CA Poitiers, 1re ch., 23 septembre 2025, n° 23/02349
POITIERS
Arrêt
Autre
ARRET N°277
N° RG 23/02349 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G43W
[E]
S.A.S. ENR-CCRS
C/
S.A.R.L. [V]
S.A. AXA FRANCE IARD
S.A.R.L. ENTREPRISE [Localité 13]
S.A.R.L. ALLYTECH
S.E.L.A.R.L. [M]
Loi n° 77-1468 du30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
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Copie gratuite délivrée
Le à
Le à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02349 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G43W
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 octobre 2023 rendu par le Tribunal de Commerce de Poitiers.
APPELANTS :
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 11]
[Localité 5] / france
S.A.S. ENR-CCRS
[Adresse 11]
[Localité 5] / france
ayant tous les deux pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Daniel DUCO, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES :
S.A.R.L. [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON - YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Christine JAIS, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 3]
[Localité 10]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Dominique LACAN, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. ENTREPRISE [Localité 13]
[Adresse 9]
[Localité 6]
ayant pour avocat Me Isabelle LOUBEYRE de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS substituée par Me PHERIVONG, avocat au barreau de POITIERS
SARL ALLYTECH
[Adresse 1]
[Localité 8]
défaillante
S.E.L.A.R.L. [M] en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL ALLYTECH
[Adresse 16] [Adresse 14]
[Localité 7]
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller qui a fait le rapport
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 4 mars 2016, la société [V] a acquis un ensemble de bâtiments situé à [Localité 17] ([Localité 18]), dénommé le Moulin de [Localité 12].
La réhabilitation de la roue à aubes des années 1860 du moulin a été envisagée, afin de produire puis vendre de l'électricité. Cette production devait dans un premier temps permettre de financer les travaux de remise en état du bien.
La société [V] s'est rapprochée des sociétés :
- Enr-Ccrs, spécialiste des énergies renouvelables ;
- [Localité 13], spécialisée dans la rénovation des moulins à eau ;
- Allytech, spécialiste de l'hydroélectricité.
Une étude-devis de la société Allytech est en date du 9 mai 2018.
Une étude de faisabilité réalisée par la société Enr-Ccrs est en date du 30 mai 2018.
Un contrat en date du 17 août 2018 a été conclu entre les sociétés [V] et Enr-Ccrs. Il est dénommé : 'assistance à maîtrise d'ouvrage'.
Le coût des travaux a été évalué à 394 000 € (montant hors taxes). La vente d'électricité devait rapporter entre 26.000 et 38.000 € par an.
La société [V] a souscrit en juillet 2018 un emprunt de 400.000 €. Il a été convenu d'une première échéance de remboursement en janvier 2020, au démarrage de la production d'électricité.
Un devis de la société Allytech est en date du 27 septembre 2018, d'un montant hors taxes de 101.949,40 €. Il avait pour objet la fourniture et l'installation d'un ensemble mécanique et d'une armoire d'optimisation.
La société [Localité 13] a établi un devis en date du 26 mars 2019 des travaux à réaliser sur la roue à aubes, d'un montant hors taxes de 72.069 €.
Au 8 janvier 2020, date prévue du démarrage de la production, la roue à aubes n'a pas fonctionné. L'électricité n'a pas été produite.
Un expert est intervenu le 13 février 2020 à la demande de la société Enr-Ccrs. Un second est intervenu le 27 février suivant à la demande de la société [V].
Par acte du 28 mai 2020, la société [V] a assigné les sociétés Enr-Ccrs, Allytech et [Localité 13] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Poitiers, afin que soit désigné un expert. Par ordonnance du 26 juin 2020, [X] [E] a été commis en qualité d'expert. Les réunions d'expertises se sont déroulées les 10 septembre et 10 décembre 2020. Le rapport d'expertise est en date du 30 juin 2021.
Par acte des 4 et 6 octobre 2021, la société [V] a assigné les sociétés Enr-Ccrs et Allytech devant le tribunal de commerce de Poitiers.
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Allytech. La selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte des 18 et 21 octobre 2021, la société [V] a appelé en cause la société Axa France, assureur de la société Allytech et la société [M] ès qualités.
Par acte du 25 mars 2022, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont assigné la société [Localité 13] devant le tribunal de commerce de Poitiers.
Les instances ont été jointes.
La société [V] a à titre principal demandé de :
- déclarer les sociétés Allytech et Enr-Ccrs, ainsi que [Z] [E] à titre personnel en sa qualité de dirigeant de cette dernière société, responsables du préjudice subi ;
- dire la société Axa France Iard tenue de garantir la société Allytech ;
- condamner in solidum les défendeurs au paiement à titre de dommages et intérêts des sommes de :
- 388.836,33 € (montant toutes taxes comprises) en réparation du préjudice subi au regard de l'investissement réalisé en pure perte ;
- 91.340,75 €, montant arrêté au 31 mars 2023, en réparation de la perte d'exploitation subie ;
- 316.175,25 € correspondant au gain manqué prévisible.
Elle a en outre demandé de :
- condamner la société Enr-Ccrs, [Z] [E] et la société Axa France Iard à la garantir du paiement à la société [Localité 13] de la somme toutes taxes comprises de 20.196,11 € au titre du solde restant dû des travaux ;
- fixer sa créance au passif de la société Allytech à 418.852.53 € (montant toutes taxes comprises).
Elle a soutenu que :
- le moulin n'avait pas pu fonctionner en raison des désordres affectant l'installation réalisée ;
- ce dysfonctionnement avait pour cause des erreurs de conception, l'absence de viabilité technique du projet et des fautes d'exécution ;
- la maîtrise d'oeuvre du projet avait été confiée à la société Enr-Ccrs ;
- les sociétés intervenantes avaient engagé leur responsabilité contractuelle à son égard ;
- le dirigeant de la société Enr-Ccrs, en n'ayant pas souscrit d'assurance de responsabilité civile, avait commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle ;
- la société Axa France Iard n'était pas fondée à soutenir que le rapport d'expertise lui était inopposable et devait sa garantie.
La société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont déclaré leur créance à la procédure collective.
Ils ont demandé d'annuler le rapport d'expertise aux motifs que l'expert:
- s'était livré à une appréciation d'ordre juridique du rôle de la société Enr-Ccrs ;
- n'avait pas répondu au dire n°5 de cette société ;
- n'avait pas répondu aux chefs de la mission d'expertise.
Ils ont conclu au fond au rejet des prétentions formées à leur encontre aux motifs que :
- le contrat conclu avec la société Enr-Ccrs était un contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et non de maîtrise d'oeuvre ;
- cette société n'avait pas été la conceptrice du projet ;
- le dirigeant de cette société n'avait pas commis de faute détachable de sa fonction, la souscription d'une assurance de responsabilité civile n'étant pas obligatoire.
Le liquidateur judiciaire de la société Allytech n'a pas comparu, ni fait valoir d'observation.
La société Axa France Iard a à titre principal conclu au rejet des demandes formées à son encontre. Elle a maintenu que le rapport d'expertise lui était inopposable. Elle a subsidiairement conclu à la réduction des prétentions formées à son encontre, sa garantie excluant 'le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré' et étant limitée aux dommages immatériels non consécutifs pour un montant au plus de 250.000 €.
La société [Localité 13] a conclu au rejet des demandes formées à son encontre, son intervention s'étant selon elle limitée à la remise en état de la roue à aubes.
Par jugement du 2 octobre 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a statué en ces termes :
'DEBOUTE la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388 836,33 €:
AUTORISE, en contrepartie, et sous réserve du paiement effectif et intégral de l'indemnité, les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH et [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à récupérer les éléments identifiables et démontables, à leur charge exclusive et sans dommage à l'ouvrage ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de perte d'exploitation et de gain manqué prévisible ;
CONDAMNE Monsieur [Z] [E] solidairement avec la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à régler à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388 836,33 € ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande de voir condamner la société AXA France IARD solidairement avec les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH, [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à lui payer la somme de 388 836,33 € ;
CONDAMNE la société [V] à régler à la société [Localité 13] la facture F1377 du 8 novembre 2019 relative aux travaux de restauration de la roue à aubes d'un montant de 20 196,11 € ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande de condamner la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E] et la société AXA France IARD à garantir et relever indemne la société [V] du paiement de la somme de 20196,11 € TTC au titre du solde des travaux réalisés par la société [Localité 13] ;
REJETTE la demande de la société [V] de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 418 852,53 € ;
REJETTE la demande de la société ENR-CCRS de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 413 836,33 € ;
DEBOUTE la société [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la sociétè ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société [M], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société AXA France IARD, ès-qualités d'assureur de la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société [Localité 13] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
RAPPELLE que l'article 514 du Code de procédure civile dispose que « Les décisions de première instance sont, de droit, exécutoires, à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement » ;
REJETTE les demandes de la société ENR-CCRS et de Monsieur [Z] [E] de voir écarter l'exécution provisoire du jugement ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH, qui succombent à la présente instance, à verser respectivement à la société [V], à la société AXA France IARD et à la société [Localité 13] respectivement les sommes de 5 000 €, 500 € et 800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH qui succombent aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais de greffe liquidés à la somme de euros TTC'.
Il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise, l'expert n'ayant pu exécuter la totalité de sa mission en raison de l'impossibilité de remettre en marche l'installation pour des raisons de sécurité.
Il a considéré que :
- la société Enr-Ccrs avait été en charge de la maîtrise d'oeuvre de l'opération;
- cette société et la société Allytech avaient commis des fautes dans la conception des travaux nécessitant le mariage de technologies incompatibles, puis l'exécution des travaux ;
- ces sociétés devaient indemniser du coût des travaux, de 388.836,33 € et pouvaient après paiement récupérer les matériels installés ;
- la société [V] ne justifiait pas de la perte d'exploitation et du manque à gagner allégué ;
- [Z] [E], qui n'avait pas justifié de la souscription pour le compte de la société qu'il dirigeait d'une assurance de responsabilité civile, avait commis une faute personnelle engageant sa responsabilité personnelle ;
- la société Axa ne devait pas sa garantie ;
- n'était pas engagée la responsabilité de la société [Localité 13] qui n'avait pas participé à la conception du projet ;
- la liquidation judiciaire simplifiée de la société Allytech ayant été prononcée le 30 septembre 2021, il n'y avait plus lieu de fixer les créances à la procédure collective.
Par déclaration reçue au greffe le 20 octobre 2023 enrôlée sous le numéro 23/2349, [Z] [E] et la société Enr-Ccrs ont interjeté appel de ce jugement.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2023 enrôlée sous le numéro 23/2388, la société [V] a interjeté appel de ce jugement, n'intimant que la société Axa France Iard.
Par ordonnance du 21 mars 2024, le premier président a rejeté la demande de [Z] [E] et de la société Enr-Ccrs d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.
Par acte du 11 avril 2024, la société Axa France Iard a assigné en appel provoqué les sociétés Enr-Ccrs et [Z] [E].
Par ordonnance du 8 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de la société [V] de radiation de l'appel en raison de l'inexécution du jugement.
Par ordonnance du 15 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces procédures.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, [Z] [E] et la société Enr-Ccrs ont, dans la procédure enrôlée sous le n° 23/2349, demandé de :
'Vu les articles 9 et suivants, 232, 237, 238, 276 du CPC,
Vu les articles 1103, 1241-1 et suivants du Code civil,
REFORMANT LE JUGEMENT DEFERE
In limine litis
Déclarer nulles et de nul effet les opérations d'expertise judiciaire confiées à et menées par Monsieur [E] suivant ordonnance de référé du 26 juin 2020.
Déclarer en conséquence nul et de nul effet le rapport d'expertise définitif consécutivement déposé par ce dernier le 30 juin 2021.
En tant que de besoin,
Débouter la SARL [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Sur le fond,
Au principal,
Débouter la SARL [V] de toutes demandes telles que dirigées à l'encontre des concluants,
Mettre purement et simplement hors de cause tant la SAS ENR CCRS que Monsieur [Z] [E]
Subsidiairement,
Limiter la part contributive de responsabilité de la SAS ENR CCRS à 10% des préjudices subis par la SARL [V],
Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SARL ALLYTECH, la somme de 413.836, 33 €, créance par ailleurs déclarée à titre chirographaire
Condamner in solidum la société ENTREPRISE [Localité 13] et la compagnie AXA, assureur RC de la SARL ALLYTECH, à relever et garantir la société ENR CCRS à hauteur de 90% des causes des condamnations prononcées à son encontre,
Dire n'y avoir lieu à retenir la responsabilité personnelle de Monsieur [Z] [E],
Débouter la SARL [V] de sa demande de condamnation personnelle de Monsieur [Z] [E] comme n'étant pas fondée,
Condamner tout succombant à payer à la SAS ENR CCRS, une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens'.
Ils ont soutenu la nullité du rapport d'expertise aux motifs que l'expert n'avait pas exécuté la mission confiée, ni répondu à un dire et avait porté une appréciation d'ordre juridique.
Au fond, la société Cnr-Ccrs a exposé que :
- lui avait été confiée une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et non une mission de maîtrise d'oeuvre ;
- la société [V] avait entendu se réserver une immixtion dans la maîtrise d'oeuvre, la direction et l'exécution des travaux ;
- sa spécialité n'était pas la rénovation hydroélectrique des roues de moulin à eau ;
- l'étude de faisabilité avait requis le concours des sociétés Allytech et [Localité 13];
- n'ayant pas été le concepteur de l'ouvrage, les désordres relevés par l'expert ne lui étaient pas imputables.
Elle a subsidiairement soutenu que sa faute était au plus un manquement à un devoir de conseil, résiduel en raison de l'intervention d'autres entreprises spécialisées plus compétentes.
[Z] [E] a conclu au rejet des prétentions formées à son encontre, aucune disposition n'imposant de souscrire pour le compte d'une société une assurance de responsabilité civile professionnelle et l'absence d'assurance de responsabilité décennale étant sans incidence, cette responsabilité ne pouvant pas être recherchée en l'absence de réception.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 juillet 2024, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2388, demandé de :
'Vu les articles 9 et suivants, 232, 237, 238, 276 du CPC,
Vu les articles 1103, 1241-1 et suivants du Code civil,
REFORMER LE JUGEMENT DEFERE en ce qu'il a :
' DEBOUTE la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS et Monsieur [Z] [E] à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388836,33 € :
' DEBOUTE la société ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions.
' DEBOUTE Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], à verser à la société [V], à la société AXA France IARD respectivement les sommes de 5 000 €, 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS Monsieur [Z] [E], aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais de greffe liquidés à la somme de 160,56 euros TTC.
Et, ce faisant :
In limine litis
Déclarer nulles et de nul effet les opérations d'expertise judiciaire confiées à et menées par Monsieur [E] suivant ordonnance de référé du 26 juin 2020.
Déclarer en conséquence nul et de nul effet le rapport d'expertise définitif consécutivement déposé par ce dernier le 30 juin 2021.
En tant que de besoin,
Débouter la SA AXA France IARD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Sur le fond,
Au principal,
Débouter la SA AXA France IARD de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS ENR CCRS et Monsieur [Z] [E], au travers de leur appel provoqué à leur encontre.
Mettre purement et simplement hors de cause tant la SAS ENR CCRS que Monsieur [Z] [E]
Subsidiairement,
Débouter la SA AXA France IARD de sa demande de condamnation personnelle de Monsieur [Z] [E] comme n'étant pas fondée,
Dire n'y avoir lieu à retenir la responsabilité personnelle de Monsieur [Z] [E],
Limiter la part contributive de responsabilité de la SAS ENR CCRS à 10% des préjudices subis par la SARL [V],
Condamner la compagnie AXA France IARD, assureur RC de la SARL ALLYTECH, à relever et garantir la société ENR CCRS à hauteur de 90% des causes des condamnations prononcées à son encontre,
Plus subsidiairement
Limiter le quantum de dommages et intérêts de la SARL [V] à la somme de 285 910,98 € H.T.
En tout état de cause
Donner acte à la SAS ENR CCRS et à Monsieur [Z] [E] de ce qu'ils se réservent d'intimer Monsieur [H] [U], ancien dirigeant de la SARL ALLYTECH faillie, sur le fondement de sa responsabilité personnelle à leur égard,
Condamner tout succombant à payer à la SAS ENR CCRS, une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens'.
Ils ont ajouté à l'argumentation précédente que le coût total hors taxes du projet s'élevait à 285.910,98 €.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2025, la société [V] a demandé de :
'Vu les dispositions des articles 238 et 276 du Code de procédure civile,
Vu les articles 455 et 458 du Code de procédure civile
Vu les dispositions des articles 1217 et 1231-1 et suivants du Code civil,
Vu l'article 1119 du Code civil
Vu les articles L225-251 et L227-8 du Code de Commerce,
Vu les pièces visées,
Vu le rapport d'expertise judiciaire,
[...]
SUR L'APPEL FORME PAR LA SOCIETE ENR-CCRS et Monsieur [E]:
CONFIRMER le jugement entreprise en ce qu'il a :
- « Débouté la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
- Condamné solidairement la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M] ès qualité de liquidateur de la société ALLYTECH à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388.836,33 € ;
- Autorisé, en contrepartie, et sous réserve du paiement effectif et intégral de l'indemnité, les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH et [M] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à récupérer les éléments identifiables et démontrables, à leur charge exclusive et
sans dommage à l'ouvrage ;
- Condamne Monsieur [Z] [E] solidairement avec la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à régler à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388.836,33 ;
- Rejette la demande de la société ENR-CCRS de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 413.836,33 € ;
- Déboute la société ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- Déboute Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- Rappelle que l'article 514 du Code des procédures civile dispose que « Les décisions de première instance sont, de droit, exécutoires, à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement ;
- Rejette les demandes de la société ENR-CCRS et de Monsieur [Z] [E] de voir écarter l'exécution provisoire du jugement ;
- Condamne solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualité de liquidateur de la société ALLYTECH, qui succombent à la présente instance, à verser respectivement à la société [V], à la société AXA France IARD et à la société [Localité 13] respectivement les sommes de 5.000 €, 500 € et 800 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamne solidairement la SAS ENR-CCRS et Monsieur [Z] [E] aux entiers dépens de l'instance. »
DEBOUTER la société ENR CCRS et Monsieur [E] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
SUR L'APPEL INCIDENT FORME PAR LA SOCIETE [V]
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a :
« DEBOUTE la société [V] de sa demande de voir condamner la société AXA France IARD solidairement avec les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH, [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à lui payer la somme de 388.836,33 € ;
ET STATUANT A NOUVEAU :
- A TITRE PRINCIPAL, déclarer inopposables les conditions générales invoquées par la société AXA France IARD et la condamner en conséquence à garantir les condamnations in solidum prononcées en principal, intérêts et dommages et intérêt à l'encontre de la société ALLYTECH à hauteur de 388.836,33 et à verser en conséquence cette somme à la société [V] avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- A TITRE SUBSIDIAIRE, condamner la société AXA France IARD à garantir les condamnations en principal, intérêts et dommages et intérêt qui ont été prononcées à l'encontre de la société ALLYTECH dans la limite de la somme de 271.697,91 euros et à verser en conséquence cette somme à la société [V] avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- CONDAMNER la société AXA France IARD à verser à la société [V] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'expertise ;
- CONDAMNER in solidum la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à verser à la société [V] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris la totalité des frais de l'expertise judiciaire'.
Elle a exposé que :
- le rapport d'expertise établissait le défaut de conception du projet ;
- l'expert n'avait pas pu mener certaines investigations, l'installation n'ayant pas pu être mise en fonctionnement ;
- l'expert, qui considérait que l'installation n'était pas viable, n'avait accepté d'évaluer le coût des travaux de reprise des désordres que parce que cela lui avait été demandé ;
- les calculs de rentabilité effectués par la société Enr-Ccrs étaient erronés.
Elle a conclu au rejet de la demande de nullité du rapport d'expertise, l'expert ayant procédé contradictoirement.
Elle a maintenu que :
- la société Enr-Ccrs avait eu une mission de maîtrise d'oeuvre ;
- cette société avait engagé sa responsabilité à son égard en raison des erreurs de conception commises et du manquement à son devoir de conseil général ;
- que la société Allytech avait manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde ;
- ces deux sociétés étaient tenues in solidum, leurs manquements ayant concouru à la réalisation du dommage.
Les manquements sont selon elle une inadaptation du système d'électrification, une absence de remise en état des trains de transmission, un mauvais positionnement du générateur électrique et une absence de calcul de résistance du socle béton.
Elle a soutenu que [Z] [E], en n'ayant pas produit d'attestation de responsabilité civile de la société dont il était le dirigeant, avait commis une faute détachable de sa fonction, engageant sa responsabilité.
Elle a maintenu ses demandes dirigées à l'encontre de la société Axa France Iard aux motifs que :
- n'était pas rapportée la preuve que les conditions générales du contrat produites aux débats, de 2015 et non de 2014, date de souscription de l'assurance, avaient été acceptées par l'assurée ;
- ces conditions générales ne lui étaient pas opposables.
Elle a subsidiairement ajouté que la garantie de cet assureur :
- n'excluait que le prix payé à la société Allytech, de 116.692,31 € et qu'elle portait dès lors sur la somme de 271.397,91 € ;
- incluait le prix payé aux autres intervenants ;
- les dommages immatériels non consécutifs tels que définis aux conditions générales étaient garantis.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2024, la société [Localité 13] a demandé de :
'A titre principal :
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de Commerce de POITIERS le 2 octobre 2023, en toutes ses dispositions.
Par conséquent,
- Rejeter purement et simplement les demandes dirigées par la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à l'encontre de la société ENTREPRISE [Localité 13].
- Condamner in solidum la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à verser à la société ENTREPRISE [Localité 13] la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise.
A titre subsidiaire :
- Rejeter toutes demandes de condamnations in solidum à l'égard de la société ENTREPRISE [Localité 13].
- Condamner in solidum les sociétés ENR-CCRS et AXA FRANCE IARD, es qualité d'assureur de la société ALLYTECH, et Monsieur [E] à relever indemne et garantir la société ENTREPRISE [Localité 13] des condamnations prononcées à son encontre en principal, frais, intérêts et accessoires.
- Condamner les sociétés ENR-CCRS et AXA FRANCE IARD, es qualité d'assureur de la société ALLYTECH à verser à la société ENTREPRISE [Localité 13] la somme de 5 000 € chacune en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise'.
Elle a exposé que :
- la société Enr-Ccrs était intervenue en qualité de maître d'oeuvre ;
- les désordres ne lui étaient pas imputables, n'ayant pas eu une mission de conception, son intervention s'étant limitée à la remise en état de la roue à aubes.
Elle a subsidiairement conclu au rejet de toute condamnation prononcée in solidum à son encontre et sollicité la garantie des sociétés Enr-Ccrs, Axa France Iard assureur de la société Allytech et de [Z] [E].
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2024, la société Axa France Iard a, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2349, demandé de :
'Déclarer la société Enr-Ccrs et M. [E] mal fondés en leur appel principal, et les sociétés [Localité 13] et [V] en leurs appels incidents,
les en Débouter,
Principalement,
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société Enr-Ccrs et M. [E]
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société [V]
Condamner tous succombants à payer à la concluante la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Cpc, ainsi qu'en tous les dépens de l'instance et dire que Me. Jérôme Clerc, Lexavoue Poitiers, sera admis au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.
A titre très subsidiaire,
Vu l'article L. 124-3 du Code des Assurances et l'article 4.28 des Conditions générales de la police souscrite par la société Allytech auprès d'Axa France:
Rejeter les demandes formées contre Axa France tendant à obtenir paiement de tout ou partie des sommes versées par la société [V] à Allytech (116942,31 €) correspondant au prix du travail de la société Allytech
Juger qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les paiements faits par la société [V] à Enr-Ccrs et à [Localité 13] et la faute reprochée à la société Allytech,
Rejeter les demandes de la société Enr-Ccrs et M. [E], de la société [Localité 13] et de la société [V] tendant à voir mettre à la charge d'Axa France tout ou partie de la restitution des sommes versées par la société [V] aux sociétés Allytech, Enr-Ccrs et [Localité 13] au titre de leurs contrats respectifs
Encore plus subsidiairement,
Vu ensuite l'article 3.4 des Conditions générales et le tableau des garanties des Conditions Particulières :
Juger que la réclamation de la société [V] et dont la société Enr-Ccrs et M. [E] sollicite garantie porte sur des « dommages immatériels non consécutifs » [à un dommage matériel garanti] au sens de la police d'assurance Axa France
Juger en conséquence que le plafond de garantie de 250 000 € par année d'assurance prévu dans la police Axa France est opposable à tous et limiter à ce montant toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre Axa France
Et faire dans ce cas application de la franchise contractuelle de 3 000 € prévue dans le contrat d'assurance
Condamner alors la société Enr-Ccrs et son dirigeant à titre personnel, M. [E] à garantir et relever indemne intégralement la compagnie Axa France de toutes condamnations qui viendraient à être prononcée contre elle à quelque titre que ce soit.
En tout état de cause, rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes'.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2024, la société Axa France Iard a, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2388, demandé de :
'Déclarer la société [V] mal fondée en son appel, l'en Débouter,
Principalement,
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société [V]
Condamner tous succombants à payer à la concluante la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Cpc, ainsi qu'en tous les dépens de l'instance et dire que Me. Jérôme Clerc, Lexavoue Poitiers, sera admis au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.
A titre très subsidiaire,
Vu l'article L. 124-3 du Code des Assurances et l'article 4.28 des Conditions générales de la police souscrite par la société Allytech auprès d'Axa France:
Rejeter les demandes formées contre Axa France tendant à obtenir paiement de tout ou partie des sommes versées par la société [V] à Allytech (116942,31 €) correspondant au prix du travail de la société Allytech
Juger qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les paiements faits par la société [V] à Enr-Ccrs et à [Localité 13] et la faute reprochée à la société Allytech,
Rejeter les demandes de la société [V] tendant à voir mettre à la charge d'Axa France tout ou partie de la restitution des sommes versées par la société [V] aux sociétés Allytech, Enr-Ccrs et [Localité 13] au titre de leurs contrats respectifs
A titre très subsidiaire,
Vu l'article 3.4 des Conditions générales et les conditions d'application de la garantie des « dommages immatériels non consécutifs »
Rejeter les demandes formées contre Axa France par la société [V] en ce qu'elles sont motivées par le constat d'une insuffisance de performance ou de rendement du produit livré par rapport aux spécifications techniques définies au marché
Encore plus subsidiairement,
Vu ensuite l'article 3.4 des Conditions générales et le tableau des garanties des Conditions Particulières :
Juger que la réclamation de la société [V] porte sur des « dommages immatériels non consécutifs » [à un dommage matériel garanti] au sens de la police d'assurance Axa France
Juger en conséquence que le plafond de garantie de 250 000 € par année d'assurance prévu dans la police Axa France est opposable à tous et limiter à ce montant toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre Axa France
Et faire dans ce cas application de la franchise contractuelle de 3 000 € prévue dans le contrat d'assurance
Dans tous les cas où une quelconque condamnation viendrait à être prononcée contre Axa France à quelque titre que ce soit, sur l'appel provoqué d'Axa France envers M. [E] et la société Enr Ccrs
Condamner la société Enr-Ccrs et son dirigeant à titre personnel, M. [E] à garantir et relever indemne intégralement la compagnie Axa France de toutes condamnations qui viendraient à être prononcée contre elle à quelque titre que ce soit'.
Elle a exposé :
- avoir été tenue dans l'ignorance du litige et n'avoir eu communication du rapport d'expertise judiciaire que postérieurement à son assignation, et difficilement ;
- produire l'édition 2014 des conditions générales du contrat souscrit par la société Allytech, excluant de sa garantie : 'le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré et/ou ses sous-traitants' (article 4.28) ;
- qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les sommes payées aux autres intervenants et les prestations de son assurée.
- les paiements effectués à ces autres sociétés, à les supposer des dommages immatériels, ne constituaient pas des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti (article 3.4.1 des conditions générales).
Elle s'est subsidiairement prévalue de la limite de garantie (250.000 €) et de la franchise (3.000 €) stipulées.
La selarl [M] ès qualités n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel (RG : 23/2349) lui a été signifiée à personne par acte du 21 novembre 2023.
L'ordonnance de clôture est du 13 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A - SUR L'EXPERTISE
L'article 175 du code de procédure civile dispose que : 'La nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure'.
L'article 114 du même code dispose que :
'Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public'.
En matière de mesure d'instruction exécutée par un technicien, l'article 237 du code de procédure civile précise que : 'Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité'.
Aux termes de l'article 238 :
'Le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis.
Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties.
Il ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique'.
L'article 276 du code de procédure civile dispose en matière d'expertise que :
'L'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.
Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.
L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées'.
Dans un rapport en date du 13 février 2020, [O] [G], gérant de la société du même nom intervenant sur micro-centrale et moulin, a après avoir sollicité un expert notamment indiqué que :
'' Il faut impérativement ne pas faire tourner la roue. Le béton supportant l'ancrage de la génératrice vibre et est déjà cassé au mieux.
C'est le point faible qui casse en premier et il vaut mieux que ce soit le béton que les pignons'.
Dans un rapport en date du 27 février 2020, [N] [S], expert indépendant, a proposé à [Z] [E] des solutions de réparation, 'pour résoudre le problème de transmission en remplacement des engrenages ancestraux', mais n'a pas émis d'avis sur la possibilité de faire fonctionner le moulin.
La mission confiée à l'expert judiciaire était de décrire les désordres, d'en déterminer les causes, de décrire et évaluer les travaux permettant d'y remédier, de donner son avis sur leur imputabilités et les responsabilités, d'établir un pré-rapport et de répondre à tous les dires qui lui seraient adressés.
Pour émettre son avis sur l'imputabilité des désordres et les responsabilités, l'expert devait nécessairement s'interroger sur le rôle de chacune des entreprises intervenues. Il ne peut dès lors lui être reproché d'avoir en page 8 de son rapport estimé que la société Enr-Ccrs avait eu un rôle de maîtrise d'oeuvre. Le reproche formulé n'est pas pertinent.
Deux réunions d'expertise se sont tenues les 10 septembre et 10 décembre 2020. L'expert s'est fait assister d'un sapiteur mécanicien. Il a adressé aux parties un pré-rapport.
Un dire du conseil de la société Enr-Ccrs est en date du 12 mai 2021, sur 15 pages. Une lecture attentive de ce dire constituant l'annexe 1 du rapport d'expertise et de celui-ci permet de constater que l'expert judiciaire qui certes ne le cite pas expressément, a répondu aux observations de cette société qu'il réfute. Le reproche formulé à ce titre n'est dès lors comme précédemment pas pertinent.
La lecture du rapport d'expertise établit que l'expert a exécuté la mission confiée en décrivant les désordres, en donnant son avis sur leur imputabilité et les responsabilités, en décrivant avec réserve les travaux selon lui nécessaires et en en évaluant le coût. Il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir mis en service une installation dont le fonctionnement aurait manifestement aggravé les désordres.
Il en résulte que la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ne sont pas fondés à soutenir la nullité du rapport d'expertise.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
B - SUR LES DESORDRES
L'expert judiciaire a rappelé en page 4 de son rapport que la société [V] avait exposé que :
'Au cours des essais de mise en exploitation industrielle, des désordres sont rapidement apparus dans le fonctionnement de l'ensemble, notamment des vibrations très importantes qui se répandaient dans tout le bâtiment et faisaient craindre la rupture de certains organes et la destruction de l'installation.
[...]
Depuis cette date et mis à part les remises en route très ponctuelles de l'installation (quelques heures) à l'occasion des opérations d'expertise, l'installation, n'a pas fonctionné'.
Il indiqué en pages 4 à 6 de son rapport que :
'' Éléments relatifs à la conception de l'ouvrage
La roue à aubes SAGEBIEN date de 1860. Sa vitesse de rotation est inférieure à 2 tours par minute et, par multiplication par 3 trains d'engrenages successifs, sa vitesse est portée à 50 tours/minute sur une poulie chargée de transmettre par courroie plate, la force motrice nécessaire à l'exploitation d'une coutellerie (forgeage et laminage de lames de couteaux, trempe et affutage).
Nous sommes là dans le domaine des faibles puissances (50 KW
[...]
C'est ce couple considérable qui justifie la taille des pignons de transmission de la roue du Moulin de [Localité 12], l'ensemble d'origine multipliant après 3 trains de multiplication, la vitesse de la roue à aubes (1,6 t/mn) à environ 50 t/mn pour la poulie recevant la courroie plate de transmission de la roue motrice vers les ateliers de la coutellerie.
C'est sur l'arbre du deuxième train de multiplication tournant entre 25 et 30t/mn et après avoir débranché le troisième train entrainant la poulie à courroie plate qu'a été connecté le module MODWATT de production fourni par ALLYTECH.
Les pignons de transmission sont donc d'une taille conséquente et les jeux d'entre dents sont du même ordre ; il s'agit d'une mécanique de type « agricole».
C'est sur l'un de ces trains de pignons, sur lequel le sapiteur [I] a mesuré des jeux de plusieurs millimètres, que la société ENR CCRS a décidé d'accoupler un module multiplicateur / générateur - appelé MODWATT - dont la tolérance de jeu acceptable est inférieure au dixième de millimètre.
On touche là au fond du problème : la difficulté d'un mariage entre la technologie de 1860 destinée à la force motrice rustique d'un atelier et la technologie d'aujourd'hui d'un générateur qui tourne à 1500 t/ mn pour fournir de l'électricité.
[...]
' Désordres constatés et conséquences
Dans son état actuel de la chaine de transmission de puissance et sa transformation en électricité, le système ne peut pas fonctionner aux conditions industrielles requises pour ce type d'installation (sécurité, disponibilité, durabilité).
La conception est en cause et masque par manque de recul, les éventuelles fautes d'exécution qui auraient pu apparaître à l'usage. Le défaut de fonctionnement ne nous permet pas de nous positionner sur d'autres causes que le défaut de conception dans les désordres constatés'.
Les désordres affectant l'installation qui ne peut pas fonctionner sans la mettre en danger ainsi que le bâtiment l'abritant ont pour cause une incompatibilité des matériels empruntant à des techniques d'époques différentes.
C - SUR LA RESPONSABILITES DES SOCIETES
En l'absence de réception, trouvent application des dispositions relatives à la responsabilité contractuelle.
Il appartient à la société [V] de rapporter la preuve d'une faute de ses cocontractants engageant leur responsabilité.
1 - sur la responsabilité de la société Ecr-Ccrs
a - sur la maîtrise d'oeuvre
Dans un courriel en date du 8 octobre 2017 adressé à [P] [T] qui l'avait sollicité, [Z] [E], dirigeant de la société Enr-Ccrs ([Courriel 15]) a indiqué que :
'Concernant un accompagnement pour votre projet c'est notre métier.
[...]
Notre méthodologie est la suivante
4 Phases
Phase 1 : étude d'avant-projet, étude sur Site, étude des documents disponible
Phase 2 : étude de faisabilité, étude technique détaillée de la centrale sur la base de devis
Phase 3 : réalisation de la centrale
Phase4 : suivi et accompagnement post réalisation (1 an)
C'est un résumé rapide.
[...]
Pour la phase 1, nos honoraires sont les suivants (350€).
Si il est possible de passer à la phase2, nos honoraires seront de 13550 €. Contrairement à d'autres Bureau d'études qui commencent par une étude de faisabilité sans savoir si le projet est réalisable nous préférons voir si les conditions administratives, techniques et économiques sont possibles avant d'engager des dépenses'.
Ce courriel comporte en pied de page : 'Energies Renouvelables -Conseil, Conception, Réalisation et suivi' (soit : Enr-Ccrs).
Dans une 'brève n° 1' non datée relative au projet litigieux, cette société a indiqué notamment que :
'II NOTRE MÉTHODOLOGIE
Objet de la mission : Remise en service du Moulin de [Localité 12] afin de produire de l'électricité.
Phase l : étude d'avant-projet (AVP)
Phase 2 : Réalisation du projet (PRO,ACT,VISA,DET,AOR,RDF,DOE)
Phase 3 : Suivi et accompagnement post réalisation (1 an) (AMC)
[...]
Phase 1 : AVP (Avant projet)
' Visite initiale
' Demande administrative (Droit d'eau DDT, Remise en service Préfet, demande OA (obligation d'achat)
' Etude de faisabilité
' Budget prévisionnel
' Planning prévisionnel
Phase2 : Réalisation du projet (PRO, ACT,VISA.DET,AOR,RDF,DOE)
' Budget prévisionnel par lots
' Coût prévisionnel de maintenance
' Calendrier prévisionnel d'exécution
' Tableau de bord mensuel des dépenses engagées
' Tableau prévisionnel des 3 mois suivants
' Dossier de collecte en vue de l'exploitation et la maintenance
' Reporting mensuel des écarts d'évaluations
' Compte rendu de chantier, état général d'avancement des travaux'.
L'étude de faisabilité réalisée par la société Enr-Ccrs comporte en page 42 l'indication du coût des études et de la maîtrise d'oeuvre, d'un montant hors taxes de 44.600 €. Le chapitre 'VI définition du programme' de ce document indique, au paragraphe 'maîtrise d'oeuvre' que : 'La mission de base ou « témoin de maitrise d''uvre » apportée par ENR-CCRS est constituée des éléments suivants :
AVANT Projet (AVP)
[...]
Projet (PRO)
L'étude de projet permettra de définir en détail l'ensemble des caractéristiques et les conditions de réalisations des aménagements. Le dossier PRO servira de base descriptive pour la réalisation du dossier de consultation des Entreprises (DCE)
[...]
Assistance pour la passation des travaux (ACT)
[...]
Conformité et visa d'exécution au projet (VISA)
[...]
Direction de l'exécution des travaux (DET)
Mission permettant le suivi général des marchés de travaux qui comprend principalement :
' La Direction des travaux (organisation et direction des réunions de chantier, contrôle de la bonne exécution des travaux, établissement et diffusion des comptes rendus de chantier, établissement des ordres de service, état d'avancement général des travaux à partir du planning général, information du Maitre d'Ouvrage)
' Le contrôle de la conformité de la réalisation
[...]
' La gestion financière
[...]
Assistance aux opérations de récédeption et garantie de parfait achèvement (AOR)
[...]
Raccordement - dossier ERDF et EDF'.
L'étude de faisabilité décrit une mission complète de maîtrise d'oeuvre.
Le contrat conclu entre la sci [V] devenue la sarl [V] et la société Enr-Ccrs, intitulé 'contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage', qualifie par la suite, à toutes les pages, la société Enr-Ccrs de maître d'oeuvre. Le prix de la 'Maîtrise d'ouvrage du projet' est fixé en page 3 du contrat. Le descriptif de la 'mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage' reprend le decsriptif de l'étude de faisabilité.
La mission ainsi confiée à la société Enr-Ccrs par la société [V] est une mission complète de maîtrise d'oeuvre.
b - sur la faute
Cette société s'est vu confier la conception du projet et la direction des travaux.
L'expert judiciaire a considéré en pages 5 et 6 de son rapport que :
'' Éléments relatifs à la réalisation de l'ouvrage
Plusieurs conditions non remplies ont échappé à la société ENR CCRS dans l'établissement de son étude de faisabilité énergétique et des consultations d'entreprises qui ont suivi :
- la remise en état des trains de transmission : paliers et roues dentées (dont un voile important sur la roue à denture à chevrons)
- la position du MODWATT relative au couple de renversement de son pignon meneur.
- L'absence de calcul de résistance du socle de fixation et/ou liaison élastique à la structure générale du bâtiment en béton armé.
' Désordres constatés et conséquences
Dans son état actuel de la chaine de transmission de puissance et sa transformation en électricité, le système ne peut pas fonctionner aux conditions industrielles requises pour ce type d'installation (sécurité, disponibilité, durabilité).
La conception est en cause et masque par manque de recul, les éventuelles fautes d'exécution qui auraient pu apparaître à l'usage. Le défaut de fonctionnement ne nous permet pas de nous positionner sur d'autres causes que le défaut de conception dans les désordres constatés'.
Aucun élément des débats ne permet de réfuter cet avis argumenté de l'expert imputant le dysfonctionnement de l'installation à une erreur de conception.
Cette erreur constitue une faute engageant la responsabilité contractuelle de la société Enr-Ccrs.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu cette responsabilité.
2 - sur la responsabilité de la société Allytech
Un courrier de cette société en date du 9 mai 2018 expose l'offre proposée. Le devis de travaux, d'un montant de 101.949,40 € hors taxes, est en date du 27 septembre 2018. Il a été accepté le 28 septembre suivant.
Cette société a, en lien avec la société Enr-Ccrs, proposé les travaux nécessaires à la réalisation du projet de la société [V].
L'expert a en page 9 de son rapport émis l'avis suivant :
'' Défauts de conseil de l'Entreprise ALLYTECH
Dans son dire n°6 IMPLID Légal indique p5 concernant la position du MODWATT, que « l'offre initiale de la société ALLYTECH prévoyait une installation à gauche de son pignon entraineur. C'est à la demande de la Société ENR CCRS que le matériel a été positionné à droite du pignon entraineur ».
La position à gauche du pignon entraineur était la bonne car le massif aurait travaillé en compression et non à l'arrachement. Pour autant, sur la durée, le massif aurait fini par céder ou, plus précocement, le palier support de l'arbre d'entrainement du MODWATT aurait été détérioré.
Dans son dire n°6 LEXYMORE conteste le rôle de préconisateur d'ALLYTECH pour un positionnement à gauche.
Quelles que soient les discussions qui se sont tenues sur site entre ALLYTECH, [Localité 13] et ENC CCRS pour le choix de la position du MODWATT, le choix final n'a pas été le bon et en l'exécutant ALLYTECH s'est placée en position de défaut de conseil'.
Il résulte de ces développements que la société Allytech :
- n'a pas averti des conséquences de la modification de l'implantation de l'ensemble 'Modwatt' ;
- a réalisé une installation qui n'aurait en tout état de cause pas été pérenne.
Cette société a, par ces fautes, engagé sa responsabilité à l'égard de la société [V].
Le jugement sera confirmé sur ce point.
3 - sur la responsabilité de la société [Localité 13]
La société [Localité 13] a étéabli un premier devis n° D2358 en date du 11 octobre 2018, d'un montant hors taxes de 65.711,11 €. Ce devis a été accepté le 28 octobre suivant par la société [V]. Un second devis n° D12427 en date du 26 mars 2019, modifiant le précédent, est d'un montant hors taxes de 68.228,71 €. Ce second devis a été accepté le 27 mars suivant par la société [V].
Ces devis décrivent des travaux de réfection de la roue à aubes.
La société [Localité 13] n'est pas intervenue dans la conception de l'installation de production d'électricité. Son intervention s'est limitée à la réfection de la roue.
L'erreur de conception précédemment caractérisée ne lui est dès lors pas imputable.
L'expert judiciaire a en pages 8 et 9 de son rapport indiqué que :
'' Défauts de conseil de l'Entreprise [Localité 13]
Il a été signalé dans les dires des parties (dire n°5) de LEXYMORE les possibles effets de l'altération de certaines extrémités des aubes de la roue et du défaut de rectitude des murs bajoyers et du fond du coursier de la roue sur le rendement de cette dernière.
Le calcul de perte peut être effectué en supposant un jeu de 0,015 m (1,5 cm valeur vérifiée par l'Expert) sur toute la largeur de la roue ainsi que sur les cotés, ce qui représente en développement de 4,15 + (1,2 x 2) = 6,55 m
la section de fuite d'eau sera égale à 6,55 x 0,015 = 0,1 m2
A la vitesse moyenne de 1,5 m/s dans la fuite, le volume d'eau perdu sera de l'ordre de 150 litres à la seconde, ce qui représente une perte de rendement de 150/4000 = 0,0375
soit 3,75%.
Cette perte n'est pas de nature à remettre en cause l'efficience de la roue. Pour rappel, l'Expert a considéré dans les généralités une perte de rendement global estimé à 10% (dont 3,75% représente ainsi une partie)'.
Il résulte de ces développements qu'aucune faute n'est imputable à la société [Localité 13].
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de la société [Localité 13].
D - SUR LA RESPONSABILITE DE [Z] [E]
En matière de responsabilité extracontractuelle, l'article 1240 du code civil dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
La société Enr-Ccrs est une société par actions simplifiée. L'article L 225-251 alinéa 1er du code de commerce applicable à cette forme de société dispose que : 'Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion'.
Le dirigeant d'une société engage sa responsabilité personnelle envers les tiers lorsqu'il commet une faute séparable de ses fonctions qui lui est imputable personnellement. Constitue une telle faute une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
La charge de la preuve d'une faute détachable de la gestion de la société incombe à la société [V].
La société Enr-Ccrs n'a, malgré les demandes qui lui ont été faites, produit aucune attestation d'assurance. Ce document n'est pas produit devant la cour.
Il s'en déduit que la société Enr-Ccrs n'a souscrit aucune assurance de responsabilité civile ou décennale de son activité.
Son dirigeant ne pouvait pas ignorer que son activité était susceptible d'engager sa responsabilité civile et que plus particulièrement, celle de maîtrise d'oeuvre était susceptible d'engager soit sa responsabilité civile, notamment contractuelle, soit sa responsabilité décennale.
Il ne justifie pas que cette société avait la capacité d'indemniser sur ses fonds propres le préjudice qu'elle pouvait causer à ses cocontractants dans l'exécution des missions confiées. Le risque a ainsi été volontairement pris de ne pas être mesure de procéder à cette indemnisation au préjudice de ses cocontractants, au cas d'espèce de la société [V] qui lui avait confié la réalisation d'un chantier de avoisinant les 400.000 €.
[Z] [E] a ainsi commis une faute de gestion engageant sa responsabilité personnelle.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité personnelle de [Z] [E].
E - SUR LE PREJUDICE
1 - sur l'installation
S'agissant des travaux de reprise, l'expert s'est interrogé en ces termes en page 6 de son rapport :
'Concernant les travaux nécessaires pour y remédier
Une roue SAGEBIEN était conçue en 1860 pour produire de la force motrice à faible vitesse de rotation et à couple élevé et non pour produire de l'électricité à partir de génératrices rapides.
Dès lors, est il judicieux d'imaginer des travaux correctifs d'une situation bien mal engagée et qui a déjà consommé près de 400 K€ d'investissements pour un temps de retour illusoire '
La mission d'expertise l'exigeant, l'exercice consisterait à supprimer les trains de multiplication générateurs de vibrations et à les remplacer, soit par un multiplicateur à trains parallèles et pignons à bain d'huile (une sorte de boite à vitesses qui fonctionne à l'envers), soit par plusieurs trains de pignons à chaines (une sorte de dérailleur de vélo).
Le facteur de multiplication étant très élevé - on doit passer de 1,8 t/min à 1500 t/mm, soit un facteur de 1 pour 850 - on privilégiera le choix d'un multiplicateur qui, directement relié à l'axe de la roue SAGEBIEN, attaquera la génératrice du MODWATT débarrassée de son train de multiplication épicycloïdal.
Un accouplement spécifique devra relier l'arbre de la roue au multiplicateur; le socle de ce nouveau multiplicateur devra être réétudié, le MODWATT modifié et les paliers de la roue SAGEBIEN rénovés'.
Il a, sous ces réserves, évalué comme suit en page 6 de son rapport le coût des travaux de remise en état de l'installation :
'Concernant le chiffrage des travaux de remise en état
Multiplicateur HANSEN 1/850 t/mm 90 500 (devis)
Accouplement spécifique 256 KNm 6 000 (estimé)
Modification MODWATT 5 000 (estimé)
Construction d'un nouveau socle 12 000 (estimé)
Rectification palier roue SAGEBIEN 2 500 (estimé)
Transport et mise en place multiplicateur HANSEN 5 000 (estimé)
Garde corps de sécurité 3 000 (estimé)
Maîtrise d'oeuvre 8% 9 920
133 920 € HT'
Il a toutefois conclu son rapport en ces termes :
'L'expert rencontre une difficulté quant à la solution à préconiser pour mettre fin au litige :
- soit il est considéré que la société ENC CORS a entrainé, par défaut de conseil voire par évaluation mensongère ou incapacité, la société [V] dans un investissement de près de 400 K€ sans réalité économique (temps de retour supérieur à 25 ans), et dans ces conditions il doit être donné un coup d'arrêt à l'affaire assorti d'une indemnisation.
- soit il est considéré que la viabilité économique n'est pas le seul but recherché - conservation et restauration d'un patrimoine par exemple - et dans cette option, il faut réinvestir environ (134 + 23) 157 K€ sans compter le manque à gagner de n mois d'ici la remise en route et les provisions pour dépenses règlementaires à venir (participation à la construction de la passe à poissons).
Dans ces conditions, outre les responsabilités à répartir dans ces nouvelles dépenses, la capacité et la volonté de la société [V] à porter la responsabilité d'un tel investissement à un tel niveau doit être vérifiée'.
Il résulte de ces développements, argumentés et pertinents, que la réalisation de travaux de reprise de l'installation n'est pas une solution mettant fin de manière pérenne aux désordres constatés.
La société [V] est dès lors fondée à solliciter réparation du préjudice subi correspondant au coût des travaux réalisés.
Celui-ci a été évalué à l'étude de faisabilité de la société Enr-Ccrs à 394.141 € (montant toutes taxes comprises).
Il n'est pas contesté que la dépense effectuée par la société [V] s'élève à 388.836,33 € (montant toutes taxes comprises).
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a retenu ce montant.
Il sera également confirmé, ce point n'étant pas contesté, en ce qu'il a en contreprtie autorisé la société Enr-Ccrs et Maître [A] [M] ès qualités à reprendre possession des matériels installés.
2 - sur le préjudice immatériel
La société [V] ne demande plus l'indemnisation de ce préjudice.
3 - sur la contribution à la dette
La société Enr-Ccrs, la société Allyttech et [Z] [E] sont pour les motifs qui précèdent tenus in solidum, et non solidairement comme mentionné au jugement, d'indemniser la société [V] du préjudice subi.
Dans leurs rapports entre eux, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] pris ensemble d'une part, la société Allyttech d'autre part doivent, en raison de leurs manquements respectifs, être tenus chacun à proportion de 50 % de l'indemnisation due.
S'agissant des demandes formées à l'encontre de la société Allytech, trouvent application les dispositions de l'article 472 du code de procédure civile qui dispose que :
'Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée'.
Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Allytech. Les dispositions d'ordre public applicables en matière de procédure collective excluent la condamnation de la société Allytech et de son liquidateur judiciaire.
Le jugement sera pour ces motifs infirmé sur ce point.
La société Enr-Ccrs et [Z] [E] demandent la fixation de leur créance à la procédure collective.
Le tribunal a considéré que la procédure de liquidation judiciaire simplifiée prononcée faisait obstacle à cette fixation.
L'article L 644-5 du code de commerce dispose que :
'Le tribunal prononce la clôture de la liquidation judiciaire au plus tard dans le délai de six mois à compter de la décision ayant ordonné ou décidé l'application de la procédure simplifiée, le débiteur entendu ou dûment appelé. Ce délai est porté à un an lorsque le nombre des salariés du débiteur ainsi que son chiffre d'affaires hors taxes sont supérieurs à des seuils fixés par décret.
Le tribunal peut, par un jugement spécialement motivé, proroger la procédure pour une durée qui ne peut excéder trois mois'.
L'article L 644-6 du même code précise que : 'A tout moment, le tribunal peut décider, par un jugement spécialement motivé, de ne plus faire application des dérogations prévues au présent chapitre'.
Il n'est pas contesté que le jugement du tribunal de commerce de Poitiers ayant ouvert à l'égard de la société Allytech une procédure de liquidation judiciaire simplifiée est du 20 septembre 2021.
Ce jugement n'a pas été produit devant la cour, ni celui de clôture des opérations de liquidation.
Il sera en conséquence et pour les motifs qui précèdent fait droit pour le montant de 194.418,17 € (388.836,33 : 2) à la demande de fixation de la créance à la procédure collective.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
La société [V] ne formule pas devant la cour sa demande de fixation de sa créance à la procédure collective.
F - SUR LA GARANTIE DE LA SOCIETE AXA
Cette société est l'assureur de la société Allytech.
Elle a produit les conditions particulières du contrat souscrit par cette société, en date du 10 février 2015. Ces conditions particulières sont signées du représentant de la société Allytech qui a apposé le cachet de celle-ci.
Il y a été indiqué que les conditions générales du contrat n° 460642 version D étaient jointes.
La société Axa a produit aux débats ces conditions générales.
1 - sur garantie du coût des travaux confiés à la société Allytech
L'article 1.1 objet du contrat stipule notamment que :
'Le contrat garantit l'Assuré, sous réserve des exclusions visées au chapitre IV « Exclusions générales », contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile découlant de l'activité définie aux Conditions particulières, et résultant de dommages corporels. matériels et immatériels causés aux tiers avant ou après la livraison d'un produit ou l'achèvement d'une prestation ou de travaux.
Ce contrat s'applique :
[...]
à la Responsabilité civile après livraison des produits ou réception des travaux qui s'exerce en raison des dommages ayant pour origine :
- une erreur de conception,
- un vice caché de fabrication, de montage, de matière,
- un défaut de sécurité,
- une erreur dans l'exécution de prestations,
- une erreur dans la rédaction des instructions et préconisations d'emploi, des documents techniques et d'entretien de ces produits, matériaux ou travaux,
- un conditionnement défectueux,
- une malfaçon des travaux exécutés,
- un défaut de conseil lors de la vente'.
Le chapitre IV - exclusions générales des conditions générales prévoit que :
'Ne sont pas garantis:
[...]
4.28 Le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré et/ou ses sous-traitants'.
La société Axa n'est par application de ces stipulations opposables à la société [V], seule la responsabilité contractuelle de son assurée étant engagée, pas tenue de garantir la société Allytech du coût de la prestation effectuée au profit de la société [V], d'un montant toutes taxes comprises de 122.339,28 €.
2 - sur la garantie des autres dommages
L'article 3.4 - dommages immatériels non consécutifs survenant après livraison stipule que :
'3.4.1. Dommages immatériels non consécutifs hors frais de dépose/repose ou retrait des produits
Par dérogation partielle à l'article 4.24 du chapitre IV Exclusions générales, sont garantis les dommages immatériels résultant :
- d'un vice caché ou défaut non apparent des produits fournis.
- d'un défaut de sécurité des produits fournis,
- d'une erreur commise dans les instructions d'emploi de ces produits.
- d'une erreur commise dans l'exécution des prestations,
dans la mesure où ce vice caché, ce défaut ou cette erreur s'est révélé après livraison.
Ne sont pas garantis :
- les frais engagés pour la dépose/ repose et/ou le retrait des produits fournis
Le dommage est défini en ces termes en pages 24 et 25 des conditions générales :
'Dommage matériel
La détérioration ou destruction d'une chose ou substance ainsi que son vol ou sa disparition, toute atteinte physique à des animaux.
Dommage immatériel
Tout dommage autre que corporel ou matériel et notamment tout préjudice pécuniaire qui résulte de la privation de jouissance d'un droit, de la perte d'un bénéfice, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou un bien.
Dommage immatériel non consécutif
Tout dommage immatériel :
' qui n'est pas la conséquence d'un dommage corporel ou matériel,
' qui est la conséquence d'un dommage corporel ou matériel non garanti'.
La société [V] ne demande pas paiement du coût de remise en état de l'installation mais l'indemnisation des dépenses effectuées selon elle inutilement.
Ce préjudice est au sens de stipulations contractuelles et ainsi que l'admet à titre subsidiaire la société Axa, un préjudice immatériel, non consécutif à un dommage matériel garanti.
Elle doit en conséquence sa garantie, pour le montant au plus de 266.497,05 € (388.836,33 - 122.339,28 €).
Les conditions particulières du contrat d'assurance stipulent en page 3/5 une garantie des dommages immatériels non consécutifs limitée à 250.000 € par année d'assurance, avec une franchise de 3.000 € par sinistre.
La société Axa doit dès lors garantir la société Allytech pour un montant de 247.000 €.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
G - SUR LES DEPENS
Il sera ajouté au jugement en ce que la société Axa est tenue in solidum avec les autres défendeurs aux dépens de première instance.
La charge des dépens d'appel incombe in solidum à la société Enr-Ccrs, à [Z] [E], à la selarl [M] ès qualités et à la société Axa.
H - SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité à charge de [Z] [E], de la société Enr-Ccrs et de la société Allytech représentée par le liquidateur judiciaire.
Il sera toutefois réformé en ce qu'il les a condamnées sur ce fondement au paiement d'une indemnité au profit de la société Axa.
Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de la société [V] de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à sa demande formée de ce chef à l'encontre de la société Enr-Ccrs, de [Z] [E], de la selarl [M] ès qualités et de la société Axa, pour le montant ci-après précisé.
Il sera pour les mêmes motifs fait droit à la demande de la société [Localité 13] présentée sur ce fondement à l'encontre de la société Enr-Ccrs et de [Z] [E], pour le montant ci-après précisé.
PAR CES MOTIFS
statuant dans les limites de l'appel interjeté, par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du 2 octobre 2023 du tribunal de commerce de Poitiers sauf en ce qu'il :
- condamne la société Allytech et la selarl [M] ès qualités de liquidateur de la société Allytech à payer à la société [V] la somme de 388.836,33 € ;
- déboute la société [V] de sa demande de voir condamner la société Axa France Iard solidairement avec les sociétés Enr-ccrs, Allytech et [M] ès qualités, à lui payer la somme de 388.836,33 € ;
- rejette la demande de la société Enr-Ccrs de voir fixer sa créance au passif de la société Allytech à hauteur de la somme de 413 836,33 € ;
- déboute la société [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- déboute la société Axa France Iard, ès-qualités d'assureur de la société Allytech de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- condamne in solidum la société Enr-Ccrs, la société Allytech, la selarl [M] ès qualités et [Z] [E] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Axa France Iard ;
- prononce des condamnations solidaires et non in solidum ;
et statuant à nouveau,
DIT que les condamnations prononcées par le tribunal le sont in solidum et non solidairement ;
DIT la société Enr-Ccrs, la société Allytech et [Z] [E] tenus in solidum d'indemniser la société [V] du préjudice subi par leur faute ;
FIXE la créance à la procédure de liquidation judiciaire de la société Allytech de la société Enr-Ccrs et de [Z] [E], tenus d'indemniser in solidum la société [V], à 194.418,17 € ;
DIT la société Axa France Iard tenue de garantir la société Allytech dans la limite de 247.000 € ;
CONDAMNE en conséquence la société Axa France Iard, assureur de la société Allytech, in solidum avec la société Enr-Ccrs et [Z] [E], à indemniser la société [V], dans la limite de 247.000 € ;
DIT dans leurs rapports entre eux, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] d'une part, la société Allytech d'autre part, tenus chacun à proportion de 50 % des condamnations prononcées au profit de la société [V] ;
CONDAMNE la société Axa France Iard, tenue in solidum avec la société Enr-Ccrs, [Z] [E] et la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech, aux dépens de première instance ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs, [Z] [E], la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech et la société Axa France Iard aux dépens d'appel ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs, [Z] [E], la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech et la société Axa France Iard à payer en cause d'appel à la société [V] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs et [Z] [E] à payer en cause d'appel à la société [Localité 13] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les autres demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
N° RG 23/02349 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G43W
[E]
S.A.S. ENR-CCRS
C/
S.A.R.L. [V]
S.A. AXA FRANCE IARD
S.A.R.L. ENTREPRISE [Localité 13]
S.A.R.L. ALLYTECH
S.E.L.A.R.L. [M]
Loi n° 77-1468 du30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le à
Le à
Le à
Copie gratuite délivrée
Le à
Le à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02349 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G43W
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 octobre 2023 rendu par le Tribunal de Commerce de Poitiers.
APPELANTS :
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 11]
[Localité 5] / france
S.A.S. ENR-CCRS
[Adresse 11]
[Localité 5] / france
ayant tous les deux pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Daniel DUCO, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES :
S.A.R.L. [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON - YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Christine JAIS, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 3]
[Localité 10]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Dominique LACAN, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. ENTREPRISE [Localité 13]
[Adresse 9]
[Localité 6]
ayant pour avocat Me Isabelle LOUBEYRE de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS substituée par Me PHERIVONG, avocat au barreau de POITIERS
SARL ALLYTECH
[Adresse 1]
[Localité 8]
défaillante
S.E.L.A.R.L. [M] en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL ALLYTECH
[Adresse 16] [Adresse 14]
[Localité 7]
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller qui a fait le rapport
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 4 mars 2016, la société [V] a acquis un ensemble de bâtiments situé à [Localité 17] ([Localité 18]), dénommé le Moulin de [Localité 12].
La réhabilitation de la roue à aubes des années 1860 du moulin a été envisagée, afin de produire puis vendre de l'électricité. Cette production devait dans un premier temps permettre de financer les travaux de remise en état du bien.
La société [V] s'est rapprochée des sociétés :
- Enr-Ccrs, spécialiste des énergies renouvelables ;
- [Localité 13], spécialisée dans la rénovation des moulins à eau ;
- Allytech, spécialiste de l'hydroélectricité.
Une étude-devis de la société Allytech est en date du 9 mai 2018.
Une étude de faisabilité réalisée par la société Enr-Ccrs est en date du 30 mai 2018.
Un contrat en date du 17 août 2018 a été conclu entre les sociétés [V] et Enr-Ccrs. Il est dénommé : 'assistance à maîtrise d'ouvrage'.
Le coût des travaux a été évalué à 394 000 € (montant hors taxes). La vente d'électricité devait rapporter entre 26.000 et 38.000 € par an.
La société [V] a souscrit en juillet 2018 un emprunt de 400.000 €. Il a été convenu d'une première échéance de remboursement en janvier 2020, au démarrage de la production d'électricité.
Un devis de la société Allytech est en date du 27 septembre 2018, d'un montant hors taxes de 101.949,40 €. Il avait pour objet la fourniture et l'installation d'un ensemble mécanique et d'une armoire d'optimisation.
La société [Localité 13] a établi un devis en date du 26 mars 2019 des travaux à réaliser sur la roue à aubes, d'un montant hors taxes de 72.069 €.
Au 8 janvier 2020, date prévue du démarrage de la production, la roue à aubes n'a pas fonctionné. L'électricité n'a pas été produite.
Un expert est intervenu le 13 février 2020 à la demande de la société Enr-Ccrs. Un second est intervenu le 27 février suivant à la demande de la société [V].
Par acte du 28 mai 2020, la société [V] a assigné les sociétés Enr-Ccrs, Allytech et [Localité 13] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Poitiers, afin que soit désigné un expert. Par ordonnance du 26 juin 2020, [X] [E] a été commis en qualité d'expert. Les réunions d'expertises se sont déroulées les 10 septembre et 10 décembre 2020. Le rapport d'expertise est en date du 30 juin 2021.
Par acte des 4 et 6 octobre 2021, la société [V] a assigné les sociétés Enr-Ccrs et Allytech devant le tribunal de commerce de Poitiers.
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Allytech. La selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte des 18 et 21 octobre 2021, la société [V] a appelé en cause la société Axa France, assureur de la société Allytech et la société [M] ès qualités.
Par acte du 25 mars 2022, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont assigné la société [Localité 13] devant le tribunal de commerce de Poitiers.
Les instances ont été jointes.
La société [V] a à titre principal demandé de :
- déclarer les sociétés Allytech et Enr-Ccrs, ainsi que [Z] [E] à titre personnel en sa qualité de dirigeant de cette dernière société, responsables du préjudice subi ;
- dire la société Axa France Iard tenue de garantir la société Allytech ;
- condamner in solidum les défendeurs au paiement à titre de dommages et intérêts des sommes de :
- 388.836,33 € (montant toutes taxes comprises) en réparation du préjudice subi au regard de l'investissement réalisé en pure perte ;
- 91.340,75 €, montant arrêté au 31 mars 2023, en réparation de la perte d'exploitation subie ;
- 316.175,25 € correspondant au gain manqué prévisible.
Elle a en outre demandé de :
- condamner la société Enr-Ccrs, [Z] [E] et la société Axa France Iard à la garantir du paiement à la société [Localité 13] de la somme toutes taxes comprises de 20.196,11 € au titre du solde restant dû des travaux ;
- fixer sa créance au passif de la société Allytech à 418.852.53 € (montant toutes taxes comprises).
Elle a soutenu que :
- le moulin n'avait pas pu fonctionner en raison des désordres affectant l'installation réalisée ;
- ce dysfonctionnement avait pour cause des erreurs de conception, l'absence de viabilité technique du projet et des fautes d'exécution ;
- la maîtrise d'oeuvre du projet avait été confiée à la société Enr-Ccrs ;
- les sociétés intervenantes avaient engagé leur responsabilité contractuelle à son égard ;
- le dirigeant de la société Enr-Ccrs, en n'ayant pas souscrit d'assurance de responsabilité civile, avait commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle ;
- la société Axa France Iard n'était pas fondée à soutenir que le rapport d'expertise lui était inopposable et devait sa garantie.
La société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont déclaré leur créance à la procédure collective.
Ils ont demandé d'annuler le rapport d'expertise aux motifs que l'expert:
- s'était livré à une appréciation d'ordre juridique du rôle de la société Enr-Ccrs ;
- n'avait pas répondu au dire n°5 de cette société ;
- n'avait pas répondu aux chefs de la mission d'expertise.
Ils ont conclu au fond au rejet des prétentions formées à leur encontre aux motifs que :
- le contrat conclu avec la société Enr-Ccrs était un contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et non de maîtrise d'oeuvre ;
- cette société n'avait pas été la conceptrice du projet ;
- le dirigeant de cette société n'avait pas commis de faute détachable de sa fonction, la souscription d'une assurance de responsabilité civile n'étant pas obligatoire.
Le liquidateur judiciaire de la société Allytech n'a pas comparu, ni fait valoir d'observation.
La société Axa France Iard a à titre principal conclu au rejet des demandes formées à son encontre. Elle a maintenu que le rapport d'expertise lui était inopposable. Elle a subsidiairement conclu à la réduction des prétentions formées à son encontre, sa garantie excluant 'le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré' et étant limitée aux dommages immatériels non consécutifs pour un montant au plus de 250.000 €.
La société [Localité 13] a conclu au rejet des demandes formées à son encontre, son intervention s'étant selon elle limitée à la remise en état de la roue à aubes.
Par jugement du 2 octobre 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a statué en ces termes :
'DEBOUTE la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388 836,33 €:
AUTORISE, en contrepartie, et sous réserve du paiement effectif et intégral de l'indemnité, les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH et [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à récupérer les éléments identifiables et démontables, à leur charge exclusive et sans dommage à l'ouvrage ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice de perte d'exploitation et de gain manqué prévisible ;
CONDAMNE Monsieur [Z] [E] solidairement avec la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à régler à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388 836,33 € ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande de voir condamner la société AXA France IARD solidairement avec les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH, [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à lui payer la somme de 388 836,33 € ;
CONDAMNE la société [V] à régler à la société [Localité 13] la facture F1377 du 8 novembre 2019 relative aux travaux de restauration de la roue à aubes d'un montant de 20 196,11 € ;
DEBOUTE la société [V] de sa demande de condamner la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E] et la société AXA France IARD à garantir et relever indemne la société [V] du paiement de la somme de 20196,11 € TTC au titre du solde des travaux réalisés par la société [Localité 13] ;
REJETTE la demande de la société [V] de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 418 852,53 € ;
REJETTE la demande de la société ENR-CCRS de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 413 836,33 € ;
DEBOUTE la société [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la sociétè ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société [M], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société AXA France IARD, ès-qualités d'assureur de la société ALLYTECH de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
DEBOUTE la société [Localité 13] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
RAPPELLE que l'article 514 du Code de procédure civile dispose que « Les décisions de première instance sont, de droit, exécutoires, à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement » ;
REJETTE les demandes de la société ENR-CCRS et de Monsieur [Z] [E] de voir écarter l'exécution provisoire du jugement ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH, qui succombent à la présente instance, à verser respectivement à la société [V], à la société AXA France IARD et à la société [Localité 13] respectivement les sommes de 5 000 €, 500 € et 800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualités de liquidateur de la société ALLYTECH qui succombent aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais de greffe liquidés à la somme de euros TTC'.
Il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise, l'expert n'ayant pu exécuter la totalité de sa mission en raison de l'impossibilité de remettre en marche l'installation pour des raisons de sécurité.
Il a considéré que :
- la société Enr-Ccrs avait été en charge de la maîtrise d'oeuvre de l'opération;
- cette société et la société Allytech avaient commis des fautes dans la conception des travaux nécessitant le mariage de technologies incompatibles, puis l'exécution des travaux ;
- ces sociétés devaient indemniser du coût des travaux, de 388.836,33 € et pouvaient après paiement récupérer les matériels installés ;
- la société [V] ne justifiait pas de la perte d'exploitation et du manque à gagner allégué ;
- [Z] [E], qui n'avait pas justifié de la souscription pour le compte de la société qu'il dirigeait d'une assurance de responsabilité civile, avait commis une faute personnelle engageant sa responsabilité personnelle ;
- la société Axa ne devait pas sa garantie ;
- n'était pas engagée la responsabilité de la société [Localité 13] qui n'avait pas participé à la conception du projet ;
- la liquidation judiciaire simplifiée de la société Allytech ayant été prononcée le 30 septembre 2021, il n'y avait plus lieu de fixer les créances à la procédure collective.
Par déclaration reçue au greffe le 20 octobre 2023 enrôlée sous le numéro 23/2349, [Z] [E] et la société Enr-Ccrs ont interjeté appel de ce jugement.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2023 enrôlée sous le numéro 23/2388, la société [V] a interjeté appel de ce jugement, n'intimant que la société Axa France Iard.
Par ordonnance du 21 mars 2024, le premier président a rejeté la demande de [Z] [E] et de la société Enr-Ccrs d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.
Par acte du 11 avril 2024, la société Axa France Iard a assigné en appel provoqué les sociétés Enr-Ccrs et [Z] [E].
Par ordonnance du 8 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de la société [V] de radiation de l'appel en raison de l'inexécution du jugement.
Par ordonnance du 15 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces procédures.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, [Z] [E] et la société Enr-Ccrs ont, dans la procédure enrôlée sous le n° 23/2349, demandé de :
'Vu les articles 9 et suivants, 232, 237, 238, 276 du CPC,
Vu les articles 1103, 1241-1 et suivants du Code civil,
REFORMANT LE JUGEMENT DEFERE
In limine litis
Déclarer nulles et de nul effet les opérations d'expertise judiciaire confiées à et menées par Monsieur [E] suivant ordonnance de référé du 26 juin 2020.
Déclarer en conséquence nul et de nul effet le rapport d'expertise définitif consécutivement déposé par ce dernier le 30 juin 2021.
En tant que de besoin,
Débouter la SARL [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Sur le fond,
Au principal,
Débouter la SARL [V] de toutes demandes telles que dirigées à l'encontre des concluants,
Mettre purement et simplement hors de cause tant la SAS ENR CCRS que Monsieur [Z] [E]
Subsidiairement,
Limiter la part contributive de responsabilité de la SAS ENR CCRS à 10% des préjudices subis par la SARL [V],
Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SARL ALLYTECH, la somme de 413.836, 33 €, créance par ailleurs déclarée à titre chirographaire
Condamner in solidum la société ENTREPRISE [Localité 13] et la compagnie AXA, assureur RC de la SARL ALLYTECH, à relever et garantir la société ENR CCRS à hauteur de 90% des causes des condamnations prononcées à son encontre,
Dire n'y avoir lieu à retenir la responsabilité personnelle de Monsieur [Z] [E],
Débouter la SARL [V] de sa demande de condamnation personnelle de Monsieur [Z] [E] comme n'étant pas fondée,
Condamner tout succombant à payer à la SAS ENR CCRS, une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens'.
Ils ont soutenu la nullité du rapport d'expertise aux motifs que l'expert n'avait pas exécuté la mission confiée, ni répondu à un dire et avait porté une appréciation d'ordre juridique.
Au fond, la société Cnr-Ccrs a exposé que :
- lui avait été confiée une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage et non une mission de maîtrise d'oeuvre ;
- la société [V] avait entendu se réserver une immixtion dans la maîtrise d'oeuvre, la direction et l'exécution des travaux ;
- sa spécialité n'était pas la rénovation hydroélectrique des roues de moulin à eau ;
- l'étude de faisabilité avait requis le concours des sociétés Allytech et [Localité 13];
- n'ayant pas été le concepteur de l'ouvrage, les désordres relevés par l'expert ne lui étaient pas imputables.
Elle a subsidiairement soutenu que sa faute était au plus un manquement à un devoir de conseil, résiduel en raison de l'intervention d'autres entreprises spécialisées plus compétentes.
[Z] [E] a conclu au rejet des prétentions formées à son encontre, aucune disposition n'imposant de souscrire pour le compte d'une société une assurance de responsabilité civile professionnelle et l'absence d'assurance de responsabilité décennale étant sans incidence, cette responsabilité ne pouvant pas être recherchée en l'absence de réception.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 juillet 2024, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ont, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2388, demandé de :
'Vu les articles 9 et suivants, 232, 237, 238, 276 du CPC,
Vu les articles 1103, 1241-1 et suivants du Code civil,
REFORMER LE JUGEMENT DEFERE en ce qu'il a :
' DEBOUTE la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS et Monsieur [Z] [E] à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388836,33 € :
' DEBOUTE la société ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions.
' DEBOUTE Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], à verser à la société [V], à la société AXA France IARD respectivement les sommes de 5 000 €, 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
' CONDAMNE solidairement la société ENR-CCRS Monsieur [Z] [E], aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais de greffe liquidés à la somme de 160,56 euros TTC.
Et, ce faisant :
In limine litis
Déclarer nulles et de nul effet les opérations d'expertise judiciaire confiées à et menées par Monsieur [E] suivant ordonnance de référé du 26 juin 2020.
Déclarer en conséquence nul et de nul effet le rapport d'expertise définitif consécutivement déposé par ce dernier le 30 juin 2021.
En tant que de besoin,
Débouter la SA AXA France IARD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Sur le fond,
Au principal,
Débouter la SA AXA France IARD de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS ENR CCRS et Monsieur [Z] [E], au travers de leur appel provoqué à leur encontre.
Mettre purement et simplement hors de cause tant la SAS ENR CCRS que Monsieur [Z] [E]
Subsidiairement,
Débouter la SA AXA France IARD de sa demande de condamnation personnelle de Monsieur [Z] [E] comme n'étant pas fondée,
Dire n'y avoir lieu à retenir la responsabilité personnelle de Monsieur [Z] [E],
Limiter la part contributive de responsabilité de la SAS ENR CCRS à 10% des préjudices subis par la SARL [V],
Condamner la compagnie AXA France IARD, assureur RC de la SARL ALLYTECH, à relever et garantir la société ENR CCRS à hauteur de 90% des causes des condamnations prononcées à son encontre,
Plus subsidiairement
Limiter le quantum de dommages et intérêts de la SARL [V] à la somme de 285 910,98 € H.T.
En tout état de cause
Donner acte à la SAS ENR CCRS et à Monsieur [Z] [E] de ce qu'ils se réservent d'intimer Monsieur [H] [U], ancien dirigeant de la SARL ALLYTECH faillie, sur le fondement de sa responsabilité personnelle à leur égard,
Condamner tout succombant à payer à la SAS ENR CCRS, une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens'.
Ils ont ajouté à l'argumentation précédente que le coût total hors taxes du projet s'élevait à 285.910,98 €.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2025, la société [V] a demandé de :
'Vu les dispositions des articles 238 et 276 du Code de procédure civile,
Vu les articles 455 et 458 du Code de procédure civile
Vu les dispositions des articles 1217 et 1231-1 et suivants du Code civil,
Vu l'article 1119 du Code civil
Vu les articles L225-251 et L227-8 du Code de Commerce,
Vu les pièces visées,
Vu le rapport d'expertise judiciaire,
[...]
SUR L'APPEL FORME PAR LA SOCIETE ENR-CCRS et Monsieur [E]:
CONFIRMER le jugement entreprise en ce qu'il a :
- « Débouté la société ENR-CCRS de sa demande de voir le tribunal déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire ;
- Condamné solidairement la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M] ès qualité de liquidateur de la société ALLYTECH à payer à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388.836,33 € ;
- Autorisé, en contrepartie, et sous réserve du paiement effectif et intégral de l'indemnité, les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH et [M] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à récupérer les éléments identifiables et démontrables, à leur charge exclusive et
sans dommage à l'ouvrage ;
- Condamne Monsieur [Z] [E] solidairement avec la société ENR-CCRS, la société ALLYTECH et la société [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à régler à la société [V] à titre d'indemnité la somme de 388.836,33 ;
- Rejette la demande de la société ENR-CCRS de voir fixer sa créance au passif de la société ALLYTECH à hauteur de la somme de 413.836,33 € ;
- Déboute la société ENR-CCRS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- Déboute Monsieur [Z] [E] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- Rappelle que l'article 514 du Code des procédures civile dispose que « Les décisions de première instance sont, de droit, exécutoires, à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement ;
- Rejette les demandes de la société ENR-CCRS et de Monsieur [Z] [E] de voir écarter l'exécution provisoire du jugement ;
- Condamne solidairement la société ENR-CCRS, Monsieur [Z] [E], la société ALLYTECH et la société [M] ès-qualité de liquidateur de la société ALLYTECH, qui succombent à la présente instance, à verser respectivement à la société [V], à la société AXA France IARD et à la société [Localité 13] respectivement les sommes de 5.000 €, 500 € et 800 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamne solidairement la SAS ENR-CCRS et Monsieur [Z] [E] aux entiers dépens de l'instance. »
DEBOUTER la société ENR CCRS et Monsieur [E] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
SUR L'APPEL INCIDENT FORME PAR LA SOCIETE [V]
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a :
« DEBOUTE la société [V] de sa demande de voir condamner la société AXA France IARD solidairement avec les sociétés ENR-CCRS, ALLYTECH, [M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALLYTECH, à lui payer la somme de 388.836,33 € ;
ET STATUANT A NOUVEAU :
- A TITRE PRINCIPAL, déclarer inopposables les conditions générales invoquées par la société AXA France IARD et la condamner en conséquence à garantir les condamnations in solidum prononcées en principal, intérêts et dommages et intérêt à l'encontre de la société ALLYTECH à hauteur de 388.836,33 et à verser en conséquence cette somme à la société [V] avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- A TITRE SUBSIDIAIRE, condamner la société AXA France IARD à garantir les condamnations en principal, intérêts et dommages et intérêt qui ont été prononcées à l'encontre de la société ALLYTECH dans la limite de la somme de 271.697,91 euros et à verser en conséquence cette somme à la société [V] avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- CONDAMNER la société AXA France IARD à verser à la société [V] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'expertise ;
- CONDAMNER in solidum la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à verser à la société [V] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris la totalité des frais de l'expertise judiciaire'.
Elle a exposé que :
- le rapport d'expertise établissait le défaut de conception du projet ;
- l'expert n'avait pas pu mener certaines investigations, l'installation n'ayant pas pu être mise en fonctionnement ;
- l'expert, qui considérait que l'installation n'était pas viable, n'avait accepté d'évaluer le coût des travaux de reprise des désordres que parce que cela lui avait été demandé ;
- les calculs de rentabilité effectués par la société Enr-Ccrs étaient erronés.
Elle a conclu au rejet de la demande de nullité du rapport d'expertise, l'expert ayant procédé contradictoirement.
Elle a maintenu que :
- la société Enr-Ccrs avait eu une mission de maîtrise d'oeuvre ;
- cette société avait engagé sa responsabilité à son égard en raison des erreurs de conception commises et du manquement à son devoir de conseil général ;
- que la société Allytech avait manqué à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde ;
- ces deux sociétés étaient tenues in solidum, leurs manquements ayant concouru à la réalisation du dommage.
Les manquements sont selon elle une inadaptation du système d'électrification, une absence de remise en état des trains de transmission, un mauvais positionnement du générateur électrique et une absence de calcul de résistance du socle béton.
Elle a soutenu que [Z] [E], en n'ayant pas produit d'attestation de responsabilité civile de la société dont il était le dirigeant, avait commis une faute détachable de sa fonction, engageant sa responsabilité.
Elle a maintenu ses demandes dirigées à l'encontre de la société Axa France Iard aux motifs que :
- n'était pas rapportée la preuve que les conditions générales du contrat produites aux débats, de 2015 et non de 2014, date de souscription de l'assurance, avaient été acceptées par l'assurée ;
- ces conditions générales ne lui étaient pas opposables.
Elle a subsidiairement ajouté que la garantie de cet assureur :
- n'excluait que le prix payé à la société Allytech, de 116.692,31 € et qu'elle portait dès lors sur la somme de 271.397,91 € ;
- incluait le prix payé aux autres intervenants ;
- les dommages immatériels non consécutifs tels que définis aux conditions générales étaient garantis.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2024, la société [Localité 13] a demandé de :
'A titre principal :
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de Commerce de POITIERS le 2 octobre 2023, en toutes ses dispositions.
Par conséquent,
- Rejeter purement et simplement les demandes dirigées par la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à l'encontre de la société ENTREPRISE [Localité 13].
- Condamner in solidum la société ENR-CCRS et Monsieur [E] à verser à la société ENTREPRISE [Localité 13] la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise.
A titre subsidiaire :
- Rejeter toutes demandes de condamnations in solidum à l'égard de la société ENTREPRISE [Localité 13].
- Condamner in solidum les sociétés ENR-CCRS et AXA FRANCE IARD, es qualité d'assureur de la société ALLYTECH, et Monsieur [E] à relever indemne et garantir la société ENTREPRISE [Localité 13] des condamnations prononcées à son encontre en principal, frais, intérêts et accessoires.
- Condamner les sociétés ENR-CCRS et AXA FRANCE IARD, es qualité d'assureur de la société ALLYTECH à verser à la société ENTREPRISE [Localité 13] la somme de 5 000 € chacune en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise'.
Elle a exposé que :
- la société Enr-Ccrs était intervenue en qualité de maître d'oeuvre ;
- les désordres ne lui étaient pas imputables, n'ayant pas eu une mission de conception, son intervention s'étant limitée à la remise en état de la roue à aubes.
Elle a subsidiairement conclu au rejet de toute condamnation prononcée in solidum à son encontre et sollicité la garantie des sociétés Enr-Ccrs, Axa France Iard assureur de la société Allytech et de [Z] [E].
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2024, la société Axa France Iard a, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2349, demandé de :
'Déclarer la société Enr-Ccrs et M. [E] mal fondés en leur appel principal, et les sociétés [Localité 13] et [V] en leurs appels incidents,
les en Débouter,
Principalement,
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société Enr-Ccrs et M. [E]
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société [V]
Condamner tous succombants à payer à la concluante la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Cpc, ainsi qu'en tous les dépens de l'instance et dire que Me. Jérôme Clerc, Lexavoue Poitiers, sera admis au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.
A titre très subsidiaire,
Vu l'article L. 124-3 du Code des Assurances et l'article 4.28 des Conditions générales de la police souscrite par la société Allytech auprès d'Axa France:
Rejeter les demandes formées contre Axa France tendant à obtenir paiement de tout ou partie des sommes versées par la société [V] à Allytech (116942,31 €) correspondant au prix du travail de la société Allytech
Juger qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les paiements faits par la société [V] à Enr-Ccrs et à [Localité 13] et la faute reprochée à la société Allytech,
Rejeter les demandes de la société Enr-Ccrs et M. [E], de la société [Localité 13] et de la société [V] tendant à voir mettre à la charge d'Axa France tout ou partie de la restitution des sommes versées par la société [V] aux sociétés Allytech, Enr-Ccrs et [Localité 13] au titre de leurs contrats respectifs
Encore plus subsidiairement,
Vu ensuite l'article 3.4 des Conditions générales et le tableau des garanties des Conditions Particulières :
Juger que la réclamation de la société [V] et dont la société Enr-Ccrs et M. [E] sollicite garantie porte sur des « dommages immatériels non consécutifs » [à un dommage matériel garanti] au sens de la police d'assurance Axa France
Juger en conséquence que le plafond de garantie de 250 000 € par année d'assurance prévu dans la police Axa France est opposable à tous et limiter à ce montant toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre Axa France
Et faire dans ce cas application de la franchise contractuelle de 3 000 € prévue dans le contrat d'assurance
Condamner alors la société Enr-Ccrs et son dirigeant à titre personnel, M. [E] à garantir et relever indemne intégralement la compagnie Axa France de toutes condamnations qui viendraient à être prononcée contre elle à quelque titre que ce soit.
En tout état de cause, rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes'.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2024, la société Axa France Iard a, dans le dossier enrôlé sous le n° 23/2388, demandé de :
'Déclarer la société [V] mal fondée en son appel, l'en Débouter,
Principalement,
Confirmer le jugement déféré, notamment en ce qu'il a rejeté toutes demandes formées contre Axa France par la société [V]
Condamner tous succombants à payer à la concluante la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Cpc, ainsi qu'en tous les dépens de l'instance et dire que Me. Jérôme Clerc, Lexavoue Poitiers, sera admis au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.
A titre très subsidiaire,
Vu l'article L. 124-3 du Code des Assurances et l'article 4.28 des Conditions générales de la police souscrite par la société Allytech auprès d'Axa France:
Rejeter les demandes formées contre Axa France tendant à obtenir paiement de tout ou partie des sommes versées par la société [V] à Allytech (116942,31 €) correspondant au prix du travail de la société Allytech
Juger qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les paiements faits par la société [V] à Enr-Ccrs et à [Localité 13] et la faute reprochée à la société Allytech,
Rejeter les demandes de la société [V] tendant à voir mettre à la charge d'Axa France tout ou partie de la restitution des sommes versées par la société [V] aux sociétés Allytech, Enr-Ccrs et [Localité 13] au titre de leurs contrats respectifs
A titre très subsidiaire,
Vu l'article 3.4 des Conditions générales et les conditions d'application de la garantie des « dommages immatériels non consécutifs »
Rejeter les demandes formées contre Axa France par la société [V] en ce qu'elles sont motivées par le constat d'une insuffisance de performance ou de rendement du produit livré par rapport aux spécifications techniques définies au marché
Encore plus subsidiairement,
Vu ensuite l'article 3.4 des Conditions générales et le tableau des garanties des Conditions Particulières :
Juger que la réclamation de la société [V] porte sur des « dommages immatériels non consécutifs » [à un dommage matériel garanti] au sens de la police d'assurance Axa France
Juger en conséquence que le plafond de garantie de 250 000 € par année d'assurance prévu dans la police Axa France est opposable à tous et limiter à ce montant toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre Axa France
Et faire dans ce cas application de la franchise contractuelle de 3 000 € prévue dans le contrat d'assurance
Dans tous les cas où une quelconque condamnation viendrait à être prononcée contre Axa France à quelque titre que ce soit, sur l'appel provoqué d'Axa France envers M. [E] et la société Enr Ccrs
Condamner la société Enr-Ccrs et son dirigeant à titre personnel, M. [E] à garantir et relever indemne intégralement la compagnie Axa France de toutes condamnations qui viendraient à être prononcée contre elle à quelque titre que ce soit'.
Elle a exposé :
- avoir été tenue dans l'ignorance du litige et n'avoir eu communication du rapport d'expertise judiciaire que postérieurement à son assignation, et difficilement ;
- produire l'édition 2014 des conditions générales du contrat souscrit par la société Allytech, excluant de sa garantie : 'le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré et/ou ses sous-traitants' (article 4.28) ;
- qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les sommes payées aux autres intervenants et les prestations de son assurée.
- les paiements effectués à ces autres sociétés, à les supposer des dommages immatériels, ne constituaient pas des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti (article 3.4.1 des conditions générales).
Elle s'est subsidiairement prévalue de la limite de garantie (250.000 €) et de la franchise (3.000 €) stipulées.
La selarl [M] ès qualités n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel (RG : 23/2349) lui a été signifiée à personne par acte du 21 novembre 2023.
L'ordonnance de clôture est du 13 mars 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A - SUR L'EXPERTISE
L'article 175 du code de procédure civile dispose que : 'La nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure'.
L'article 114 du même code dispose que :
'Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public'.
En matière de mesure d'instruction exécutée par un technicien, l'article 237 du code de procédure civile précise que : 'Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité'.
Aux termes de l'article 238 :
'Le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis.
Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties.
Il ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique'.
L'article 276 du code de procédure civile dispose en matière d'expertise que :
'L'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.
Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.
L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées'.
Dans un rapport en date du 13 février 2020, [O] [G], gérant de la société du même nom intervenant sur micro-centrale et moulin, a après avoir sollicité un expert notamment indiqué que :
'' Il faut impérativement ne pas faire tourner la roue. Le béton supportant l'ancrage de la génératrice vibre et est déjà cassé au mieux.
C'est le point faible qui casse en premier et il vaut mieux que ce soit le béton que les pignons'.
Dans un rapport en date du 27 février 2020, [N] [S], expert indépendant, a proposé à [Z] [E] des solutions de réparation, 'pour résoudre le problème de transmission en remplacement des engrenages ancestraux', mais n'a pas émis d'avis sur la possibilité de faire fonctionner le moulin.
La mission confiée à l'expert judiciaire était de décrire les désordres, d'en déterminer les causes, de décrire et évaluer les travaux permettant d'y remédier, de donner son avis sur leur imputabilités et les responsabilités, d'établir un pré-rapport et de répondre à tous les dires qui lui seraient adressés.
Pour émettre son avis sur l'imputabilité des désordres et les responsabilités, l'expert devait nécessairement s'interroger sur le rôle de chacune des entreprises intervenues. Il ne peut dès lors lui être reproché d'avoir en page 8 de son rapport estimé que la société Enr-Ccrs avait eu un rôle de maîtrise d'oeuvre. Le reproche formulé n'est pas pertinent.
Deux réunions d'expertise se sont tenues les 10 septembre et 10 décembre 2020. L'expert s'est fait assister d'un sapiteur mécanicien. Il a adressé aux parties un pré-rapport.
Un dire du conseil de la société Enr-Ccrs est en date du 12 mai 2021, sur 15 pages. Une lecture attentive de ce dire constituant l'annexe 1 du rapport d'expertise et de celui-ci permet de constater que l'expert judiciaire qui certes ne le cite pas expressément, a répondu aux observations de cette société qu'il réfute. Le reproche formulé à ce titre n'est dès lors comme précédemment pas pertinent.
La lecture du rapport d'expertise établit que l'expert a exécuté la mission confiée en décrivant les désordres, en donnant son avis sur leur imputabilité et les responsabilités, en décrivant avec réserve les travaux selon lui nécessaires et en en évaluant le coût. Il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir mis en service une installation dont le fonctionnement aurait manifestement aggravé les désordres.
Il en résulte que la société Enr-Ccrs et [Z] [E] ne sont pas fondés à soutenir la nullité du rapport d'expertise.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
B - SUR LES DESORDRES
L'expert judiciaire a rappelé en page 4 de son rapport que la société [V] avait exposé que :
'Au cours des essais de mise en exploitation industrielle, des désordres sont rapidement apparus dans le fonctionnement de l'ensemble, notamment des vibrations très importantes qui se répandaient dans tout le bâtiment et faisaient craindre la rupture de certains organes et la destruction de l'installation.
[...]
Depuis cette date et mis à part les remises en route très ponctuelles de l'installation (quelques heures) à l'occasion des opérations d'expertise, l'installation, n'a pas fonctionné'.
Il indiqué en pages 4 à 6 de son rapport que :
'' Éléments relatifs à la conception de l'ouvrage
La roue à aubes SAGEBIEN date de 1860. Sa vitesse de rotation est inférieure à 2 tours par minute et, par multiplication par 3 trains d'engrenages successifs, sa vitesse est portée à 50 tours/minute sur une poulie chargée de transmettre par courroie plate, la force motrice nécessaire à l'exploitation d'une coutellerie (forgeage et laminage de lames de couteaux, trempe et affutage).
Nous sommes là dans le domaine des faibles puissances (50 KW
[...]
C'est ce couple considérable qui justifie la taille des pignons de transmission de la roue du Moulin de [Localité 12], l'ensemble d'origine multipliant après 3 trains de multiplication, la vitesse de la roue à aubes (1,6 t/mn) à environ 50 t/mn pour la poulie recevant la courroie plate de transmission de la roue motrice vers les ateliers de la coutellerie.
C'est sur l'arbre du deuxième train de multiplication tournant entre 25 et 30t/mn et après avoir débranché le troisième train entrainant la poulie à courroie plate qu'a été connecté le module MODWATT de production fourni par ALLYTECH.
Les pignons de transmission sont donc d'une taille conséquente et les jeux d'entre dents sont du même ordre ; il s'agit d'une mécanique de type « agricole».
C'est sur l'un de ces trains de pignons, sur lequel le sapiteur [I] a mesuré des jeux de plusieurs millimètres, que la société ENR CCRS a décidé d'accoupler un module multiplicateur / générateur - appelé MODWATT - dont la tolérance de jeu acceptable est inférieure au dixième de millimètre.
On touche là au fond du problème : la difficulté d'un mariage entre la technologie de 1860 destinée à la force motrice rustique d'un atelier et la technologie d'aujourd'hui d'un générateur qui tourne à 1500 t/ mn pour fournir de l'électricité.
[...]
' Désordres constatés et conséquences
Dans son état actuel de la chaine de transmission de puissance et sa transformation en électricité, le système ne peut pas fonctionner aux conditions industrielles requises pour ce type d'installation (sécurité, disponibilité, durabilité).
La conception est en cause et masque par manque de recul, les éventuelles fautes d'exécution qui auraient pu apparaître à l'usage. Le défaut de fonctionnement ne nous permet pas de nous positionner sur d'autres causes que le défaut de conception dans les désordres constatés'.
Les désordres affectant l'installation qui ne peut pas fonctionner sans la mettre en danger ainsi que le bâtiment l'abritant ont pour cause une incompatibilité des matériels empruntant à des techniques d'époques différentes.
C - SUR LA RESPONSABILITES DES SOCIETES
En l'absence de réception, trouvent application des dispositions relatives à la responsabilité contractuelle.
Il appartient à la société [V] de rapporter la preuve d'une faute de ses cocontractants engageant leur responsabilité.
1 - sur la responsabilité de la société Ecr-Ccrs
a - sur la maîtrise d'oeuvre
Dans un courriel en date du 8 octobre 2017 adressé à [P] [T] qui l'avait sollicité, [Z] [E], dirigeant de la société Enr-Ccrs ([Courriel 15]) a indiqué que :
'Concernant un accompagnement pour votre projet c'est notre métier.
[...]
Notre méthodologie est la suivante
4 Phases
Phase 1 : étude d'avant-projet, étude sur Site, étude des documents disponible
Phase 2 : étude de faisabilité, étude technique détaillée de la centrale sur la base de devis
Phase 3 : réalisation de la centrale
Phase4 : suivi et accompagnement post réalisation (1 an)
C'est un résumé rapide.
[...]
Pour la phase 1, nos honoraires sont les suivants (350€).
Si il est possible de passer à la phase2, nos honoraires seront de 13550 €. Contrairement à d'autres Bureau d'études qui commencent par une étude de faisabilité sans savoir si le projet est réalisable nous préférons voir si les conditions administratives, techniques et économiques sont possibles avant d'engager des dépenses'.
Ce courriel comporte en pied de page : 'Energies Renouvelables -Conseil, Conception, Réalisation et suivi' (soit : Enr-Ccrs).
Dans une 'brève n° 1' non datée relative au projet litigieux, cette société a indiqué notamment que :
'II NOTRE MÉTHODOLOGIE
Objet de la mission : Remise en service du Moulin de [Localité 12] afin de produire de l'électricité.
Phase l : étude d'avant-projet (AVP)
Phase 2 : Réalisation du projet (PRO,ACT,VISA,DET,AOR,RDF,DOE)
Phase 3 : Suivi et accompagnement post réalisation (1 an) (AMC)
[...]
Phase 1 : AVP (Avant projet)
' Visite initiale
' Demande administrative (Droit d'eau DDT, Remise en service Préfet, demande OA (obligation d'achat)
' Etude de faisabilité
' Budget prévisionnel
' Planning prévisionnel
Phase2 : Réalisation du projet (PRO, ACT,VISA.DET,AOR,RDF,DOE)
' Budget prévisionnel par lots
' Coût prévisionnel de maintenance
' Calendrier prévisionnel d'exécution
' Tableau de bord mensuel des dépenses engagées
' Tableau prévisionnel des 3 mois suivants
' Dossier de collecte en vue de l'exploitation et la maintenance
' Reporting mensuel des écarts d'évaluations
' Compte rendu de chantier, état général d'avancement des travaux'.
L'étude de faisabilité réalisée par la société Enr-Ccrs comporte en page 42 l'indication du coût des études et de la maîtrise d'oeuvre, d'un montant hors taxes de 44.600 €. Le chapitre 'VI définition du programme' de ce document indique, au paragraphe 'maîtrise d'oeuvre' que : 'La mission de base ou « témoin de maitrise d''uvre » apportée par ENR-CCRS est constituée des éléments suivants :
AVANT Projet (AVP)
[...]
Projet (PRO)
L'étude de projet permettra de définir en détail l'ensemble des caractéristiques et les conditions de réalisations des aménagements. Le dossier PRO servira de base descriptive pour la réalisation du dossier de consultation des Entreprises (DCE)
[...]
Assistance pour la passation des travaux (ACT)
[...]
Conformité et visa d'exécution au projet (VISA)
[...]
Direction de l'exécution des travaux (DET)
Mission permettant le suivi général des marchés de travaux qui comprend principalement :
' La Direction des travaux (organisation et direction des réunions de chantier, contrôle de la bonne exécution des travaux, établissement et diffusion des comptes rendus de chantier, établissement des ordres de service, état d'avancement général des travaux à partir du planning général, information du Maitre d'Ouvrage)
' Le contrôle de la conformité de la réalisation
[...]
' La gestion financière
[...]
Assistance aux opérations de récédeption et garantie de parfait achèvement (AOR)
[...]
Raccordement - dossier ERDF et EDF'.
L'étude de faisabilité décrit une mission complète de maîtrise d'oeuvre.
Le contrat conclu entre la sci [V] devenue la sarl [V] et la société Enr-Ccrs, intitulé 'contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage', qualifie par la suite, à toutes les pages, la société Enr-Ccrs de maître d'oeuvre. Le prix de la 'Maîtrise d'ouvrage du projet' est fixé en page 3 du contrat. Le descriptif de la 'mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage' reprend le decsriptif de l'étude de faisabilité.
La mission ainsi confiée à la société Enr-Ccrs par la société [V] est une mission complète de maîtrise d'oeuvre.
b - sur la faute
Cette société s'est vu confier la conception du projet et la direction des travaux.
L'expert judiciaire a considéré en pages 5 et 6 de son rapport que :
'' Éléments relatifs à la réalisation de l'ouvrage
Plusieurs conditions non remplies ont échappé à la société ENR CCRS dans l'établissement de son étude de faisabilité énergétique et des consultations d'entreprises qui ont suivi :
- la remise en état des trains de transmission : paliers et roues dentées (dont un voile important sur la roue à denture à chevrons)
- la position du MODWATT relative au couple de renversement de son pignon meneur.
- L'absence de calcul de résistance du socle de fixation et/ou liaison élastique à la structure générale du bâtiment en béton armé.
' Désordres constatés et conséquences
Dans son état actuel de la chaine de transmission de puissance et sa transformation en électricité, le système ne peut pas fonctionner aux conditions industrielles requises pour ce type d'installation (sécurité, disponibilité, durabilité).
La conception est en cause et masque par manque de recul, les éventuelles fautes d'exécution qui auraient pu apparaître à l'usage. Le défaut de fonctionnement ne nous permet pas de nous positionner sur d'autres causes que le défaut de conception dans les désordres constatés'.
Aucun élément des débats ne permet de réfuter cet avis argumenté de l'expert imputant le dysfonctionnement de l'installation à une erreur de conception.
Cette erreur constitue une faute engageant la responsabilité contractuelle de la société Enr-Ccrs.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu cette responsabilité.
2 - sur la responsabilité de la société Allytech
Un courrier de cette société en date du 9 mai 2018 expose l'offre proposée. Le devis de travaux, d'un montant de 101.949,40 € hors taxes, est en date du 27 septembre 2018. Il a été accepté le 28 septembre suivant.
Cette société a, en lien avec la société Enr-Ccrs, proposé les travaux nécessaires à la réalisation du projet de la société [V].
L'expert a en page 9 de son rapport émis l'avis suivant :
'' Défauts de conseil de l'Entreprise ALLYTECH
Dans son dire n°6 IMPLID Légal indique p5 concernant la position du MODWATT, que « l'offre initiale de la société ALLYTECH prévoyait une installation à gauche de son pignon entraineur. C'est à la demande de la Société ENR CCRS que le matériel a été positionné à droite du pignon entraineur ».
La position à gauche du pignon entraineur était la bonne car le massif aurait travaillé en compression et non à l'arrachement. Pour autant, sur la durée, le massif aurait fini par céder ou, plus précocement, le palier support de l'arbre d'entrainement du MODWATT aurait été détérioré.
Dans son dire n°6 LEXYMORE conteste le rôle de préconisateur d'ALLYTECH pour un positionnement à gauche.
Quelles que soient les discussions qui se sont tenues sur site entre ALLYTECH, [Localité 13] et ENC CCRS pour le choix de la position du MODWATT, le choix final n'a pas été le bon et en l'exécutant ALLYTECH s'est placée en position de défaut de conseil'.
Il résulte de ces développements que la société Allytech :
- n'a pas averti des conséquences de la modification de l'implantation de l'ensemble 'Modwatt' ;
- a réalisé une installation qui n'aurait en tout état de cause pas été pérenne.
Cette société a, par ces fautes, engagé sa responsabilité à l'égard de la société [V].
Le jugement sera confirmé sur ce point.
3 - sur la responsabilité de la société [Localité 13]
La société [Localité 13] a étéabli un premier devis n° D2358 en date du 11 octobre 2018, d'un montant hors taxes de 65.711,11 €. Ce devis a été accepté le 28 octobre suivant par la société [V]. Un second devis n° D12427 en date du 26 mars 2019, modifiant le précédent, est d'un montant hors taxes de 68.228,71 €. Ce second devis a été accepté le 27 mars suivant par la société [V].
Ces devis décrivent des travaux de réfection de la roue à aubes.
La société [Localité 13] n'est pas intervenue dans la conception de l'installation de production d'électricité. Son intervention s'est limitée à la réfection de la roue.
L'erreur de conception précédemment caractérisée ne lui est dès lors pas imputable.
L'expert judiciaire a en pages 8 et 9 de son rapport indiqué que :
'' Défauts de conseil de l'Entreprise [Localité 13]
Il a été signalé dans les dires des parties (dire n°5) de LEXYMORE les possibles effets de l'altération de certaines extrémités des aubes de la roue et du défaut de rectitude des murs bajoyers et du fond du coursier de la roue sur le rendement de cette dernière.
Le calcul de perte peut être effectué en supposant un jeu de 0,015 m (1,5 cm valeur vérifiée par l'Expert) sur toute la largeur de la roue ainsi que sur les cotés, ce qui représente en développement de 4,15 + (1,2 x 2) = 6,55 m
la section de fuite d'eau sera égale à 6,55 x 0,015 = 0,1 m2
A la vitesse moyenne de 1,5 m/s dans la fuite, le volume d'eau perdu sera de l'ordre de 150 litres à la seconde, ce qui représente une perte de rendement de 150/4000 = 0,0375
soit 3,75%.
Cette perte n'est pas de nature à remettre en cause l'efficience de la roue. Pour rappel, l'Expert a considéré dans les généralités une perte de rendement global estimé à 10% (dont 3,75% représente ainsi une partie)'.
Il résulte de ces développements qu'aucune faute n'est imputable à la société [Localité 13].
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de la société [Localité 13].
D - SUR LA RESPONSABILITE DE [Z] [E]
En matière de responsabilité extracontractuelle, l'article 1240 du code civil dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
La société Enr-Ccrs est une société par actions simplifiée. L'article L 225-251 alinéa 1er du code de commerce applicable à cette forme de société dispose que : 'Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion'.
Le dirigeant d'une société engage sa responsabilité personnelle envers les tiers lorsqu'il commet une faute séparable de ses fonctions qui lui est imputable personnellement. Constitue une telle faute une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
La charge de la preuve d'une faute détachable de la gestion de la société incombe à la société [V].
La société Enr-Ccrs n'a, malgré les demandes qui lui ont été faites, produit aucune attestation d'assurance. Ce document n'est pas produit devant la cour.
Il s'en déduit que la société Enr-Ccrs n'a souscrit aucune assurance de responsabilité civile ou décennale de son activité.
Son dirigeant ne pouvait pas ignorer que son activité était susceptible d'engager sa responsabilité civile et que plus particulièrement, celle de maîtrise d'oeuvre était susceptible d'engager soit sa responsabilité civile, notamment contractuelle, soit sa responsabilité décennale.
Il ne justifie pas que cette société avait la capacité d'indemniser sur ses fonds propres le préjudice qu'elle pouvait causer à ses cocontractants dans l'exécution des missions confiées. Le risque a ainsi été volontairement pris de ne pas être mesure de procéder à cette indemnisation au préjudice de ses cocontractants, au cas d'espèce de la société [V] qui lui avait confié la réalisation d'un chantier de avoisinant les 400.000 €.
[Z] [E] a ainsi commis une faute de gestion engageant sa responsabilité personnelle.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité personnelle de [Z] [E].
E - SUR LE PREJUDICE
1 - sur l'installation
S'agissant des travaux de reprise, l'expert s'est interrogé en ces termes en page 6 de son rapport :
'Concernant les travaux nécessaires pour y remédier
Une roue SAGEBIEN était conçue en 1860 pour produire de la force motrice à faible vitesse de rotation et à couple élevé et non pour produire de l'électricité à partir de génératrices rapides.
Dès lors, est il judicieux d'imaginer des travaux correctifs d'une situation bien mal engagée et qui a déjà consommé près de 400 K€ d'investissements pour un temps de retour illusoire '
La mission d'expertise l'exigeant, l'exercice consisterait à supprimer les trains de multiplication générateurs de vibrations et à les remplacer, soit par un multiplicateur à trains parallèles et pignons à bain d'huile (une sorte de boite à vitesses qui fonctionne à l'envers), soit par plusieurs trains de pignons à chaines (une sorte de dérailleur de vélo).
Le facteur de multiplication étant très élevé - on doit passer de 1,8 t/min à 1500 t/mm, soit un facteur de 1 pour 850 - on privilégiera le choix d'un multiplicateur qui, directement relié à l'axe de la roue SAGEBIEN, attaquera la génératrice du MODWATT débarrassée de son train de multiplication épicycloïdal.
Un accouplement spécifique devra relier l'arbre de la roue au multiplicateur; le socle de ce nouveau multiplicateur devra être réétudié, le MODWATT modifié et les paliers de la roue SAGEBIEN rénovés'.
Il a, sous ces réserves, évalué comme suit en page 6 de son rapport le coût des travaux de remise en état de l'installation :
'Concernant le chiffrage des travaux de remise en état
Multiplicateur HANSEN 1/850 t/mm 90 500 (devis)
Accouplement spécifique 256 KNm 6 000 (estimé)
Modification MODWATT 5 000 (estimé)
Construction d'un nouveau socle 12 000 (estimé)
Rectification palier roue SAGEBIEN 2 500 (estimé)
Transport et mise en place multiplicateur HANSEN 5 000 (estimé)
Garde corps de sécurité 3 000 (estimé)
Maîtrise d'oeuvre 8% 9 920
133 920 € HT'
Il a toutefois conclu son rapport en ces termes :
'L'expert rencontre une difficulté quant à la solution à préconiser pour mettre fin au litige :
- soit il est considéré que la société ENC CORS a entrainé, par défaut de conseil voire par évaluation mensongère ou incapacité, la société [V] dans un investissement de près de 400 K€ sans réalité économique (temps de retour supérieur à 25 ans), et dans ces conditions il doit être donné un coup d'arrêt à l'affaire assorti d'une indemnisation.
- soit il est considéré que la viabilité économique n'est pas le seul but recherché - conservation et restauration d'un patrimoine par exemple - et dans cette option, il faut réinvestir environ (134 + 23) 157 K€ sans compter le manque à gagner de n mois d'ici la remise en route et les provisions pour dépenses règlementaires à venir (participation à la construction de la passe à poissons).
Dans ces conditions, outre les responsabilités à répartir dans ces nouvelles dépenses, la capacité et la volonté de la société [V] à porter la responsabilité d'un tel investissement à un tel niveau doit être vérifiée'.
Il résulte de ces développements, argumentés et pertinents, que la réalisation de travaux de reprise de l'installation n'est pas une solution mettant fin de manière pérenne aux désordres constatés.
La société [V] est dès lors fondée à solliciter réparation du préjudice subi correspondant au coût des travaux réalisés.
Celui-ci a été évalué à l'étude de faisabilité de la société Enr-Ccrs à 394.141 € (montant toutes taxes comprises).
Il n'est pas contesté que la dépense effectuée par la société [V] s'élève à 388.836,33 € (montant toutes taxes comprises).
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a retenu ce montant.
Il sera également confirmé, ce point n'étant pas contesté, en ce qu'il a en contreprtie autorisé la société Enr-Ccrs et Maître [A] [M] ès qualités à reprendre possession des matériels installés.
2 - sur le préjudice immatériel
La société [V] ne demande plus l'indemnisation de ce préjudice.
3 - sur la contribution à la dette
La société Enr-Ccrs, la société Allyttech et [Z] [E] sont pour les motifs qui précèdent tenus in solidum, et non solidairement comme mentionné au jugement, d'indemniser la société [V] du préjudice subi.
Dans leurs rapports entre eux, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] pris ensemble d'une part, la société Allyttech d'autre part doivent, en raison de leurs manquements respectifs, être tenus chacun à proportion de 50 % de l'indemnisation due.
S'agissant des demandes formées à l'encontre de la société Allytech, trouvent application les dispositions de l'article 472 du code de procédure civile qui dispose que :
'Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée'.
Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Allytech. Les dispositions d'ordre public applicables en matière de procédure collective excluent la condamnation de la société Allytech et de son liquidateur judiciaire.
Le jugement sera pour ces motifs infirmé sur ce point.
La société Enr-Ccrs et [Z] [E] demandent la fixation de leur créance à la procédure collective.
Le tribunal a considéré que la procédure de liquidation judiciaire simplifiée prononcée faisait obstacle à cette fixation.
L'article L 644-5 du code de commerce dispose que :
'Le tribunal prononce la clôture de la liquidation judiciaire au plus tard dans le délai de six mois à compter de la décision ayant ordonné ou décidé l'application de la procédure simplifiée, le débiteur entendu ou dûment appelé. Ce délai est porté à un an lorsque le nombre des salariés du débiteur ainsi que son chiffre d'affaires hors taxes sont supérieurs à des seuils fixés par décret.
Le tribunal peut, par un jugement spécialement motivé, proroger la procédure pour une durée qui ne peut excéder trois mois'.
L'article L 644-6 du même code précise que : 'A tout moment, le tribunal peut décider, par un jugement spécialement motivé, de ne plus faire application des dérogations prévues au présent chapitre'.
Il n'est pas contesté que le jugement du tribunal de commerce de Poitiers ayant ouvert à l'égard de la société Allytech une procédure de liquidation judiciaire simplifiée est du 20 septembre 2021.
Ce jugement n'a pas été produit devant la cour, ni celui de clôture des opérations de liquidation.
Il sera en conséquence et pour les motifs qui précèdent fait droit pour le montant de 194.418,17 € (388.836,33 : 2) à la demande de fixation de la créance à la procédure collective.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
La société [V] ne formule pas devant la cour sa demande de fixation de sa créance à la procédure collective.
F - SUR LA GARANTIE DE LA SOCIETE AXA
Cette société est l'assureur de la société Allytech.
Elle a produit les conditions particulières du contrat souscrit par cette société, en date du 10 février 2015. Ces conditions particulières sont signées du représentant de la société Allytech qui a apposé le cachet de celle-ci.
Il y a été indiqué que les conditions générales du contrat n° 460642 version D étaient jointes.
La société Axa a produit aux débats ces conditions générales.
1 - sur garantie du coût des travaux confiés à la société Allytech
L'article 1.1 objet du contrat stipule notamment que :
'Le contrat garantit l'Assuré, sous réserve des exclusions visées au chapitre IV « Exclusions générales », contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile découlant de l'activité définie aux Conditions particulières, et résultant de dommages corporels. matériels et immatériels causés aux tiers avant ou après la livraison d'un produit ou l'achèvement d'une prestation ou de travaux.
Ce contrat s'applique :
[...]
à la Responsabilité civile après livraison des produits ou réception des travaux qui s'exerce en raison des dommages ayant pour origine :
- une erreur de conception,
- un vice caché de fabrication, de montage, de matière,
- un défaut de sécurité,
- une erreur dans l'exécution de prestations,
- une erreur dans la rédaction des instructions et préconisations d'emploi, des documents techniques et d'entretien de ces produits, matériaux ou travaux,
- un conditionnement défectueux,
- une malfaçon des travaux exécutés,
- un défaut de conseil lors de la vente'.
Le chapitre IV - exclusions générales des conditions générales prévoit que :
'Ne sont pas garantis:
[...]
4.28 Le prix du travail effectué et/ou du produit livré par l'assuré et/ou ses sous-traitants'.
La société Axa n'est par application de ces stipulations opposables à la société [V], seule la responsabilité contractuelle de son assurée étant engagée, pas tenue de garantir la société Allytech du coût de la prestation effectuée au profit de la société [V], d'un montant toutes taxes comprises de 122.339,28 €.
2 - sur la garantie des autres dommages
L'article 3.4 - dommages immatériels non consécutifs survenant après livraison stipule que :
'3.4.1. Dommages immatériels non consécutifs hors frais de dépose/repose ou retrait des produits
Par dérogation partielle à l'article 4.24 du chapitre IV Exclusions générales, sont garantis les dommages immatériels résultant :
- d'un vice caché ou défaut non apparent des produits fournis.
- d'un défaut de sécurité des produits fournis,
- d'une erreur commise dans les instructions d'emploi de ces produits.
- d'une erreur commise dans l'exécution des prestations,
dans la mesure où ce vice caché, ce défaut ou cette erreur s'est révélé après livraison.
Ne sont pas garantis :
- les frais engagés pour la dépose/ repose et/ou le retrait des produits fournis
Le dommage est défini en ces termes en pages 24 et 25 des conditions générales :
'Dommage matériel
La détérioration ou destruction d'une chose ou substance ainsi que son vol ou sa disparition, toute atteinte physique à des animaux.
Dommage immatériel
Tout dommage autre que corporel ou matériel et notamment tout préjudice pécuniaire qui résulte de la privation de jouissance d'un droit, de la perte d'un bénéfice, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou un bien.
Dommage immatériel non consécutif
Tout dommage immatériel :
' qui n'est pas la conséquence d'un dommage corporel ou matériel,
' qui est la conséquence d'un dommage corporel ou matériel non garanti'.
La société [V] ne demande pas paiement du coût de remise en état de l'installation mais l'indemnisation des dépenses effectuées selon elle inutilement.
Ce préjudice est au sens de stipulations contractuelles et ainsi que l'admet à titre subsidiaire la société Axa, un préjudice immatériel, non consécutif à un dommage matériel garanti.
Elle doit en conséquence sa garantie, pour le montant au plus de 266.497,05 € (388.836,33 - 122.339,28 €).
Les conditions particulières du contrat d'assurance stipulent en page 3/5 une garantie des dommages immatériels non consécutifs limitée à 250.000 € par année d'assurance, avec une franchise de 3.000 € par sinistre.
La société Axa doit dès lors garantir la société Allytech pour un montant de 247.000 €.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
G - SUR LES DEPENS
Il sera ajouté au jugement en ce que la société Axa est tenue in solidum avec les autres défendeurs aux dépens de première instance.
La charge des dépens d'appel incombe in solidum à la société Enr-Ccrs, à [Z] [E], à la selarl [M] ès qualités et à la société Axa.
H - SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité à charge de [Z] [E], de la société Enr-Ccrs et de la société Allytech représentée par le liquidateur judiciaire.
Il sera toutefois réformé en ce qu'il les a condamnées sur ce fondement au paiement d'une indemnité au profit de la société Axa.
Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de la société [V] de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à sa demande formée de ce chef à l'encontre de la société Enr-Ccrs, de [Z] [E], de la selarl [M] ès qualités et de la société Axa, pour le montant ci-après précisé.
Il sera pour les mêmes motifs fait droit à la demande de la société [Localité 13] présentée sur ce fondement à l'encontre de la société Enr-Ccrs et de [Z] [E], pour le montant ci-après précisé.
PAR CES MOTIFS
statuant dans les limites de l'appel interjeté, par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du 2 octobre 2023 du tribunal de commerce de Poitiers sauf en ce qu'il :
- condamne la société Allytech et la selarl [M] ès qualités de liquidateur de la société Allytech à payer à la société [V] la somme de 388.836,33 € ;
- déboute la société [V] de sa demande de voir condamner la société Axa France Iard solidairement avec les sociétés Enr-ccrs, Allytech et [M] ès qualités, à lui payer la somme de 388.836,33 € ;
- rejette la demande de la société Enr-Ccrs de voir fixer sa créance au passif de la société Allytech à hauteur de la somme de 413 836,33 € ;
- déboute la société [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- déboute la société Axa France Iard, ès-qualités d'assureur de la société Allytech de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- condamne in solidum la société Enr-Ccrs, la société Allytech, la selarl [M] ès qualités et [Z] [E] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Axa France Iard ;
- prononce des condamnations solidaires et non in solidum ;
et statuant à nouveau,
DIT que les condamnations prononcées par le tribunal le sont in solidum et non solidairement ;
DIT la société Enr-Ccrs, la société Allytech et [Z] [E] tenus in solidum d'indemniser la société [V] du préjudice subi par leur faute ;
FIXE la créance à la procédure de liquidation judiciaire de la société Allytech de la société Enr-Ccrs et de [Z] [E], tenus d'indemniser in solidum la société [V], à 194.418,17 € ;
DIT la société Axa France Iard tenue de garantir la société Allytech dans la limite de 247.000 € ;
CONDAMNE en conséquence la société Axa France Iard, assureur de la société Allytech, in solidum avec la société Enr-Ccrs et [Z] [E], à indemniser la société [V], dans la limite de 247.000 € ;
DIT dans leurs rapports entre eux, la société Enr-Ccrs et [Z] [E] d'une part, la société Allytech d'autre part, tenus chacun à proportion de 50 % des condamnations prononcées au profit de la société [V] ;
CONDAMNE la société Axa France Iard, tenue in solidum avec la société Enr-Ccrs, [Z] [E] et la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech, aux dépens de première instance ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs, [Z] [E], la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech et la société Axa France Iard aux dépens d'appel ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs, [Z] [E], la selarl [M] prise en la personne de Maître [A] [M] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Allytech et la société Axa France Iard à payer en cause d'appel à la société [V] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Enr-Ccrs et [Z] [E] à payer en cause d'appel à la société [Localité 13] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les autres demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,