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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 27 mai 2025, n° 23/01618

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Daniel BARLOW

Conseillers :

M. Jacques LE VAILLANT, Mme Joanna GHORAYEB

Avocats :

Me Luca DE MARIA, Me Matthieu BOCCON GIBOD

CA Paris n° 23/01618

26 mai 2025

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 16 novembre 2022, sous l'égide de la [Adresse 2] (ci-après " CCI "), dans un litige opposant M. [C] [I] à la Société [G] Capital (ci-après " [G] ").

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur la régularité des conditions dans lesquelles est intervenue la cession d'un bloc de 8 000 000 d'actions, détenues au sein de la société de droit tunisien Unité de Fabrication de Médicaments SA (ci-après, " UNIMED "), par M. [I] au bénéfice de la société de droit tunisien Premium Holding SA (ci-après " Premium Holding "). [G], également actionnaire au sein d'UNIMED, estime que la cession d'actions est intervenue en violation de la clause d'inaliénabilité du pacte d'actionnaires conclu notamment entre les parties, en ce qu'elle a eu pour effet de faire passer le seuil de détention de l'actionnaire majoritaire (M. [I]) à moins de 50 % du capital social et des droits de vote d'UNIMED (6 647 504 actions).

3. Le 16 juillet 2021, [G] a initié une procédure d'arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire stipulée au pacte d'actionnaires aux fins d'obtenir l'annulation de la cession d'actions et la rétrocession de celles-ci à Premium Holding.

4. Par sentence du 16 novembre 2022 (affaire CCI n° 26407/AZO/SP), le tribunal arbitral :

- a déclaré la clause compromissoire de l'article 8 du pacte d'actionnaires valide et s'est déclaré compétent pour connaître du litige entre M. [I] et [G] relatif à l'exécution du pacte ;

- s'est déclaré en revanche incompétent pour ordonner la rétrocession par Premium Holding à M. [I] des actions d'Unimed ;

- a prononcé l'annulation partielle de la cession d'actions, à hauteur de 6 647 504 actions, au motif qu'elle avait été réalisée en violation des termes du pacte ;

- a condamné M. [I] à payer à [G] la somme de 486.408,40 USD (correspondant aux frais de l'arbitrage et à la TVA sur les frais administratifs de la CCI) et 11.889,079 de dinars tunisiens (correspondant aux frais et dépens de l'organisation de l'audience) ; et

- a rejeté toute autre demande des parties.

5. M. [I] a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans, le 6 janvier 2023.

6. La clôture a été prononcée le 28 janvier 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 18 février 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

7. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2024, M. [I] demande à la cour, au visa des articles 31, 546, 1466, 1518 et 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

A TITRE LIMINAIRE :

- REJETER la fin de non-recevoir fondée sur le défaut d'intérêt à agir de M. [I] ;

- REJETER la fin de non-recevoir fondée sur la renonciation à se prévaloir d'une irrégularité ;

- JUGER EN CONSEQUENCE le recours en annulation de M. [I] recevable ;

A TITRE PRINCIPAL

- ANNULER la Sentence CCI n°26407/AZO/SP, rendue le 16 novembre 2022, sur le fondement de l'article 1520,4° du Code de procédure civile ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

- ANNULER la Sentence CCI n°26407/AZO/SP, rendue le 16 novembre 2022, sur le fondement de l'article 1520,5° du Code de procédure civile ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- CONDAMNER la société [G] CAPITAL à verser à Monsieur [C] [I] la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société [G] CAPITAL à supporter les entiers dépens.

8. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 janvier 2025, [G] demande à la cour de bien vouloir :

A titre principal :

- DECLARER irrecevables l'ensemble des moyens soulevés par M. [C] [I] au soutien de son recours en annulation contre la sentence arbitrale finale rendue le 16 novembre 2022 dans l'affaire CCI n° 26407/AZO/SP ;

A défaut :

- JUGER mal fondés l'ensemble des moyens soulevés par M. [C] [I] au soutien de son recours en annulation contre la sentence arbitrale finale rendue le 16 novembre 2022 dans l'affaire CCI n° 26407/AZO/SP ;

En tout état de cause :

- REJETER le recours en annulation contre la sentence arbitrale finale rendue le 16 novembre 2022 dans l'affaire CCI n° 26407/AZO/SP formé par M. [C] [I] ;

- RAPPELER qu'en application de l'article 1527 du Code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale finale rendue le 16 novembre 2022 dans l'affaire CCI n° 26407/AZO/SP ;

- CONDAMNER M. [C] [I] à payer à la société [G] Capital la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER M. [C] [I] aux entiers dépens en vertu de l'article 699 du Code de procédure civile ; et

- REJETER toute demande autre, plus ample ou contraire de M. [C] [I], en ce compris la demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

9. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

A. Sur la recevabilité du recours de M. [I]

a. Sur l'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir

i. Position des parties

10. [G] conclut à l'irrecevabilité du recours de M. [I] en ce qu'il serait dépourvu d'intérêt à agir aux motifs que :

- La succombance dans l'arbitrage ne suffit pas, à elle seule, à établir la recevabilité de chacun des moyens que la partie invoque au soutien de sa demande en annulation : une partie n'a aucun intérêt, et est ainsi irrecevable, à invoquer des irrégularités qui ne lui causent aucun préjudice, notamment lorsque de telles irrégularités ne l'affectent pas et ne concernent qu'un tiers ;

- Une partie n'a pas intérêt à prendre fait et cause pour autrui et revendiquer une violation du principe de la contradiction qui aurait porté préjudice à autrui, d'autant plus lorsque cette partie a participé activement à la procédure et s'est abstenue de soulever une violation du principe de la contradiction au moment où elle aurait pu le faire ;

- Les moyens tirés de la violation du principe de la contradiction et de l'ordre public international reposent sur des griefs qui ne causent aucun préjudice à M. [I] :

o M. [I] n'a soulevé à aucun moment une quelconque exception d'incompétence et a donc accepté la compétence du tribunal arbitral sur la demande d'annulation de la cession d'actions ;

o Il n'y a, par ailleurs, aucun préjudice puisque le tribunal arbitral, en circonscrivant l'exercice de sa compétence aux seules parties, s'est déclaré incompétent pour statuer sur une demande dirigée contre M. [I] ;

o M. [I] ne peut soutenir que le tribunal arbitral aurait privé les parties de leur droit d'échanger de manière contradictoire sur la compétence du tribunal, alors qu'une prétendue violation du droit d'[G] - son adversaire - à se prononcer n'a causé et n'est suceptible de causer aucun préjudice à M. [I].

o S'agissant du préjudice qui résulterait de la privation du droit de Premium Holding d'être appelée et entendue par le tribunal arbitral, Premium Holding est un tiers à l'arbitrage, de sorte qu'aucun préjudice n'est subi par M. [I] par le biais de ce grief.

11. M. [I] réplique qu'il a indéniablement intérêt à agir et à demander l'annulation de la sentence arbitrale dès lors que :

- L'intérêt à agir en annulation d'une sentence s'apprécie au regard du seul critère de la succombance : il faut - mais il suffit - que la décision attaquée n'ait pas donné satisfaction à celui qui sollicite sa réformation pour que celui-ci ait intérêt à agir au sens de l'article 546 du code de procédure civile, de sorte que la recevabilité du recours en annulation ne fait pas de difficulté lorsqu'il émane de la partie succombant à l'arbitrage, opposée à l'exécution de la sentence ;

- L'intérêt à agir n'est pas conditionné par la preuve d'un grief, l'existence de celui-ci n'étant pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès : qu'elle ait ou non causé grief à la partie qui demande son annulation, une sentence irrégulière doit être annulée par le juge de l'annulation car une sentence viciée n'a pas sa place dans l'ordre juridique français ;

- Une partie a un intérêt personnel à agir en annulation, sur le fondement de la violation du principe du contradictoire, contre une sentence se prononçant sur les droits d'un tiers qui n'a été " ni convoqué, ni représenté " à l'arbitrage (CA Paris, 12 décembre 2001, n°2000/01946) ;

- En tout état de cause, M. [I] a indéniablement intérêt à demander l'annulation de la sentence et ce, du seul fait que la sentence ne lui a pas donné satisfaction en le déboutant de ses demandes et en le condamnant à verser diverses sommes d'argent à [G] ;

- Si, par extraordinaire, la cour considérait que l'intérêt à agir de M. [I] implique la demonstration d'un grief, il constaterait que ce grief est indéniable et personnel du simple fait d'avoir été privé par le tribunal arbitral de son droit de débattre des éléments de fait et de droit sur lesquels celui-ci s'est fondé et par la situation juridique inextricable dans laquelle la sentence a laissé M. [I] en ce qu'elle a annulé la cession, mais n'a pas ordonné la rétrocession des actions cédées.

ii. Réponse de la cour

12. Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

13. Il est en l'espèce constant que M. [I] était partie à la procédure arbitrale ayant abouti au prononcé de la sentence objet du présent recours, qui a annulé la cession d'actions UNIMED qu'il avait consentie à Premium Holding et l'a condamné à payer diverses sommes au titre des frais de l'arbitrage.

14. Il présente dès lors un intérêt à agir en annulation de cette sentence.

15. Le fait que l'irrégularité invoquée au soutien du moyen d'annulation qu'il invoque affecte un tiers est à cet égard indifférent, [G] opérant ici une confusion entre recevabilité du recours et recevabilité du moyen, l'appréciation de la recevabilité du recours en annulation à l'aune de l'intérêt à agir ne commandant pas la démonstration, par le demandeur au recours, du préjudice que lui causerait le grief attaché à un moyen d'annulation invoqué au soutien de celui-ci.

16. [G] ne saurait par ailleurs reprocher à M. [I], pour contester son intérêt à agir, de n'avoir pas soulevé une violation du principe de la contradiction au cours de la procédure d'arbitrage puisque M. [I] reproche précisément au tribunal arbitral d'avoir statué sur une question dont il considère qu'elle n'était pas dans le débat. Il ne saurait donc être opposé au demandeur au recours en annulation d'avoir renoncé à soulever une irrégularité qu'il n'a découverte qu'à la reddition de la sentence.

17. En tout état de cause, [G] ne peut valablement soutenir que la violation du principe de la contradiction, à la supposer établie, n'a causé aucun préjudice à M. [I] mais uniquement à un tiers, en l'occurrence Premium Holding, au motif qu'en refusant de faire droit à la demande de rétrocession des actions à Premium Holding formée par [G], le tribunal arbitral aurait rendu une décision au seul préjudice d'[G], alors même que la sentence a prononcé la nullité d'une cession d'actions à laquelle M. [I] était partie en qualité de cédant et que ce dernier critique, sur le fondement de la violation du principe de la contradiction, la déclaration d'incompétence du tribunal arbitral relative à la rétrocession des actions sollicitée par [G] comme corollaire de l'annulation.

18. La fin de non-recevoir soulevée par [G] de ce chef sera donc rejetée.

b. Sur l'irrecevabilité des moyens au soutien du recours en annulation en application de l'article 1466 du code de procédure civile

i. Position des parties

19. A titre subsidiaire, [G] conclut à l'irrecevabilité des moyens soulevés par M. [I] au soutien de son recours en annulation en application de l'article 1466 du code de procédure civile aux motifs que :

- L'article 1466 du code de procédure civile s'applique à tous les moyens de l'article 1520 du code de procédure civile, à l'exception de l'ordre public international de fond et sous la réserve du tempérament concernant le contrôle de la compétence, de sorte qu'il s'applique aux moyens tenant à l'irrégularité touchant à la compétence du tribunal arbitral, au principe de la contradiction et à l'ordre public procédural ;

- En soutenant qu'" [a]ucun des moyens de fait et de droit ayant servi au Tribunal arbitral pour statuer sur sa compétence n'[aurait] été soumis aux débats entre les Parties ", M. [I] revient sur la décision du tribunal Arbitral sur sa compétence, alors qu'il n'a jamais soulevé d'exception d'incompétence durant l'Arbitrage ;

- L'article 1466 du code de procédure civile s'applique tout autant à une critique déguisée de la compétence du tribunal arbitral par le biais des articles 1520,4° et 1520,5°. M. [I] avait en tout état de cause connaissance, de cette prétendue irrégularité dès le début de l'arbitrage, puisque le tribunal arbitral n'a fait que répondre à la demande d'[G] sur sa compétence qui a, de ce fait, été soumise à débats.

- En soutenant que " PREMIUM HOLDING, tierce à l'arbitrage n'[aurait] été ni appelée ni entendue, alors que les demandes d'[G] [toucheraient] directement ses droits ", M. [I] soulève pour la première fois devant le juge de l'annulation une supposée irrégularité dont il a toujours eu connaissance et dont il ne s'est jamais plaint devant le tribunal arbitral : l'irrecevabilité de ce moyen est donc également caractérisée.

20. M. [I] réplique que :

- Une partie ne peut pas avoir renoncé à se prévaloir d'une irrégularité découverte à la réddition de la sentence, dès lors qu'elle a été révélée trop tardivement pour pouvoir être utilement dénoncée pendant l'instance arbitrale ;

- M. [I] ne formule aucune critique déguisée de la compétence arbitrale puisqu'il ne la conteste pas. Ce qu'il critique est le fait pour le tribunal arbitral d'avoir tranché la question de sa compétence ratione personae vis-à-vis de Premium Holding, sans que cette question ait été jamais débattue entre les parties. M. [I] ne peut se voir reprocher d'avoir " renoncé " à se prévaloir d'une irrégularité qu'il ne soulève pas.

- L'absence de contestation de la compétence du tribunal arbitral par M. [I] ne prive en rien de sa substance l'argument fondé sur le non-respect du principe du contradictoire par les arbitres : le tribunal s'est prononcé sur sa compétence vis-à-vis de Premium Holding, en se fondant sur des arguments de fait et de droit qui n'ont jamais été soulevés pendant l'arbitrage, ce que M. [I] a découvert à la lecture de la sentence.

ii. Réponse de la cour

21. Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable en matière d'arbitrage international par l'article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

22. Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d'une irrégularité, la partie qui s'en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu'elle aurait dû alors s'en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.

23. Il ne saurait être reproché à une partie à une instance arbitrale, en vertu de ce principe, de ne pas avoir invoqué durant la procédure arbitrale une irrégularité qui ne serait survenue que postérieurement aux débats.

24. En l'espèce, contrairement à ce qu'allègue [G], M. [I] ne remet pas en cause la décision prise par le tribunal arbitral sur sa compétence, mais se borne à invoquer, au soutien de son recours en annulation, une violation du principe de la contradiction par ce tribunal, auquel il fait grief d'avoir :

- soulevé d'office la question de sa compétence rationae personae vis-à-vis de Premium Holding pour statuer sur les demandes d'[G], alors qu'aucune des Parties ne l'avait soulevée pendant l'arbitrage ;

- décidé qu'il était compétent pour annuler la cession d'actions et incompétent pour ordonner à Premium Holding de rétrocéder les actions acquises auprès de M. [I], sur le fondement de moyens de fait et de droit qui n'ont été ni évoqués, ni a fortiori discutés entre M. [I] et [G] avant le rendu de la sentence, que ce soit à l'écrit ou à l'oral ; et

- annulé la cession d'actions conclue au bénéfice de Premium Holding sans que cette dernière n'ait été ni convoquée, ni entendue.

25. Ce grief reposant sur le relevé d'office d'un moyen d'incompétence par le tribunal arbitral qui n'avait pas été débattu par les parties, [G] ne saurait valablement opposer à M. [I] d'avoir renoncé à une irrégularité qu'il n'a pu découvrir qu'à la reddition de la sentence.

26. Il est en revanche constant que le tribunal arbitral était saisi ab initio de la demande d'[G] d'annulation de la cession d'actions d'Unimed par M. [I] à Premium Holding et de la demande corrélative d'ordonner la rétrocession des titres à M. [I] (pièces requérant n° 20 à 24 : mémoires des parties). Ces demandes, qui étaient les seules demandes d'[G] au fond, affectaient nécessairement Premium Holding, ce que M. [I] ne manquait d'ailleurs pas de décrire dans un de ses mémoires comme " son prolongement " (pièces requérant n°21, mémoire en réponse, page 14).

27. M. [I] ne peut ici prétendre avoir découvert les conséquences de la sentence sur Premium Holding lors de la reddition de celle-ci.

28. S'il considérait que le tribunal arbitral n'était pas compétent pour annuler la cession d'actions conclue au bénéfice de Premium Holding ni en ordonner la rétrocession sans que cette dernière ait été convoquée ni entendue, il lui appartenait de l'invoquer au cours des débats devant le tribunal arbitral.

29. En conséquence, M. [I] ne peut valablement faire grief au tribunal arbitral d'avoir pris des décisions affectant Premium Holding, tiers à l'arbitrage : s'étant abstenu de le faire valoir devant le tribunal arbitral, alors que la question était au c'ur du litige, il est réputé avoir renoncé à s'en prévaloir.

30. Le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction invoqué par le demandeur au recours en annulation n'est donc recevable que dans la mesure où il est fait grief au tribunal arbitral de s'être déclaré incompétent pour ordonner la rétrocession des actions, le demandeur au recours étant en revanche irrecevable à se prévaloir de la deuxième branche de son moyen tenant au droit de Premium Holding d'être appelée à la cause et entendue.

B.Sur la violation du principe de la contradiction par le tribunal arbitral

i. Position des parties

31. M. [I] conclut à la violation, par le tribunal arbitral, du principe de la contradiction, au motif que :

- Le principe de la contradiction impose que tout élément de fait ou de droit ayant servi à fonder la décision des arbitres doit être soumis à un débat contradictoire entre les parties ;

- En soulevant d'office la question de sa compétence vis-à-vis de Premium Holding alors qu'aucune des parties ne l'avait soulevé, en décidant qu'il était compétent pour annuler la cession d'actions mais incompétent pour ordonner à Premium Holding de rétrocéder les actions à M. [I] sur des moyens non évoqués, ni discutés par les parties, le tribunal arbitral n'a pas respecté le principe du de la contradiction ;

- Le tribunal reconnaît d'ailleurs lui-même dans sa sentence avoir soulevé d'office la question de sa compétence vis-à-vis de Premium Holding.

32. [G] réplique que le tribunal a respecté le principe de la contradiction dans la mesure où :

- Il est de jurisprudence constante que les éléments déjà dans les débats devant les arbitres n'ont pas besoin d'être soumis au débat contradictoire et que le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye sa motivation puisque celle-ci ressort de son office ;

- En l'espèce, la question de la compétence du tribunal arbitral pour juger des deux demandes au fond d'[G] était dans le débat et le tribunal arbitral n'a fait que répondre à la demande d'[G] sur sa compétence.

ii. Réponse de la cour

33. L'article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

34. Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu'elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.

35. Le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

36. En l'espèce, le tribunal arbitral s'est déclaré compétent pour connaître du litige qui lui était soumis " sauf en ce qui concerne la demande de rétrocession totale du bloc de 8 000 000 d'actions ['] au profit de Premium Holding SA le 27 février 2019 ou subsidiairement la demande de rétrocession partielle par Premium Holding SA de 6 647 504 action d'UNIMED détenues par cette dernière au profit de M. [C] [I] ".

37. Il a pour ce faire examiné sa compétence ratione personae en considérant que :

- la demande qui lui était soumise avait nécessairement une incidence sur Premium Holding, partie tierce (sentence, § 93) ;

- aucune partie n'a plaidé l'extention de la clause compromissoire ni invoqué de fondement pour ce faire (sentence, § 94) ;

- Premium Holding n'étant pas signataire du pacte, ayant une personnalité juridique distincte de celle de son propriétaire, et n'étant de surcroit pas partie à la procédure, elle ne saurait être liée par la clause compromissoire (ibid.) ;

- le prononcé d'une décision de rétrocession suppose nécessairement son caractère obligatoire à l'égard de Premium Holding, ainsi que le prononcé d'une injonction qui s'adresse à elle (sentence, § 97) ;

- le fait que le défendeur n'ait pas soulevé l'incompétence du tribunal arbitral mais le rejet au fond des demandes n'affecte pas cette conclusion (ibid.) ;

- l'examen au fond de la demande de rétrocession exige aussi, sur le plan procédural, que le demandeur ait assigné au fond Premium Holding comme codéfendeur ou l'ait fait intervenir au procès (sentence, § 99).

38. S'il est constant qu'Equity a sollicité, tant dans sa demande d'arbitrage (pièce requérante n° 18) que dans ses mémoires (pièces réquérante n° 20, 22 et 27), que le tribunal se déclare compétent pour connaître du litige, compétence que M. [I] n'a pas contestée, aucun élément ne permet de conclure que l'incompétence ratione personae du tribunal pour prononcer la rétrocession des titres à Premium Holding, à raison de sa qualité de tiers et de l'absence de mise en cause dans la procédure arbitrale, aurait été mise dans le débat avant le prononcé de la sentence litigieuse, la compétence du tribunal faisant au contraire l'objet d'un consensus entre les parties.

39. Le tribunal le reconnaît lui-même, en relevant au paragraphe 92 de sa sentence que : " Le fait que les deux Parties acceptent la compétence du Tribunal arbitral, que le Demandeur sollicite que le Tribunal arbitral déclare la convention d'arbitrage valable, alors que le Défendeur ne conteste pas cette validité, n'empêche pas que le Tribunal Arbitral doivent vérifier sa propre compétence ", tout en constatant, au paragraphe 94, qu'" aucune partie n'a plaidé l'extension de la clause compromissoire ni invoqué de fondement pour ce faire ".

40. Il apparaît dans ces conditions, sans qu'il soit porté une quelconque appréciation sur la solution retenue, que le tribunal arbitral a relevé d'office son incompétence ratione personae pour statuer sur la rétrocession d'actions sans préalablement inviter les parties à faire valoir leurs positions sur cette question, qui n'était pas dans le débat.

41. Il s'ensuit que le principe de la contradiction n'a pas été respecté, la sentence devant être annulée de ce chef.

C. Les frais et dépens du recours en annulation

42. [G], partie succombante, sera déboutée de ses demandes de condamnation de M. [I] aux dépens et au titre des frais irrépétibles. Elle sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à M. [I] de la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs, la cour :

1) Déclare Monsieur [C] [I] recevable en son recours en annulation ;

2) Annule, en application de l'article 1520, 4°, du code de procédure civile, la sentence rendue le 16 novembre 2022 (Affaire CCI n° 26407/AZO/SP) en ce que le tribunal arbitral n'a pas respecté le principe de la contradiction ;

3) Condamne la société [G] Capital aux dépens et à payer à Monsieur [C] [I] la somme de cinquante mille euros (50 000 ') en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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