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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 23 septembre 2025, n° 23/03866

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/03866

23 septembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 23 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/03866 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NMWD

S.A.S. EAT & JOY

c/

S.A.R.L. ALEAS BUSINESS

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 juin 2023 (R.G. 2022F00990) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 10 août 2023

APPELANTE :

S.A.S. EAT & JOY, immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 819 454 489, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Maître Frédéric CUIF de la SELARL LX BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Cécilia KENTISH-BARNES de la SELARL FIDAL, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. ALEAS BUSINESS, exerçant sous le nom commercial 'L'ATELIER DE LA CREATION DU BATIMENT', immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 807 952 874, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Damien BARRE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 juillet 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE:

1. Selon devis du 21 mai 2020 d'un montant de 45'975 euros, la société par actions simplifiée Eat & Joy a confié à la SARL Aléas Business (exerçant sons le nom commercial l'Atelier de la création du bâtiment) les travaux d'installation d'une pergola, afin de couvrir la terrasse extérieure du restaurant qu'elle exploite à Tresses, sous l'enseigne franchisée Bistrot Régent, dans des locaux dont elle est locataire, selon bail commercial conclu le 11 mai 2009 avec la SCI Coval.

Le bailleur a été averti des travaux et a fait savoir au locataire, le 31 mars 2021, que la fixation de la pergola sur le bâtiment n'était pas possible au regard des clauses du bail, l'ouvrage nécessitant de plus le dépôt d'une demande de permis de construire.

Un devis complémentaire a été émis le 15 avril 2021 pour la somme de 5'186 euros afin que la pergola ne soit plus adossée au mur, avec la réalisation de plots en béton armé, la création de poteaux et la déclaration de travaux.

Par courrier recommandé du 18 octobre 2021, la société Aleas Business a mis en demeure la société Eat & Joy soit d'accepter le devis complémentaire, soit de se conformer au devis initial prévoyant que la pergola soit posée contre le mur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 novembre 2021, la société Eat & Joy a refusé le devis complémentaire, considérant avoir conclu un marché à prix forfaitaire et sollicitant la résiliation du contrat au motif de l'exception d'inexécution contractuelle.

Par courrier du 18 mars 2022, la société Aleas Business a mis en demeure la société Eat & Joy de lui régler la somme de 45'975,60 euros.

Une médiation a été envisagée le 14 avril 2022, mais elle n'a pu aboutir à un accord des parties.

Par acte extrajudiciaire du 28 juin 2022, la société Aleas Business a assigné la société Eat & Joy devant le tribunal en paiement de la somme de 45'975 euros majorée des intérêts de retard.

2. Par jugement du 19 juin 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- condamné la société Eat & Joy SAS à payer à la société Aleas Business SARL la somme de 45'975 euros ;

- débouté la société Eat & Joy SAS de ses demandes ;

- débouté la société Aleas Business SARL du surplus de ses demandes ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit ;

- condamné la société Eat & Joy SAS à payer à la société Aleas Business SARL la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Eat & Joy SAS aux dépens.

3. Par déclaration au greffe du 10 août 2023, la SAS Eat & Joy a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SARL Aleas Business.

La société Aleas Business a formé un appel incident.

Par assignation du 26 décembre 2023, la société Eat & Joy a saisi le premier président afin de solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire.

Par ordonnance du 8 février 2024, la première présidente de chambre de la présente cour, statuant en référé, a :

- déclaré irrecevable la demande de la SAS Eat & Joy tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire résultant du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 19 juin 2023

- condamné la SAS Eat & Joy à payer à l'EURL Aleas Business la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la SAS Eat & Joy de sa demande du même chef ;

- condamné la SAS Eat & Joy aux entiers dépens de la présente instance.

L'affaire initialement prévue à l'audience du 10 mars 2025 a été renvoyée à l'audience du 1er juillet 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

4.Par dernières écritures notifiées par message électronique le 21 février 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Eat & Joy demande à la cour de :

Vu les articles 1224 et suivants, 1352 à 1352-9 et 1231-1 du code civil,

- Recevoir la société Eat & Joy en son appel et l'en déclarer bien fondée,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

condamné la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 45 975 euros,

débouté la société Eat & Joy de ses demandes,

condamné la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens,

Statuant à nouveau :

- Juger que la résolution du contrat liant les sociétés Aleas Business et Eat & Joy notifiée le 5 novembre 2021 par la société Eat & Joy, est intervenue aux torts exclusifs de la société Aleas Business,

- Condamner la société Aleas Business à reprendre les éléments de la pergola présents dans les locaux de la société Eat & Joy et décrits dans le procès-verbal de constat de Maître [L] [J] du 5 septembre 2023, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- Condamner la société Aleas Business à payer à la société Eat & Joy la somme 1 454,87 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudicie financier,

- Condamner la société Aleas Business à payer à la société Eat & Joy la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice immatériel,

- Débouter la société Aleas Business de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Aleas Business à payer à la société Eat & Joy la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 au titre des frais irrépétibles de première instance, et aux dépens de première instance,

- Condamner la société Aleas Business à payer à la société Eat & Joy la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, et aux dépens d'appel.

5. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 21 février 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Aleas Business demande à la cour de :

Vu les articles 1794, 1103 et 1231-1 du code civil ;

Vu l'article L 441-6 devenu L 441-10 du code de commerce ;

A titre principal:

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a :

condamné la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 45 975 euros au titre du premier devis

condamné la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 en première instance

condamné la société Eat & Joy aux dépens

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté la société Aleas Business du surplus de ses demandes et donc en ce qu'il l'a débouté des demandes suivantes :

Condamner la société Eat & Joy à payer la somme de 5 186 euros au titre du second devis

Condamner la société Eat & Joy à payer des intérêts de retard

En conséquence, condamner :

- A titre principal, la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 51 161 euros euros avec intérêts appliqués sur la somme de 45 975 euros pour le premier devis à compter du 21 mai 2020, et à compter du 15 avril 2021 sur la somme de 5 186 euros pour le deuxième devis, les intérêts appliqués étant de 10 % par an jusqu'au 31 décembre 2022 puis au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente depuis le 31 décembre 2022.

A titre subsidiaire

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux dans toutes ses dispositions,

A titre plus subsidiaire:

- Condamner la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 40 287,60 euros,

- Condamner la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business le taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, le taux applicable pendant le premier semestre de l'année concernée étant le taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question et pour le second semestre de l'année concernée, le taux en vigueur au 1er juillet de l'année en question, intérêts appliqués sur la condamnation prononcée, depuis le 21 mai 2020,

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 février 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la résolution du contrat et ses conséquences:

Moyens des parties:

6. Après avoir relevé que les premiers juges ont méconnu les termes du litige, la société Eat&Joy fait valoir, au visa des articles 1224 et suivants du code civil, qu'elle a résilié à bon droit le marché à forfait conclu le 20 novembre 2020, aux torts exclusifs de la société Aleas Business, conformément aux dispositions de l'article 1224 du code civil, puisque cette dernière a manqué à son obligation d'information et de conseil, à son obligation de diligence en omettant de déposer une demande de permis de construire, ainsi qu'à son obligation de de loyauté et de délivrance conforme.

Elle précise ainsi que la société Aleas Business ne s'est pas informée des conditions juridiques et matérielles de réalisation de l'ouvrage, qu'elle a commis une erreur de conception, qu'elle a livré le 17 février 2021 (sans réception contradictoire) des éléments non conformes au bon de commande, et qu'elle a modifié le prix convenu en ce qui concerne la prestation de dépôt de demande de permis de construire.

Elle conteste par ailleurs avoir commis la moindre faute ayant pu conduire à l'échec du projet, puisque les acomptes prévus au bon de commande n'ont jamais été appelés par l'entreprise et qu'il s'agissait d'une clause de style, les parties ayant convenu lors de la signature du contrat qu'aucun acompte ne serait appelé avant le bon achèvement du chantier.

Elle fait valoir qu'elle était parfaitement fondée à refuser de signer un devis complémentaire compte tenu du caractère forfaitaire du contrat, et souligne que la société Aléas Business (qui n'avait pas obtenu de permis de construire) a proposé des dates de chantier incompatible avec les exigences du bailleur dont elle avait pourtant connaissance.

7. La société Aléas Business (l'Atelier de la création du bâtiment) réplique que la société Eat&Joy a résilié de manière unilatérale le marché à forfait, sans avoir payé d'acompte, après avoir refusé le début des travaux en se retranchant derrière de faux arguments, alors même qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée.

Elle précise qu'elle n'était tenue à aucune obligation de conseil concernant les obligations imposées par le bailleur.

Réponse de la cour:

8. Selon les dispositions de l'article 1224 du code civil , la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

9. Selon les dispositions de l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.

Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.

10. Les dispositions précitées sont applicables à la résolution unilatérale d'un marché à forfait par le maître d'ouvrage qui invoque un manquement grave de l'entrepreneur à ses obligations.

11. En l'espèce, le représentant légal de la société Eat&Joy a accepté le 1er octobre 2020 le devis n°00942b émis le 21 mai 2020 par la société Aléas Business (Atelier de la Création), ayant pour objet la fourniture et la pose d'une toiture avec verrière '[Localité 5] Jour' et triple pergola bioclimatique rétractable, avec pose adossée, au prix de 45 975.60 euros TTC, pour le restaurant exploité à [Localité 6].

Le 9 novembre 2020, l'entrepreneur a adressé un bon de commande qui était conforme au devis, et que le maître d'ouvrage (en la personne de Mme [E] [Y]) a validé par courriel du 20 novembre 2020.

Les parties conviennent toutes deux qu'il s'agissait d'un marché à forfait.

12. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 novembre 2021, la société Eat&Joy a notifié la résolution du contrat à la société Aléas Business, en lui reprochant d'avoir manqué à son obligation de conseil, du fait d'un mauvais diagnostic initial, ayant conduit à des travaux supplémentaires, alors que le prix convenu était forfaitaire, et d'avoir livré sur site du matériel sans bordereau de livraison, ni possibilité de contrôle contradictoire, avant même le dépôt d'une demande de permis de construire.

13. En l'espèce, le litige trouve son origine dans le fait que le projet initial, ayant donné lieu au devis accepté le 1er octobre 2020 , à la commande du matériel par la société Atelier de la création puis à sa livraison au moins partielle en février 2021, devait être modifié, puisque lors d'un rendez-vous sur site le 31 mars 2021, le bailleur (en la personne de M. [K]) a indiqué qu'il ne pouvait y avoir de fixation de l'ouvrage sur l'existant, et qu'il souhaitait être informé 8 jours à l'avance de la date des travaux de fondation, afin de mandater son maître d'oeuvre.

14. Il apparaît que la société Eat&Joy n'avait avisé son bailleur que tardivement, puisque par courriel du 8 février 2021, elle indiquait à M. [R] (L'atelier de la création):

'Nous avons informé notre bailleur de la prochaine installation de cette pergola et celui-ci nous demande de lui fournir:

- croquis d'implantation de ladite pergola en précisant les modalités de fixation et les endroits concernés,

- de lui préciser si nous avons obtenu des autorisations administratives nécessaires notamment quant à la réglementation ERT et accessibilité PMR;

Est-ce vous qui vous chargez de ces demandes d'autorisation ''

15. La réalisation de travaux par le preneur était strictement encadrée par le bail commercial liant la société Eat&Joy au propriétaire des locaux:

- le preneur ne pouvait installer des marquises, vérandas, auvents, stores extérieurs sans le consentement exprès et écrit du bailleur et sans avoir obtenu les autorisations administratives nécessaires (article 10-2),

- il ne pouvait davantage faire dans les lieux loués aucun percement de murs, aucune construction sans l'autorisation expresse et écrite du bailleur et dans les conditions définies par lui (les travaux devront alors être exécutés si bon semble au bailleur sous la direction de l'architecte de l'immeuble dont les frais et honoraires seraient à la charge du preneur - article 10.2),

- le preneur devait faire son affaire personnelle de l'obtention à ses frais, risques et périls de toutes les autorisations nécessaires pour l'exercice de ses activités ou travaux qui pourraient être effectués dans les lieux (articles 5-1 et 9-3).

L'importance attachée par le bailleur à l'esthétique de l'immeuble ressort en outre:

- de l'article 7-4, aux termes duquel il autorisait le preneur dès la signature du bail mais dans des conditions rigoureusement définies, à faire réaliser certains travaux dans les règles de l'art et le respect des réglementations en vigueur (installation d'un panneau selon plans indexés de 8 m² maximum, installation d'une baie vitrée devant le rideau métallique, installation d'une terrasse en bois exotique selon plans indexés, agrandissement de l'ouverture entre les lots 1 et 2 avec mise en place d'une poutre IPN sous le contrôle de l'architecte du bailleur).

- de l'article 14-1, stipulant que d'une manière générale tout ce qui est susceptible de porter atteinte à l'esthétique de l'immeuble devait être soumis à l'approbation du bailleur et/ou de son architecte.

16. Ainsi, à la simple lecture du devis initial du 1er octobre 2020, qui décrivait des travaux d'ampleur significative, d'un montant de 45 975.60 euros, avec création d'une toiture avec verrière de 4.9 mètre sur 4.5 mètre, avec triple pergola venant s'adosser sur les murs extérieurs de l'immeuble, et qui modifiait de manière évidente l'esthétique extérieure de l'immeuble au vu des photographies insérées au devis, la société Eat&Joy, professionnelle de la restauration, exploitant depuis 4 ans un restaurant à l'enseigne Bistro Régent, ne pouvait ignorer que l'accord du bailleur et l'obtention des autorisations administratives étaient nécessaire, non pas au stade du montage des éléments livrés, mais lors de la conception même du projet, avant la commande et la signature d'un contrat de location financière avec la société Corhofi.

Par ailleurs, la preuve n'est nullement rapportée que, lors de la prise de cotes par un représentant de la société Aléas Business, il ait été convenu oralement que l'entrepreneur serait son affaire d'obtenir toutes les autorisations administratives nécessaires, tant auprès du bailleur que de la Mairie. Ce point est fermement contesté et aucun élément objectif ne vient corroborer les affirmations de l'appelante.

17. En toutes hypothèses, la société Aléas Business n'était pas tenue à une obligation de conseil, consistant à rappeler à un professionnel qu'il devait respecter les termes de son contrat de bail concernant l'accord de son bailleur et les autorisations administratives, et l'ignorance dont se prévaut à cet égard la société Eat&Joy ne peut être considérée comme légitime.

18. Dès lors, ce grief ne constitue pas un manquement grave de l'entrepreneur à ses obligations, justifiant la résiliation unilatérale du contrat.

19. Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de constat de commissaire de justice dressé à la requête de l'appelante le 5 septembre 2023 qu'un certain nombre d'éléments des pergolas ont été livrés sur site, mais qu'il manque la verrière, le moteur et le coffre.

20. Toutefois, dès lors que la société Eat&Joy a elle-même manqué de manière très significative à ses propres obligations, en omettant de régler l'acompte de 40 % du montant du devis exigible, ainsi que prévu dans une clause qui n'est pas de style mais renferme l'accord clair et univoque des parties, ce qui impliquait un paiement du premier acompte de manière spontanée, le défaut partiel de livraison ne peut constituer une cause justifiant la résolution unilatérale du contrat, au surplus sans mise en demeure préalable, ainsi qu'exigé par l'article 1126 du code civil (rien ne démontrant qu'une telle mise en demeure aurait été vaine, ni que la carence partielle de l'installateur ait été définitive et irrémédiable).

21. Enfin, il convient de rejeter le grief fondé sur l'absence de dépôt de dossier de permis de construire.

En effet, la société Eat&Joy, qui ne démontre pas que cette prestation devait être réalisée par l'entrepreneur dès la première commande au prix forfaitaire de 45'975,60 euros (le devis n°00942b émis le 21 mai 2020 n'en fait d'ailleurs nullement état) et qui avait accepté le principe de travaux supplémentaires et de payer une somme supplémentaire (soit 600 euros TTC) pour le dossier de permis de construire (qui devait donc être conforme aux nouveaux travaux envisagés), n'a pas pour autant donné suite au second devis du 15 avril 2021 d'un montant de 5306.40 euros TTC, qui incluait les travaux de création de plots en béton armé et de poteaux (avec laquage et thermolaquage), et la prestation relative au dossier de permis de construire pour 600 euros HT.

22. Ayant relevé que ce second devis n'avait pas été accepté, l'entrepreneur était fondé à informer le maître d'ouvrage, le 18 octobre 2021 que deux solutions étaient envisageables:

- soit la pergola était posée conformément au devis initial, sans les poteaux en acier sur plot béton, à charge pour le maître d'ouvrage de gérer ce point avec son propriétaire en se chargeant des autorisations d'urbanisme,

- soit le maître d'ouvrage acceptait le devis complémentaire avec les poteaux en acier et la demande de permis effectuée par l'entrepreneur.

23. La différence invoquée par l'appelante de 100 euros HT sur le prix de cette prestation n'apparaît pas sérieuse, dès lors que la société Aléas Business a produit pour sa part un devis n°01272 également en date du 15 avril 2021 (sa pièce 7), dans lequel elle proposait un prix de 500 euros pour la réalisation de la demande de permis de construire.

24. Il apparaît ainsi que la société Eat&Joy est à l'origine du blocage de la situation et du préjudice qu'elle invoque, de sorte que la résiliation du marché de travaux est injustifiée, faute de preuve d'une inexécution grave imputable à l'entrepreneur.

25. Dès lors que la société Eat&Joy ne peut utilement prétendre à l'application des dispositions des articles 1224, 1226 et 1229 du code civil, sur les conséquences de la résolution, elle ne peut davantage solliciter le bénéfice des dispositions qui en découlent relatives aux restitutions réciproques (articles 1352 à 1352-9).

26. Dès lors qu'elle a prononcé de manière injustifiée la résolution unilatérale du contrat, alors même que la relation contractuelle aurait pu aller à son terme, la société Eat&Joy doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre des frais exposés lors de la conclusion du contrat de location avec la société Corhofi (1454.387 euros) et de celle au titre de la perte de marge bénéficiaire, qui au demeurant n'a donné lieu à aucun justificatif comptable.

La demande relative à l'enlèvement des matériels sous astreinte est recevable en cause d'appel dès lors qu'elle constitue l'accessoire des demandes déjà présentées devant le tribunal.

Elle sera toutefois rejetée dès lors que rien ne justifie la condamnation sous astreinte de la société Aléas Business à reprendre à ses frais les matériels qu'elle avait livrés, avant résolution du contrat imputable à la société Eat&Joy.

Concernant les demandes en paiement de la société Aléas Business:

27. Dans la mesure où le maître d'ouvrage a notifié de manière injustifiée la résolution du marché à forfait, l'entrepreneur est fondé à solliciter le bénéfice des dispositions spéciales de l'article 1794 du code civil, qui lui permettent en pareil cas d'être dédommagé 'de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.'

28. En l'espèce, et au vu des pièces produites, il convient de fixer comme suit l'indemnisation due à l'entrepreneur:

- au titre des dépenses: la société Aléas Business justifie avoir commandé éléments de pergola à la société Alu Glass pour une somme de 29610.71 euros, selon facture F16461 du 7 février 2021 (livraison le 2 février 2021), où figure la référence Projet de construction: Bistro Régent Tresse. Cette somme a bien été payée par prélèvement SEPA le 31 mars 2021 d'un montant de [Localité 2].43 euros, avec d'autres factures, ainsi qu'en justifie la société Aléa Business par son relevé bancaire BPACA du 31 mars 2021 et la copie [Localité 5] livre des tiers Alu Glass (sa pièce13).

Elle a également commandé au titre du même chantier des matériels auprès de la société Marquises pour un montant de 4479 euros, selon facture du 12 février 2021 avec paiement par lettre de change au 15 mars 2021.

Il est ainsi justifié de dépenses pour un montant de 34089.71 euros.

- au titre du gain manqué: Il doit être calculé uniquement au titre du premier devis puisque le second n'a pas reçu approbation ni exécution.

L'entrepreneur a déduit à juste titre du montant de ce devis du 21 mai 2020 (45975.60 euros) le montant du matériel (34089.71 euros), et celui du poste Installation et mise en oeuvre (5688 euros) prévu au devis, soit un solde de 6197.89 euros.

En conséquence, le montant de l'indemnité due à l'entrepreneur sera fixé à la somme de 40 287.60 euros; le jugement sera infirmé sur ce point.

29. Compte tenu du caractère indemnitaire de la créance de l'entrepreneur, fixée par la juridiction sur le fondement de l'article 1794 du code civil, les dispositions de l'article L.411-10 du code de commerce ne sont pas applicables.

Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les intérêts sont dus sur le montant de la condamnation à compter du 19 juin 2023, date du jugement du tribunal de commerce.

Sur les demandes accessoires:

30. Dès lors que la société Eat&Joy échoue dans la plus grande partie de ses prétentions devant la cour, les dépens de l'appel seront mis à sa charge.

Il est équitable d'allouer à la société Aléas Business une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Eat&Joy supportera ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 19 juin 2023, en ce qu'il a condamné la société Eat & Joy SAS à payer à la société Aleas Business SARL la somme de 45'975 euros ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 40 287.60 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2023,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande de la société Eat&Joy tendant à voir condamner sous astreinte la société Aléas Business à reprendre les éléments de la pergola décrits dans le procès-verbal de constat du 5 septembre 2023 dressé par Maître [N] [V], commissaire de justice,

Condamne la société Eat & Joy aux dépens d'appel,

Condamne la société Eat & Joy à payer à la société Aleas Business la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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