CA Lyon, 3e ch. a, 18 septembre 2025, n° 21/08773
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 21/08773 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N7QE
Décision du
Tribunal de Commerce de ROANNE
Au fond
du 03 novembre 2021
RG : 2021f00005
ch n°
S.A.S. [10]
S.A.R.L. [9] SARL
C/
[R]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 18 Septembre 2025
APPELANTES :
La société [10],
société par actions simplifiée au capital de 17.709.285 €, immatriculée au RCS de ROANNE sous le n°533 648 523, prise en la personne de son représentant légal
Sis [Adresse 3]
[Localité 1]
Et
La société [9],
société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois au capital de
212.500 €, immatriculée au RCS du LUXEMBOURG sous le n° B 152525, prise en la personne de son représentant légal.
Sis [Adresse 2],
[Localité 12]
Représentées par Me Gaëlle DELAIRE, avocat au barreau de LYON, toque : 1822
INTIMEE :
Madame [N] [R],
née le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 13],
demeurant [Adresse 4],
([Localité 6]
Présente et représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, avocat postulant et Me Benoit JAVAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
******
Date de clôture de l'instruction : 10 Janvier 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Juin 2025
Date de mise à disposition : 18 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS [8] est une société française spécialisée dans le prêt à porter et les accessoires féminins. Elle exploite son activité sous l'enseigne La Fée Maraboutée, créée à Roanne en 1996.
La SAS [10], immatriculée au RCS de Roanne sous le numéro 533 648 523, est une société holding qui détient indirectement 100 % de la société [8], dont elle est présidente.
La société [10] est détenue majoritairement par la SARL [9], société luxembourgeoise, détenue elle-même par le fonds [14].
Elle est dirigée par un président, assisté d'un directoire, sous la supervision d'un conseil de surveillance, composé de cinq membres au plus, personnes physiques ou morales, nommés par décision collective des associés
Par décision du conseil de surveillance du 24 janvier 2018, Mme [N] [R] a été nommée en qualité de président de la société [10], pour une durée indéterminée.
Deux lettres d'engagement des 20 et 23 octobre 2017 avaient été signées préalablement entre la société [10] et Mme [R] fixant les termes et conditions de leur collaboration, attribuant à celle-ci une rémunération annuelle brute de 220 000 euros payable en douze mensualités, complétée par un bonus annuel maximum de 60 000 euros variable en fonction de l'atteinte d'objectifs annuels de performance et une assurance GSC souscrite par la société d'une durée de 18 mois.
Aux termes de ces lettres d'engagement, il était également prévu de donner la possibilité à Mme [R] de devenir associée de la société [10] « dans des termes préférentiels et très attractifs ».
Les termes de ces engagements ont été validés par le conseil de surveillance le 24 janvier 2018.
Mme [R] a ainsi investi la somme de 21 000 euros pour acquérir un million d'actions ordinaires de la société [10] et a, le 28 janvier 2019, adhéré au pacte d'actionnaires conclu entre les titulaires des titres émis par les sociétés [10] et [9].
Le même jour, Mme [R] s'est engagée, dans le cadre d'une promesse de vente, à céder l'ensemble des titres détenus dans la société [10] en cas de cessation de ses fonctions.
Mme [R] a été révoquée de son mandat social le 9 octobre 2019, avec effet immédiat, par décision prise par le conseil de surveillance.
A la suite de cette révocation, la société [9] a notifié à Mme [R] l'exercice de son option d'achat sur le million d'actions qu'elle détenait dans le capital social pour un prix de 2 euros, par courrier du 12 novembre 2019.
Par lettre du 25 novembre 2020, Mme [R] a sollicité auprès des représentants de la société [10] et du fonds d'investissement [14], actionnaire majoritaire du groupe, ainsi que des dirigeants de la société [9], la communication :
- des éléments et justificatifs détaillés du calcul présenté dans la notification d'exercice de l'option de rachat de ses actions,
- de la copie de l'annexe contractuelle au procès-verbal des décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018.
Elle a également sollicité le règlement de 18 mois d'indemnités d'assurance perte d'emploi GSC et de son bonus au titre de l'exercice 2019.
Ces demandes n'ayant pas été satisfaites, elle a fait assigner les sociétés [10] et [9] devant le tribunal de commerce de Roanne, par acte du 24 décembre 2020, afin de voir juger que la révocation de son mandat de présidente de la société [10] était brutale et vexatoire et d'obtenir la condamnation des défenderesses au paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices, d'un solde de rémunérations, du bonus dû sur l'exercice 2019, des indemnités d'assurance perte d'emploi et du prix correspondant à la valeur de ses actions.
Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021, le tribunal de commerce de Roanne a :
Sur les modalités de la révocation de Mme [N] [R] :
- considéré que la révocation de Mme [R] par le conseil de surveillance a été accompagnée de circonstances brutales et vexatoires,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R], la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019, avec capitalisation des intérêts à compter du 24 décembre 2020,
Sur la demande de Mme [R] de faire retirer par la société [10] du site www.infogreffe.fr l'extrait du procès-verbal du conseil de surveillance contenant les motifs de sa révocation et le remplacer par un extrait ne mentionnant pas les motifs, sous astreinte :
- ordonner à la société [10] d'effectuer ce remplacement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de la présente décision,
Sur la demande de condamnation des défendeurs à verser à Mme [R] une indemnité de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018 :
- débouté Mme [R] de cette demande,
Sur la demande en paiement de la somme de 51 315 euros au titre du bonus dû sur l'exercice 2019 :
- considéré que le bonus au titre de l'exercice 2019 est dû à Mme [R],soit une somme brute de 46 650 euros,
- débouté cette dernière pour la somme de 4 665 euros qu'elle a sollicitée au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés calculée sur cette somme,
- dit par contre que le paiement de cette somme est dû par la société [10], seule signataire de l'annexe susvisée constitutive d'un contrat et ne peut être mis à la charge de la société [9] par la voie d'une condamnation in solidum,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
- rejeté la condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses,
Sur la demande en paiement de la somme de 154 057,28 euros pour défaut d'exécution par la société [10] et la société [9] de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC :
- fixé le montant dû à Mme [R] à la somme de 149 032,95 euros,
- dit par contre que le paiement de cette somme est dû par la société [10], seule signataire de l'engagement contractuel et ne peut être mis à la charge de la société [9] par la voie d'une condamnation in solidum,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
- rejeté la condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses,
Sur la demande en paiement du prix correspondant à la valeur des actions ordinaires acquises par Mme [R] dans le capital de la société [10] selon la méthode prévue par la promesse de vente du 28 janvier 2019, lequel prix ne pourra en tout état de cause pas être inférieur au prix d'acquisition de 21 000 euros :
- ordonné une expertise, tous les droits et moyens des parties demeurant réservés quant au fond, aux frais avancés par moitié entre les parties à savoir Mme [R] et la société [9],
- désigné en qualité d'expert, M. [W] [B] ' [Adresse 7], qui aura pour mission de :
' chiffrer le prix des actions en fonction de :
' la promesse de vente,
' l'EBITDA,
' l'excédent brut d'amortissement,
' moins la dette financière nette,
' se faire remettre tous documents et/ou éléments utiles,
' entendre les parties et tous sachants,
' se rendre sur les lieux, sans délais, les parties dûment convoquées et leurs conseils avisés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :
- débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts,
Sur l'exécution provisoire de ce jugement :
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement,
Sur la demande d'échelonnement :
- dit les défenderesses mal fondées en leur demande de délais de paiement et les a déboutées,
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- condamné solidairement les sociétés [10] et [9] à payer à Mme [R], la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens seront mis solidairement à la charge des défenderesses,
- liquidé les frais de greffe compris dans les dépens (article 701 du code de procédure civile) à la somme de 89,66 euros TTC (TVA=20%),
- rejeté comme inutiles et non fondés tous autres demandes, moyens et conclusions contraires des parties.
'
Par déclaration reçue au greffe le 10 décembre 2021, les sociétés [10] et [9] ont interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'elle a débouté Mme [R] de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018, rejeté sa demande de condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses au titre du bonus de l'exercice 2019 et de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC et rejeté sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n°21/08773.
Par déclaration d'appel reçue au greffe le 3 février 2022, les sociétés [10] et [9] ont inscrit un deuxième appel.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n° 22/01004.
Les deux procédures d'appel ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 février 2023.
'
L'expert a déposé son rapport le 3 juin 2022.
Par jugement rendu le 4 janvier 2023, le tribunal de commerce de Roanne a jugé que les conditions de mise en oeuvre de la promesse de vente du 28 janvier 2019 ont été respectées et a débouté Mme [R] de sa demande en paiement du prix correspondant à la valeur de ses actions.
Au terme de conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de leurs prétentions, les sociétés appelantes demandent à la cour, au visa des articles 1103 du code civil et 514 à 524 et 700 du code de procédure civile, de :
- les dire recevables et fondées en leur appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Sur les modalités de la révocation de Mme [R] :
' considéré que la révocation de Mme [R] par le conseil de surveillance a été accompagnée de circonstances brutales et vexatoires,
Sur la demande de condamnation de la société [10] à verser à Mme [R] des dommages intérêts pour révocation brutale et vexatoire :
' condamné la société [10] à payer à Mme [R], la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019,
Sur l'anatocisme :
' dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter du 24 décembre 2020, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
Sur la demande de condamnation in solidum de la société [10] et de la société [9] à verser à Mme [R] la somme de 51 315 euros au titre du bonus qui lui est contractuellement dû sur l'exercice 2019 :
' considéré que le bonus au titre de l'exercice 2019 est dû à Mme [R] soit une somme brute de 46 650 euros,
' condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
Sur la demande de condamnation in solidum de la société [10] et de la société [9] à verser à Mme [R] la somme de 154 057,28 euros pour défaut d'exécution de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dit GSC :
' fixé le montant dû à Mme [R] à la somme de 149 032,95 euros,
' condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dit GSC,
Sur la demande d'échelonnement :
' dit les défenderesses mal fondées en leur demande de délais de paiement et les en a déboutées,
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
' condamné solidairement la société [10] et la société [9] à payer à Mme [R], la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
En conséquence et statuant à nouveau,
- recevoir les concluantes en leurs écritures,
- les déclarer recevables et bien fondées,
A titre principal,
- dire et juger que Mme [R] ne justifie pas de circonstances brutales et vexatoires entourant sa révocation,
- dire et juger que Mme [R] ne bénéficie pas d'un droit garanti au versement d'un bonus annuel au titre de l'année 2019,
- dire et juger que les conditions d'attribution du bonus annuel au titre de l'année 2019 ne sont pas remplies,
- dire et juger que la période de couverture et les modalités de calcul de la garantie perte d'emploi GCS acceptée par Mme [R] ont été respectées,
- dire et juger que les conditions de mise en 'uvre de la promesse de vente du 28 janvier 2019 ont été respectées par la société [9],
En conséquence,
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- débouter Mme [R] de son appel incident formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021,
A titre subsidiaire,
- autoriser le règlement des condamnations prononcées selon un échéancier de 24 mois,
En tout état de cause,
- condamner Mme [R] à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [R] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Gaëlle Delaire, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, Mme [R] demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1 et suivants et 1240 du code civil, de :
- débouter les sociétés [10] et [9] de leur appel principal formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021 et, plus largement, de l'ensemble de leurs moyens, demandes et prétentions comme étant infondés,
- déclarer bien-fondé l'appel incident qu'elle forme à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021,
- infirmer à titre d'appel incident le jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021 en ce qu'il a :
' limité la condamnation de la société [10] à la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral pour révocation brutale et vexatoire, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019,
' rejeté la condamnation in solidum des sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 9 517,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018,
' limité la condamnation de la société [10] à la somme brute de 46 650 euros au titre de son bonus sur l'exercice 2019,
' limité la condamnation de la société [10] à la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
' rejeté la condamnation in solidum des deux défenderesses au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
' rejeté la condamnation in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral né postérieurement à sa révocation,
- infirmer le jugement de ces chefs et le confirmer pour le surplus,
Et, statuant à nouveau,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour révocation brutale et vexatoire avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2019 et prononcer l'anatocisme à compter du 24 décembre 2020, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 9 517,50 euros au titre des rémunérations lui revenant (indemnité compensatrice de congés payés) en tant que présidente de [10] sur la période allant du 24 janvier 2018 au 9 octobre 2019, avec intérêt au taux légal à compter du 9 octobre 2019 et prononcer l'anatocisme,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 51 315 euros au titre du bonus qui lui est contractuellement dû sur l'exercice 2019,
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 155 332,95 euros pour défaut d'exécution de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral,
Et, en tout état de cause, de :
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 26 mars 2024, les débats étant fixés au 12 juin 2025.
'
SUR CE
Sur le caractère brutal et vexatoire de la révocation de Mme [R] de son mandat social
Le tribunal a jugé que la révocation de Mme [R] de son mandat de présidente de la société [10] a été brutale au motif que le conseil de surveillance avait connaissance du climat social depuis plusieurs mois et que Mme [R] a été en difficulté pour préparer sa défense dans un délai de 24 heures alors qu'elle se trouvait à l'étranger.
Il a également considéré que la révocation est intervenue dans des circonstances vexatoires, Mme [R] ayant eu un traitement différent de celui de son prédécesseur et sa révocation ayant été prononcée avec effet immédiat, avec interdiction d'échanger avec ses collaborateurs et de consulter sa messagerie.
Les sociétés appelantes soutiennent, qu'en l'espèce, la révocation n'était pas brutale, dès lors que la dirigeante a eu connaissance des motifs de sa révocation et qu'elle a été mise en mesure de présenter ses observations, la jurisprudence n'exigeant pas l'écoulement d'un délai minimum entre la communication des motifs de révocation et la décision qui la prononce.
Elles estiment que la société [10] a respecté son obligation de loyauté dans l'exercice de son droit à révocation en informant Mme [R] que sa révocation était envisagée préalablement à l'entretien du 9 octobre 2019, en lui laissant un délai suffisant compte tenu des circonstances pour préparer sa défense, et en lui permettant de présenter ses observations et de répondre aux motifs de révocation énoncés lors de l'entretien.
Elles précisent que les circonstances exigeaient que la dirigeante soit convoquée rapidement en raison de plusieurs plaintes de salariés portant sur ses méthodes de management, auxquelles se sont ajoutées des accusations de harcèlement moral et des résultats financiers particulièrement décevants.
Elles reprochent à cet égard au tribunal de n'avoir pas tenu compte du contexte financier ou social de l'entretien avec l'intéressée.
Elles ajoutent que les conditions de la révocation n'étaient pas vexatoires en faisant valoir, d'une part, que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les motifs de révocation du prédécesseur de Mme [R] n'avaient pas à être pris en compte pour apprécier le caractère vexatoire de la révocation, et, d'autre part, que le procès-verbal de révocation de Mme [R] ne comporte aucun terme injurieux portant atteinte à son honneur ou à sa réputation et ne constitue pas une publicité malveillante des griefs émis à son encontre, ayant été retiré du site Infogreffe en exécution du jugement.
Elles affirment que la jurisprudence admet qu'une révocation puisse intervenir avec effet immédiat sans qu'il s'agisse d'une circonstance vexatoire et que la perte d'accès à la messagerie professionnelle de l'intimée était inhérente à la cessation de ses fonctions de présidente.
Mme [R] prétend que la révocation est abusive ou vexatoire lorsque le principe de loyauté n'est pas respecté.
Elle soutient que la révocation de son mandat social s'est déroulée dans des circonstances brutales car elle n'a disposé que de quelques heures pour préparer sa défense, ayant été convoquée le 8 octobre 2019 en fin d'après-midi à un entretien en vue de sa révocation prévue le lendemain, alors, d'une part, qu'elle se trouvait à l'étranger dans le cadre d'un déplacement professionnel connu des membres du conseil de surveillance et que rien ne justifiait une telle précipitation en l'absence d'urgence, et que, d'autre part, le délai de convocation de 3 jours prévu à l'article 12.4 des statuts n'a pas été respecté.Elle fait valoir, qu'au regard des accusations dont elle faisait l'objet, elle n'a pas pu préparer une défense sérieuse dans un aussi court délai que rien ne justifiait alors que les appelantes étaient informées depuis au moins quatre mois des prétendues pratiques managériales qui lui étaient reprochées.
Elle considère que l'expérience qu'elle a pu acquérir dans la direction d'autres entreprises n'exonéraient pas les appelantes de leur obligation de loyauté.
Elle ajoute que sa révocation est intervenue dans des circonstances vexatoires, notamment en ce qui concerne les termes employés dans le procès-verbal de révocation mais également le dépôt de celui-ci au registre du commerce et des sociétés en vue de sa publication, qui n'avait pas d'autre but que de lui nuire, la société [10] ayant refusé de lui substituer un extrait ne faisant pas apparaître les motifs de la révocation, en dépit de ses demandes.
Elle affirme que les circonstances vexatoires découlent également du fait que la société [10] ne lui a pas laissé la possibilité d'échanger avec ses collaborateurs, puisque la révocation est intervenue avec effet immédiat, seulement 48 heures après la convocation, ce qu'elle a ressenti comme une humiliation.
Aucune disposition légale ne régit la révocation du dirigeant de société par actions simplifiée et, ainsi que le soutiennent les sociétés appelantes, les conditions de révocation sont librement fixées par les statuts, tant en ce qui concerne les motifs de la révocation que sa mise en oeuvre.
En l'espèce, l'article 11.1.3 des statuts de la société [10] énonce que le président est révocable, à tout moment et sans préavis, par le conseil de surveillance, sans que cette révocation n'ait à être motivée ( ad nutum ).
La révocation est toutefois abusive et ouvre droit à réparation lorsqu'elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l'honorabilité du dirigeant ou lorsqu'elle a été décidée brutalement, sans que le principe du contradictoire ait été respecté.
Elle est ainsi abusive si elle est décidée sans que l'intéressé ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations, ce qui suppose qu'il ait eu connaissance des motifs invoqués à l'appui de sa révocation, quand bien même il s'agirait d'une révocabilité ad nutum.
Or, en l'espèce, si, comme le relèvent les sociétés appelantes, les statuts de la SAS [10] ne fixent aucun délai ni aucune modalité précise à respecter pour recueillir les observations du mandataire social préalablement à sa révocation, il résulte des débats et des éléments du dossier que Mme [R] a été informée par courriel du 8 octobre 2019 à 17h08 qu'elle était convoquée à la réunion du conseil de surveillance prévue le lendemain, 9 octobre 2019, à 19h30 en vue de l'examen de la révocation éventuelle de son mandat de présidente de la société, soit 24 heures avant cet entretien, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle se trouvait en déplacement professionnel à l'étranger.
Ce délai de 24 heures, inférieur au délai de trois jours prévu par les statuts pour convoquer le conseil de surveillance ( article 12.4 des statuts ), qui laissait d'autant moins de temps à l'intéressée pour préparer sa défense qu'elle se trouvait à l'étranger, était justifié, selon les appelantes, par le contexte social et financier qui exigeait une convocation rapide de la dirigeante.
Or, il résulte des pièces versées aux débats que les plaintes émanant de salariées, relatives aux méthodes de management de Mme [R], et les accusations de harcèlement moral remontent pour les premières au mois de juin et juillet 2019 et aucune des pièces produites ne démontre que d'autres plaintes ou accusations se sont ajoutées aux précédentes au début du mois d'octobre 2019, nécessitant une réunion en urgence du conseil de surveillance en vue de la révocation de la présidente de la société, étant observé que la première alerte adressée par la médecine du travail à la direction de la société [10] pour l'informer de l'existence de risques psychosociaux au sein de l'entreprise remonte au 19 juillet 2018.
Si Mme [X], responsable RH de la société [10], atteste avoir constaté, en septembre 2019, une recrudescence des personnes en souffrance, en précisant que le 7 octobre 2019, le médecin du travail lui avait fait part de son inquiétude car elle rencontrait des salariés depuis plusieurs mois avec des états anxieux en rapport avec une pression importante et un impact sur leur vie privée, rien n'établit que ces informations ont été portées à la connaissance des membres du conseil de surveillance.
Par ailleurs, les appelantes prétendent que les résultats financiers particulièrement décevants justifiaient cette convocation en urgence de la dirigeante, sans toutefois produire le moindre document comptable de la société relatif à cette période.
En conséquence, aucune circonstance ne justifiait que Mme [R] soit entendue dès le lendemain de sa convocation en vue de sa révocation, ce qui ne la mettait pas en mesure de présenter utilement des observations face aux griefs invoqués à son encontre.
Les qualifications professionnelles de haut niveau de l'intéressée et le fait qu'elle soit, comme l'affirment les appelantes, rompue à la vie des entreprises et aux fonctions de direction, ne sauraient justifier qu'elle soit privée du droit de se défendre.
C'est donc à raison que le tribunal a retenu que la révocation de Mme [R] a été décidée dans des circonstances brutales, caractérisant une déloyauté de la [15].
Les circonstances vexatoires qui ont accompagné la révocation de Mme [R] sont également caractérisées du fait du dépôt au registre du commerce et des sociétés, in extenso, du procès-verbal du conseil de surveillance du 9 octobre 2019, qui mentionne les motifs de la révocation, entraînant une publication du document en annexe au RCS, la société [10] donnant ainsi une publicité aux fautes reprochées à la dirigeante alors que l'obligation de procéder aux inscriptions modificatives en cas de changement de dirigeant n'imposait nullement une publication intégrale du procès-verbal.
En revanche, les termes employés dans le procès-verbal ne sont pas attentatoires à l'honorabilité de Mme [R] et le fait qu'elle ait été privée dès sa révocation de ses accès internet et téléphoniques et de son véhicule est inhérent à ses fonctions.
Le tribunal a ainsi pu justement retenir que la révocation de Mme [R] de son mandat de président était abusive et qu'elle ouvrait droit à réparation.
Les sociétés [10] et [9] reprochent au tribunal d'avoir accordé à l'intimée une indemnité de 30 000 euros sans caractériser le préjudice matériel et moral qui lui a été causé par la circonstance constitutive d'abus.
Mme [R] forme un appel incident sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués en réparation de son préjudice matériel et moral et sollicite l'allocation d'une somme de 50 000 euros pour tenir compte des lourdes accusations superfétatoires portées publiquement à son encontre alors que sa gestion était saluée, de son niveau de rémunération et de son âge à la date de sa révocation, le fait qu'elle ait créé sa société de conseil n'ayant aucune incidence sur ce préjudice.
Les dommages-intérêts susceptibles d'être alloués au dirigeant révoqué abusivement doivent réparer un préjudice distinct de celui résultant de la révocation elle-même et de la perte de fonctions.
En l'espèce, les circonstances brutales de la révocation de Mme [R] et la publicité qui a été donnée à celle-ci par la société [10], portant atteinte à sa réputation, ont causé un préjudice moral à l'intéressée qui a été justement réparé par les premiers juges par l'allocation d'une indemnité de 30 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2020, avec capitalisation des intérêts, le jugement méritant d'être confirmé sur ce point.
Sur la demande la demande en paiement formée au titre des congés payés
Le tribunal a débouté Mme [R] de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018 au motif qu'elle ne bénéficiait pas du statut de salarié.
Mme [R], appelante incidente, prétend que la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 prévoyait qu'elle bénéficierait de cinq semaines de congés payés, ce que prévoit également l'annexe contractuelle du 24 janvier 2018.
Elle fait valoir que les parties ont expressément fait référence à la terminologie du droit social, de sorte qu'elle bénéficie des mêmes dispositions légales qu'un salarié en la matière.
Elle ajoute qu'elle recevait chaque mois un véritable bulletin de paie détaillant ses cotisations et indemnités et que c'est par la volonté des parties que son mandat a été soumis aux mêmes règles qu'un salarié concernant les congés payés, les parties pouvant se soumettre volontairement à un régime légal qui serait inapplicable à défaut.
Elle reproche à la société [10] d'avoir omis de procéder au paiement de cette indemnité sur les bonus perçus de 2017 et 2018, laquelle est égale au dixième de la rémunération brute totale perçue.
Les sociétés [10] et [9] objectent que seul le contrat de travail ouvre des droits à congés payés, à l'exclusion du mandat social, et, qu'en l'espèce, aucun contrat de travail n'a été signé avec l'intimée.
Elles ajoutent que, par lettre du 3 octobre 2017, le groupe [8] a expressément rappelé à Mme [R] qu'elle ne bénéficiait pas du statut de salarié et qu'à aucun moment celle-ci n'a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de requalification de son contrat.
Il ne résulte aucunement des pièces produites que le mandat social de Mme [R] était assimilé à un contrat de travail salarié, ni que son statut était assimilable à celui d'un salarié, le courrier que lui a adressé le groupe [8], le 3 octobre 2017, préalablement à sa nomination en qualité de présidente de la société [10] mentionnant expressément que le statut du président est un statut de mandataire social non salarié.
Si la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 prévoit que Mme [R] bénéficiera de cinq semaines de congés payés par année calendaire complète exécutée, les parties n'ont pas convenu d'une compensation financière au titre de congés qui n'auraient pas été pris, ce qui était d'ailleurs expressément exclu par l'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la SAS [10] du 24 janvier 2018.
Le jugement déféré mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté Mme [R] de ce chef de demande.
Sur la demande en paiement formée au titre du bonus 2019
Au soutien de leur appel, les sociétés [10] et [8] maintiennent que Mme [R] n'a aucun droit acquis au bonus de l'année 2019 en faisant valoir que, selon la lettre d'engagement du 20 octobre 2017, le bonus annuel présente un caractère incertain, les parties ayant convenu que le président bénéficierait d'un bonus garanti au titre de l'exercice 2017, ce qui n'était pas prévu pour les exercices ultérieurs, à compter de 2018.
Elles soutiennent également que les objectifs fixés pour l'exercice 2019 n'ont pas été atteints, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, en précisant que les objectifs annuels de performance ont été fixés au début de l'exercice 2019 dans le budget annuel, que l'intimée a participé à l'établissement de ce budget et que, sur les deux critères fixés au budget, aucun n'a été atteint, à savoir l'EBITDA et la dette nette.
Elles en déduisent que, compte tenu de ces mauvaises performances financières, Mme [R] ne peut pas prétendre à un bonus et ajoutent que l'attribution du bonus est déterminée sur une période d'un an et que, sur la période de référence de 12 mois, aucune somme n'est due à l'intéressée qui a été révoquée avant le terme de cette période, la proratisation retenue par le tribunal n'étant pas possible.
Mme [R] prétend que le bonus contractuellement prévu doit lui être versé au titre de l'exercice 2019, dans sa totalité, que le mandat ait ou non été révoqué à la fin de l'exercice ouvrant droit à la perception d'un bonus.
Elle affirme que, lorsque la part variable dépend de la réalisation d'objectifs fixés unilatéralement par l'employeur, cette part doit être intégralement versée si l'employeur n'a ni précisé les objectifs ni fixé des conditions de calcul vérifiables.
Elle souligne que la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 et le procès-verbal du 24 janvier 2018 mentionnent l'octroi d'un bonus annuel d'un montant maximum de 60 000 euros avec des critères sur l'EBITDA, la dette financière et une part discrétionnaire, et précise avoir perçu, en 2019, la totalité du bonus annuel maximum sur l'exercice 2018, sans application des critères par la société [10], lesquels ne contiennent aucun élément pertinent permettant d'en déterminer les seuils de déclenchement.
Elle en déduit que la même logique doit s'appliquer pour l'exercice 2019 car aucun objectif n'a été déterminé, et que la période d'exercice des fonctions en 2019, de 282 jours, équivaut à un bonus proratisé de 46 650 euros.
Il résulte de la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 que Mme [R] devait percevoir une rémunération annuelle brute de 220 000 euros payable en douze mensualités à terme échu, à laquelle pourra s'ajouter un bonus annuel de 60 000 euros maximum déterminé en fonction de l'atteinte d'objectifs annuels de performance directement liés à hauteur de (I) 35 % de l'EBITDA de l'année, (II) 35 % sur le niveau de dette financière nette à fin d'année à BFR normatif, et (III) 30 % purement discrétionnaire, sur la base d'appréciations qualitatives (renforcement du territoire de la marque, pertinence de la collection, développements addictionnels, etc).
L'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018 reprend ces dispositions qui ont valeur contractuelle, ayant été signées par chacune des parties.
S'il résulte des termes contractuels que Mme [R] n'a pas de droit acquis au versement du bonus annuel, lequel ne lui était garanti à hauteur de 30 000 euros que pour l'exercice 2017, il appartient à la société [10] d'établir que les objectifs annuels de performance qui déterminaient son versement pour l'exercice 2019 ont été définis.
Or, contrairement à ce qu'affirment les appelantes, le budget de l'année 2019 ne détermine pas les objectifs de performance conditionnant le versement du bonus et aucune des pièces produites ne démontre davantage que les objectifs annuels n'auraient pas été atteints.
En s'abstenant de définir les objectifs annuels de performance qui conditionnaient le versement du bonus complétant la rémunération du dirigeant social, la société [10] a commis une faute et doit indemniser Mme [R], privée de sa rémunération variable faute de critère permettant de la déterminer, à hauteur de 45 000 euros, la dirigeante ayant perçu le bonus maximal annuel au titre de l'exercice 2018 et ayant été révoquée de ses fonctions au début du mois d'octobre 2019, et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la garantie perte d'emploi des dirigeants
Pour conclure à l'infirmation du jugement qui les a condamnées à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants, dite GSC, les sociétés [10] et [9] prétendent que Mme [R] a souscrit une demande d'affiliation au contrat GSC le 1er février 2018 qui prévoit que la garantie prend effet après application d'un délai d'attente de 12 mois à compter de la date de prise d'affiliation et qu'elle a parfaitement été informée de l'existence de ce délai de carence par courrier électronique du 11 octobre 2017.
Elles ajoutent que la durée maximale initiale de la garantie était de 12 mois et que l'intimée n'a jamais réclamé l'extension de la couverture à 18 mois, option qui n'aurait eu vocation à s'appliquer qu'à compter du 1er février 2020, à l'issue du délai de carence, alors que Mme [R] a été révoquée le 9 octobre 2019.
Elles en déduisent que c'est à tort que le tribunal a considéré que le délai de 12 mois n'avait pas vocation à s'appliquer.
L'intimée objecte que la société qui s'engage lors de la nomination d'un dirigeant à ce que celui-ci bénéficie en cas de révocation d'une garantie GSC d'une certaine durée et d'un certain montant est tenue par cet engagement et doit indemniser le dirigeant en cas d'absence de garantie ou de souscription d'une garantie différente.
Elle prétend que les sociétés [9] et [10] se sont engagées à ce qu'elle soit couverte par une garantie GSC correspondant à 70% de son salaire mensuel brut sur 18 mois dès une année de présence, condition qu'elle remplissait parfaitement à son départ de la société, ce qui résulte d'un courriel du 11 septembre 2017 et de la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 mais également de l'annexe contractuelle jointe au procès-verbal du conseil de surveillance du 24 janvier 2018.
Elle ajoute que la société [10] n'a pas respecté son engagement puisqu'elle lui a fait signer une demande d'affiliation d'une durée de 12 mois en lui indiquant qu'il était obligatoire de signer, la première année, une demande de 12 mois pour lancer la garantie de 18 mois, et que, postérieurement à sa révocation, la compagnie d'assurance l'a informée que ses droits au titre de la garantie étaient limités à une durée de 12 mois sur une base de 66 % de son salaire mensuel net, et non 70 % du salaire mensuel brut, qu'il revenait bien à la société [10] de souscrire, un an après la première adhésion, soit le 1er février 2019, une option de 18 mois, mais que cette option n'aurait été effective qu'après un nouveau délai de carence de 12 mois.
Elle en déduit qu'elle n'a pas perçu la garantie à laquelle elle avait droit tant sur la période de protection couverte que sur la base de calcul de son montant.
Il résulte de la lettre d'engagement signée le 20 octobre 2017 par la société [9] et Mme [R] que la société souscrira, pendant la durée du mandat social, une assurance GSC couvrant le risque de révocation du mandat social au sein de la société et maintiendra la prise en charge de l'intégralité des cotisations à ce régime d'assurance, ce qui est constitutif d'un avantage en nature en matière sociale et fiscale.
Il était expressément stipulé que l'assurance GSC souscrite par la société sera d'une durée de 18 mois et qu'elle indemnisera le dirigeant mensuellement pendant cette période à hauteur de 70 % de son salaire brut ( le montant maximum autorisé ) passé un délai de carence obligatoire de 12 mois.
Cet engagement est repris dans l'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018.
Or, dans la garantie souscrite auprès de la société [11], l'option d'indemnisation de 18 mois ne pouvait être souscrite qu'après un an d'adhésion et avec effet après un nouveau délai d'attente de 12 mois, ce qui ne correspond pas aux engagements contractuels des sociétés appelantes.
Il s'ensuit que les sociétés [9] et [10] qui n'ont pas respecté leur engagement de fournir à Mme [R] une assurance GSC pour une durée de 18 mois, mais uniquement pour une durée d'un an, ont commis un manquement contractuel dont elles doivent réparation.
Mme [R] prétend n'avoir perçu de la compagnie d'assurance que la somme de 144 967,05 euros sur 12 mois, alors qu'elle aurait dû percevoir une somme totale de 300 300 euros sur la période de 18 mois, subissant ainsi un manque à gagner de 155 332,95 euros.
Mme [R] justifie, au moyen de sa pièce n°23, qu'en application de la garantie souscrite auprès de la société [11], elle a perçu une indemnité journalière de 397,17 euros sur 12 mois, soit une somme de 144 032,95 euros, alors qu'elle aurait dû percevoir une somme de 217 450 euros sur une période de 18 mois, soit un manque à gagner de 73 417,05 euros que les sociétés [9] et [10], qui ont engagé leur responsabilité contractuelle, seront condamnées in solidum à lui payer, infirmant sur ce point le jugement déféré.
Sur la demande d'indemnisation d'un préjudice moral
Au soutien de sa demande indemnitaire, Mme [R] prétend que la jurisprudence reconnaît au dirigeant le droit d'être indemnisé de son préjudice moral personnel né postérieurement à l'exécution du mandat et affirme avoir été psychologiquement et physiquement affectée non seulement par sa révocation, mais aussi par les agissements postérieurs à sa révocation, ayant souffert d'un urticaire géant qui s'est déclenché un mois seulement après sa révocation et l'annonce du non respect de leurs engagements par les sociétés [10] et [9].
Cependant, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que les certificats médicaux produits par Mme [R] ne permettaient pas d'établir un lien entre les symptômes décrits par les médecins et les agissements reprochés aux sociétés appelantes.
Le jugement mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté l'intimée de ce chef de demande.
Sur la demande de délais de paiement
Les sociétés [10] et [9] ne fondent leur demande de délais de paiement sur aucun élément de droit ni de fait.
En outre, les condamnations prononcées par le tribunal, assorties de l'exécution provisoire, ont été exécutées.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés [10] et [9] de ce chef de demande.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les sociétés [10] et [9] qui succombent principalement en leur appel seront condamnées in solidum aux dépens d'appel.
En revanche, l'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses frais de procédure exposés en appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Roanne en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
L'infirme de ces chefs et, statuant à nouveau,
Condamne la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 45 000 euros au titre de la rémunération variable de l'année 2019,
Condamne in solidum les sociétés [9] et [10] à payer à Mme [R] la somme de 73 417,05 euros au titre du manquement à leur engagement contractuel de souscrire une assurance GSC d'une durée de 18 mois,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés [10] et [9] aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
La greffière La présidente
Décision du
Tribunal de Commerce de ROANNE
Au fond
du 03 novembre 2021
RG : 2021f00005
ch n°
S.A.S. [10]
S.A.R.L. [9] SARL
C/
[R]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 18 Septembre 2025
APPELANTES :
La société [10],
société par actions simplifiée au capital de 17.709.285 €, immatriculée au RCS de ROANNE sous le n°533 648 523, prise en la personne de son représentant légal
Sis [Adresse 3]
[Localité 1]
Et
La société [9],
société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois au capital de
212.500 €, immatriculée au RCS du LUXEMBOURG sous le n° B 152525, prise en la personne de son représentant légal.
Sis [Adresse 2],
[Localité 12]
Représentées par Me Gaëlle DELAIRE, avocat au barreau de LYON, toque : 1822
INTIMEE :
Madame [N] [R],
née le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 13],
demeurant [Adresse 4],
([Localité 6]
Présente et représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, avocat postulant et Me Benoit JAVAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
******
Date de clôture de l'instruction : 10 Janvier 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Juin 2025
Date de mise à disposition : 18 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS [8] est une société française spécialisée dans le prêt à porter et les accessoires féminins. Elle exploite son activité sous l'enseigne La Fée Maraboutée, créée à Roanne en 1996.
La SAS [10], immatriculée au RCS de Roanne sous le numéro 533 648 523, est une société holding qui détient indirectement 100 % de la société [8], dont elle est présidente.
La société [10] est détenue majoritairement par la SARL [9], société luxembourgeoise, détenue elle-même par le fonds [14].
Elle est dirigée par un président, assisté d'un directoire, sous la supervision d'un conseil de surveillance, composé de cinq membres au plus, personnes physiques ou morales, nommés par décision collective des associés
Par décision du conseil de surveillance du 24 janvier 2018, Mme [N] [R] a été nommée en qualité de président de la société [10], pour une durée indéterminée.
Deux lettres d'engagement des 20 et 23 octobre 2017 avaient été signées préalablement entre la société [10] et Mme [R] fixant les termes et conditions de leur collaboration, attribuant à celle-ci une rémunération annuelle brute de 220 000 euros payable en douze mensualités, complétée par un bonus annuel maximum de 60 000 euros variable en fonction de l'atteinte d'objectifs annuels de performance et une assurance GSC souscrite par la société d'une durée de 18 mois.
Aux termes de ces lettres d'engagement, il était également prévu de donner la possibilité à Mme [R] de devenir associée de la société [10] « dans des termes préférentiels et très attractifs ».
Les termes de ces engagements ont été validés par le conseil de surveillance le 24 janvier 2018.
Mme [R] a ainsi investi la somme de 21 000 euros pour acquérir un million d'actions ordinaires de la société [10] et a, le 28 janvier 2019, adhéré au pacte d'actionnaires conclu entre les titulaires des titres émis par les sociétés [10] et [9].
Le même jour, Mme [R] s'est engagée, dans le cadre d'une promesse de vente, à céder l'ensemble des titres détenus dans la société [10] en cas de cessation de ses fonctions.
Mme [R] a été révoquée de son mandat social le 9 octobre 2019, avec effet immédiat, par décision prise par le conseil de surveillance.
A la suite de cette révocation, la société [9] a notifié à Mme [R] l'exercice de son option d'achat sur le million d'actions qu'elle détenait dans le capital social pour un prix de 2 euros, par courrier du 12 novembre 2019.
Par lettre du 25 novembre 2020, Mme [R] a sollicité auprès des représentants de la société [10] et du fonds d'investissement [14], actionnaire majoritaire du groupe, ainsi que des dirigeants de la société [9], la communication :
- des éléments et justificatifs détaillés du calcul présenté dans la notification d'exercice de l'option de rachat de ses actions,
- de la copie de l'annexe contractuelle au procès-verbal des décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018.
Elle a également sollicité le règlement de 18 mois d'indemnités d'assurance perte d'emploi GSC et de son bonus au titre de l'exercice 2019.
Ces demandes n'ayant pas été satisfaites, elle a fait assigner les sociétés [10] et [9] devant le tribunal de commerce de Roanne, par acte du 24 décembre 2020, afin de voir juger que la révocation de son mandat de présidente de la société [10] était brutale et vexatoire et d'obtenir la condamnation des défenderesses au paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices, d'un solde de rémunérations, du bonus dû sur l'exercice 2019, des indemnités d'assurance perte d'emploi et du prix correspondant à la valeur de ses actions.
Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021, le tribunal de commerce de Roanne a :
Sur les modalités de la révocation de Mme [N] [R] :
- considéré que la révocation de Mme [R] par le conseil de surveillance a été accompagnée de circonstances brutales et vexatoires,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R], la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019, avec capitalisation des intérêts à compter du 24 décembre 2020,
Sur la demande de Mme [R] de faire retirer par la société [10] du site www.infogreffe.fr l'extrait du procès-verbal du conseil de surveillance contenant les motifs de sa révocation et le remplacer par un extrait ne mentionnant pas les motifs, sous astreinte :
- ordonner à la société [10] d'effectuer ce remplacement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de la présente décision,
Sur la demande de condamnation des défendeurs à verser à Mme [R] une indemnité de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018 :
- débouté Mme [R] de cette demande,
Sur la demande en paiement de la somme de 51 315 euros au titre du bonus dû sur l'exercice 2019 :
- considéré que le bonus au titre de l'exercice 2019 est dû à Mme [R],soit une somme brute de 46 650 euros,
- débouté cette dernière pour la somme de 4 665 euros qu'elle a sollicitée au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés calculée sur cette somme,
- dit par contre que le paiement de cette somme est dû par la société [10], seule signataire de l'annexe susvisée constitutive d'un contrat et ne peut être mis à la charge de la société [9] par la voie d'une condamnation in solidum,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
- rejeté la condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses,
Sur la demande en paiement de la somme de 154 057,28 euros pour défaut d'exécution par la société [10] et la société [9] de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC :
- fixé le montant dû à Mme [R] à la somme de 149 032,95 euros,
- dit par contre que le paiement de cette somme est dû par la société [10], seule signataire de l'engagement contractuel et ne peut être mis à la charge de la société [9] par la voie d'une condamnation in solidum,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
- rejeté la condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses,
Sur la demande en paiement du prix correspondant à la valeur des actions ordinaires acquises par Mme [R] dans le capital de la société [10] selon la méthode prévue par la promesse de vente du 28 janvier 2019, lequel prix ne pourra en tout état de cause pas être inférieur au prix d'acquisition de 21 000 euros :
- ordonné une expertise, tous les droits et moyens des parties demeurant réservés quant au fond, aux frais avancés par moitié entre les parties à savoir Mme [R] et la société [9],
- désigné en qualité d'expert, M. [W] [B] ' [Adresse 7], qui aura pour mission de :
' chiffrer le prix des actions en fonction de :
' la promesse de vente,
' l'EBITDA,
' l'excédent brut d'amortissement,
' moins la dette financière nette,
' se faire remettre tous documents et/ou éléments utiles,
' entendre les parties et tous sachants,
' se rendre sur les lieux, sans délais, les parties dûment convoquées et leurs conseils avisés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :
- débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts,
Sur l'exécution provisoire de ce jugement :
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement,
Sur la demande d'échelonnement :
- dit les défenderesses mal fondées en leur demande de délais de paiement et les a déboutées,
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- condamné solidairement les sociétés [10] et [9] à payer à Mme [R], la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens seront mis solidairement à la charge des défenderesses,
- liquidé les frais de greffe compris dans les dépens (article 701 du code de procédure civile) à la somme de 89,66 euros TTC (TVA=20%),
- rejeté comme inutiles et non fondés tous autres demandes, moyens et conclusions contraires des parties.
'
Par déclaration reçue au greffe le 10 décembre 2021, les sociétés [10] et [9] ont interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'elle a débouté Mme [R] de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018, rejeté sa demande de condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses au titre du bonus de l'exercice 2019 et de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC et rejeté sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n°21/08773.
Par déclaration d'appel reçue au greffe le 3 février 2022, les sociétés [10] et [9] ont inscrit un deuxième appel.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n° 22/01004.
Les deux procédures d'appel ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 février 2023.
'
L'expert a déposé son rapport le 3 juin 2022.
Par jugement rendu le 4 janvier 2023, le tribunal de commerce de Roanne a jugé que les conditions de mise en oeuvre de la promesse de vente du 28 janvier 2019 ont été respectées et a débouté Mme [R] de sa demande en paiement du prix correspondant à la valeur de ses actions.
Au terme de conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de leurs prétentions, les sociétés appelantes demandent à la cour, au visa des articles 1103 du code civil et 514 à 524 et 700 du code de procédure civile, de :
- les dire recevables et fondées en leur appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Sur les modalités de la révocation de Mme [R] :
' considéré que la révocation de Mme [R] par le conseil de surveillance a été accompagnée de circonstances brutales et vexatoires,
Sur la demande de condamnation de la société [10] à verser à Mme [R] des dommages intérêts pour révocation brutale et vexatoire :
' condamné la société [10] à payer à Mme [R], la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019,
Sur l'anatocisme :
' dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter du 24 décembre 2020, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
Sur la demande de condamnation in solidum de la société [10] et de la société [9] à verser à Mme [R] la somme de 51 315 euros au titre du bonus qui lui est contractuellement dû sur l'exercice 2019 :
' considéré que le bonus au titre de l'exercice 2019 est dû à Mme [R] soit une somme brute de 46 650 euros,
' condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
Sur la demande de condamnation in solidum de la société [10] et de la société [9] à verser à Mme [R] la somme de 154 057,28 euros pour défaut d'exécution de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dit GSC :
' fixé le montant dû à Mme [R] à la somme de 149 032,95 euros,
' condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dit GSC,
Sur la demande d'échelonnement :
' dit les défenderesses mal fondées en leur demande de délais de paiement et les en a déboutées,
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
' condamné solidairement la société [10] et la société [9] à payer à Mme [R], la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
En conséquence et statuant à nouveau,
- recevoir les concluantes en leurs écritures,
- les déclarer recevables et bien fondées,
A titre principal,
- dire et juger que Mme [R] ne justifie pas de circonstances brutales et vexatoires entourant sa révocation,
- dire et juger que Mme [R] ne bénéficie pas d'un droit garanti au versement d'un bonus annuel au titre de l'année 2019,
- dire et juger que les conditions d'attribution du bonus annuel au titre de l'année 2019 ne sont pas remplies,
- dire et juger que la période de couverture et les modalités de calcul de la garantie perte d'emploi GCS acceptée par Mme [R] ont été respectées,
- dire et juger que les conditions de mise en 'uvre de la promesse de vente du 28 janvier 2019 ont été respectées par la société [9],
En conséquence,
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- débouter Mme [R] de son appel incident formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021,
A titre subsidiaire,
- autoriser le règlement des condamnations prononcées selon un échéancier de 24 mois,
En tout état de cause,
- condamner Mme [R] à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [R] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Gaëlle Delaire, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, Mme [R] demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1 et suivants et 1240 du code civil, de :
- débouter les sociétés [10] et [9] de leur appel principal formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021 et, plus largement, de l'ensemble de leurs moyens, demandes et prétentions comme étant infondés,
- déclarer bien-fondé l'appel incident qu'elle forme à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021,
- infirmer à titre d'appel incident le jugement du tribunal de commerce de Roanne du 3 novembre 2021 en ce qu'il a :
' limité la condamnation de la société [10] à la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel et moral pour révocation brutale et vexatoire, outre intérêts au taux légal à compter de sa date de révocation, soit le 9 octobre 2019,
' rejeté la condamnation in solidum des sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 9 517,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018,
' limité la condamnation de la société [10] à la somme brute de 46 650 euros au titre de son bonus sur l'exercice 2019,
' limité la condamnation de la société [10] à la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
' rejeté la condamnation in solidum des deux défenderesses au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
' rejeté la condamnation in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral né postérieurement à sa révocation,
- infirmer le jugement de ces chefs et le confirmer pour le surplus,
Et, statuant à nouveau,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour révocation brutale et vexatoire avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2019 et prononcer l'anatocisme à compter du 24 décembre 2020, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 9 517,50 euros au titre des rémunérations lui revenant (indemnité compensatrice de congés payés) en tant que présidente de [10] sur la période allant du 24 janvier 2018 au 9 octobre 2019, avec intérêt au taux légal à compter du 9 octobre 2019 et prononcer l'anatocisme,
- condamner la société [10] à lui verser la somme de 51 315 euros au titre du bonus qui lui est contractuellement dû sur l'exercice 2019,
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 155 332,95 euros pour défaut d'exécution de leurs engagements contractuels au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral,
Et, en tout état de cause, de :
- condamner in solidum les sociétés [10] et [9] à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 26 mars 2024, les débats étant fixés au 12 juin 2025.
'
SUR CE
Sur le caractère brutal et vexatoire de la révocation de Mme [R] de son mandat social
Le tribunal a jugé que la révocation de Mme [R] de son mandat de présidente de la société [10] a été brutale au motif que le conseil de surveillance avait connaissance du climat social depuis plusieurs mois et que Mme [R] a été en difficulté pour préparer sa défense dans un délai de 24 heures alors qu'elle se trouvait à l'étranger.
Il a également considéré que la révocation est intervenue dans des circonstances vexatoires, Mme [R] ayant eu un traitement différent de celui de son prédécesseur et sa révocation ayant été prononcée avec effet immédiat, avec interdiction d'échanger avec ses collaborateurs et de consulter sa messagerie.
Les sociétés appelantes soutiennent, qu'en l'espèce, la révocation n'était pas brutale, dès lors que la dirigeante a eu connaissance des motifs de sa révocation et qu'elle a été mise en mesure de présenter ses observations, la jurisprudence n'exigeant pas l'écoulement d'un délai minimum entre la communication des motifs de révocation et la décision qui la prononce.
Elles estiment que la société [10] a respecté son obligation de loyauté dans l'exercice de son droit à révocation en informant Mme [R] que sa révocation était envisagée préalablement à l'entretien du 9 octobre 2019, en lui laissant un délai suffisant compte tenu des circonstances pour préparer sa défense, et en lui permettant de présenter ses observations et de répondre aux motifs de révocation énoncés lors de l'entretien.
Elles précisent que les circonstances exigeaient que la dirigeante soit convoquée rapidement en raison de plusieurs plaintes de salariés portant sur ses méthodes de management, auxquelles se sont ajoutées des accusations de harcèlement moral et des résultats financiers particulièrement décevants.
Elles reprochent à cet égard au tribunal de n'avoir pas tenu compte du contexte financier ou social de l'entretien avec l'intéressée.
Elles ajoutent que les conditions de la révocation n'étaient pas vexatoires en faisant valoir, d'une part, que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les motifs de révocation du prédécesseur de Mme [R] n'avaient pas à être pris en compte pour apprécier le caractère vexatoire de la révocation, et, d'autre part, que le procès-verbal de révocation de Mme [R] ne comporte aucun terme injurieux portant atteinte à son honneur ou à sa réputation et ne constitue pas une publicité malveillante des griefs émis à son encontre, ayant été retiré du site Infogreffe en exécution du jugement.
Elles affirment que la jurisprudence admet qu'une révocation puisse intervenir avec effet immédiat sans qu'il s'agisse d'une circonstance vexatoire et que la perte d'accès à la messagerie professionnelle de l'intimée était inhérente à la cessation de ses fonctions de présidente.
Mme [R] prétend que la révocation est abusive ou vexatoire lorsque le principe de loyauté n'est pas respecté.
Elle soutient que la révocation de son mandat social s'est déroulée dans des circonstances brutales car elle n'a disposé que de quelques heures pour préparer sa défense, ayant été convoquée le 8 octobre 2019 en fin d'après-midi à un entretien en vue de sa révocation prévue le lendemain, alors, d'une part, qu'elle se trouvait à l'étranger dans le cadre d'un déplacement professionnel connu des membres du conseil de surveillance et que rien ne justifiait une telle précipitation en l'absence d'urgence, et que, d'autre part, le délai de convocation de 3 jours prévu à l'article 12.4 des statuts n'a pas été respecté.Elle fait valoir, qu'au regard des accusations dont elle faisait l'objet, elle n'a pas pu préparer une défense sérieuse dans un aussi court délai que rien ne justifiait alors que les appelantes étaient informées depuis au moins quatre mois des prétendues pratiques managériales qui lui étaient reprochées.
Elle considère que l'expérience qu'elle a pu acquérir dans la direction d'autres entreprises n'exonéraient pas les appelantes de leur obligation de loyauté.
Elle ajoute que sa révocation est intervenue dans des circonstances vexatoires, notamment en ce qui concerne les termes employés dans le procès-verbal de révocation mais également le dépôt de celui-ci au registre du commerce et des sociétés en vue de sa publication, qui n'avait pas d'autre but que de lui nuire, la société [10] ayant refusé de lui substituer un extrait ne faisant pas apparaître les motifs de la révocation, en dépit de ses demandes.
Elle affirme que les circonstances vexatoires découlent également du fait que la société [10] ne lui a pas laissé la possibilité d'échanger avec ses collaborateurs, puisque la révocation est intervenue avec effet immédiat, seulement 48 heures après la convocation, ce qu'elle a ressenti comme une humiliation.
Aucune disposition légale ne régit la révocation du dirigeant de société par actions simplifiée et, ainsi que le soutiennent les sociétés appelantes, les conditions de révocation sont librement fixées par les statuts, tant en ce qui concerne les motifs de la révocation que sa mise en oeuvre.
En l'espèce, l'article 11.1.3 des statuts de la société [10] énonce que le président est révocable, à tout moment et sans préavis, par le conseil de surveillance, sans que cette révocation n'ait à être motivée ( ad nutum ).
La révocation est toutefois abusive et ouvre droit à réparation lorsqu'elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l'honorabilité du dirigeant ou lorsqu'elle a été décidée brutalement, sans que le principe du contradictoire ait été respecté.
Elle est ainsi abusive si elle est décidée sans que l'intéressé ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations, ce qui suppose qu'il ait eu connaissance des motifs invoqués à l'appui de sa révocation, quand bien même il s'agirait d'une révocabilité ad nutum.
Or, en l'espèce, si, comme le relèvent les sociétés appelantes, les statuts de la SAS [10] ne fixent aucun délai ni aucune modalité précise à respecter pour recueillir les observations du mandataire social préalablement à sa révocation, il résulte des débats et des éléments du dossier que Mme [R] a été informée par courriel du 8 octobre 2019 à 17h08 qu'elle était convoquée à la réunion du conseil de surveillance prévue le lendemain, 9 octobre 2019, à 19h30 en vue de l'examen de la révocation éventuelle de son mandat de présidente de la société, soit 24 heures avant cet entretien, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle se trouvait en déplacement professionnel à l'étranger.
Ce délai de 24 heures, inférieur au délai de trois jours prévu par les statuts pour convoquer le conseil de surveillance ( article 12.4 des statuts ), qui laissait d'autant moins de temps à l'intéressée pour préparer sa défense qu'elle se trouvait à l'étranger, était justifié, selon les appelantes, par le contexte social et financier qui exigeait une convocation rapide de la dirigeante.
Or, il résulte des pièces versées aux débats que les plaintes émanant de salariées, relatives aux méthodes de management de Mme [R], et les accusations de harcèlement moral remontent pour les premières au mois de juin et juillet 2019 et aucune des pièces produites ne démontre que d'autres plaintes ou accusations se sont ajoutées aux précédentes au début du mois d'octobre 2019, nécessitant une réunion en urgence du conseil de surveillance en vue de la révocation de la présidente de la société, étant observé que la première alerte adressée par la médecine du travail à la direction de la société [10] pour l'informer de l'existence de risques psychosociaux au sein de l'entreprise remonte au 19 juillet 2018.
Si Mme [X], responsable RH de la société [10], atteste avoir constaté, en septembre 2019, une recrudescence des personnes en souffrance, en précisant que le 7 octobre 2019, le médecin du travail lui avait fait part de son inquiétude car elle rencontrait des salariés depuis plusieurs mois avec des états anxieux en rapport avec une pression importante et un impact sur leur vie privée, rien n'établit que ces informations ont été portées à la connaissance des membres du conseil de surveillance.
Par ailleurs, les appelantes prétendent que les résultats financiers particulièrement décevants justifiaient cette convocation en urgence de la dirigeante, sans toutefois produire le moindre document comptable de la société relatif à cette période.
En conséquence, aucune circonstance ne justifiait que Mme [R] soit entendue dès le lendemain de sa convocation en vue de sa révocation, ce qui ne la mettait pas en mesure de présenter utilement des observations face aux griefs invoqués à son encontre.
Les qualifications professionnelles de haut niveau de l'intéressée et le fait qu'elle soit, comme l'affirment les appelantes, rompue à la vie des entreprises et aux fonctions de direction, ne sauraient justifier qu'elle soit privée du droit de se défendre.
C'est donc à raison que le tribunal a retenu que la révocation de Mme [R] a été décidée dans des circonstances brutales, caractérisant une déloyauté de la [15].
Les circonstances vexatoires qui ont accompagné la révocation de Mme [R] sont également caractérisées du fait du dépôt au registre du commerce et des sociétés, in extenso, du procès-verbal du conseil de surveillance du 9 octobre 2019, qui mentionne les motifs de la révocation, entraînant une publication du document en annexe au RCS, la société [10] donnant ainsi une publicité aux fautes reprochées à la dirigeante alors que l'obligation de procéder aux inscriptions modificatives en cas de changement de dirigeant n'imposait nullement une publication intégrale du procès-verbal.
En revanche, les termes employés dans le procès-verbal ne sont pas attentatoires à l'honorabilité de Mme [R] et le fait qu'elle ait été privée dès sa révocation de ses accès internet et téléphoniques et de son véhicule est inhérent à ses fonctions.
Le tribunal a ainsi pu justement retenir que la révocation de Mme [R] de son mandat de président était abusive et qu'elle ouvrait droit à réparation.
Les sociétés [10] et [9] reprochent au tribunal d'avoir accordé à l'intimée une indemnité de 30 000 euros sans caractériser le préjudice matériel et moral qui lui a été causé par la circonstance constitutive d'abus.
Mme [R] forme un appel incident sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués en réparation de son préjudice matériel et moral et sollicite l'allocation d'une somme de 50 000 euros pour tenir compte des lourdes accusations superfétatoires portées publiquement à son encontre alors que sa gestion était saluée, de son niveau de rémunération et de son âge à la date de sa révocation, le fait qu'elle ait créé sa société de conseil n'ayant aucune incidence sur ce préjudice.
Les dommages-intérêts susceptibles d'être alloués au dirigeant révoqué abusivement doivent réparer un préjudice distinct de celui résultant de la révocation elle-même et de la perte de fonctions.
En l'espèce, les circonstances brutales de la révocation de Mme [R] et la publicité qui a été donnée à celle-ci par la société [10], portant atteinte à sa réputation, ont causé un préjudice moral à l'intéressée qui a été justement réparé par les premiers juges par l'allocation d'une indemnité de 30 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2020, avec capitalisation des intérêts, le jugement méritant d'être confirmé sur ce point.
Sur la demande la demande en paiement formée au titre des congés payés
Le tribunal a débouté Mme [R] de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés sur les bonus versés au titre des exercices 2017 et 2018 au motif qu'elle ne bénéficiait pas du statut de salarié.
Mme [R], appelante incidente, prétend que la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 prévoyait qu'elle bénéficierait de cinq semaines de congés payés, ce que prévoit également l'annexe contractuelle du 24 janvier 2018.
Elle fait valoir que les parties ont expressément fait référence à la terminologie du droit social, de sorte qu'elle bénéficie des mêmes dispositions légales qu'un salarié en la matière.
Elle ajoute qu'elle recevait chaque mois un véritable bulletin de paie détaillant ses cotisations et indemnités et que c'est par la volonté des parties que son mandat a été soumis aux mêmes règles qu'un salarié concernant les congés payés, les parties pouvant se soumettre volontairement à un régime légal qui serait inapplicable à défaut.
Elle reproche à la société [10] d'avoir omis de procéder au paiement de cette indemnité sur les bonus perçus de 2017 et 2018, laquelle est égale au dixième de la rémunération brute totale perçue.
Les sociétés [10] et [9] objectent que seul le contrat de travail ouvre des droits à congés payés, à l'exclusion du mandat social, et, qu'en l'espèce, aucun contrat de travail n'a été signé avec l'intimée.
Elles ajoutent que, par lettre du 3 octobre 2017, le groupe [8] a expressément rappelé à Mme [R] qu'elle ne bénéficiait pas du statut de salarié et qu'à aucun moment celle-ci n'a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de requalification de son contrat.
Il ne résulte aucunement des pièces produites que le mandat social de Mme [R] était assimilé à un contrat de travail salarié, ni que son statut était assimilable à celui d'un salarié, le courrier que lui a adressé le groupe [8], le 3 octobre 2017, préalablement à sa nomination en qualité de présidente de la société [10] mentionnant expressément que le statut du président est un statut de mandataire social non salarié.
Si la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 prévoit que Mme [R] bénéficiera de cinq semaines de congés payés par année calendaire complète exécutée, les parties n'ont pas convenu d'une compensation financière au titre de congés qui n'auraient pas été pris, ce qui était d'ailleurs expressément exclu par l'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la SAS [10] du 24 janvier 2018.
Le jugement déféré mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté Mme [R] de ce chef de demande.
Sur la demande en paiement formée au titre du bonus 2019
Au soutien de leur appel, les sociétés [10] et [8] maintiennent que Mme [R] n'a aucun droit acquis au bonus de l'année 2019 en faisant valoir que, selon la lettre d'engagement du 20 octobre 2017, le bonus annuel présente un caractère incertain, les parties ayant convenu que le président bénéficierait d'un bonus garanti au titre de l'exercice 2017, ce qui n'était pas prévu pour les exercices ultérieurs, à compter de 2018.
Elles soutiennent également que les objectifs fixés pour l'exercice 2019 n'ont pas été atteints, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, en précisant que les objectifs annuels de performance ont été fixés au début de l'exercice 2019 dans le budget annuel, que l'intimée a participé à l'établissement de ce budget et que, sur les deux critères fixés au budget, aucun n'a été atteint, à savoir l'EBITDA et la dette nette.
Elles en déduisent que, compte tenu de ces mauvaises performances financières, Mme [R] ne peut pas prétendre à un bonus et ajoutent que l'attribution du bonus est déterminée sur une période d'un an et que, sur la période de référence de 12 mois, aucune somme n'est due à l'intéressée qui a été révoquée avant le terme de cette période, la proratisation retenue par le tribunal n'étant pas possible.
Mme [R] prétend que le bonus contractuellement prévu doit lui être versé au titre de l'exercice 2019, dans sa totalité, que le mandat ait ou non été révoqué à la fin de l'exercice ouvrant droit à la perception d'un bonus.
Elle affirme que, lorsque la part variable dépend de la réalisation d'objectifs fixés unilatéralement par l'employeur, cette part doit être intégralement versée si l'employeur n'a ni précisé les objectifs ni fixé des conditions de calcul vérifiables.
Elle souligne que la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 et le procès-verbal du 24 janvier 2018 mentionnent l'octroi d'un bonus annuel d'un montant maximum de 60 000 euros avec des critères sur l'EBITDA, la dette financière et une part discrétionnaire, et précise avoir perçu, en 2019, la totalité du bonus annuel maximum sur l'exercice 2018, sans application des critères par la société [10], lesquels ne contiennent aucun élément pertinent permettant d'en déterminer les seuils de déclenchement.
Elle en déduit que la même logique doit s'appliquer pour l'exercice 2019 car aucun objectif n'a été déterminé, et que la période d'exercice des fonctions en 2019, de 282 jours, équivaut à un bonus proratisé de 46 650 euros.
Il résulte de la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 que Mme [R] devait percevoir une rémunération annuelle brute de 220 000 euros payable en douze mensualités à terme échu, à laquelle pourra s'ajouter un bonus annuel de 60 000 euros maximum déterminé en fonction de l'atteinte d'objectifs annuels de performance directement liés à hauteur de (I) 35 % de l'EBITDA de l'année, (II) 35 % sur le niveau de dette financière nette à fin d'année à BFR normatif, et (III) 30 % purement discrétionnaire, sur la base d'appréciations qualitatives (renforcement du territoire de la marque, pertinence de la collection, développements addictionnels, etc).
L'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018 reprend ces dispositions qui ont valeur contractuelle, ayant été signées par chacune des parties.
S'il résulte des termes contractuels que Mme [R] n'a pas de droit acquis au versement du bonus annuel, lequel ne lui était garanti à hauteur de 30 000 euros que pour l'exercice 2017, il appartient à la société [10] d'établir que les objectifs annuels de performance qui déterminaient son versement pour l'exercice 2019 ont été définis.
Or, contrairement à ce qu'affirment les appelantes, le budget de l'année 2019 ne détermine pas les objectifs de performance conditionnant le versement du bonus et aucune des pièces produites ne démontre davantage que les objectifs annuels n'auraient pas été atteints.
En s'abstenant de définir les objectifs annuels de performance qui conditionnaient le versement du bonus complétant la rémunération du dirigeant social, la société [10] a commis une faute et doit indemniser Mme [R], privée de sa rémunération variable faute de critère permettant de la déterminer, à hauteur de 45 000 euros, la dirigeante ayant perçu le bonus maximal annuel au titre de l'exercice 2018 et ayant été révoquée de ses fonctions au début du mois d'octobre 2019, et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la garantie perte d'emploi des dirigeants
Pour conclure à l'infirmation du jugement qui les a condamnées à payer à Mme [R] la somme de 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants, dite GSC, les sociétés [10] et [9] prétendent que Mme [R] a souscrit une demande d'affiliation au contrat GSC le 1er février 2018 qui prévoit que la garantie prend effet après application d'un délai d'attente de 12 mois à compter de la date de prise d'affiliation et qu'elle a parfaitement été informée de l'existence de ce délai de carence par courrier électronique du 11 octobre 2017.
Elles ajoutent que la durée maximale initiale de la garantie était de 12 mois et que l'intimée n'a jamais réclamé l'extension de la couverture à 18 mois, option qui n'aurait eu vocation à s'appliquer qu'à compter du 1er février 2020, à l'issue du délai de carence, alors que Mme [R] a été révoquée le 9 octobre 2019.
Elles en déduisent que c'est à tort que le tribunal a considéré que le délai de 12 mois n'avait pas vocation à s'appliquer.
L'intimée objecte que la société qui s'engage lors de la nomination d'un dirigeant à ce que celui-ci bénéficie en cas de révocation d'une garantie GSC d'une certaine durée et d'un certain montant est tenue par cet engagement et doit indemniser le dirigeant en cas d'absence de garantie ou de souscription d'une garantie différente.
Elle prétend que les sociétés [9] et [10] se sont engagées à ce qu'elle soit couverte par une garantie GSC correspondant à 70% de son salaire mensuel brut sur 18 mois dès une année de présence, condition qu'elle remplissait parfaitement à son départ de la société, ce qui résulte d'un courriel du 11 septembre 2017 et de la lettre d'engagement du 20 octobre 2017 mais également de l'annexe contractuelle jointe au procès-verbal du conseil de surveillance du 24 janvier 2018.
Elle ajoute que la société [10] n'a pas respecté son engagement puisqu'elle lui a fait signer une demande d'affiliation d'une durée de 12 mois en lui indiquant qu'il était obligatoire de signer, la première année, une demande de 12 mois pour lancer la garantie de 18 mois, et que, postérieurement à sa révocation, la compagnie d'assurance l'a informée que ses droits au titre de la garantie étaient limités à une durée de 12 mois sur une base de 66 % de son salaire mensuel net, et non 70 % du salaire mensuel brut, qu'il revenait bien à la société [10] de souscrire, un an après la première adhésion, soit le 1er février 2019, une option de 18 mois, mais que cette option n'aurait été effective qu'après un nouveau délai de carence de 12 mois.
Elle en déduit qu'elle n'a pas perçu la garantie à laquelle elle avait droit tant sur la période de protection couverte que sur la base de calcul de son montant.
Il résulte de la lettre d'engagement signée le 20 octobre 2017 par la société [9] et Mme [R] que la société souscrira, pendant la durée du mandat social, une assurance GSC couvrant le risque de révocation du mandat social au sein de la société et maintiendra la prise en charge de l'intégralité des cotisations à ce régime d'assurance, ce qui est constitutif d'un avantage en nature en matière sociale et fiscale.
Il était expressément stipulé que l'assurance GSC souscrite par la société sera d'une durée de 18 mois et qu'elle indemnisera le dirigeant mensuellement pendant cette période à hauteur de 70 % de son salaire brut ( le montant maximum autorisé ) passé un délai de carence obligatoire de 12 mois.
Cet engagement est repris dans l'annexe aux décisions du conseil de surveillance de la société [10] du 24 janvier 2018.
Or, dans la garantie souscrite auprès de la société [11], l'option d'indemnisation de 18 mois ne pouvait être souscrite qu'après un an d'adhésion et avec effet après un nouveau délai d'attente de 12 mois, ce qui ne correspond pas aux engagements contractuels des sociétés appelantes.
Il s'ensuit que les sociétés [9] et [10] qui n'ont pas respecté leur engagement de fournir à Mme [R] une assurance GSC pour une durée de 18 mois, mais uniquement pour une durée d'un an, ont commis un manquement contractuel dont elles doivent réparation.
Mme [R] prétend n'avoir perçu de la compagnie d'assurance que la somme de 144 967,05 euros sur 12 mois, alors qu'elle aurait dû percevoir une somme totale de 300 300 euros sur la période de 18 mois, subissant ainsi un manque à gagner de 155 332,95 euros.
Mme [R] justifie, au moyen de sa pièce n°23, qu'en application de la garantie souscrite auprès de la société [11], elle a perçu une indemnité journalière de 397,17 euros sur 12 mois, soit une somme de 144 032,95 euros, alors qu'elle aurait dû percevoir une somme de 217 450 euros sur une période de 18 mois, soit un manque à gagner de 73 417,05 euros que les sociétés [9] et [10], qui ont engagé leur responsabilité contractuelle, seront condamnées in solidum à lui payer, infirmant sur ce point le jugement déféré.
Sur la demande d'indemnisation d'un préjudice moral
Au soutien de sa demande indemnitaire, Mme [R] prétend que la jurisprudence reconnaît au dirigeant le droit d'être indemnisé de son préjudice moral personnel né postérieurement à l'exécution du mandat et affirme avoir été psychologiquement et physiquement affectée non seulement par sa révocation, mais aussi par les agissements postérieurs à sa révocation, ayant souffert d'un urticaire géant qui s'est déclenché un mois seulement après sa révocation et l'annonce du non respect de leurs engagements par les sociétés [10] et [9].
Cependant, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que les certificats médicaux produits par Mme [R] ne permettaient pas d'établir un lien entre les symptômes décrits par les médecins et les agissements reprochés aux sociétés appelantes.
Le jugement mérite ainsi confirmation en ce qu'il a débouté l'intimée de ce chef de demande.
Sur la demande de délais de paiement
Les sociétés [10] et [9] ne fondent leur demande de délais de paiement sur aucun élément de droit ni de fait.
En outre, les condamnations prononcées par le tribunal, assorties de l'exécution provisoire, ont été exécutées.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés [10] et [9] de ce chef de demande.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les sociétés [10] et [9] qui succombent principalement en leur appel seront condamnées in solidum aux dépens d'appel.
En revanche, l'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses frais de procédure exposés en appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Roanne en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme brute de 46 650 euros au titre du bonus sur l'exercice 2019,
- condamné la société [10] à payer à Mme [R] la somme 149 032,95 euros au titre de la garantie perte d'emploi des dirigeants dite GSC,
L'infirme de ces chefs et, statuant à nouveau,
Condamne la société [10] à payer à Mme [R] la somme de 45 000 euros au titre de la rémunération variable de l'année 2019,
Condamne in solidum les sociétés [9] et [10] à payer à Mme [R] la somme de 73 417,05 euros au titre du manquement à leur engagement contractuel de souscrire une assurance GSC d'une durée de 18 mois,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés [10] et [9] aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
La greffière La présidente