilité ; qu'en l'espèce, la CAPSSA soulignait qu'en qualité d'institution de prévoyance, elle était tenue de n'investir que dans des actifs qu'elle était en mesure de gérer et de contrôler et que les actions de préférence dont le plan lui prévoyait l'attribution ne répondaient pas à ce critère puisqu'elles étaient privées de droit de vote ; qu'en retenant toutefois que la CAPSSA "n'explique pas en quoi le plan de redressement la mettrait dans une situation plus risquée que son investissement initial et porterait atteinte à ses obligations réglementaires", sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si l'investissement dans des actions de préférence sans droit de vote était conforme au principe de la personne prudente, auquel était soumise la CAPSSA, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 626-31 du code de commerce, ensemble l'article L. 931-6 du code de la sécurité sociale et l'article 132 de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice ;

« 3°/ qu'en vertu du droit au respect de ses biens, un créancier obligataire ne saurait être contraint de céder sa créance dans le seul intérêt de son débiteur ; qu'en retenant toutefois en l'espèce, pour rejeter les demandes de la CAPSSA qu'elle " a eu la possibilité de céder sa créance obligataire avant le vote du plan et ce qui lui aurait permis de ne pas se voir attribuer d'actions de préférence et de ne pas, selon elle, porter atteinte à ses obligations réglementaires, ce qu'elle a refusé. Il en résulte que cet argument de la CAPSSA est inopérant dans l'appréciation du critère du meilleur intérêt des créanciers", la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'en vertu du principe de liberté contractuelle, nul créancier ne saurait être contraint de conclure une convention de cession de sa créance ; qu'en
retenant toutefois en l'espèce, pour rejeter les demandes de la CAPSSA, qu'elle "a eu la possibilité de céder sa créance obligataire avant le vote du plan et ce qui lui aurait permis de ne pas se voir attribuer d'actions de préférence et de ne pas, selon elle, porter atteinte à ses obligations réglementaires, ce qu'elle a refusé. Il en résulte que cet argument de la CAPSSA est inopérant dans l'appréciation du critère du meilleur intérêt des créanciers", la cour d'appel a retenu que serait fautif le simple exercice de la liberté de ne pas contracter, en violation de l'article 1102 du code civil. »

Réponse de la Cour

25. En premier lieu, selon l'article L. 626-30, I, 1° du code de commerce, sont des parties affectées les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan et, selon le III de ce même article, la composition des classes de parties affectées est déterminée au vu des créances et droits nés antérieurement à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, les créanciers étant répartis en classes représentatives d'une communauté d'intérêt économique suffisante, de sorte que la représentation des créanciers est organisée en fonction du statut des créances qu'ils détenaient avant l'ouverture de la procédure.

26. En second lieu, l'article L. 626-31 du même code prescrit, en son 2°, au tribunal, lorsqu'il arrête le plan qui a été soumis au vote des classes de parties affectées, de vérifier que celles-ci, partageant une communauté d'intérêt suffisante au sein de la même classe, bénéficient d'une égalité de traitement et sont traitées de manière proportionnelle à leur créance ou à leur droit et, en son 4°, que lorsque des parties ont voté contre le projet de plan, aucune de ces parties affectées ne se trouve dans une situation moins favorable que celle qu'elle connaîtrait s'il était fait application soit de l'ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l'entreprise en application de l'article L. 642-1, soit d'une meilleure solution alternative si le plan n'était pas validé.

27. Faisant application de ces textes, dont il ne résulte pas qu'il aurait appartenu au juge, en arrêtant le plan, de prendre en considération la situation de la CAPSSA autrement qu'en fonction de son appartenance à une communauté d'intérêt économique, de son rang parmi les différents créanciers et des perspectives de règlement de sa créance, c'est à bon droit et sans porter atteinte ni au droit de propriété de ce créancier ni à sa liberté contractuelle, mais en se bornant à constater qu'il avait opéré le choix de ne pas céder sa créance obligataire, que la cour d'appel a retenu qu'elle n'avait pas à vérifier les conséquences du plan au regard des obligations prudentielles pesant sur la CAPSSA.

28.Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (CAPSSA) aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la CAPSSA et la condamne à payer à la société [Y] [H], représentée par M. [Y] [H], en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société HA UN, société ML Conseils, représentée par M. [G] [J], en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société HA UN 18 et à la société 18 HA UN 18 la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé publiquement le premier octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par M.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site