ADLC, 29 août 2025, n° 25-DCC-201
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société Lesaffre Frères par la société Cristal Union
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Cristal Union (ci-après, « l’acquéreur ») est un groupe coopératif agricole, comptant plus de 8 000 associés coopérateurs, actif principalement dans la transformation de betteraves en sucre, en alcools, éthanol, mélasse et pulpes. Cristal Union exploite huit sucreries implantées dans les départements suivants : l’Aube (Arcis-sur-Aube – 10), le Loiret (Corbeilles et Pithiviers – 45), la Marne (Bazancourt et Sillery – 51), le Bas-Rhin (Erstein – 67), la Seine-Maritime (Fontainele-Dun– 77), et la Somme (Villers-Faucon – 80). Cristal Union commercialise ses produits viala société CristalCo (filiale détenue à [confidentiel] %). Le capital de Cristal Union est détenu en totalité par ses associés coopérateurs.
2. Lesaffre Frères (ci-après, « la cible ») est une société par actions simplifiée, dont l’activité principale consiste en l’exploitation d’une sucrerie située à Nangis, en Seine-et-Marne (77),dédiée à la production de sucre industriel utilisé dans l’industrie agroalimentaire, ainsi que de co-produits liés à la production de sucre. La production de sucre et de co-produits de Lesaffre Frères est actuellement commercialisée par la société CristalCo. Le capital et les droits de vote de Lesaffre Frères sont détenus à hauteur de [confidentiel] % par la société SPI (elle-même détenue en intégralité par des membres de la famille Lesaffre) et à hauteur de [confidentiel] % par Tereos.
3. L’opération notifiée, formalisée par la signature de contrats de cession d’actions le 5 février 2025 et le 3 juin 2025, consiste en l’acquisition par Cristal Union de l’intégralité du capital et des droits de vote de la société SPI.
4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Lesaffre Frères par le groupe Cristal Union, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Cristal Union : [≥ 150 millions]d’euros pour l’exercice clos le 31 janvier 2025 ; SPI : [≤ 150] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 août 2024). Chacune réalise en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Cristal Union : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 janvier 2025 ; SPI : [≥ 50] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 août 2024). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les activités de Cristal Union et de la cible (ci-après, « les parties ») se chevauchent sur :
- le marché amont de l’approvisionnement en betteraves sucrières sur lequel les parties interviennent en tant qu’acheteurs ainsi que ;
- les marchés avals de la production et commercialisation du sucre industriel, de mélasse et de pulpes de betteraves1.
A. MARCHE AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT EN BETTERAVES SUCRIERES
1. MARCHE DE PRODUITS
6. L’Autorité a eu l’occasion de définir un marché de l’approvisionnement en betteraves à sucre qui met en relation les groupes sucriers et les planteurs de betteraves2.
7. Les parties interviennent simultanément en tant qu’acheteurs de betteraves à sucre auprès des planteurs. Cristal Union, en tant que coopérative agricole, s’approvisionne principalement auprès des planteurs coopérateurs associés mais également, dans une moindre mesure, auprès de planteurs tiers non associés. De son côté, Lesaffre Frères achète l’intégralité des betteraves à des producteurs tiers dans le cadre de contrats de fourniture négociés, dans une grande majorité, annuellement.
8. La partie notifiante considère qu’il n’est plus approprié de circonscrire le marché pertinent à la seule culture de la betterave. Elle considère que le marché doit être élargi à l’ensemble des produits agricoles susceptibles d’être produits et vendus par les agriculteurs dès lors qu’ils ont la possibilité d’opter pour d’autres cultures.
9. Toutefois, le test de marché mené auprès des producteurs de betteraves révèle notamment que la grande majorité d’entre eux ne serait pas en mesure de diversifier leurs cultures agricoles, sans engager d’investissements substantiels.
10. Par conséquent, l’Autorité considère qu’il n’est pas opportun d’élargir le marché de produits à d’autres cultures, lesquelles ne sont pas substituables du point de vue des producteurs ni, afortiori, du point de vue de la demande. Les effets de l’opération seront donc étudiés sur le marché de l’approvisionnement en betteraves sucrières conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité dans ce secteur.
2. MARCHE GEOGRAPHIQUE
11. L’Autorité a considéré qu’il est pertinent de retenir un marché local de l’approvisionnement en betteraves sucrières, compte tenu de la proximité géographique des zones de production de betteraves avec les sucreries3. L’Autorité a en effet déjà relevé que les sucreries qui collectent et transforment les betteraves sont généralement situées près des zones de production en raison du caractère périssable du produit et des coûts de transport de la betterave qui sont relativement élevés4.
12. La partie notifiante considère qu’il ne serait plus pertinent de retenir un marché de dimension locale dès lors que, d’une part, les conditions commerciales dont bénéficieraient les producteurs seraient homogènes sur tout le territoire national et, d’autre part, que les sucriers seraient actifs sur l’ensemble du territoire national.
13. Néanmoins, les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction confirment la pertinence d’une analyse locale des marchés de l’approvisionnement en betteraves.
14. Premièrement, les producteurs de betteraves interrogés ont déclaré fournir Lesaffre Frères principalement en raison de la garantie des débouchés pour leur production et de la proximité géographique entre leur exploitation et le site de transformation de Nangis (77). En effet, il ressort du test de marché que les betteraves produites par les agriculteurs interrogés sont transportées, en moyenne, sur une distance d’une [confidentiel] de kilomètres entre le lieu de culture et le site de transformation5.
15. Cette tendance est d’ailleurs corroborée par les données communiquées par la partie notifiante, précisant que les betteraves livrées aux usines de Cristal Union sont transportées sur une distance moyenne de [confidentiel] kilomètres.
16. Ces constats sont également confirmés par plusieurs études sectorielles, lesquelles montrentque l’approvisionnement des sucreries provient généralement d’exploitations situées, en moyenne, à une distance d’environ 30 kilomètres6.
17. Deuxièmement, les réponses des fournisseurs et des concurrents des parties indiquent qu’il est nécessaire pour un producteur de sucre de disposer d’un large maillage territorial, incluant à la fois plusieurs sites de production et un tissu de fournisseurs autour de ces sites. Comme le souligne un concurrent des parties, il est « important […] de disposer d’un ‘ noyau dur ‘ autour de la sucrerie afin de garantir une pérennité de fonctionnement du site industriel » eu égard notamment aux coûts élevés de collecte.
18. Au regard de ce qui précède, et au cas d’espèce compte tenu des éléments recueillis dans le cadre de l’instruction, l’Autorité considère que le marché de l’approvisionnement en betteraves sucrières est de dimension locale, d’une distance d’environ 30 kilomètres7.
B. MARCHE AVAL DE LA PRODUCTION ET DE LA COMMERCIALISATION DE SUCREINDUSTRIEL
1. MARCHE DE PRODUITS
19. Les autorités de concurrence distinguent le marché du sucre destiné à un usage industriel (dit « sucre industriel ») et le marché du sucre destiné à la consommation directe (dit sucre « de bouche »)8. En effet, ces produits visent des clientèles différentes (industrie agroalimentaire pour le premier, grande distribution pour le second) et répondent à des usages distincts(incorporation dans les préparations alimentaires ou consommation directe par le consommateur final). Une telle distinction peut également être observée au niveau du conditionnement, des modes de distribution et des prix de vente, lesquels reflètent les besoins spécifiques des acheteurs9.
20. En l’espèce, les activités des parties ne se chevauchent que sur le marché du sucre industriel, Lesaffre Frères ne produisant pas de sucre « de bouche ». Les effets de l’opération seront donc analysés sur le marché de la production et de la commercialisation de sucre industriel.
2. MARCHE GEOGRAPHIQUE
a) Pratique décisionnelle et évolutions du cadre réglementaire
21. Concernant la production et la commercialisation du sucre, la pratique la plus récente de l’Autorité remonte à une période où ce secteur était réglementé au niveau européen, notamment par une organisation commune de marché (OCM)10 qui instituait un régime de quotas et de droits de livraison de référence attribués aux producteurs sucriers présents en Europe ainsi que des prix minimums garantis, au niveau européen, pour l’achat des betteraves sous quotas.
22. Dans ce cadre, l’entreprise sucrière ne disposait d’aucun pouvoir dans l’attribution ou la modification des droits de livraison. En France, plusieurs opérateurs dont Cristal Union, Tereos et Saint Louis Sucre (ci-après « SLS ») bénéficiaient, en conséquence, de quotas de production. Pendant la période des quotas, un planteur ne pouvait pas quitter un sucrier pour transférer tout ou partie de ses tonnages à un autre sucrier, ce qui limitait fortement la mobilité entre producteurs11.
23. La pratique décisionnelle française12 retenait alors une dimension nationale pour le marché de
la production et de la commercialisation du sucre industriel. Cette appréciation reposait
notamment sur le cloisonnement résultant du système des quotas, l’importance des coûts de
transport, ainsi que la présence géographique sur l’ensemble du territoire national de l’industrie agroalimentaire, utilisatrice de sucre industriel, bien que la production de sucre soit majoritairement concentrée dans les régions du nord et de l’est de la France.
24. La réforme de l’OCM du sucre en 2006 a amorcé la fin progressive du système des quotas et une modification significative du soutien apporté aux producteurs européens. À la suite de ces changements, certaines autorités de concurrence ont observé une intensification des échanges transfrontaliers, accompagnée dans certains cas, d’une hausse des importations en provenance d’autres pays européens ou tiers afin de satisfaire une demande nationale13. Dans ce contexte,ces autorités ont pu envisager un élargissement de la dimension géographique du marché à l’échelle européenne. Toutefois, à l’instar de la Commission européenne14, la pratique décisionnelle française a alors estimé que, malgré l’accroissement des échanges intra-européens, les spécificités du marché liés notamment aux coûts de transport et aux habitudes d’approvisionnement local des sucriers justifiaient de maintenir une approche nationale, tout en reconnaissant la pression concurrentielle croissante exercée par les producteurs situés aux frontières du nord et de l’est de la France15.
25. La suppression du régime des quotas de production a totalement pris effet depuis le1er octobre 2017, pour la campagne 2017-2018. Cette suppression a été accompagnée de la disparition des droits de livraison, ainsi que du prix minimum d’achat de betteraves imposé aux sucriers. Depuis cette date, le cours du prix du sucre est désormais déterminé librement.
26. La partie notifiante considère donc qu’à la suite de ce changement règlementaire, le cadre national n’est plus pertinent pour analyser le marché de la production et de la commercialisation du sucre industriel. Selon elle, ce marché revêt désormais une dimension européenne en raison notamment de l’importance des volumes importés et exportés depuis ou vers les autres Etats membres de l’Union européenne (ci-après, « UE »). Elle souligne également que la clientèle sélectionne ses fournisseurs en partie dans le cadre de contrats européens et que le prix de vente du sucre est influencé largement par les dynamiques du marché européen16.
b) Appréciation au cas d’espèce
27. Comme évoqué ci-avant, la fin des quotas a entraîné la levée des restrictions sur les volumes exportés, ainsi que la suppression du mécanisme de fixation des prix encadré par l’UE, ce qui a ouvert le marché à la concurrence de sucriers en provenance de l’UE, voire de pays tiers17.
28. S’agissant de la demande, bien que le cadre règlementaire ait évolué, il ressort de l’instruction qu’une part non négligeable des clients des parties indique être sensible à la provenance du sucre industriel qu’ils achètent, principalement pour des raisons environnementales ou de « marketing », ce qui peut les conduire à privilégier une production d’origine française. Cette préférence locale est également justifiée, pour certains répondants, par les coûts logistiques liés au transport du sucre. Il découle ainsi du test de marché que ces coûts, en raison du caractère pondéreux du sucre, représentent une part conséquente du coût total d’approvisionnement, incitant certains clients à privilégier un approvisionnement auprès de sucriers situés à proximitéde leur site de production en dépit de la libéralisation du marché.
29. Toutefois, malgré cette préférence locale exprimée par une partie des principaux clients des parties, il résulte de l’instruction que 60 % de leur demande en sucre est couverte par un producteur situé hors du territoire national.
30. En effet, les principaux sucriers présents dans l’UE sont perçus, par les principaux clients des parties, comme capables de satisfaire leurs besoins en sucre, la concurrence s’exerçant, selon les répondants au test de marché, principalement sur les prix.
31. Par conséquent, les principaux clients industriels des parties centralisent leur politique d’achat de sucre en organisant des appels d’offres consolidés au niveau européen, en s’appuyant sur des cahiers des charges qui portent sur une spécification donnée du sucre, peu importe le pays dans lequel il est produit ou livré. Ainsi, il résulte des tests de marché réalisés, que seuls [10-20] % des volumes achetés par les clients de Cristal Co dans le cadre d’appel d’offres ne comprenaient que des sucriers présents en France.
32. S’agissant de l’offre des producteurs de sucre, l’instruction a montré que les sucriers français exportent un volume important de leur production hors du territoire national. À ce titre, la France se positionne comme le premier exportateur de sucre, représentant environ un quart des exportations totales de sucre au sein de l’Union18. Ainsi, environ [45-55] % des ventes de Cristal Union (en volume) sont livrées hors du territoire national.
33. L’importance des ventes à l’exportation est confirmée par les données recueillies auprès des concurrents des parties. En outre, les différentes études sectorielles indiquent également que les sucriers français19 orientent majoritairement leur production vers d’autres Etats membres de l’UE avec près de 77 % d’exportations (en valeur)20. En 2023-2024, « 34 % du sucre produit dans l’Union »21 a été consommé dans un Etat membre autre que celui de sa production. Cette proportion est relativement similaire à celle observée pour Cristal Union. À l’inverse, les débouchés extra-européens apparaissent comme résiduels et conjoncturels, en raison notamment de la forte volatilité des cours mondiaux qui rend l’exportation hors UE, souvent peu profitable pour les acteurs européens.
34. Au regard de ce qui précède, l’Autorité considère que le marché aval de la production et de la commercialisation de sucre industriel revêt désormais une dimension supranationale.
35. L’Autorité constate par ailleurs que le secteur du sucre dans l’UE présente une certaine hétérogénéité, certains Etats membres étant traditionnellement exportateurs tandis que d’autres sont, historiquement, importateurs.
36. Malgré cette diversité, il découle de l’instruction que les principaux échanges des producteurs de sucre restent majoritairement à destination de pays limitrophes22. Dans ce contexte, lesproducteurs français de sucre approvisionnent principalement des pays frontaliers tels quel’Espagne et l’Italie, qui présentent un déficit de production, de même que la Belgique et l’Allemagne, malgré leur excédent de production. Cette proximité s’explique notamment par l’importance des coûts de transport qui limite le recours à des fournisseurs éloignés. Ainsi que le souligne un client des parties lors de l’instruction, « le coût de transport est assez important dans le prix final du sucre donc les fournisseurs loin de nos usines ont normalement un désavantage de prix ». Par conséquent, il découle d’un certain nombre d’éléments recueillis au cours de l’instruction que l’environnement concurrentiel dans lequel évoluent les sucriers français se caractérise par une dimension géographique supranationale mais infra-UE comprenant, s’agissant des sucriers français, des concurrents situés dans les pays suivants : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Espagne.
37. D’autres éléments recueillis au cours de l’instruction attestent de l’existence d’une pression concurrentielle par capillarité entre différents bassins régionaux. Celle-ci est susceptible de donner lieu à une dynamique concurrentielle européenne, en raison de l’interconnexion entre ces différents bassins. Ainsi, l’augmentation récente des importations de sucre ukrainien, notamment à l’est de l’Europe (Pologne, République tchèque et Roumanie) a entrainé un redéploiement des volumes de sucre allemand vers d’autres États de l’UE comme l’Italie ou la Grèce. Ces redéploiements ont, à leur tour, accru la pression concurrentielle sur les sucriers français, fournisseurs dans certains de ces pays.
38. Toutefois, pour les besoins de l’analyse concurrentielle, l’Autorité considère que la délimitation géographique exacte du marché, qu’il soit européen ou infra-européen (limité aux pays frontaliers), peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions demeurent inchangées, quel que soit le périmètre retenu.
39. En l’espèce, l’analyse a été menée au niveau infra-européen (Allemagne, Belgique, Espagne, France et Italie).
C. MARCHES AVAL DE LA PRODUCTION ET DE LA COMMERCIALISATION DE PULPESDE BETTERAVES
1. MARCHE DE PRODUIT
40. En matière de pulpes de betteraves, l’Autorité a relevé l’existence de plusieurs types de pulpes, qui se distinguent par leur teneur en eau et donc par leur texture23. Cette variation de texture influence directement la durée de conservation du produit et son coût de production. Les pulpes humides et surpressées seraient généralement destinés aux planteurs qui les utilisent en grande partie pour l’alimentation immédiate de leurs propres animaux. En revanche, la pulpe déshydratée, du fait de sa meilleure conservation et de sa transportabilité, serait majoritairement commercialisée sur le marché des produits destinés à la nutrition animale.
41. La pratique décisionnelle a ainsi envisagé24, tout en laissant la question ouverte, une possible segmentation du marché des pulpes de betteraves destinées à l’alimentation animale25.
42. Toutefois, en l’espèce, la question d’une éventuelle segmentation du marché des pulpes de betteraves destinées à la nutrition animale peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelles que soient les segmentations retenues, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.
43. En l’espèce, les données fournies par les parties s’appuient sur le marché de la production de pulpes de betteraves. Or, en l’absence d’approvisionnement auprès de tiers, les volumes commercialisés sont nécessairement inférieurs (en cas d’usage interne) ou égaux aux volumes produits. Par conséquent, et en l’absence de données suffisamment fiables sur le marché de la commercialisation des pulpes sur le territoire hexagonal fournies par les parties, les volumes commercialisés correspondront aux volumes produits, aux fins de la présente analyse.
44. L’analyse présentée ci-après portera donc uniquement sur les marchés de la production et de la commercialisation des pulpes de betteraves déshydratées et surpressées indépendamment de leur destination.
2. MARCHE GEOGRAPHIQUE
45. L’Autorité a, tout en laissant la question ouverte, considéré que les marchés de la production et de la commercialisation de pulpes de betteraves sont de dimension nationale26.
46. Au cas d’espèce, l’analyse concurrentielle sera menée au niveau national.
III. Analyse concurrentielle
47. Les parties sont simultanément actives sur les marchés amont de l’approvisionnement en betteraves sucrières (A), ainsi que sur le marché aval de la production et de la commercialisation de sucre industriel (B) et le marché aval de la production et de la commercialisation de pulpesde betteraves (C).
A. MARCHE AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT EN BETTERAVES SUCRIERES
48. L’opération conduit à la prise de contrôle de l’usine cible située à Nangis (77) par Cristal Union. Les usines de transformation en sucre de la partie notifiante se situent, pour les plus proches, à plus de 80 kilomètres de l’usine de Nangis, soit à une distance supérieure à la zone de collecte moyenne de 30 kilomètres envisagée par la pratique décisionnelle et confirmée lors de l’instruction de la présente opération.
49. L’Autorité note qu’en janvier 2025, l’usine de transformation de betteraves la plus proche de la cible, située à Souppes-sur-Loing (à environ 60 kilomètres), détenue par le groupe sucrier « indépendant »27, Ouvré et Fils, a cessé son activité. Le 10 janvier 2025, un contrat portant droit de présentation a été signé avec Cristal Union, dans le cadre duquel Ouvré et Fils s’est engagé à mettre en relation les planteurs livrant habituellement leurs betteraves à sa sucrerie de Souppes-sur- Loing avec le groupe acquéreur28.
50. Ainsi, la fermeture récente de l’usine de Souppes-sur-Loing, conjuguée à l’opération d’espèce, a pour conséquence la disparition des deux derniers opérateurs « indépendants » présents dans le sud de l’Ile-de-France.
51. Par conséquent, certains fournisseurs de betteraves ont exprimé, dans le cadre de l’instruction,des préoccupations concernant la nécessité de disposer de débouchés alternatifs, à l’issue de l’opération.
52. Toutefois, même si l’Autorité relève l’existence de ces préoccupations ainsi que la concentration importante du secteur, elle note également que l’opération n’entraîne aucun chevauchement d’activité local entre les parties, l’usine la plus proche de la cible se situant à plus de 80 kilomètres. Ainsi, l’absence d’alternative locale en matière d’approvisionnement de betteraves sucrières ne résulte pas de la présente opération.
53. Au surplus, la partie notifiante a déclaré, dans le cadre de la notification de cette opération, laisser le choix aux producteurs fournissant Lesaffre Frères avant l’opération de (a) continuer à contracter avec l’entité Lesaffre Frères cible, (b) contracter avec Cristal Union soit en qualité d’associé coopérateur soit en qualité de tiers non associé (sans engagement autre qu’annuel) ou encore (c) fournir un autre acteur. Ainsi, les agriculteurs concernés conserveront donc la possibilité d’approvisionner la sucrerie cible de Nangis notamment en tant que tiers non associés, sans limitation de durée, en raison de la possibilité de l’usine Nangis de [éléments quantifiant la possibilité d’augmentation de la capacité de traitement de betteraves de la sucrerie cible de Nangis]. Dans l’hypothèse où les approvisionnements par des tiers non associés dépasseraient les capacités de traitement de ce site, ces tiers pourraient être réorientés vers les sites du groupe acquéreur, situés à Corbeilles et Pithiviers.
54. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, l’Autorité considère que tout risque d’atteinte à la concurrence résultant de l’opération concernant l’approvisionnement en betteraves sucrières peut être écarté.
B. MARCHE AVAL DE LA PRODUCTION ET DE LA COMMERCIALISATION DE SUCRE INDUSTRIEL
55. L’opération envisagée engendre un chevauchement d’activité entre les parties sur le marché aval de la production et de la commercialisation du sucre industriel.
56. Selon les estimations de la partie notifiante, sur un marché infra-européen retenu aux fins de la présente analyse29, qui inclut uniquement la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, la part de marché en valeur de la nouvelle entité serait inférieure à 20 % avec un incrément associé à l’opération de moins [de deux points].
57. Par ailleurs, l’Autorité relève que la nouvelle entité continuera d’évoluer dans un environnement concurrentiel marqué par la présence de grands groupes sucriers, en France (SLS et Tereos) mais également dans plusieurs pays limitrophes comme Südzucker30, qui produit environ un quart du volume de sucre dans le périmètre retenu et bénéficie d’une large couverture géographique31, Tereos32, Nordzucker33 ou encore Pfeifer & Langen34. Ces concurrents continueront d’exercer une pression concurrentielle importante sur la nouvelle entité, ce qui restreindra la capacité de cette dernière à réduire sa production ou à augmenter ses prix.
58. Enfin, il ressort de l’instruction que les clients, notamment industriels, disposent d’un fort pouvoir de négociation vis-à-vis des sucriers, de nature à discipliner la nouvelle entité en l'exposant au risque que ces clients reportent leurs achats vers d’autres fournisseurs, dès lors que le changement de fournisseur s’effectue sans contrainte technique majeure ni coût significatif. Cette contestabilité est renforcée par l’importance, dans ce secteur, du recours aux appels d’offres dans le cadre des négociations commerciales avec les fournisseurs sucriers. Comme le souligne un client des parties, « les relations commerciales avec les producteurs de sucre sont établies par le biais d'appels d'offres et de contrats de gré à gré. La durée moyenne des contrats conclus […], correspondant à […]. En effet, le prix du sucre fluctue en fonction des campagnes. Il n'existe pas de différence dans les relations commerciales avec les différents sucriers ». Ces appels d’offres permettent ainsi aux industriels de sélectionner, le plus souvent annuellement, le sucrier le mieux à même de répondre à leur demande.
59. Au vu de ces éléments, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la production et de la commercialisation de sucre industriel, quelle que soit la délimitation retenue, c’est-à-dire soit un marché UE, soit un marché ne comprenant que les pays limitrophes, tel qu’envisagé au paragraphes 27 à 39 de la présente décision.
C. MARCHE AVAL DE LA PRODUCTION ET DE LA COMMERCIALISATION DE PULPES DE BETTERAVES
60. L’opération entraîne un chevauchement d’activité entre les parties sur les marchés de la production et de la commercialisation de pulpes de betteraves.
61. Le tableau ci-après présente les volumes de pulpes de betteraves produits par les parties pour la campagne 2023/2024 :

62. Selon les données fournies par la partie notifiante, la nouvelle entité détiendrait des parts de marché en volume d’environ [40-50] % sur un marché français global des pulpes de betteraves (surpressées et déshydratées) avec un incrément inférieur à deux points.
63. En envisageant une segmentation du marché selon le type de pulpes de betteraves, la nouvelle entité détiendra une part de marché cumulée d’environ [30-40] % avec un incrément associé à l’opération [de 0-2] point sur le marché français des pulpes de betteraves surpressées. Sa part de marché atteint [50-60] % avec un incrément associé à l’opération inférieure à [0-5] points sur le marché français des pulpes de betteraves déshydratées.
64. Quelle que soit la segmentation envisagée, l’opération entraîne donc un incrément limité. La structure de marché ne sera donc pas significativement impactée par l’opération. Ainsi, la nouvelle entité restera confrontée aux mêmes concurrents que préalablement à l’opération, Tereos ou SLS, lesquels demeureront des fournisseurs alternatifs crédibles pour les demandeurs de pulpes de betteraves.
65. Elle restera également soumise à une certaine pression concurrentielle de fournisseurs de son de blé, des issues de céréales, de la luzerne, ces produits constituant des substituts aux pulpes de betteraves s’agissant de la nourriture animale.
66. Il résulte de ce qui précède que l’opération notifiée n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la production et de la commercialisation de pulpes, quelle que soit la segmentation retenue.
67. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés concernés.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 25-033 est autorisée.