CA Bordeaux, 1re ch. civ., 22 septembre 2025, n° 24/05431
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 22 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/05431 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCCQ
S.A.S. BOCALO
c/
[U] [M]
S.A.S. GROUPE BUMIN
S.C.I. BLANQUEFORT 11 NOVEMBRE
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 28 novembre 2024 par le Président du TJ de [Localité 7] (RG : 23/00376) suivant déclaration d'appel du 13 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. BOCALO
demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Philippe OLHAGARAY de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[U] [M]
né le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8] (TURQUIE)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
S.A.S. GROUPE BUMIN immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PERIGUEUX sous le numéro 848 363 065 agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Marc FRIBOURG de la SELARL SELARL FRIBOURG ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me DECOUX Anne-Sophie, avocate au barreau de LIBOURNE
S.C.I. BLANQUEFORT 11 NOVEMBRE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social.
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE, substitué par Me DE VASSELOT Briac, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
Greffier stagiaire lors des débats : Ophélie ESCUDIE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1 - Le 15 juin 2018, la SCI Blanquefort 11 novembre a été constituée entre M. [U] [M], gérant, et Mme [C] [M], a'n de réaliser une opération immobilière apportée par la SAS Groupe Bumin, marchand de biens, sur des terrains à bâtir, sis [Adresse 6].
2 - À la suite de modifications des statuts, le 5 février 2020, les parts de la SCI Blanquefort 11 novembre ont été réparties à égalité entre la société Groupe Bumin et la SAS Bocalo.
3 - Des différents ont surgi entre les associés, notamment en raison de l'existence d'un compte courant débiteur au nom de la société Groupe Bumin dans la comptabilité de la SCI Blanquefort 11 novembre et de la facturation à cette dernière par la société Groupe Bumin de frais de gestion pour la période 2017-2022 de 48 333,33 euros HT, puis de 21 167 euros HT pour les frais de gestion du 1er janvier 2023 au 31 mai 2023.
4 - Les comptes de l'exercice 2022 n'ont pas été approuvés lors de l'assemblée générale du 6 juin 2023, qui a également refusé d'approuver les conventions visées à l'article L.612-5 du code de commerce.
5 - Par actes des 6 et 13 décembre 2023, la société Bocalo a fait assigner la SCI Blanquefort 11 novembre, M. [M] et Ia société Groupe Bumin, aux fins, notamment, d'obtenir la désignation d'un administrateur judiciaire pour gérer la SCI Blanquefort 11 Novembre et la condamnation de la société Groupe Bumin à reverser à la SCI Blanquefort 11 novembre les sommes de 363 694 euros au titre de son compte-courant d'associé débiteur, 58 000 euros TTC, au titre des prestations facturées pour les années 2017-2022, et 25 400 euros TTC, au titre des frais des prestations facturées pour l'année 2023, le tout sous astreinte.
6 - Par ordonnance de référé contradictoire du 28 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Périgueux a :
- rejeté les exceptions d'irrecevabilité à agir soulevées par la société Groupe Bumin et par la SCI Blanquefort 11 novembre ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Bocalo en reversement de sommes dans la caisse sociale de la SCI Blanquefort 11 novembre ;
- débouté la société Bocalo do sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- débouté la société Groupe Bumin de sa demande reconventionnelle de provision ;
- condamné la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société Bocalo aux dépens de l'instance.
7 - La société Bocalo a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 13 décembre 2024, en ce qu'elle a :
- débouté la société Bocalo de sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- condamner la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Bocalo aux dépens.
8 - Par dernières conclusions déposées le 11 juin 2025, la société Bocalo demande à la cour de :
- déclarer la société Bocalo recevable et fondée en son appel.
Y faisant droit :
- réformer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Périgueux du 28 novembre 2024, en ce qu'elle a :
- débouté la société Bocalo de sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- condamné la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Bocalo aux dépens.
Statuant à nouveau :
- désigner tel administrateur judiciaire provisoire qu'il plaira avec mission de gérer et d'administrer la SCI Blanquefort 11 Novembre jusqu'à l'arrivée au terme de l'opération immobilière pour laquelle elle a été créée ;
- dire que l'administrateur judiciaire provisoire vérifiera notamment les comptes de cette SCI et notamment les facturations émises et payées par la société Groupe Bumin autorisées par son Gérant, M. [M] ;
- dire que l'administrateur judiciaire provisoire convoquera et présidera toute assemblée générale ordinaire ou extraordinaire afin de soumettre aux associés les décisions relatives à l'approbation des comptes des exercices qui n'auraient pas été approuvés ;
- dire que la rémunération de l'administrateur provisoire sera prise en charge par la société Groupe Bumin ;
- condamner conjointement et solidairement la société Groupe Bumin et M. [M] à payer à la société Bocalo une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens.
9 - Par dernières conclusions déposées le 12 juin 2025, M. [M] et la société Groupe Bumin demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Bocalo à payer tant à la société Groupe Bumin qu'à M. [M] une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
10 - Par dernières conclusions déposées le 11 juin 2025, la SCI Blanquefort 11 Novembre demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Bocalo de toutes ses demandes ;
- la condamner à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
11 - L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 26 juin 2025, avec clôture de la procédure au 12 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
12 - Soutenant que le fonctionnement de la SCI Blanquefort est totalement bloqué du fait de la mésentente entre associés, se traduisant par l'absence d'approbation des comptes depuis 2022 et l'absence d'assemblée générale depuis 2024 et qu'aucun bénéfice ne peut être distribué, l'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée qui a rejeté sa demande de désignation d'un administrateur provisoire chargé d'approuver les comptes en assemblée générale et de vérifier les comptes de la SCI, au motif de l'absence de démonstration d'un péril imminent ou de l'impossibilité de faire fonctionner normalement la société.
Elle fait valoir la dégradation de la situation financière de la SCI et son blocage en raison de :
- l'accroissement de manière exponentielle du compte courant débiteur de la société Groupe Bumin de 102.430 euros au 31 décembre 2022 qui a présenté un compte courant d'associé débiteur qu'elle détient au sein de la SCI de 329.116 euros au 31 décembre 2022 et 276.105 euros au 31 décembre 2023, favorisant ainsi M. [M], gérant de celle-ci et associé de la SCI ainsi que le prélèvement d'honoraires de gestion de 48.333,33 euros par la société Groupe Bumin de 48.335 euros en 2022,
- une dette de TVA de 250.000 euros que la SCI a contractée dans le passé,
- la proposition d'affectation du bénéfice distribuable qui s'établissait au 31 décembre 2023 à 472.236 euros, en report à nouveau alors que l'objet social de la SCI Blanquefort 11 novembre a pris fin avec la vente des deux derniers lots en 2023 et que cette décision est contraire à l'article 30 des statuts, ce report à nouveau permettant à M. [M] de faire perdurer la situation dans laquelle il attribue à sa propre société Groupe Bumin la quasi totalité de la trésorerie disponible au détriment de son associé BOCA. Elle soutient ainsi que la trésorerie prélevée par le groupe Bumin empêche la SCI de procéder à une distribution des dividendes, dont le montant aurait dû être de 471. 236 euros au 31 décembre 2023 au lieu de 13.067 euros.
13 - La société Groupe Bumin demande la confirmation de l'ordonnance, la SCI Blanquefort fonctionnant normalement. Elle indique que les derniers paiements ont été demandés aux acquéreurs pour la réalisation des équipements communs et que les opérations définitives de partage devraient pouvoir intervenir pour obtenir la levée des sommes consignées chez le notaire, en vue de la liquidation de la SCI.
Elle soutient que la répartition des dividendes proposée par M. [M] a été refusée par l'appelante au prétexte d'un désaccord sur les comptes alors qu'elle aurait permis à la société Groupe Bumin d'imputer sa part de dividendes sur son compte courant, le réduisant d'autant et rappelle qu'au 31 décembre 2022 apparaissait un bénéfice de 208.643,45 euros, ayant proposé des solutions d'attente de la résolution de la contestation des sommes restant dues.
Elle indique qu'un associé d'une SCI peut disposer d'un compte courant débiteur et qu'en tout état de causes, la SCI est correctement gérée dans son intérêt social.
14 - La SCI Blanquefort 11 novembre s'oppose à la désignation d'un administrateur provisoire, se basant sur son fonctionnement dont seuls les comptes sociaux n'ont pas été approuvés suite à l'opposition de l'appelante qui conteste des prestations et des honoraires de gestion prélevés par la société Groupe Bumin, qui relèvent d'une action en responsabilité du gérant.
Sur ce
15 - L'article 834 du code de procédure civile permet au juge des référés, en cas d'urgence, de prendre toute mesure nécessaire à la solution d'un litige ou qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Aux termes de l'article 835, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
16 - La désignation d'un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle, qui suppose que soient réunies cumulativement deux conditions relatives à la gravité de la crise sociale, de nature à rendre impossible le fonctionnement normal de la société, et à l'urgence, du fait d'un péril imminent menaçant la société.
17 - En effet, la désignation d'un administrateur provisoire ne peut être obtenue qu'en apportant la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent.
18 - Sauf définition judiciaire plus précise, la mission de l'administrateur provisoire est une mission d'administration générale, limitée aux actes d'administration courante. Le juge peut y ajouter des mandats précis. En tout état de cause, elle emporte normalement dessaisissement de l'organe légal de représentation
19 - En l'espèce, le blocage survenu au sein de la SCI ne concerne que les relations entretenues par les associés et le gérant.
20 - Par ailleurs, les assemblées générales se tiennent depuis 2022, les rapports de gérance ayant été annexés à la convocation de la dernière assemblée générale du 29 octobre 2024, M. [M] ayant été autorisé en sa qualité de gérant à différer la tenue de l'assemblée générale de 2024.
20 - Si l'appelante a reçu communication des comptes tardivement, après mise en demeure, elle s'est faite avec le report de la tenue de l'assemblée générale accordé par ordonnance sur requête du 28 juin 2024.
21 - La non-approbation des comptes sociaux, en raison d'un différend entre associés, ne révèle pas, en elle-même, un blocage et une paralysie du fonctionnement normal de la société et des organes sociaux.
22 - Il existe ainsi des contestations sur le paiement des prestations par la SCI Blanquefort à chacun des associés, au calcul des honoraires de gestion nécessitant que soit engagé un débat au fond, la responsabilité du gérant de la société Groupe Bumin pouvant par ailleurs être engagée, étant rappelé les dispositions de l'article 26 des statuts de la SCI Blanquefort 11 novembre, selon lequel 'les conventions que l'assemblée désapprouve produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le ou les gérants, de supporter individuellement ou solidairement selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciable à la société'.
23 - Il ne s'agit pas tant de désigner un administrateur provisoire mais un expert, comme l'a relevé le premier juge, chargé de vérifier les comptes de la SCI Blanquefort ainsi que les différentes facturations émises par un prestataire, au terme d'une expertise in futurum avant toute action au fond en contestation des comptes sociaux, notamment au moment de la liquidation de la SCI Blanquefort, dont la demande vient d'être introduite devant le juge des référés peu de temps avant l'audience devant la cour.
24 - La cour relève d'ailleurs que si l'appelante évoque dans ses conclusions la désignation d'un expert comptable, elle ne sollicite dans son dispositif que la désignation d'un administrateur provisoire pour vérifier les comptes et convoque et présider les assemblées générales afin de soumettre à l'approbation des comptes des exercices qui n'auraient pas été approuvés.
25 - L'existence d'un péril imminent n'est pas démontrée, même si la gérance est critiquée par un des deux associés, puisque des assemblées générales ont régulièrement été convoquées pour tenter de statuer sur l'approbation des comptes, et des conventions spéciales sont établies et soumises aux votes des associés de même que les rapports de la gérance.
26 - Il n'est pas justifié du fonctionnement anormal de la SCI Blanquefort, par la simple non approbation des comptes sur les 3 derniers exercices empêchant toute distribution des bénéfices, ni que l'objet social de la SCI, s'agissant de la réalisation d'opérations immobilières à partir des apports d'un des associés en sa qualité de marchand de biens serait totalement paralysé par le conflit opposant les associés, alors que les opérations de vente sont menées à terme dans l'intérêt de l'objet social de la SCI et que les décisions sont prises sans être contestées, chaque associé reconnaissant que la SCI arrive aux termes de son objet, les désaccords sur les comptes pouvant notamment trouver une issue par l'imputation des dividendes sur les comptes courants, tout débat sur une faute éventuelle d'un des associés devant être mené au fond.
27 - Enfin, tant le paiement des prestations que les honoraires de gestion sont prévus au statut de la SCI Blanquefort.
28 - Dès lors, en l'absence d'urgence dès lors que les associés disposent des comptes sociaux, de péril imminent eu égard au fonctionnement normal de la société et de trouble manifestement illicite, seul étant contestés les prélèvements au titre des prestations et les honoraire de gestion d'un des associés, il n'y a lieu de désigner un administrateur provisoire chargé d'assurer momentanément les affaires sociales de la SCI Blanquefort 11 novembre. L'ordonnance déférée sera confirmée.
29 - L'appelante succombant en son appel sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme complémentaire de 2.000 euros à la Société groupe Bumin et M. [M] ensemble, et 2.000 euros à la SCI Blanquefort 11 novembre au titre du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée
Y ajoutant,
Condamne la société Bocalo à verser à Société groupe Bumin et M. [M] ensemble la somme de 2.000 euros et à la SCI Blanquefort 11 novembre la somme de 2.000 euros.
Condamne la société Bocalo aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Paule POIREL, présidente légitimement empêchée, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 22 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/05431 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCCQ
S.A.S. BOCALO
c/
[U] [M]
S.A.S. GROUPE BUMIN
S.C.I. BLANQUEFORT 11 NOVEMBRE
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 28 novembre 2024 par le Président du TJ de [Localité 7] (RG : 23/00376) suivant déclaration d'appel du 13 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. BOCALO
demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Philippe OLHAGARAY de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[U] [M]
né le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8] (TURQUIE)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
S.A.S. GROUPE BUMIN immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PERIGUEUX sous le numéro 848 363 065 agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Marc FRIBOURG de la SELARL SELARL FRIBOURG ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me DECOUX Anne-Sophie, avocate au barreau de LIBOURNE
S.C.I. BLANQUEFORT 11 NOVEMBRE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social.
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE, substitué par Me DE VASSELOT Briac, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
Greffier stagiaire lors des débats : Ophélie ESCUDIE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1 - Le 15 juin 2018, la SCI Blanquefort 11 novembre a été constituée entre M. [U] [M], gérant, et Mme [C] [M], a'n de réaliser une opération immobilière apportée par la SAS Groupe Bumin, marchand de biens, sur des terrains à bâtir, sis [Adresse 6].
2 - À la suite de modifications des statuts, le 5 février 2020, les parts de la SCI Blanquefort 11 novembre ont été réparties à égalité entre la société Groupe Bumin et la SAS Bocalo.
3 - Des différents ont surgi entre les associés, notamment en raison de l'existence d'un compte courant débiteur au nom de la société Groupe Bumin dans la comptabilité de la SCI Blanquefort 11 novembre et de la facturation à cette dernière par la société Groupe Bumin de frais de gestion pour la période 2017-2022 de 48 333,33 euros HT, puis de 21 167 euros HT pour les frais de gestion du 1er janvier 2023 au 31 mai 2023.
4 - Les comptes de l'exercice 2022 n'ont pas été approuvés lors de l'assemblée générale du 6 juin 2023, qui a également refusé d'approuver les conventions visées à l'article L.612-5 du code de commerce.
5 - Par actes des 6 et 13 décembre 2023, la société Bocalo a fait assigner la SCI Blanquefort 11 novembre, M. [M] et Ia société Groupe Bumin, aux fins, notamment, d'obtenir la désignation d'un administrateur judiciaire pour gérer la SCI Blanquefort 11 Novembre et la condamnation de la société Groupe Bumin à reverser à la SCI Blanquefort 11 novembre les sommes de 363 694 euros au titre de son compte-courant d'associé débiteur, 58 000 euros TTC, au titre des prestations facturées pour les années 2017-2022, et 25 400 euros TTC, au titre des frais des prestations facturées pour l'année 2023, le tout sous astreinte.
6 - Par ordonnance de référé contradictoire du 28 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Périgueux a :
- rejeté les exceptions d'irrecevabilité à agir soulevées par la société Groupe Bumin et par la SCI Blanquefort 11 novembre ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Bocalo en reversement de sommes dans la caisse sociale de la SCI Blanquefort 11 novembre ;
- débouté la société Bocalo do sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- débouté la société Groupe Bumin de sa demande reconventionnelle de provision ;
- condamné la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société Bocalo aux dépens de l'instance.
7 - La société Bocalo a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 13 décembre 2024, en ce qu'elle a :
- débouté la société Bocalo de sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- condamner la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Bocalo aux dépens.
8 - Par dernières conclusions déposées le 11 juin 2025, la société Bocalo demande à la cour de :
- déclarer la société Bocalo recevable et fondée en son appel.
Y faisant droit :
- réformer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Périgueux du 28 novembre 2024, en ce qu'elle a :
- débouté la société Bocalo de sa demande de désignation d'administrateur judiciaire ;
- condamné la société Bocalo à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre, M. [M] et la société Groupe Bumin la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Bocalo aux dépens.
Statuant à nouveau :
- désigner tel administrateur judiciaire provisoire qu'il plaira avec mission de gérer et d'administrer la SCI Blanquefort 11 Novembre jusqu'à l'arrivée au terme de l'opération immobilière pour laquelle elle a été créée ;
- dire que l'administrateur judiciaire provisoire vérifiera notamment les comptes de cette SCI et notamment les facturations émises et payées par la société Groupe Bumin autorisées par son Gérant, M. [M] ;
- dire que l'administrateur judiciaire provisoire convoquera et présidera toute assemblée générale ordinaire ou extraordinaire afin de soumettre aux associés les décisions relatives à l'approbation des comptes des exercices qui n'auraient pas été approuvés ;
- dire que la rémunération de l'administrateur provisoire sera prise en charge par la société Groupe Bumin ;
- condamner conjointement et solidairement la société Groupe Bumin et M. [M] à payer à la société Bocalo une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens.
9 - Par dernières conclusions déposées le 12 juin 2025, M. [M] et la société Groupe Bumin demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Bocalo à payer tant à la société Groupe Bumin qu'à M. [M] une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
10 - Par dernières conclusions déposées le 11 juin 2025, la SCI Blanquefort 11 Novembre demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Bocalo de toutes ses demandes ;
- la condamner à payer à la SCI Blanquefort 11 Novembre la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
11 - L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 26 juin 2025, avec clôture de la procédure au 12 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
12 - Soutenant que le fonctionnement de la SCI Blanquefort est totalement bloqué du fait de la mésentente entre associés, se traduisant par l'absence d'approbation des comptes depuis 2022 et l'absence d'assemblée générale depuis 2024 et qu'aucun bénéfice ne peut être distribué, l'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée qui a rejeté sa demande de désignation d'un administrateur provisoire chargé d'approuver les comptes en assemblée générale et de vérifier les comptes de la SCI, au motif de l'absence de démonstration d'un péril imminent ou de l'impossibilité de faire fonctionner normalement la société.
Elle fait valoir la dégradation de la situation financière de la SCI et son blocage en raison de :
- l'accroissement de manière exponentielle du compte courant débiteur de la société Groupe Bumin de 102.430 euros au 31 décembre 2022 qui a présenté un compte courant d'associé débiteur qu'elle détient au sein de la SCI de 329.116 euros au 31 décembre 2022 et 276.105 euros au 31 décembre 2023, favorisant ainsi M. [M], gérant de celle-ci et associé de la SCI ainsi que le prélèvement d'honoraires de gestion de 48.333,33 euros par la société Groupe Bumin de 48.335 euros en 2022,
- une dette de TVA de 250.000 euros que la SCI a contractée dans le passé,
- la proposition d'affectation du bénéfice distribuable qui s'établissait au 31 décembre 2023 à 472.236 euros, en report à nouveau alors que l'objet social de la SCI Blanquefort 11 novembre a pris fin avec la vente des deux derniers lots en 2023 et que cette décision est contraire à l'article 30 des statuts, ce report à nouveau permettant à M. [M] de faire perdurer la situation dans laquelle il attribue à sa propre société Groupe Bumin la quasi totalité de la trésorerie disponible au détriment de son associé BOCA. Elle soutient ainsi que la trésorerie prélevée par le groupe Bumin empêche la SCI de procéder à une distribution des dividendes, dont le montant aurait dû être de 471. 236 euros au 31 décembre 2023 au lieu de 13.067 euros.
13 - La société Groupe Bumin demande la confirmation de l'ordonnance, la SCI Blanquefort fonctionnant normalement. Elle indique que les derniers paiements ont été demandés aux acquéreurs pour la réalisation des équipements communs et que les opérations définitives de partage devraient pouvoir intervenir pour obtenir la levée des sommes consignées chez le notaire, en vue de la liquidation de la SCI.
Elle soutient que la répartition des dividendes proposée par M. [M] a été refusée par l'appelante au prétexte d'un désaccord sur les comptes alors qu'elle aurait permis à la société Groupe Bumin d'imputer sa part de dividendes sur son compte courant, le réduisant d'autant et rappelle qu'au 31 décembre 2022 apparaissait un bénéfice de 208.643,45 euros, ayant proposé des solutions d'attente de la résolution de la contestation des sommes restant dues.
Elle indique qu'un associé d'une SCI peut disposer d'un compte courant débiteur et qu'en tout état de causes, la SCI est correctement gérée dans son intérêt social.
14 - La SCI Blanquefort 11 novembre s'oppose à la désignation d'un administrateur provisoire, se basant sur son fonctionnement dont seuls les comptes sociaux n'ont pas été approuvés suite à l'opposition de l'appelante qui conteste des prestations et des honoraires de gestion prélevés par la société Groupe Bumin, qui relèvent d'une action en responsabilité du gérant.
Sur ce
15 - L'article 834 du code de procédure civile permet au juge des référés, en cas d'urgence, de prendre toute mesure nécessaire à la solution d'un litige ou qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Aux termes de l'article 835, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
16 - La désignation d'un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle, qui suppose que soient réunies cumulativement deux conditions relatives à la gravité de la crise sociale, de nature à rendre impossible le fonctionnement normal de la société, et à l'urgence, du fait d'un péril imminent menaçant la société.
17 - En effet, la désignation d'un administrateur provisoire ne peut être obtenue qu'en apportant la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent.
18 - Sauf définition judiciaire plus précise, la mission de l'administrateur provisoire est une mission d'administration générale, limitée aux actes d'administration courante. Le juge peut y ajouter des mandats précis. En tout état de cause, elle emporte normalement dessaisissement de l'organe légal de représentation
19 - En l'espèce, le blocage survenu au sein de la SCI ne concerne que les relations entretenues par les associés et le gérant.
20 - Par ailleurs, les assemblées générales se tiennent depuis 2022, les rapports de gérance ayant été annexés à la convocation de la dernière assemblée générale du 29 octobre 2024, M. [M] ayant été autorisé en sa qualité de gérant à différer la tenue de l'assemblée générale de 2024.
20 - Si l'appelante a reçu communication des comptes tardivement, après mise en demeure, elle s'est faite avec le report de la tenue de l'assemblée générale accordé par ordonnance sur requête du 28 juin 2024.
21 - La non-approbation des comptes sociaux, en raison d'un différend entre associés, ne révèle pas, en elle-même, un blocage et une paralysie du fonctionnement normal de la société et des organes sociaux.
22 - Il existe ainsi des contestations sur le paiement des prestations par la SCI Blanquefort à chacun des associés, au calcul des honoraires de gestion nécessitant que soit engagé un débat au fond, la responsabilité du gérant de la société Groupe Bumin pouvant par ailleurs être engagée, étant rappelé les dispositions de l'article 26 des statuts de la SCI Blanquefort 11 novembre, selon lequel 'les conventions que l'assemblée désapprouve produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le ou les gérants, de supporter individuellement ou solidairement selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciable à la société'.
23 - Il ne s'agit pas tant de désigner un administrateur provisoire mais un expert, comme l'a relevé le premier juge, chargé de vérifier les comptes de la SCI Blanquefort ainsi que les différentes facturations émises par un prestataire, au terme d'une expertise in futurum avant toute action au fond en contestation des comptes sociaux, notamment au moment de la liquidation de la SCI Blanquefort, dont la demande vient d'être introduite devant le juge des référés peu de temps avant l'audience devant la cour.
24 - La cour relève d'ailleurs que si l'appelante évoque dans ses conclusions la désignation d'un expert comptable, elle ne sollicite dans son dispositif que la désignation d'un administrateur provisoire pour vérifier les comptes et convoque et présider les assemblées générales afin de soumettre à l'approbation des comptes des exercices qui n'auraient pas été approuvés.
25 - L'existence d'un péril imminent n'est pas démontrée, même si la gérance est critiquée par un des deux associés, puisque des assemblées générales ont régulièrement été convoquées pour tenter de statuer sur l'approbation des comptes, et des conventions spéciales sont établies et soumises aux votes des associés de même que les rapports de la gérance.
26 - Il n'est pas justifié du fonctionnement anormal de la SCI Blanquefort, par la simple non approbation des comptes sur les 3 derniers exercices empêchant toute distribution des bénéfices, ni que l'objet social de la SCI, s'agissant de la réalisation d'opérations immobilières à partir des apports d'un des associés en sa qualité de marchand de biens serait totalement paralysé par le conflit opposant les associés, alors que les opérations de vente sont menées à terme dans l'intérêt de l'objet social de la SCI et que les décisions sont prises sans être contestées, chaque associé reconnaissant que la SCI arrive aux termes de son objet, les désaccords sur les comptes pouvant notamment trouver une issue par l'imputation des dividendes sur les comptes courants, tout débat sur une faute éventuelle d'un des associés devant être mené au fond.
27 - Enfin, tant le paiement des prestations que les honoraires de gestion sont prévus au statut de la SCI Blanquefort.
28 - Dès lors, en l'absence d'urgence dès lors que les associés disposent des comptes sociaux, de péril imminent eu égard au fonctionnement normal de la société et de trouble manifestement illicite, seul étant contestés les prélèvements au titre des prestations et les honoraire de gestion d'un des associés, il n'y a lieu de désigner un administrateur provisoire chargé d'assurer momentanément les affaires sociales de la SCI Blanquefort 11 novembre. L'ordonnance déférée sera confirmée.
29 - L'appelante succombant en son appel sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme complémentaire de 2.000 euros à la Société groupe Bumin et M. [M] ensemble, et 2.000 euros à la SCI Blanquefort 11 novembre au titre du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée
Y ajoutant,
Condamne la société Bocalo à verser à Société groupe Bumin et M. [M] ensemble la somme de 2.000 euros et à la SCI Blanquefort 11 novembre la somme de 2.000 euros.
Condamne la société Bocalo aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Paule POIREL, présidente légitimement empêchée, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,