Cass. crim., 30 septembre 2025, n° 24-85.132
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Maziau
Avocat général :
M. Tarabeux
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton, Mégret
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [B] [W] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé, accueil habituel à domicile et à titre onéreux de personnes âgées sans agrément et malgré mise en demeure, exercice illégal de la profession d'infirmière, escroquerie et faux et usage.
3. Par jugement du 27 juillet 2023, le tribunal correctionnel a relaxé Mme [W] des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux, l'a déclarée coupable des autres faits reprochés et a prononcé sur les peines et l'action civile.
4. Mme [W] a interjeté appel. Le ministère public a interjeté appel incident partiel.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [W] coupable des faits d'accueil habituel à domicile à titre onéreux de personnes âgées sans agrément et malgré mise en demeure ainsi que du travail dissimulé, et a prononcé sur les peines et sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que l'article L. 443-9 du code de l'action sociale et des familles, porte atteinte au principe de clarté et de précision de la loi pénale en ce que le texte d'incrimination vise tout accueil habituel à domicile et à titre onéreux de personnes âgées sans agrément malgré mise en demeure sans autre considération notamment liée à l'état de dépendance de la personne hébergée ou de soins nécessités, et sans aucune précision relative à l'âge de la personne accueillie ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et de constater, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution ;
2°/ qu'en toute hypothèse, l'infraction d'accueil habituel à domicile à titre onéreux de personnes âgées sans agrément et malgré mise en demeure n'est caractérisée que lorsque l'ensemble des soins infirmiers et médicaux répondant aux besoins de la personne hébergée sont directement fournis et facturés par l'accueillant ; qu'en se bornant, pour entrer en voie de condamnation, à retenir que « les prestations d'aide à domicile, voire de soins infirmiers (préparation des piluliers et mesures de contention) étaient le plus souvent effectuées par Mme [B] [W] ou par des personnes recrutées par cette dernière au bénéfice des personnes âgées hébergées au sein de la structure litigieuse ; ces services étaient par ailleurs facturés au titre d'un forfait global incluant des prestations » sans caractériser que l'ensemble des soins répondant aux besoins de la personne hébergée étaient réalisés par l'accueillant lui-même et non par des tierces personnes, telles que des infirmières, directement rémunérées par l'hébergé, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé tous les éléments constitutifs de l'infraction, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 441-1 et L. 443-9 du code de l'action sociale et des familles et du principe de légalité des délits et des peines ;
3°/ qu'en toute hypothèse, l'autorité de chose jugée en plein contentieux ne s'impose au juge répressif que dans la mesure où la demande est formée entre les mêmes parties, pour le même objet et en se fondant sur une cause identique ; qu'en se fondant sur l'arrêt rendu le 16 mai 2023 par la cour administrative d'appel de Versailles pour retenir que l'activité de Mme [W] ne pouvait être qualifiée de location meublée non professionnelle cependant qu'une telle décision n'avait pas autorité de chose jugée puisque la procédure administrative ne concernait pas les mêmes parties, la cour d'appel a violé l'article 6 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée. »
Réponse de la Cour
7. Le moyen ne peut qu'être écarté pour les motifs qui suivent.
8. D'une part, la première branche est devenue sans objet dès lors que, par arrêt du 25 février 2025, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 443-9 du code de l'action sociale et des familles soulevée par Mme [W].
9. D'autre part, l'article L. 443-9 précité n'exige pas, pour que l'infraction soit caractérisée, que les soins infirmiers et médicaux prodigués, le cas échéant, à la personne hébergée soient fournis et facturés par l'accueillant.
10. Enfin, la troisième branche manque en fait dès lors que les juges se sont bornés à mentionner la décision de la juridiction administrative invoquée au moyen sans se fonder sur elle pour caractériser le délit reproché.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris sur l'ensemble de ses dispositions civiles, alors « que la contradiction de motifs équivaut à son absence ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné Mme [W] à payer la somme de 1 000 euros à l'ordre des infirmiers d'Eure-et-Loir et du Loiret en réparation du préjudice qu'il aurait subi, cependant qu'elle constatait que « M. [F] en qualité d'ayant droit de Mme [H] [F] n'a pas formulé de demandes de dommages et intérêts. Il en est de même pour l'ordre des infirmiers d'Eure et Loir et du Loiret », la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Prononçant sur l'action civile, l'arrêt attaqué confirme dans son dispositif les dispositions civiles du jugement ayant alloué des dommages et intérêts à l'ordre des infirmiers d'Eure-et-Loir et du Loiret au titre de son préjudice moral, après avoir relevé que cette partie civile, intimée, n'était pas représentée et n'a pas, à hauteur d'appel, formulé de demande de dommages et intérêts.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui était tenue de statuer sur l'action de la partie civile, laquelle n'avait pas cessé de demeurer partie au procès, a justifié sa décision.
14. En effet, les dispositions de l'article 425 du code de procédure pénale sont inconciliables avec les effets de l'appel qui a saisi les juges du second degré de sorte que ce texte doit être considéré comme sans application en cause d'appel, nonobstant les termes de l'article 512 dudit code.
15. Le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [W] à une peine de deux ans d'emprisonnement assortie partiellement à hauteur d'un an d'un sursis simple à titre principal, rejeté sa demande de restitution de son ordinateur, et prononcé à son encontre l'interdiction définitive d'exercer une profession en rapport avec les personnes âgées et l'interdiction définitive d'exercer la profession d'infirmière, à titre de peine complémentaire, alors :
« 3°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu'en condamnant Mme [W] à une interdiction définitive d'exercer une profession en rapport avec les personnes âgées et à une interdiction définitive d'exercer la profession d'infirmière en se fondant sur la seule gravité des faits et de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 132-1 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en toute hypothèse, la peine définitive d'exercer une profession ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et au droit au respect des biens du condamné ; qu'en condamnant Mme [W] à une interdiction définitive d'exercer une profession en rapport avec les personnes âgées et à une interdiction définitive d'exercer la profession d'infirmière, sans rechercher si cette peine était strictement nécessaire au regard du droit de Mme [W] à exercer la profession de son choix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et des articles 132-1 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
17. Pour prononcer sur les peines d'interdiction professionnelle, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 132-1 du code pénal, énonce, par des motifs communs à l'ensemble des peines, qu'il ressort du rapport d'enquête sociale rapide que Mme [W], dont le bulletin n° 1 du casier judiciaire ne comporte pas de mention, est divorcée.
18. Les juges ajoutent qu'elle a trois enfants qui sont majeurs et indépendants, qu'elle est à la retraite depuis mars 2021, qu'elle perçoit à ce titre des pensions de retraite de 1 389 et 364 euros par mois, qu'elle a un crédit de 800 euros par mois et qu'elle n'habite plus dans le logement de sa fille.
19. Ils retiennent enfin la particulière gravité des faits tenant notamment aux circonstances de leur commission, et à la personnalité de Mme [W] qui a sciemment persisté dans la fraude qu'elle a organisée dans un but de satisfaire ses besoins économiques sans se soucier de la santé ou de la sécurité des personnes âgées hébergées.
20. En l'état de ces énonciations, qui établissent qu'elle s'est prononcée au regard de la gravité des faits et des éléments connus relatifs à la personnalité et à la situation personnelle de leur auteur, et dès lors que lorsque plusieurs peines sont prononcées, les motifs peuvent être communs à celles-ci, la cour d'appel a justifié sa décision.
21. Le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme :
22. Il se déduit de ce texte que le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale portée par la peine d'interdiction d'exercer une profession qu'il prononce lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsque cette peine n'a été ni prononcée en première instance ni requise par le ministère public.
23. Pour condamner la prévenue, en application des dispositions de l'article L. 8224-3 du code du travail, à la peine complémentaire d'interdiction définitive d'exercer une quelconque profession en relation avec des personnes âgées, l'arrêt attaqué énonce que la gravité des faits commis et la personnalité de la prévenue, qui ne se remet nullement en question, malgré les éléments de l'enquête qui démontrent sa culpabilité de manière accablante, justifient cette interdiction définitive dès lors qu'elle s'applique à l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction de travail dissimulé a été commise.
24. Ils ajoutent que, pour les mêmes motifs, il y a lieu d'interdire, à la prévenue, de manière définitive, l'exercice de la profession d'infirmière.
25. En statuant ainsi, la cour d'appel, en ce qu'elle a prononcé la peine d'interdiction définitive d'exercer la profession d'infirmière, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
26. En effet, il résulte des notes d'audience devant la cour d'appel que, si l'interdiction d'exercer une quelconque profession en relation avec des personnes âgées a été requise, l'interdiction définitive d'exercer la profession d'infirmière n'a été ni prononcée en première instance ni requise par le ministère public, de sorte qu'il appartenait aux juges de rechercher si l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée de la prévenue par cette dernière peine était proportionnée.
27. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation sera limitée aux peines, prises dans leur ensemble, dès lors que ni la déclaration de culpabilité ni l'action civile n'encourent la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 2 juillet 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;