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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 23 septembre 2025, n° 21/08522

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/08522

23 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 23 SEPTEMBRE 2025

N°2025/399

Rôle N° RG 21/08522 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHTA3

[X] [V]

S.A.R.L. TROP'

S.C.P. [A]

C/

[N] [I]

[S] [M] [K]

Société CMJ HOLDINGS SA

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Françoise BOULAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] en date du 20 Mai 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/04607.

APPELANTS

Maître [X] [V]

pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SARL TROP,

demeurant [Adresse 3]

S.C.P. [A] pris en la personne de Me [Y] [A], en sa qualité de Mandataire Judiciaire de la SARL TROP'

demeurant [Adresse 5]

S.A.R.L. TROP'

pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis, demeurant [Adresse 4]

Tous trois représentés par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Annabelle BOUSQUET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat plaidant Me Thierry FRADET, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Société CMJ HOLDINGS SA

demeurant [Adresse 1]

Monsieur [S] [M] [K]

né le 07 Août 1945 à [Localité 9], demeurant [Adresse 6] (SUISSE)

Monsieur [N] [I]

né le 07 Octobre 1950 à [Localité 7], demeurant [Adresse 2]

Tous trois représentés par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Rachid CHENIGUER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté par Me Edouard DE MELLON, avocat au barreau de LYON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine OUVREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Anne DAMPFHOFFER, magistrate honoraire ayant des fonctions juridictionnelles.

Madame Anne DAMPFHOFFER, magistrate honoraire ayant des fonctions juridictionnelles, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine OUVREL, Conseillère faisant fonction de Présidente

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

Madame Anne DAMPFHOFFER, magistrate honoraire ayant des fonctions juridictionnelles

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Septembre 2025.

Signé par Madame Catherine OUVREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE

Monsieur [G] et son épouse détiennent, directement ou indirectement, par l'intermédiaire de la société [G] holding, 100 % du capital de la société Trop, celle-ci détenant, elle-même, diverses autres sociétés exploitant la marque 'la tarte tropézienne'.

Au titre du développement et du financement de leurs activités, M [G], agissant tantôt en son nom et tantôt au nom de ses sociétés, a été amené à signer divers documents contractuels avec des partenaires financiers.

Ainsi, aux termes d'un protocole d'investissement du 23 novembre 2015, Monsieur [G] a-t-il promis de céder respectivement à la société CMJ Holdings, de droit luxembourgeois, et à Monsieur [N] [I], au prix de 8'211'000 euros, la pleine propriété de 296'685 parts, représentant 49 % du capital social et des droits de vote de la société Trop et 12'110 parts représentant 2 % du capital social et des droits de vote de cette même société, Monsieur [G] s'engageant irrévocablement à vendre sur simple demande de la société CMJ Hodings et de Monsieur [N] [I] formulée entre le 1er janvier 2018 et le 31 septembre 2018.

De leur côté, la société CMJ Holdings et Monsieur [I] consentaient à Monsieur [G] une promesse d'achat ferme et irrévocable portant sur ces mêmes parts.

Il était prévu, au titre des modalités de paiement du prix de cession, qu'un acompte de 5 millions d'euros soit versé à Monsieur [L] [G] et également que celui-ci investisse la somme de 2 millions d'euros en compte courant dans la société, la somme restant bloquée jusqu'à la date d'expiration de la période d'exercice de la promesse d'achat.

L'acte stipulait diverses conditions au titre du paiement du solde du prix, de la possibilité de demander le remboursement des sommes ainsi avancées, de la garantie de passif, de la constitution du nouveau comité de direction, composé de quatre membres dont deux désignés par [L] [G] et deux désignés par la société CMJ.

Aux termes d'un acte manuscrit du 28 février 2017, diverses obligations relatives à cette opération d'achat de parts et de financement de la société étaient également convenues entre M [G] et M [K], en leur nom.

Le 4 mai 2017, un avenant au protocole du 23 novembre 2015 était signé.

Aux termes de cet acte et dans son article premier, il était stipulé que Monsieur [L] [G], la société CMJ et Monsieur [N] [I] décidaient, d'un commun accord, d'annuler purement et simplement le protocole initial et toutes obligations qui y sont contenues sous réserve du strict respect des dispositions du présent avenant.

Les autres stipulations de l'acte étaient relatives à la reconnaissance de dette et aux modalités de remboursement de celle-ci de la part de Monsieur [G].

[L] [G] reconnaissait devoir, à titre personnel, à la société CMJ une somme de 5 millions d'euros et il reconnaissait que la société Trop devait à la société CMJ une somme de 1'500'000 euros.

En garantie de ce remboursement, Monsieur [G] s'engageait, à titre personnel et au nom des sociétés qu'ils représentent, à consentir, au titre de sa dette personnelle, diverses hypothèques et au titre de la dette de la société Trop, deux nantissements.

Ce protocole était signé par Monsieur [G], la société Trop, la société [G] holding, la société CMJ Holdings et [N] [I].

Le 24 novembre 2017, un protocole d'accord transactionnel ultérieurement homologué par le tribunal de commerce de Paris était signé aux termes duquel il était convenu que M [G] rembourserait les sommes dues à la société CMJ holdings au plus tard le 1er janvier 2021 et qu'il renonçait à tout recours du chef du protocole précédent.

C'est dans ces conditions et à la suite de ces relations d'affaires, que la société Trop a fait assigner, par devant le tribunal judiciaire de Toulon, la société CMJ holdings, Monsieur [I] et Monsieur [K], leur reprochant un abus de son état de dépendance économique.

Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a déclaré la société Trop irrecevable en son action, considérant, au visa de l'article 1143 du Code civil, que la seule victime potentielle de la violence économique invoquée était Monsieur [L] [G] et non la société Trop, laquelle n'était pas intervenue à la promesse de cession de titres consentie par [L] [G] et ne pouvait donc se prévaloir d'une quelconque violence .

La société Trop a interjeté appel de ce jugement le 8 juin 2021.

Devant la cour, [L] [G] est intervenu volontairement à l'instance.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 8 juin 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'intervention de Monsieur [L] [G], retenant qu'il avait renoncé à toute action aux termes du protocole qu'il avait signé le 24 novembre 2017 et il a également déclaré irrecevable l'action de la société Trop et de Monsieur [G] à l'encontre de Monsieur [K] qui n'était pas signataire du protocole d'investissement du 23 novembre 2015.

La cour d'appel, statuant sur déféré, a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état par un arrêt du 3 janvier 2023, dont il n'est pas contesté qu'il soit désormais définitif sur les points ainsi jugés.

En l'état des écritures régulièrement déposées dans le cadre de la clôture prise le 6 mai 2025, la cour se trouve désormais saisie des demandes suivantes.

Aux termes de conclusions en date du 8 septembre 2021, la société Trop, la société civile professionnelle [A], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Trop, Maître [V] en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de cette société, et Monsieur [L] [G] demandent de :

' recevoir l'intervention volontaire de Monsieur [G],

' réformer le jugement,

' dire que le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action de la société Trop est inopérant,

' constater le déséquilibre manifeste entre les parties résultant des protocoles signés, l'abus de dépendance dont les intimés ont fait preuve sur la société Trop,

' dire que les intimés ont tiré un avantage manifestement excessif de la signature des contrats,

' constater le préjudice subi par la société Trop et par Monsieur [G],

en conséquence de quoi :

' condamner les intimés à payer la somme de 3 millions d'euros à la société Trop représentée par Me [A] et maître [V] et à Monsieur [G] à titre de réparation des préjudices subis,

' prononcer la nullité des garanties prises en contrepartie du prêt de 5 millions d'euros, réitérées par le protocole du 4 mai 2017,

' condamner in solidum des intimés à leur payer la somme de 15'000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Aux termes de conclusions du 18 avril 2025, la société CMJ holdings, Monsieur [I] et Monsieur [K] demandent de :

' à titre principal,

' confirmer le jugement et déclarer irrecevable l'action de la société Trop,

' déclarer irrecevable l'action de Monsieur [G],

' à titre subsidiaire, rejeter leur demande,

' en tout état de cause, condamner solidairement la société Trop à leur payer la somme de 20'000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.

MOTIFS

En l'état des décisions rendues par la cour relativement à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de Monsieur [G] et à l'irrecevabilité des demandes de la société Trop et de Monsieur [G] contre Monsieur [K], définitivement jugées, il est, à titre liminaire, rappelé que seules, restent désormais dans le débat les demandes de la société Trop contre la société CMJ et contre M [I].

Ces demandes sont fondées, en droit, sur les articles 626-25 du code du commerce, 1143, 1240 et 1178 al 4 du code civil et en fait, sur la signature des protocoles et avenants passés les 23 novembre 2015, 28 février 2017 et 4 mai 2017 relativement à la mise en place de diverses participations financières, les appelants ayant demandé de voir constater le déséquilibre résultant de « la signature des contrats » afin d'obtenir à leur bénéfice condamnation à paiement d'une somme de 3 millions d'euros.

Les demandes ainsi formulées seront donc examinées quant à leur recevabilité et quant à leur bien fondé au regard des différents actes passés.

1. S'agissant du protocole de 2015, le texte, invoqué, de l'article 1143 du code civil ne peut s'y appliquer puisqu'issu de l'ordonnance du 10 février 2016.

A supposer l'application, en ses lieux et places, des textes antérieurs relatifs à la violence comme vice du consentement, ce protocole ne contient, cependant aucune obligation à la charge de la société Trop, celle-ci n'y étant, en effet, tenue d'aucun engagement et seuls en ayant pris :

- M [G] pour s'être obligé à céder les parts qu'il détient dans la société Trop,

- et la société CMJ ainsi que M [I] qui de leur côté, se sont engagés au titre d'une promesse d'achat desdites parts, la société CMJ versant à M [G] la somme de 5 millions d'euros à titre d' 'acompte' et M [G] investissant consécutivement la somme de 2 millions d'euros en compte courant.

Il en résulte l'irrecevabilité à agir de la société Trop pour défaut d'intérêt, le jugement étant de ce chef confirmé.

2. Les appelants ont également invoqué, au titre de la preuve de leur dépendance économique et de l'abus qui en aurait été fait, l'acte du 28 février 2017.

Celui-ci n'a cependant été signé que par M [K] et M [G], chacun en leur nom personnel .

Il en résulte que l'action de la société Trop est, de ce chef, irrecevable pour défaut de qualité .

La cour précisera par ailleurs qu'en ce qui concerne les obligations de cession de parts, cet acte, n'a de toute façon pas été exécuté et qu'en ce qui en ce qui concerne l'apport supplémentaire de capitaux à 'très court terme' par M [K], il a finalement consisté dans le versement d'une somme de 1 500 000 euros et non de 1 700 000 euros comme y indiqué au demeurant sans que n'y soient précisées les conditions d'un remboursement.

3. S'agissant de l'avenant du 4 mai 2017, il envisage la situation débitrice tant de M [G] que de la société Trop, tous deux en sont signataires.

Il prévoit un remboursement des dettes de chacun, à savoir, celle de Monsieur [G] et celle de la société Trop, lequel doit intervenir au plus tard le 30 septembre 2018 avec un taux d'intérêt de 1,5 % et sans intérêt si le remboursement intervient avant le 30 mars 2018.

Il stipule également que la dette personnelle de Monsieur [G] de 5 millions d'euros y est garantie par deux hypothèque à propos desquelles il n'est établi aucune disproportion et que la dette de la société Trop de 1'500'000 euros y est garantie par deux nantissements à propos desquels il n'est pas davantage démontré qu'ils seraient exagérés ou abusifs.

Il ne contient donc, vu les dispositions ainsi rappelées quant aux modalités de remboursement et aux garanties prises, aucun abus de situation prouvée de la part des créanciers, ni aucun déséquilibre au détriment des débiteurs vu l'importance des dettes en cause .

La demande de la société Trop, jugée recevable, sera néanmoins rejetée comme mal fondée et la demande tendant au prononcer la nullité des garanties prises en contrepartie du prêt de 5 millions d'euros réitérées par le protocole du 4 mai 2017 sera, par suite, également rejetée.

Les appelants sont, en conséquence, déboutés des fins de le recours et le jugement est confirmé sauf sur l'irrecevabilité des demandes de la société Trop globalement, le présent arrêt les rejetant comme irrecevables en ce qui concerne le protocole du 23 novembre 2015, le contrat du 28 février 2017et l'acte du 24 novembre 2017 et comme mal fondées en ce qui concerne l'avenant du 4 mai 2017.

En raison de sa succombance, la société Trop supportera les dépens et sera condamnée à verser, en équité, aux intimés ensemble la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré, par mise à disposition au greffe, en matière civile et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré sauf à préciser que les demandes de la société Trop sont irrecevables en ce qui concerne le contrat du 23 novembre 2015 et le contrat du 28 février 2017 et qu'elles sont rejetées comme mal fondées en ce qui concerne l'avenant du 4 mai 2017,

Y ajoutant :

Rejette la demande de la société Trop en nullité des garantie prises en contrepartie du prix de 5 millions d'euros, réitérées par le protocole du 4 mai 2017,

Condamne la société Trop à verser à la société CMJ Holdings, à Monsieur [I], à Monsieur [K] ensemble la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel avec distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Déboute la société Trop, la société civile professionnelle [A], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Trop, Maître [V] en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de cette société, et Monsieur [L] [G] de ses demandes au titre des frais irrépétibles.

La Greffière La Présidente

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