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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 septembre 2025, n° 24/13563

PARIS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Doctipharma (SAS), Promofarma Ecom SL (Sté), Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtsheim E K (Sté)

Défendeur :

Coty France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Richaud

Avocats :

Vignes, Guerre

T. com. Marseille, 6e ch., du 9 avr. 202…

9 avril 2024

ORDONNANCE SUR INCIDENT DEVANT LE MAGISTRAT CHARGé DE LA MISE EN ETAT

(n° , 7 pages)

Nous, Julien Richaud, magistrat en charge de la mise en état,

Assisté de Mianta Andrianasoloniary, greffière,

Vu l'instance enrôlée sous le numéro RG 24/13563 ;

Vu le jugement rendu le 9 avril 2024 par le tribunal de commerce de Marseille dans le litige opposant la SAS Coty France aux sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K qui a, avec exécution provisoire de droit en toutes ses dispositions, statué en ces termes :

['] Déclare que les sociétés DOCTIPHARMA S.A.S., PROMOFARMA ECOM SL et APOTHEKE ZUR ROSE INHALER ULRICH NACHTSHEIM E K ont commis ensemble des actes fautifs constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme au détriment de la société COTY FRANCE S.A.S. ,

Ordonne aux sociétés DOCTOPHARMA, PROMOFARMA et AZR de cesser, à la date du prononcé du présent jugement et pour l'avenir, la commercialisation des produits dont les marques sont intégrées dans le réseaux de distribution sélective de la société COTY FRANCE notamment les marques ALEXANDER, MCQUEEN, BALENCIAGA, BOTTEGA VENETA, BURBERRY, CALVIN KLEIN, CHLOE, DAVIDOFF, ESCADA, GUCCI, HUGO BOSS, JIL SANDER, JOOP [Localité 1], LANCASTER, MARC JACOBS, MIU MIU, PHILOSOPHY, ROBERTO [D], STELLA MCCARTNEY et TIFFANY, et ce sous astreinte de 500 € (cinq cents euros) par acte de commercialisation constaté 15 jours après la date de signification du présent jugement à intervenir ;

Dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation de l'astreinte ;

Déboute la société COTY FRANCE S.A.S. de sa demande de communication par les défenderesses de nombreux justificatifs comptables et commerciaux ;

Condamne in solidum les sociétés DOCTIPHARMA S.A.S., PROMOFARMA ECOM SL et APOTHEKE ZUR ROSE INHALER ULRICH NACHTSHEIM E K à payer à la société COTY FRANCE S.A.S. la somme de 500 000 € (cinq cent mille euros) en réparation du préjudice subi pour actes de concurrence déloyale, actes de parasitisme et préjudice d'image ;

Condamne conjointement les sociétés DOCTIPHARMA S.A.S., PROMOFARMA ECOM SL et APOTHEKE ZUR ROSE INHALER ULRICH NACHTSHEIM E K à payer à la société COTY FRANCE S.A.S. la somme de 7 000 € (sept mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,

Condamne conjointement les sociétés DOCTIPHARMA S.A.S., PROMOFARMA ECOM SL et APOTHEKE ZUR ROSE INHALER ULRICH NACHTSHEIM E K aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 110,71 € TTC (cent dix euros et soixante et onze centimes TTC) ['].

Vu l'appel interjeté le 6 juin 2024 par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence et l'ordonnance du 5 février 2025 du conseiller de la mise en état, saisi d'une exception d'incompétence, ayant ordonné le renvoi de l'affaire devant la cour d'appel de Paris ;

Vu l'appel interjeté par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K par déclaration reçue au greffe le 18 juillet 2024 intimant la SAS Coty France ;

Vu les premières conclusions d'appelant notifiées par la voie électronique le 14 octobre 2024 ;

Vu les conclusions d'incident notifiées par la SAS Coty France par la voie électronique le 21 mai 2025, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, sollicitant du conseiller de la mise en état la radiation du rôle de l'affaire en application de l'article 524 du code de procédure civile outre la condamnation « conjointe et solidaire » des appelantes à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens ;

Vu les conclusions d'incident notifiées par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K par la voie électronique le 8 septembre 2025, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, sollicitant du conseiller de la mise en état l'irrecevabilité des demandes de la SAS Coty France et à défaut leur rejet ainsi que sa condamnation à leur payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens ;

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

1°) Sur la radiation pour défaut d'exécution

Moyens des parties

Au soutien de sa demande de radiation, la SAS Coty France expose que les appelantes n'ont pas réglé l'intégralité des causes du jugement en dépit de son caractère exécutoire et de ses relances. Elle ajoute qu'un paiement partiel n'est pas suffisant pour faire obstacle à la radiation et que son accord sur un échéancier est indifférent, son respect intégral conditionnant la poursuite de la procédure d'appel. Elle précise à ce titre que, non établie, la contradiction alléguée ne trouve pas son siège dans deux positions adoptées dans le cadre du débat judiciaire. Elle ajoute que, faute d'avoir contesté le pronocé de l'exécution provisoire en première instance, les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K doivent démontrer des conséquences manifestement excessives révélées postérieurement au jugement ainsi que l'existence de moyens sérieux d'annulation ou de réformation, ce qu'elles ne font pas.

En réplique, les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K exposent que la demande de radiation est irrecevable au nom du principe de l'Estoppel, le fait de la présenter contredisant son accord donné le 23 septembre 2024 sur un échéancier dont les termes ont été respectés, 265 325,95 euros ayant été payés. Elles ajoutent que, en exigeant une contestation préalable du prononcé de l'exécution provisoire par le jugement entrepris, la SAS Coty France confond les conditions de recevabilité d'une demande en suspension de l'exécution provisoire et celles relatives à leur défense à une demande de radiation pour défaut d'exécution. Elles soulignent enfin l'inutilité de la radiation au regard des délais d'audiencement devant la cour d'appel, la fixation de l'affaire ne pouvant intervenir avant l'apurement de leur dette.

Appréciation du conseiller de la mise en état

En vertu de l'article 383 du code de procédure civile, la radiation et le retrait du rôle sont des mesures d'administration judiciaire. A moins que la péremption de l'instance ne soit acquise, l'affaire est rétablie, en cas de radiation, sur justification de l'accomplissement des diligences dont le défaut avait entraîné celle-ci ou, en cas de retrait du rôle, à la demande de l'une des parties.

Conformément à l'article 524 du code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. La demande de l'intimé doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, être présentée avant l'expiration des délais prescrits aux articles 905-2, 909, 910 et 911. La décision de radiation est notifiée par le greffe aux parties ainsi qu'à leurs représentants par lettre simple. Elle est une mesure d'administration judiciaire.

L'exécution visée par ce texte est celle de ce qui, dans le jugement entrepris, s'impose aux parties en vertu de l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 480 du code de procédure civile (en ce sens, 2ème Civ., 19 novembre 2020, n° 19-25.100). Or, celle-ci ne couvre que ce qui fait l'objet du jugement et a été tranché dans son dispositif (en ce sens, Ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033), les motifs d'un jugement, fussent-ils son soutien nécessaire, n'ayant ainsi pas l'autorité de la chose jugée (en ce sens, 2ème Civ., 7 mai 2008, n° 06-21.724) mais pouvant néanmoins éclairer sa portée (en ce sens, Com., 27 novembre 2012, n° 11-24.783).

Par ailleurs, l'appréciation des conséquences manifestement excessives ou de l'impossibilité d'exécution visées par l'article 524 du code de procédure civile impose un contrôle de proportionnalité de la sanction qu'est la radiation au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, « la CESDH ») ainsi que l'a jugé la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après, « la CEDH ») dans son arrêt [Localité 2] c. France du 10 octobre 2013 (n° 37640/11, §31 à 33) qui précise que :

- « le "droit à un tribunal", dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6§1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ['] ;

- En outre, l'article 6§1 de la Convention n'oblige pas les Etats contractants à instituer des cours d'appel ou de cassation. Toutefois, si de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s'y déroule doit présenter les garanties prévues à l'article 6, notamment en ce qu'il assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs droits et obligations de caractère civil ['] ;

- La Cour a déjà examiné la question de savoir si une mesure de radiation du rôle, prononcée par un conseiller de la mise en état en application de l'article 526 du code de procédure civile, pouvait être admise au regard des exigences du droit à un tribunal. À cette occasion, elle a jugé légitimes les buts poursuivis par cette obligation d'exécution d'une décision pour laquelle l'exécution provisoire a été ordonnée, à savoir notamment assurer la protection du créancier, éviter les appels dilatoires et assurer la bonne administration de la justice en désengorgeant les tribunaux. Elle a cependant considéré que, compte tenu de l'effet privatif de celle-ci sur le droit à un double degré de juridiction, l'Etat disposait en la matière d'une marge d'appréciation plus restreinte que dans les affaires portant sur un retrait du rôle de la Cour de cassation en vertu de l'article 1009-1 du même code. Elle s'est alors attachée à déterminer si la mesure de radiation, telle qu'appliquée à la situation considérée, s'analysait en une entrave disproportionnée au droit d'accès à la cour d'appel ['] ».

Le jugement entrepris, prononcé le 9 avril 2024 sur assignation signifiée le 13 mai 2022, postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 3 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 modifiant l'article 514 du code de procédure civile de ce fait applicable au litige conformément à son article 55 II, était exécutoire de droit à titre provisoire.

La demande de radiation a été présentée par la SAS Coty France dans ses conclusions notifiées par la voie électronique le 13 janvier 2025, soit dans le délai prescrit par l'article 909 du code de procédure civile, et est ainsi recevable.

- Sur le principe de l'Estoppel

En application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Le fait pour une partie de se contredire délibérément ou par négligence fautive au détriment d'autrui constitue une fin de non-recevoir sanctionnant la violation d'une obligation de loyauté et de cohérence processuelles érigée en principe général du droit structurant l'instance, qui constitue de ce fait le cadre de son appréciation (en ce sens, pour la consécration du principe : Ass. Plén., 27 février 2009, n° 07-19841). Cette qualification commande son application aux seules prétentions des parties qui fixent l'objet du litige au sens de l'article 4 du code de procédure civile, et non aux moyens de fait ou de droit qui les soutiennent (en ce sens, 1ère Civ., 24 septembre 2014, n° 13-14.534), la contradiction fautive devant par ailleurs trouver son siège dans une instance unique (en ce sens, 2ème Civ., 15 mars 2018, n° 17-21-991, 17-21-992, 17-21-993, 17-21-994, 17-21-997 et 17-21-998 : « la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions »).

Ce cadre d'analyse prive en soi de pertinence la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K, la contradiction alléguée, qui n'en est en réalité pas une puisque l'accord sur le paiement échelonné donné le 23 septembre 2024 (leur pièce 5) l'a été sans égard pour la procédure d'appel pendante et que l'acceptation d'un échéancier n'implique en soi aucune renonciation aux dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, ne trouve pas son siège dans des prétentions mais entre une demande et un comportement adopté hors procédure judiciaire.

En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K sera rejetée.

- Sur le bienfondé de la demande de radiation

Les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K, qui justifient avoir respecté l'échéancier et réglé 265 325,95 euros (leur pièce 6), soit plus de la moitié des causes du jugement entrepris, n'invoquent ni impossibilité d'exécution, hypothèse qu'exclut le paiement échelonné, ni conséquences manifestement excessives au sens de l'article 524 du code de procédure civile appréciées à l'aune de l'article 6§1 de la CESDH qui n'est pas évoqué, même implicitement. Si, l'absence de contestation du prononcé de l'exécution provisoire et si la preuve de moyens sérieux de réformation ne sont effectivement pas des conditions de recevabilité ou de succès de la défense à une demande de radiation pour défaut d'exécution, les intimées n'opposent aucun moyen juridiquement pertinent, le seul risque de l'absence « d'intérêt pratique » de la mesure tirée de l'éventualité d'un apurement de la dette avant la fixation de l'audience de plaidoiries étant sans incidence sur l'application de l'article 524 du code de procédure civile.

Aussi, le paiement partiel n'étant pas assimilable à une exécution de la décision frappée d'appel au sens de l'article 524 du code de procédure civile, la radiation s'impose et sera ordonnée.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Succombant à l'incident, les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K seront condamnées in solidum à payer à la SAS Coty France la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter, en application des articles 907, 790 et 696 du code de procédure civile, les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire,

Ordonne la radiation de l'affaire du rôle de la cour d'appel pour défaut d'exécution du jugement entrepris par les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K ;

Condamne in solidum les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K à payer à la SAS Coty France la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Doctipharma, Promofarma Ecom et Apotheke Zur Rose Inhaler Ulrich Nachtseim e. K aux dépens.

Ordonnance rendue par Julien Richaud, magistrat en charge de la mise en état assistée de Mianta Andrianasoloniary, greffière présente lors du prononcé l'ordonnance au greffe de la Cour.

Paris, le 11 septembre 2025

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