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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 23 septembre 2025, n° 24/07885

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/07885

23 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4AF

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/07885 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W5WV

AFFAIRE :

[N] [H]

C/

SELARL ML CONSEILS

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Novembre 2024 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° chambre : 8

N° RG : 2024P00888

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Frédérique THUILLEZ

Me Fabienne FOURNIER LA TOURAILLE

PG

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT :

L'entrepreneur Individuel [N] [H]

Ayant son siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Frédérique THUILLEZ, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 513

Plaidant : Me François-pierre LANI de la SCP DERRIENNIC & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0426 -

****************

INTIMES :

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 5]

[Localité 6]

S.E.L.A.R.L. ML CONSEILS Prise en la personne de Maître [R] [G] agissant en qualité de liquidateur de Monsieur [N] [H], fonction à laquelle elle a été désignée par jugement du Tribunal de Commerce de VERSAILLES en date du 21 novembre 2024.

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Fabienne FOURNIER LA TOURAILLE de la SELARL CABINET FOURNIER LA TOURAILLE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 80 - N° du dossier 16.237

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mars 2025, Madame Gwenael COUGARD, conseillère ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 27 février 2025 a été transmis le 3 mars 2025 au greffe par la voie électronique.

EXPOSE DU LITIGE

Le 23 septembre 2024, le ministère public a déposé une requête aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement ou subsidiairement en liquidation judiciaire à l'égard de M. [H], entrepreneur individuel.

Le 21 novembre 2024, par jugement réputé contradictoire, le tribunal de commerce de Versailles a :

- constaté l'absence de M. [H] et son état de cessation des paiements ;

- ouvert une procédure de liquidation judiciaire sans distinction de patrimoine à l'égard de M. [H] ;

- fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 16 novembre 2023 ;

- désigné la SELARL ML Conseils, prise en la personne de M. [G], en qualité de liquidateur ;

Le 20 décembre 2024, M. [H] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.

Par dernières conclusions du 31 janvier 2025, il demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer le jugement du 21 novembre 2024 en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

- constater son absence d'état de cessation des paiements ;

A titre subsidiaire :

- infirmer le jugement du 21 novembre 2024 en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

- ouvrir une procédure de redressement judiciaire à son égard ;

- ouvrir une nouvelle période d'observations à 6 mois ;

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Versailles pour la désignation des organes de procédures et la poursuite de la procédure ;

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

Par dernières conclusions du 27 février 2025, la société ML Conseils demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [H] de toutes ses demandes ;

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 2 500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.

Le 27 février 2025, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour infirme le jugement entrepris en tous points, sauf à ce que les éléments évoqués par l'appelant ne soient pas démontrés, en considérant que l'appelant n'est pas en état de cessation des paiements, et à titre subsidiaire, qu'une procédure de redressement judiciaire soit ouverte.

Le 6 mars 2025, le premier président a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 février 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

A l'audience, l'ordonnance de clôture a été révoquée, pour permettre l'accueil de nouvelles pièces, et une nouvelle ordonnance de clôture a été rendue.

MOTIFS

Sur l'annulation du jugement

Réponse de la cour

L'article 562 du code de procédure civile dispose que « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. »

La cour constate que les moyens développés par l'appelant qui pourraient tendre à l'annulation du jugement sont sans objet, puisque la cour n'est saisie d'aucune demande d'annulation et qu'ils ne sont pas de nature à conduire à une réformation. Il est en effet demandé, au dispositif des conclusions de M. [H], l'infirmation du jugement à titre principal, sans que l'annulation de la décision des premiers juges ne soit demandée.

En conséquence, la cour n'est pas saisie de cette demande d'annulation.

Sur la demande de redressement judiciaire

M. [H] conteste être en état de cessation des paiements ; il affirme que le montant de la dette locative ne s'élevait pas à une somme de plus de 20 000 euros, compte tenu des règlements effectués, et qu'en conséquence elle n'était que de 3 491 euros à la date de la saisine du tribunal de commerce ; il ajoute qu'il a respecté l'échéancier consenti par le bailleur, de sorte qu'elle s'élevait à la date du jugement à une somme de 2 981 euros.

Il fait état par ailleurs d'actifs disponibles supérieurs au passif exigible, en considérant l'existence de soldes créditeurs réguliers attestant d'une trésorerie disponible permettant de faire face à ce passif.

Il souligne également que l'état descriptif et estimatif des actifs dépendant de la procédure de liquidation judiciaire, daté du 10 janvier 2025, liste les machines dont il dispose pour son exercice professionnel, et conclut à un actif d'exploitation à hauteur de 5 100 euros et un actif de réalisation à hauteur de 2 550 euros.

Enfin il évoque le journal des ventes de l'année 2024 qui vise des factures en attente de paiement à hauteur de 18 835 euros, et dit ne pas avoir encore facturé ses clients pour les factures datées entre décembre 2024 et janvier 2025, pour un montant de 44 230 euros.

En réponse, la société ML Conseils expose que seul le passif professionnel est évoqué, qu'aucun élément n'est versé concernant le passif personnel, M. [H] ne versant aucun élément permettant d'exclure l'existence d'autres dettes. Elle observe de surcroît que l'actif détenu par ses soins ès qualités depuis la liquidation est inexistant, que le compte bancaire de M. [H] était débiteur au 31 octobre 2024 à hauteur de 365,26 euros. Elle rappelle ensuite que s'agissant de l'actif disponible, l'inventaire dressé par le commissaire-priseur, ou le stock existant ne peut être pris en compte, car cet actif n'est pas immédiatement mobilisable et ne représente pas de l'actif disponible. Elle exclut également de l'actif disponible les prétendues rentrées d'argent à venir à hauteur prétendument de 44 230 euros et 18 835 euros pour des ventes futures ou des chantiers futurs.

1 - Sur la cessation des paiements :

Il se déduit de l'article L. 631-1 du code de commerce qu'est en cessation des paiements tout débiteur dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible et que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

Si le débiteur n'allègue pas pour faire face à son passif exigible disposer d'un actif disponible suffisant, la preuve du passif exigible par le créancier suffit à prouver l'état de cessation des paiements (voir par exemple Com., 5 mai 2015, pourvoi n° 14-13.935)

En effet, il est établi que la saisine du tribunal de commerce par le ministère public a fait suite à une dette locative importante, que le ministère public a fait état alors d'un passif exigible ancien et avéré. En raison de cette dette locative, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a condamné M. [H] à payer au bailleur une provision de 20 091 euros au titre des loyers et charges impayées arrêtés au mois de novembre 2023 et ordonné son expulsion des lieux loués.

Il est certain qu'à hauteur d'appel, M. [H], qui a constitué avocat, ne prétend pas, pour faire face à ce passif exigible, disposer d'un quelconque actif, faisant ainsi ressortir, en l'état des conclusions de ce dernier qui se borne à dire être en attente du paiement de factures par ses clients, l'existence de la cessation des paiements. (Com., 5 mai 2015, pourvoi n° 14-13.935)

De plus, le passif professionnel de M. [H] peut être évalué, en considérant les éléments versés à hauteur de cour, à la somme de 11 355,99 euros, constituée d'une dette locative (qui s'élève désormais à 9 760, 96 euros), une dette Orange (923,45 euros), enfin une dette due à la société Leitz (671,58 euros).

Il prétend qu'un moratoire est en cours avec son bailleur pour le règlement de la dette locative, mais n'en justifie pas.

Il verse également des extraits de son compte bancaire, qui font apparaître un solde créditeur de 917,29 euros au 31 août 2024.

M. [H] argue des ventes réalisées au cours de l'année 2024 pour un montant global de 18 835 euros, dont les factures sont en attente de paiement. Cependant, si le montant d'une créance à recouvrer peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, être ajouté à l'actif disponible (voir par ex. Com., 7 février 2012, pourvoi n° 11-11.347), M. [H] ne donne aucune précision quant à la date à laquelle il sera payé de ces sommes. Aucune circonstance ne justifie de faire figurer ces créances à l'actif.

De même, ni les actifs inventoriés par le commissaire de justice ni les devis établis entre décembre 2024 et janvier 2025 ne constituent des actifs disponibles.

Par ailleurs, M. [H] ne verse aucun élément pour établir l'état de son patrimoine personnel, ce alors même que la liquidation judiciaire prononcée a visé à la fois son patrimoine professionnel et son patrimoine personnel.

Les documents communiqués à hauteur de cour ne permettent pas de démontrer la réalité d'un actif disponible supérieur au passif exigible, de sorte qu'il est établi une situation de cessation des paiements. Le jugement est confirmé de ce chef.

2- Sur le redressement judiciaire :

Selon les articles L. 640-1 et L. 640-2 du code de commerce, la liquidation judiciaire est une procédure collective ouverte à toute personne exerçant une activité commerciale en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

M. [H] verse à hauteur de cour un document intitulé « plan de trésorerie » établi sur 4 mois et la liasse fiscale de l'exercice 2023.

Il est difficile d'établir le sérieux des perspectives de redressement alléguées par M. [H], dont il faut rappeler qu'il a fait l'objet d'une décision d'expulsion qui a été exécutée, de sorte qu'il n'a plus de local professionnel à sa disposition. Il n'explique pas la façon dont la reprise de son activité s'est déroulée, ni même si cette reprise a eu lieu après la décision d'arrêt de l'exécution provisoire.

Aucun élément n'est versé à hauteur de cour pour établir les conditions dans lesquelles il envisage de rétablir sa situation, et ne précise pas le lieu où il exerce désormais son activité professionnelle, ni les chantiers en cours, terminés, ou envisagés.

Bien qu'il n'explique pas comment à la suite de l'expulsion de son local professionnel, il a poursuivi son activité et malgré l'absence d'élément sur le lieu d'exercice de son activité professionnelle ou sur les chantiers en cours, terminés, ou envisagés, la cour retient que les pièces produites en appel, en particulier les liasses fiscales et le plan de trésorerie, même s'il n'est pas certifié par un expert-comptable, permettent de dire que son redressement n'est pas manifestement impossible.

Le jugement sera donc infirmé, une procédure de redressement judiciaire ouverte et une période d'observation fixée à trois mois.

Il n'y a pas lieu à désignation d'un administrateur judiciaire pour l'établissement du plan, en application des articles L.621-4 alinéa 4 et R. 621-11 du code de commerce.

Sur la date de cessation des paiements :

La cour ouvrant, par arrêt de ce jour, une procédure de redressement judiciaire après arrêt de l'exécution provisoire du jugement de liquidation, la date de cessation des paiements ne peut être fixée avant le 23 mars 2024, par application des articles L. 641-1 IV et L. 631-8 du code de commerce.

M. [H] est débiteur des échéances de loyers restées impayées qui ont conduit à la résiliation du bail et à son expulsion de ses locaux professionnels.

L'ordonnance de référé, qui a condamné M. [H] au paiement d'une provision, au titre d'une créance non sérieusement contestable, a été rendue le 2 février 2024.

Aucun autre élément, en particulier concernant le solde du compte bancaire à cette date, n'est versé.

A la date du 2 février 2024, l'état de cessation de paiement était constitué.

La date du 23 mars 2024 sera donc retenue comme la date de cessation des paiements.

Sur les demandes accessoires :

Les dépens de première instance et d'appel seront passés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire.

L'équité et la situation financière de M. [H] commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette la demande tendant à l'annulation du jugement,

Confirme le jugement en ce qu'il a dit M. [H] en état de cessation des paiements,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [H], dont le siège social est [Adresse 3], (numéro de SIRET : 448 374 892 00033),

Ouvre une période d'observation de trois mois à compter du présent arrêt,

Désigne M. [K] [P] en qualité de juge-commissaire,

Désigne la SELARL ML Conseils, prise en la personne de M. [R] [G], demeurant à [Adresse 7], en qualité de mandataire judiciaire,

Fixe la date de la cessation des paiements au 23 mars 2024,

Invite les délégués du personnel ou les salariés s'il en existe à désigner un représentant dans les conditions prévues par les articles L. 621-4 et L. 621-6 du code de commerce et à en communiquer le nom et l'adresse au greffe du tribunal de commerce de Versailles,

Fixe à huit mois à compter du présent arrêt le délai de dépôt, par le mandataire judiciaire, de la liste des créances mentionnée à l'article L. 624-1 du code de commerce,

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Versailles pour la poursuite de la procédure,

Rappelle que le greffe du tribunal de commerce de Versailles devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi,

Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de la procédure collective de redressement judiciaire.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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