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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 30 avril 2009, n° 09/00044

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public

Défendeur :

A H...

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-président :

Mme Hebrard

Avocat :

Me Fischer

CA Montpellier n° 09/00044

29 avril 2009

Monsieur G D, maire sortant de la commune de CAUX s'est représenté aux élections municipales du mois de mars 2008 à la suite desquelles il a été réélu dans ses fonctions de maire. Lors de la campagne électorale Monsieur I C a présenté une liste électorale dissidente 'présent pour notre village'dont il était la tête de liste.

Par acte d'huissier en date du 27 mars 2008 monsieur G D a fait citer monsieur H A devant le tribunal correctionnel de BEZIERS se plaignant d'avoir été victime lors de la campagne électorale d'injure publique et de diffamation publique commises par H A à son encontre, à raison de fait imputés dans l'exercice de ses fonctions de maire et d'autres relatifs à son attitude durant la campagne électorale, par le biais de tracts distribués dans la commune et par le messages envoyés sur un blog accessible sur internet à l'adresse 'Présents pour notre village, liste de monsieur C pour les élections municipales de 2008-Caux'.

Au titre de l'injure, la citation rapporte que Monsieur A a traité publiquement monsieur D de dictateur à la fin d'une réunion publique le 13 février 2008 à la médiathèque de CAUX. Des attestations sont versées à l'appui.

Au titre de la diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, la citation énumère un ensemble de propos tenus sur le blog de monsieur C, tête de liste dissidente, certains contenus dans un tract distribué par monsieur A lui-même le 28 février 2008, signé 'des caussinards qui souhaitent avoir enfin une vraie démocratie' et dont il est l'auteur;

Les propos incriminés sur le blog sont les suivants:

' de même pour les lotissements, chasse gardée du Maire sortant, ce n'est surtout pas traité en commission d'urbanisme, qu'est ce que cela veut dire, on peut penser à certaines choses pas très belles et pas très honnêtes';

' Quand je vous lis, pour vous tout va bien or vous ne parlez pas de vos erreurs de gestion que nous devons payer avec nos impôts locaux, même s'ils n'augmentent pas cette année, ce n'est que partie remise (…) Car la commune est en déficit de 300.000 € (terrains de causse) plus celui de la maison Callas de 300.000 € qui dorment et il faudra bien trouver l'argent pour continuer votre programme. Les 30.000 € dépensés pour payer une entreprise pour évluer le PLU, mais si j'en crois les bruits, cette étude serait déjà terminée sous votre responsabilité.'

' notre maire nous a menti vendredi soir 15/02 à la réunion concernant l'extension de la carrière, tous les maires concernés en ont eu des réunions, il en a été question dans des réunions de la communauté d'agglo(…) On ne peut pas avoir confiance en une personne qui vous ment, nous mène en bateau, qui raconte des bobards à tous ceux qui veulent bien l'écouter et puis curieusement quand on va le voir avec un problème à lui soumettre, sa seule réponse est de dire 'dites moi ce que je dois faire' c'est une réponse d'individu irresponsable qui ne prend pas les rennes de la commune en main, ou plutôt qui les prend à son seul usage personnel comme un despote'.

' ….le maire sortant continue comme son prédécesseur de faire de l'abus de pouvoir du chantage pour avoir des électeurs d'ailleurs de source bien informée d'un Caussinard de souche depuis des générations qui peut me donner au cours des mandats précédents la liste des noms des gens qui, se sont présentés sur la liste du Maire sortant et de son prédécesseur uniquement par intérêts parce qu'ils souhaitaient avoir leurs terrains constructibles (…) C'est l'honnêteté qui doit primer pas les magouilles électoralistes comme actuellement et comme en 2001" 'le maire fait peur aux honnêtes gens, aux ,naïfs et aux personnes âgées qui souvent sont vulnérables et il profite de leur vulnérabilité pour leur dire n'importe quel mensonge pour obtenir leurs voix'

' drôle de conception de votre campagne électorale et surtout de la démocratie, mais je crois sincèrement que ce mot ne doit pas être dans votre répertoire'

Les propos du tract incriminés sont les suivants:

' … qu'un conseiller sortant aurait pu se présenter sur une liste autre que celle du maire sortant, ce dernier l'a menacé de ne pas lui donner son permis de construire s'il se présentait sur une autre liste. Abus de pouvoir;

… qu'une personne figurant sur la liste du maire sortant aurait eu la promesse de la part du Maire que si elle se présentait sur sa liste, ces terrains seraient constructibles…

Le maire sortant continue comme son prédécesseur de faire de l'abus de pouvoir, du chantage pour avoir des électeurs, … la liste des noms des gens qui se sont présentés sur la liste du maire sortant et de son prédécesseur uniquement par intérêts, parce qu'ils souhaitaient avoir des terrains constructibles.

… c'est l'honnêteté qui doit primer, pas les magouilles électoralistes…

… il y a aussi les menaces, le maire disant qu'il savait pour qui les personnes voteraient, ce qui est impossible puisque c'est secret dans les isoloirs et dans les urnes, mais le maire fait peur aux honnêtes gens, aux naïfs et aux personnes âgées qui souvent sont vulnérables… et il profite de leur vulnérabilité pour leur dire n'importe quel mensonge pour obtenir leurs voix.

… où est l'équité dans tout cela, encore une décision à la tête du client.

… notre maire sortant nous a menti à nouveau lors de cette même réunion, concernant l'extension de la carrière de Lézignan…

… Mais encore une fois l'avenir nous dira si ce sont des mensonges . Mais quand on le lui demandera il rejettera la responsabilité sur le Préfet…

On ne peut pas avoir confiance en une personne qui nous ment et nous mène en bateau, qui raconte des bobards à tous ceux qui veulent bien l'écouter. Ensuite curieusement quand on va le voir avec un problème à lui soumettre, sa seule réponse est de dire 'dites moi ce que je dois faire'. C'est une réponse d'individu irresponsable qui ne prend pas les rênes de la commune en mains, ou plutôt qui les prend à son seul usage personnel comme un despote;

il ne répond pas aux courriers qui le dérangent.

Il ne transmet pas les courriers qui sont adressés aux maires et conseillers municipaux.

Aucun conseiller municipal n'a lu les courriers que nous envoyons au nom de tous les élus, il fait donc de l'obstruction, c'est du despotisme…

Nous vous demandons de ne pas voter pour une personne qui ne laisse pas la parole aux conseillers municipaux et qui gère la commune comme son fonds de commerce. Il en est de même pour les lotissements, chasse gardée du maire sortant, ce n'est surtout pas traité en commission d'urbanisme. Qu'est ce que cela veut dire' Il est permis de penser à des choses pas très belles et pas très honnêtes…

En fait le maire sortant emploie les mêmes moyens que son prédécesseur, c'est à dire LA PEUR…'

Le jugement a déclaré la nullité de la citation et des poursuites au visa de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et au motif que les allégations concernant l'attitude politique de monsieur D au cours de la campagne électorale ne présentent pas de rapport direct et étroit avec l'exercice des fonctions ou la qualité de maire et qu'en conséquence c'est à tort que la partie civile a visé comme texte de répression l'article 31 alinéa 1 en lieu et place de l'article 32 qui vise la diffamation publique envers un particulier, et l'article 33 al1 en lieu et place de l'article 33 al2 qui vise l'injure publique envers un particulier.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La partie civile a sollicité l'infirmation du jugement et la condamnation, avec exécution provisoire du prévenu à lui verser la somme de 20.000 € de dommages et intérêts et que soit ordonnée la diffusion de l'arrêt à intervenir sur le blog internet 'www.villagecaux.com' et sa publication dans deux journaux de presse locale, et la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Le prévenu a sollicité la confirmation du jugement déféré. Il soutient in limine litis que la citation est nulle. Subsidiairement, il demande de constater que le constat d'huissier produit ne peut faire preuve des propos tenus sur le blog à défaut de respecter des pré requis techniques propres aux sites internet, et que les attestations quant à l'injure reprochée doivent être écartées comme étant partisanes et ne répondant pas aux exigences formelles légales. Subsidiairement encore, il demande sa relaxe au motif que les propos qui lui sont reprochés s'inscrivent dans le contexte d'une campagne électorale et sont protégés par le droit fondamental de la liberté d'expression dans un débat politique démocratique; Il sollicite la condamnation de la partie civile à lui payer la somme de 3.000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des appels

Les appels du prévenu, de la partie civile et du Ministère Public, interjetés dans les formes et délais de la loi, sont recevables.

SUR LA NULLITE DE LA CITATION

Attendu que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 requiert à peine de nullité que la citation précise et qualifie le fait incriminé et indique le texte de loi applicable à la poursuite;

Attendu qu'en l'espèce la citation rapporte l'ensemble des faits reprochés et les qualifie avec suffisamment de précision pour ne faire naître aucune équivoque quant aux propos reprochés et aux infractions poursuivies ;

Attendu que les propos et allégations concernant l'attitude politique de monsieur D au cours de la campagne électorale sont correctement qualifiés au visa de l'article 31 alinéa 1 dès lors que c'est bien en qualité de maire sortant que monsieur D est critiqué, et que l'ensemble des imputations le visant à raison de son attitude durant la campagne électorale sont en relation directe et étroite avec sa fonction de maire ;

Attendu que le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la citation; Qu'il convient d'évoquer et de statuer sur le fond ;

SUR LE FOND

Attendu qu'il convient d'indiquer en préliminaire que les pièces versées par le prévenu à titre d'offre en preuve ne sont pas recevables à défaut de production dans le cadre des dispositions légales de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Sur l'injure publique

Attendu que le terme de 'dictateur' adressé à un homme politique lors d'une réunion politique, ne constitue pas un terme à caractère injurieux, mais un jugement de valeur sur la façon de ce dernier d'exercer ses fonctions, qui bien que peu mesuré, reste dans les limites admissibles de la liberté d'expression et de critique qui prévaut dans un débat politique ;Que l'infraction n'est en conséquence pas constituée.

Sur la diffamation par voie de tract

Attendu que monsieur H A ne conteste pas être l'auteur du tract incriminé;

Attendu que les imputations faites au maire sortant, monsieur D, de commettre des abus de pouvoirs, des 'magouilles' à des fins électoralistes, en particulier par le biais des autorisations de construire, se livrer à du chantage, de profiter de la faiblesse des personnes âgées, de mentir lors des réunions publiques et de 'gérer la commune comme son fonds de commerce' constituent bien des imputations de faits portant atteinte à l'honneur et à la considération de monsieur D en sa qualité de maire sortant et entrant dans les prévisions des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que si la liberté d'expression est un droit fondamental particulièrement protégé dans un contexte de débat électoral, néanmoins les mêmes exigences du débat démocratique imposent-elles que cette liberté d'expression ne dépasse pas les limites nécessaires aux conditions d'une libre et loyale discussion politique et à la protection de la personne contre des attaques purement personnelles ;

Attendu qu'en l'espèce le prévenu ne peut arguer de sa bonne foi à des fins d'information en période électorale alors que le tract est rédigé dans des termes excessifs, voire outranciers, sans rapport de faits précis sur lesquels il fonde ses imputations, rendant de ce fait la réplique objective impossible, et transformant la critique politique en des attaques personnelles injustifiables ;

Attendu qu'il en résulte que la diffamation publique à l'encontre d'une personne chargée d'un mandat public est bien constituée ; Qu'il ya lieu en conséquence de déclarer monsieur A coupable de cette infraction ;

Sur la diffamation par voie d'internet

Attendu que le réseau internet constitue un moyen de communication audiovisuelle au sens de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication; Qu'en conséquence la responsabilité pénale du propriétaire d'un site et de l'auteur des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur ce site ne peut qu'être engagée dans les conditions prévues par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 1985, dont le visa n'est pas requis pour la validité de la citation dès lors que ce texte n'édicte aucune peine ;

Attendu que le constat d'huissier est suffisant à faire la preuve de l'existence et du contenu des messages diffusés sur le site dès lors que le prévenu ne conteste pas l'existence de ce site et ne prétend pas que les messages incriminés n'y ont pas été diffusés ou que leur contenu était différent ;

Attendu qu'en vertu de l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 est responsable pénalement des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur le liberté de la presse commises par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article 93-2 de la loi, le co-directeur de la publication, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public; A défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal;

Attendu qu'en l'espèce le 'blog' litigieux constitue un forum de discussion librement accessible à l'adresse www.villagecaux.com – 'liste de JM C POUR LES MUNICIPALES DE 2008". Que les messages incriminés sont diffusés en direct, sans lecture préalable par le propriétaire du site, de sorte que seuls les auteurs des messages, et à défaut le producteur, peuvent être poursuivis en qualité d'auteurs des infractions ;

Attendu que monsieur A est poursuivi comme auteur des messages provenant de l'internaute dénommé 'H' ;

Que l'ensemble des messages incriminés sont repris quasiment dans leur intégralité dans le tract distribué par monsieur A et signé de lui, de sorte que le prévenu ne peut contester en être l'auteur ;

Attendu que les termes du tract étant identiques à ceux des messages diffusés sur le forum de discussion sur internet, la Cour, adoptant les mêmes motifs que pour la diffamation par voie de tract, considère que ces propos sont bien constitutifs d'une diffamation publique à l'encontre d'une personne chargée d'un mandat public, commise par voie électronique; Qu'il ya lieu en conséquence de déclarer monsieur A coupable de cette infraction ;

Sur la peine

Attendu que monsieur A, dont le casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation, sera condamné au paiement d'une amende de 1.500 €, assortie d'un sursis ;

Attendu que la publication de la condamnation n'est pas prévue à titre de peine complémentaire par l'article l'article 31 qui renvoie à l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 pour la répression. Qu'il convient de rejeter la demande de la partie civile d'ordonner la publication aux frais du condamné dans les conditions de l'article 131-35 du code pénal ;

Sur l'action civile

Attendu que la constitution de partie civile de monsieur D est régulière et recevable;

Attendu que monsieur A est entièrement responsable des conséquences dommageables de l'infraction; Que la Cour, qui constate que monsieur D a été réélu à l'issue de la campagne électorale au cours de laquelle il a été diffamé, dispose des éléments nécessaires pour fixer à la somme de 500 € les dommages et intérêts dûs par monsieur A en réparation du dommage moral subi par monsieur D du fait de la diffamation commise par le prévenu ;

Sur les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour procédure abusive et en indemnisation sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale

Attendu que la demande du prévenu de dommages et intérêts pour constitution de partie civile abusive sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale sera rejetée dès lors qu'il résulte du sérieux de la discussion juridique qui s'en est suivi que la citation ne procède d'aucune faute lourde et que la partie civile n'a pas agi de mauvaise foi dans l'intention de nuire au prévenu ;

Attendu que la demande présentée par le prévenu relaxé sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénal est irrecevable, cet article ne profitant qu'à la seule partie civile en cas de condamnation du prévenu.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de monsieur H A et à l'égard de monsieur G D, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi,

EN LA FORME :

Reçoit les appels du prévenu, de la partie civile et du Ministère Public.

AU FOND :

INFIRME le jugement sur l'action publique ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Rejette l'exception de nullité de la citation,

EVOQUANT,

Sur l'action publique :

Déclare le prévenu non coupable de l'injure publique qui lui est reprochée et en conséquence le renvoie des fins de la poursuite de ce chef.

Déclare le prévenu coupable des infractions de diffamation publique envers une personne chargée d'un mandat public qui lui sont reprochées,

En répression le condamne à une peine d'amende de 1.500 €.

Dit toutefois qu'il sera sursis à l'exécution de cette peine dans les conditions, le régime et les effets du sursis simple défini aux articles 132-29 à 132-39 du code pénal.

Rappelle au condamné que s'il commet une nouvelle infraction qualifiée crime ou délit de droit commun dans les cinq ans de la présente décision il pourra faire l'objet d'une nouvelle condamnation qui sera susceptible d'entraîner l'exécution de la présente peine avec sursis sans confusion avec la seconde et qu'il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 à 132-10 du code pénal.

Sur l'action civile :

Reçoit monsieur G D en sa constitution de partie civile,

Condamne monsieur H A à payer à monsieur G D la somme de 500 € (CINQ CENTS EURO) en indemnisation de son préjudice moral.

Rejette les demandes reconventionnelles sur le fondement des articles 472 et 475-1 du code de procédure pénale.

Dit que le condamné sera soumis au paiement du droit fixe de procédure d'un montant de 120 Euros prévu par l'article 1018 A du Code Général des Impôts.

Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt et aux articles 512 et suivants du code de procédure pénale.

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