CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 9 septembre 2025, n° 22/15049
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
W... SpA (Sté)
Défendeur :
LE DEPARTEMENT DES [Localité 4] ET DU MINISTERE DU DEVELOPPEMENT REGIONAL ET DES INFRASTRUCTURES DE GEORGIE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Daniel BARLOW
Conseillers :
M. Jacques LE VAILLANT, Mme Joanna GHORAYEB
Avocats :
Me Luca DE MARIA, Me Carine DUPEYRON, Me Laura DRZEWINSKI, Me Sylvie KONG THONG, Me Charles NAIRAC, Me Niels AUJOUANNET-KELNER, Me Frederico EUFORBIO
FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale du 29 mars 2022 et son addendum du 1er juillet 2022 (ci-après, les « Sentences »), rendus à [Localité 3] sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant la société [W] S.p.A (anciennement dénommée « [L] S.p.A ») au Département des [Localité 4] du Ministère du Développement Régional et des Infrastructures de Géorgie (ci-après, le « Département des [Localité 4] »).
2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur la mise en 'uvre d'un contrat relatif à la construction d'une section d'autoroute au centre de la Géorgie.
Faits
3. [L] et le Département des [Localité 4] ont conclu , le 6 septembre 2017, un contrat par lequel [L] était chargé de la construction d'une section d'autoroute. La réalisation de cette autoroute impliquait notamment la construction de différents ponts sur lesquels l'autoroute devait passer.
4. Le 28 septembre 2018, une procédure de concordato preventivo (mécanisme issu du droit italien des procédures collectives) a été ouverte à la demande et au bénéfice d'[W] du fait des difficultés financières qu'elle connaissait.
5. Le projet, objet du contrat, n'a jamais été mené à son terme.
6. Considérant que les plans des ponts préparés par le Département des [Localité 4] présentaient des « déficiences graves et substantielles », [L] a notifié la résiliation du contrat au Département des [Localité 4] le 22 novembre 2018.
7. Cette notification a été contestée par le Département des [Localité 4] qui, considérant que l'échec du projet était imputable à [L], a adressé à cette dernière sa propre notification de résiliation le 13 décembre 2018, estimant qu'[L] avait élaboré une stratégie visant à sortir du contrat et a abandonné ses obligations contractuelles.
8. Le 30 novembre 2018, [L] a engagé une procédure d'arbitrage aux fins de voir, entre autres, déclarer bien fondée sa résiliation du contrat et obtenir une indemnisation de GEL 121,072,153.78 et EUR 7,018,352.04.
9. Par sentence du 29 mars 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
1. TAKES NOTE that the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia no longer pursues and waives with prejudice its claims for
- Costs in retendering (Prayer for relief (f) in the Terms of Reference);
- Additional financing charges (Prayer for relief (g) in the Terms of Reference);
- Costs in securing the site (Prayer for relief (i) in the Terms of Reference).
2. DECLARES that [L] S.P.A.'s termination of the Contract was wrongful and of no legal effect;
3. DECLARES that the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia's termination of the Contract was lawful and proper;
4. DECLARES that the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia was entitled to draw upon the Guarantees;
5. DECLARES that the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia is entitled to any "extra-over" costs that it may incur in completing the Works;
6. ORDERS [L] S.P.A. to pay to the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia
- GEL 30,431,651.78 plus post-award interest of 8% per annum running from the date of this award until the final payment of this sum; and
- USD 1,431,764.40 plus post-award interest of 8% running from the date of this award until the final payment of this sum.
7. ORDERS [L] S.P.A. to pay the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia USD 5,524,193.13 as contribution to the latter's legal and other costs incurred in connection with this arbitration plus post-award interest of 8% per annum from the date of this award until final payment of this sum.
8. ORDERS [L] S.P.A. to pay the Roads Department of the Ministry of Regional Development and Infrastructure of Georgia USD 400,000 towards the latter's costs of arbitration plus post-award interest of 8% per annum from the date of this award until final payment of this sum.
9. DISMISSES all other claims and counterclaims, as well as any procedural requests, applications and objections not previously ruled upon.
(Traduction libre)
1. PREND NOTE que le Département des routes du Ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie ne poursuit plus et renonce avec préjudice à ses demandes pour
- Coûts liés au nouvel appel d'offres (demande d'indemnisation (f) dans les termes de référence) ;
- Frais de financement supplémentaires (demande d'indemnisation (g) dans l'Acte de mission) ;
- Frais de sécurisation du site (demande d'indemnisation (i) dans l'Acte de mission).
2. DÉCLARE que la résiliation du contrat par [L] S.P.A. était illicite et sans effet juridique ;
3. DÉCLARE que la résiliation du contrat par le département des routes du ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie était bien fondée et appropriée ;
4. DÉCLARE que le département des routes du ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie était en droit d'utiliser les garanties ;
5. DÉCLARE que le département des routes du ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie a droit à tous les coûts supplémentaires qu'il peut encourir pour l'achèvement des travaux ;
6. ORDONNE à [L] S.P.A. de payer au Département des routes du Ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie
- 30.431.651,78 GEL plus les intérêts postérieurs à la sentence de 8% par an à compter de la date de la présente sentence jusqu'au paiement final de cette somme ; et
- 1.431.764,40 USD plus les intérêts de 8% à partir de la date de la sentence jusqu'au paiement final de cette somme.
7. ORDONNE à [L] S.P.A. de payer au Département des routes du ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie USD 5,524, 193.13 à titre de contribution aux frais de justice et autres frais de ce dernier encourus relative à l'arbitrage, majorés d'intérêts de 8% par an à compter de la date de la présente sentence jusqu'au paiement final de cette somme.
8. ORDONNE à [L] S.P.A. de payer au Département des routes du ministère du développement régional et de l'infrastructure de Géorgie USD 400,000 au titre des frais d'arbitrage majorés des intérêts post-sentence de 8% par an à compter de la date de la présente sentence jusqu'au paiement final de cette somme.
9. REJETTE toutes les autres demandes et demandes reconventionnelles, ainsi que toutes les demandes, requêtes et objections procédurales n'ayant pas fait l'objet d'une décision antérieure.
10. Le 29 avril 2022, [L], devenue [W], a soumis au secrétariat de la CCI une demande de correction de la Sentence tendant à faire rectifier des erreurs arithmétiques et typographiques impactant le quantum de la Sentence.
11. Le 1er juillet 2022, le tribunal arbitral a rendu l'Addendum, dans lequel il a :
- Rejeté la demande de correction de la Sentence au titre des items (v), (vi), (vii) et (ix) par laquelle [L] arguait que le tribunal avait incorrectement appliqué deux déductions d'un montant de GEL 22,483,765.14 correspondantes à la somme que le Département des Routes a payé à [L] au titre des IPCs.
- Corrigé les §§782, 784, 810, 811 et 825 de la Sentence au titre des items (i), (iii), (iv), (vii), (viii), en ce que, notamment, le montant total de l'addition des Items III(G), III(H), III(J) et III(M) n'équivaut pas à GEL 9,864,856.96 mais à GEL 9,864,855.51.
- Corrigé le §783 de la Sentence en ce que le montant précisé de GEL 4,744,726.82 devrait être celui de GEL 4,744,766.82.
- Rejeté la demande du défendeur de confirmer que la Sentence finale, telle qu'amendée, est finale et contraignante (' binding ').
12. [W] a formé un recours en annulation contre cette sentence et son addendum devant la cour de céans le 9 août 2022.
13. La clôture a été prononcée le 29 avril 2024 et l'affaire appelée à l'audience du 13 mai 2025, au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2025, la société [W] S.p.A demande à la cour, au visa des articles 1520 3°, 4° et 5° du code de procédure civile, de bien vouloir :
- ANNULER la Sentence du 29 mars 2022 et l'Addendum du 1er juillet 2022 car leur reconnaissance et exécution contreviennent à l'ordre public international ;
A défaut,
- ANNULER la Sentence du 29 mars 2022 et l'Addendum du 1er juillet 2022 car ils octroient au Département des Routes le remboursement d'une somme qui ne relevait pas de la mission du Tribunal arbitral.
A titre subsidiaire,
- ANNULER la Sentence du 29 mars 2022 et l'Addendum du 1er juillet 2022 en qu'ils octroient au Département des [Localité 4] une demande qui n'a pas fait l'objet d'un débat contradictoire entre les parties.
Enfin, en tout état de cause,
- DEBOUTER le Département des [Localité 4] de l'ensemble de ses demandes.
- CONDAMNER le Département des [Localité 4] à payer la somme de 200.000 euros à l'Appelante au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 avril 2025, le Département des [Localité 4] demande à la cour, au visa des articles 1520 et 1527 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- REJETER le recours en annulation formé par la société [W] ;
- DEBOUTER [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- CONFIRMER la Sentence rendue du 29 mars 2022 et son Addendum du 1er juillet 2022 ;
- PRONONCER l'exequatur de la Sentence et de son Addendum ;
- CONDAMNER [W] à payer au Département des [Localité 4] la somme de 225.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
16. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
A. Sur le premier moyen d'annulation tiré de la contrariété à l'ordre public international
i. Position des parties
17. [W] conclut à l'annulation de la Sentence du 29 mars 2022 et de l'Addendum du 1er juillet 2022 en faisant valoir que :
- Les sentences contreviennent à l'ordre public international et à la conception française de cet ordre public en ce qu'elles n'assurent pas un traitement égal des créanciers d'[W] ;
- Les sentences, en ne se référant pas au concordato preventivo (procédure d'insolvabilité italienne), conduisent à mettre le Département des [Localité 4] dans une meilleure situation que les autres créanciers d'[W], le Département des [Localité 4] pouvant notamment obtenir le paiement en numéraire de sa créance et ainsi échapper aux règles impératives du concordato preventivo en demandant l'exécution forcée des Sentences dans des États tiers ne reconnaissant pas le concordato preventivo.
- La conception française impose la primauté des principes d'ordre public international français, parmis lesquels figure le principe d'égalité des créanciers sur ceux de la lex concursus. L'ordre public international peut donc être invoqué pour neutraliser des sentences méconnaissant les sujétions d'une procédure d'insolvabilité étrangère.
- En l'espèce, le plan du concordato preventivo, homologué par la Cour de Rome le 17 juillet 2020, ne permet pas de paiements aux créanciers chirographaires d'[W] autrement que par l'attribution de ses actions ordinaires et Strumenti Finanziari Partecipativi. A l'issue de l'arbitrage, malgré le rappel par [W] durant la procédure que le tribunal devait prendre en compte les modalités prévues par le concordato preventivo, le tribunal arbitral a reconnu le Département des Routes créancier d'[W] à hauteur de GEL 30,431,650.33 et USD 1,431,764.40 (plus intérêts).
18. [W] soutient par ailleurs que cette violation de l'ordre public international affecte l'intégralité des Sentences puisque celles-ci sont indivisibles dans la mesure où :
- La violation du principe d'égalité des créanciers ressort de l'ensemble de la condamnation financière d'[W] qui a ensuite été corrigée dans l'Addendum.
- La violation de l'ordre public international par l'une emporte nécessairement l'annulation de l'autre. Si la cour tentait d'isoler l'une des sentences, en isolant la condamnation financière du reste de la Sentence dont elle découle, elle procèderait à une révision au fond.
19. Le Département des [Localité 4] réplique que :
- En cas de faillite internationale, le juge de l'annulation doit effectuer le contrôle de conformité de la sentence à l'ordre public international en prenant en compte la lex concursus étrangère applicable.
- En l'espèce, aucune violation du droit italien et, par ricochet, de l'ordre public international français, n'est caractérisée puisque rien en droit italien de la faillite ne proscrit à une autorité judiciaire de prononcer une condamnation à l'encontre d'une société sous plan de concordato preventivo.
- Le prononcé d'une condamnation au bénéfice du Département des [Localité 4] n'entraîne pas violation du concordato preventivo :
' contrairement à ce qu'elle indique, la société [W] elle-même avait affirmé que les pouvoirs de condamnation du tribunal arbitral n'étaient pas affectés par le plan du concordato preventivo et que c'était au moment de l'exécution que les modalités telles que définies par le concordato preventivo devaient être respectées. [W] se contredit donc délibérement dans le seul espoir de voir les Sentences annulées.
' La position actuelle d'[W] ne repose sur aucun fondement juridique concret. Elle n'a jamais démontré que le droit italien exige que la condamnation d'une société en cours de concordato, pour être valide, soit assortie d'une référence expresse aux modalités du concordato correspondant.
' Si le droit italien de la faillite prévoit un principe d'égalité des créanciers, ce dernier n'implique qu'une simple interdiction, pour un créancier, d'obtenir des mesures d'exécution ou conservatoires sur les actifs du débiteur en cours de concordato preventivo. En revanche, la loi italienne sur la faillite n'interdit en aucun cas à une autorité judiciaire de déterminer, en cours de concordato, l'existence et le montant d'une dette de la société en concordato, ou même de prononcer une condamnation à payer à son encontre.
' Le risque d'exécution de la Sentence n'a aucune pertinence puisque la période de protection des actifs du débiteur s'arrête à la ratification finale de la proposition de concordat, le 17 juillet 2020, soit près d'un an et demi avant le rendu de la Sentence.
- En tout état de cause, il n'existe aucune violation de l'égalité entre créanciers dès lors que :
' Le Département des [Localité 4] a des créances privilégiées qui doivent être satisfaites en numéraires, hors des modalités du concordato preventivo.
' Même si les créances du Département des [Localité 4] étaient chirographaires, le simple fait d'obtenir une condamnation d'[W] est autorisé par le droit italien.
ii. Appréciation de la cour
20. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.
21. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.
22. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.
23. Le principe d'égalité de traitement des créanciers et de suspension des poursuites individuelles relève de cet ordre public international.
24. En l'espèce, il n'est pas contesté que la procédure d'insolvabilité dont a fait l'objet [W], dite de concordato preventivo, est régie par la seule loi italienne. En application du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, elle produit sur le territoire de tout Etat membre de l'Union européenne les mêmes effets qu'en Italie, de sorte que l'éventuelle atteinte par la sentence déférée au principe d'égalité de traitement des créanciers doit s'apprécier au regard des règles du droit italien de l'insolvabilité.
25. Il n'est pas davantage contesté que l'article 168 de la loi italienne sur les faillites, qui régit la procédure de concordato preventivo, prévoit un gel des mesures d'exécution sur le patrimoine du débiteur pendant ladite procédure, mais ne prévoit pas de suspension des poursuites ni d'interdiction d'une action en justice pour obtenir une condamnation du débiteur, de sorte qu'en l'espèce, ni la poursuite de la procédure arbitrale, ni le principe d'une condamnation prononcée à l'encontre d'[W] à l'issue de celle-ci ne sauraient être contestés.
26. La société [W] ne conteste d'ailleurs pas la sentence en ce qu'elle a retenu le principe d'une créance du Département des Routes à son encontre mais soutient que le tribunal arbitral, en ne précisant pas, dans la partie dispositive de sa sentence, les modalités de paiement par [W] des sommes dues au titre de cette créance, aurait rendu une sentence dont l'exécution porterait atteinte au principe d'égalité de traitement des créanciers, plus précisément des créanciers chirographaires.
27. Elle prétend que la conséquence immédiate de cette omission serait de permettre au Département des [Localité 4] d'obtenir le paiement en numéraire de sa créance constatée par les sentences, en échappant par la même aux règles impératives du concordato, en violation du principe d'égalité des créanciers.
28. Cette assertion présuppose que la créance du Département des Routes sur [W] est chirographaire au sens du droit italien de l'insolvabilité, alors que ce point n'est pas établi, est contesté par le Département des Routes et n'a jamais été débattu devant le tribunal arbitral, qui n'était saisi que de la question de la responsabilité des parties dans la résiliation du contrat et de l'indemnisation subséquente.
29. [W] n'indique d'ailleurs pas clairement ce que le tribunal arbitral aurait dû préciser dans son dispositif : l'usage d'une formule générale pour viser un paiement « selon les modalités du concordato preventivo », sans qualifier la créance de chirographaire ou privilégiée, n'aurait pas permis de préciser davantage lesdites modalités de paiement (en titres ou en instruments financiers pour les créances chirographaires ou en numéraire pour les autres), à les supposer applicables à la créance du Département des Routes.
30. La qualification de la créance du Département des Routes en créance chirographaire ou privilégiée ne relevait pas de la mission du tribunal arbitral et ne concerne que les mesures d'exécution de celle-ci.
31. La cour relève à cet égard que, dans le cadre d'une procédure italienne d'exequatur de la sentence, [W], devant la cour d'appel de Milan, a sollicité la suspension de l'exécution de la sentence, faisant valoir, comme devant la cour de céans, pour s'opposer à l'exequatur de la sentence, que la créance du Ministère de Géorgie ne pouvait être satisfaite que dans les limites et selon les modalités prévues par le concordato, et que l'exécution de la sentence en Italie ne pouvait déroger aux règles régissant le concordato preventivo et au principe de l'égalité des créanciers, au motif qu'il constituerait un principe d'ordre public opposable à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence (pièce DR36). La cour d'appel de Milan a rejeté cette demande, relevant qu'à ce stade, il n'y avait pas de violation des principes d'ordre public.
32. La société [W] échoue ainsi à démontrer en quoi l'exécution ou la reconnaissance de la sentence et de son addendum porterait atteinte à la conception française de l'ordre public international.
33. Par suite, le moyen d'annulation tiré d'une violation de l'ordre public international sera rejeté.
B. Sur le deuxième moyen tiré de la violation par le tribunal arbitral de sa mission
i. Position des parties
34. [W] conclut à l'annulation de la sentence et de son addendum pour violation de sa mission par le tribunal arbitral, aux motifs que :
- Le tribunal arbitral statue ultra petita et est considéré comme ayant violé sa mission lorsqu'il accorde à une partie un poste de préjudice qu'elle n'avait pas demandé ;
- En l'espèce, le tribunal a statué ultra petita en accordant au Département des Routes une indemnisation qu'il n'avait pas sollicitée en incluant, dans le calcul des compensations, un poste de préjudice qui n'avait pas fait l'objet d'une prétention de la part du Département des Routes, à savoir les sommes versées au titre des Certificats Intérimaires de Paiements pour Travaux effectués dits ' IPCs ' 1 à 12 ;
- [W] fait valoir à cet égard que :
o Dans le calcul des sommes dues à la résiliation du contrat (VADOT), un tableau reproduisait trois items. L'Item I reprenait les montants déjà versés par le Département des [Localité 4] à [W] au titre des Certificats Intérimaires de Paiements pour Travaux effectués (IPCs) 1 à 12 équivalents aux travaux réalisés par [W] et du versement d'un acompte. Cet Item I était de nature purement descriptive. L'Item II reprenait les sommes dont le Département des [Localité 4] était débiteur vis-à-vis d'[W] jusqu'à la résiliation du contrat et l'Item III, les sommes dont [W] était débitrice vis-à-vis du Département des [Localité 4] ;
o Le tribunal arbitral a ignoré que deux lignes composant le premier poste des sommes dues à la date de résiliation du contrat (Item I) étaient déjà prises en compte dans le calcul du troisième poste (Item III) et l'a ultérieurement pris en compte dans le calcul des compensations ;
o De ce fait, le tribunal a octroyé au Département des Routes le remboursement d'une somme non litigieuse qui ne correspondait à aucune prétention ou demande formulées par le Département des Routes.
- Le tribunal a, à tort, tranché une prétention en amiable compositeur en ce qu'il a ordonné le remboursement de sommes en vertu des IPCs 1 à 12 en se fondant sur une demande qui n'a fait l'objet d'aucun développement juridique entre parties.
Afin d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre des IPCs 1 à 12 (Item I), le tribunal ne s'est fondé sur aucune demande ayant fait l'objet de développements juridiques entre les parties.
' La décision du tribunal ne semble se justifier que par la formule particulièrement large et imprécise utilisée par le Département des Routes dans le libellé de sa prétention (d'octroi de "toute autre compensation financière que le tribunal estimerait nécessaire à l'aune des violations contractuelles d'[L]"). La notion de « nécessité » à laquelle se réfère le Département des Routes renvoyant en réalité à la notion d'équité, le Tribunal arbitral a tranché en amiable composition, en violation de sa mission.
' Ce remboursement ne peut être légitimé par le pouvoir d'appréciation souverain du tribunal, qui ne s'est fondé sur aucune projections, données économiques ou factuelles pour accorder ce remboursement.
35.[W] soutient que ce moyen d'annulation affecte la sentence et son addendum puisque l'octroi de cette demande non-sollicitée ne constitue pas un chef décisoire qu'il est possible d'isoler.
36. Le Département des [Localité 4] répond que :
- Le grief d'ultra petita soulevé par [W] cache en réalité une tentative de révision au fond de la Sentence et de l'Addendum, et notamment de révision du raisonnement du tribunal concernant le calcul des sommes dues aux Parties, ce qui est prohibé par le droit français de l'arbitrage :
' En effet, [W], consacre la quasi-intégralité de la section de ses conclusions à expliquer, par le biais de calculs élaborés, comment le tribunal se serait trompé dans son calcul.
' [W] a eu recours à ces mêmes arguments durant la phase de correction de la Sentence, ce que le tribunal a rejeté car [W] ne se référait pas au calcul effectué par le tribunal mais plutôt au raisonnement, à l'analyse et aux conclusions du tribunal arbitral. En réalité le tribunal a délibérément choisi de prendre en compte, les montants payés au titre des IPCs 1 à 12.
- En tout état de cause, le tribunal arbitral n'a pas statué ultra petita puisque la condamnation contenue dans le dispositif de la Sentence est en parfaite adéquation avec ce que les Parties ont demandé au tribunal, à savoir « l'octroi de toute autre compensation financière que le tribunal estimerait nécessaire à l'aune des violations contractuelles d'[L] » :
' La condamnation contenue dans le dispositif de la Sentence résulte, selon les propres termes d'[W], « d'une consolidation des demandes accordées par le Tribunal arbitral » - demandes impliquant, l'établissement d'un solde final entre les sommes demandées et dues entre les Parties. Il y a donc une parfaite adéquation entre ce que les Parties ont demandé au tribunal et ce que le tribunal a effectivement octroyé.
' Le débat soulevé par [W] sur la formulation de la prétention du Département des Routes demandant l'octroi de « toute autre compensation financière que le tribunal estimerait nécessaire à l'aune des violations contractuelles d'[L] » est un faux débat puisque, quoi qu'il en soit, pour étudier la demande d'indemnisation du Département des Routes en application de l'Article 15.4 du Contrat, le tribunal allait devoir établir un solde final des sommes dues par les Parties.
' [W] et le Département des Routes étaient d'accord, du début à la fin de l'Arbitrage, sur le fait qu'il revenait au tribunal arbitral de calculer la VADOT.
' Le tribunal s'est parfaitement et strictement conformé aux demandes, le fait qu'[W] ne soit pas d'accord avec le raisonnement ou le calcul du tribunal arbitral ne peut justifier une tentative de revenir sur la méthodologie du tribunal ou, en l'espèce, caractériser un dépassement de sa mission par le tribunal arbitral.
' À titre subsidiaire, à supposer que le tribunal arbitral se soit trompé dans son calcul de la VADOT (quod non), il s'agit d'une question de fond, sur laquelle le juge de l'annulation ne peut revenir sous peine de réviser la sentence
- Le tribunal arbitral n'a pas statué en amiable compositeur, puisque le Département des Routes sollicitait du tribunal qu'il applique le Contrat et que rien dans les Sentences ne traduit la volonté du tribunal de s'affranchir des stipulations du Contrat :
' Le Département des Routes a invité le tribunal à lui octroyer toute compensation " qu'il estimerait nécessaire, à l'aune des violations contractuelles d'[L] " et à appliquer l'article 15.4 du contrat, non à trancher en amiable composition.
' [W] se plaint du calcul et de la prise en compte du montant des IPCs, qui ont pourtant été intégrés dans la VADOT qui, elle-même, fait l'objet d'une demande distincte, claire et fondée juridiquement de la part du Département des [Localité 4].
' Rien dans la Sentence et l'Addendum ne peut être compris comme traduisant la volonté du tribunal arbitral de s'affranchir des stipulations du contrat.
' La condamnation prononcée est le fruit d'un calcul et d'un raisonnement mathématiques qui s'appuient sur des données financières et techniques concrètes, et issues du Projet, contrairement à ce qu'[W] prétend.
37. Le Département des Routes soutient qu'en tout état de cause, ce moyen d'annulation ne peut justifier que l'annulation partielle des sentences, tous les montants accordés au Département des Routes par le tribunal arbitral et contestés par [W] étant identifiés dans la Sentence et pouvant être isolés.
ii. Appréciation de la cour
38. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
39. Définie par la convention d'arbitrage, cette mission est principalement délimitée par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.
40. Il appartient ainsi au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes qui lui sont soumises, de sorte que s'il accorde plus que ce qui avait été demandé, sa sentence est susceptible d'être annulée pour méconnaissance de sa mission.
41. L'amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d'en exiger la stricte application, les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences de cette règle dès lors que l'équité ou l'intérêt commun bien compris des parties l'exige.
42. L'arbitre ne s'écarte pas de sa mission s'il use de la liberté qui lui est accordée par le droit applicable au différend, l'usage par un tribunal arbitral d'une liberté d'appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande ne suffisant pas à qualifier ce pouvoir d'amiable composition.
43. En l'espèce, au cours de la procédure arbitrale, les parties ont chacune formulé de multiples demandes d'indemnisation à l'encontre de l'autre, le tribunal arbitral étant saisi de la mission de déterminer les responsabilités respectives des parties dans la résiliation du contrat et les conséquences financières de la rupture des relations contractuelles, en tenant compte des éventuelles compensations à opérer.
44. Au soutien de son moyen d'annulation tiré du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission, [W] soutient que le tribunal arbitral aurait accordé au Département des Routes le remboursement d'une somme qui n'avait pas fait l'objet d'une prétention de la part de ce dernier.
45. Dans le cadre de la procédure arbitrale, le Département des Routes a formé des demandes reconventionnelles détaillées au titre des différents manquements qu'il imputait à [W] dans le cadre de la mise en 'uvre du contrat litigieux et sollicité du tribunal arbitral qu'il ordonne « toute autre compensation financière que le Tribunal estimerait nécessaire à l'aune des violations contractuelles d'[L] » (' GRANTING the Roads Department such other and further relief as the Tribunal may deem appropriate in light of [L]'s breaches of the Contract ', cf. DR28 Mémoire du Département des Routes du 23 avril 2021).
46. Il résulte clairement de la procédure arbitrale et en particulier des mémoires échangés et des pièces produites, notamment des rapports d'expert produits de part et d'autre, que l'objet du litige était d'identifier les responsabilités réciproques des parties dans la mise en 'uvre du contrat et dans le cadre de la rupture des relations contractuelles et de déterminer les indemnisations en résultant.
47. Les rapports d'expert produits, en particulier l'expert « quantum » mandaté par [W] (Pièce DR39), font état des IPCs à de multiples reprises et le tribunal arbitral, dans ses développements relatifs aux sommes dues par les parties et au calcul de l'indemnisation ordonnée, confronte expressément les conclusions des experts (voir par exemple la partie 7.6 de la sentence consacrée à la VADOT, qui vise spécifiquement les conclusions de l'expert « quantum » d'[W] §602).
48. [W] ne sollicite en réalité pas de la cour qu'elle contrôle le respect par le tribunal arbitral de sa mission mais lui demande de procéder à une vérification, poste par poste, des calculs opérés par le tribunal arbitral et des sommes auxquelles [W] a été condamnée et, partant, du raisonnement suivi par le tribunal arbitral pour parvenir aux montants retenus. Un tel contrôle reviendrait à une révision au fond de la sentence, à laquelle le juge de l'annulation ne saurait procéder.
49. [W] ne saurait par ailleurs valablement invoquer que les éléments retenus par le tribunal arbitral l'ont été sur des points de fait et de droit non évoqués dans les sentences et non débattus durant la procédure, alors qu'il résulte de la sentence, de son addendum et des conclusions mêmes d'[W] que le tribunal a confronté les prétentions des parties aux expertises produites devant le tribunal arbitral, pour en tirer ses propres conclusions.
50. Enfin, [W] ne démontre pas en quoi le tribunal arbitral aurait statué en amiable compositeur. Elle se contente de soutenir qu'il ne s'est fondé sur aucune demande ayant fait l'objet de développements juridiques entre les parties, alors que la sentence se fonde sur l'analyse des stipulations du contrat litigieux et l'appréciation de leur mise en 'uvre par les parties.
51. Par suite, le moyen d'annulation tiré du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission sera rejeté.
C. Sur le troisième moyen tiré de l'atteinte au principe de la contradiction
i. Position des parties
52. [W] conclut à l'annulation de la sentence et de son addendum pour violation du principe de la contradiction, aux motifs que :
- Les parties n'ont jamais discuté du remboursement intégral des IPCs 1 à 12 au Département des [Localité 4] et la prise en compte des IPCs dans le calcul de la VADOT ne saurait démontrer qu'elle avait connaissance de cette demande de remboursement du Département des [Localité 4] et été mise en mesure d'en discuter le bien fondé ;
- Le tribunal arbitral a tiré de la demande particulièrement large du Département des Routes, la prétention d'obtenir le remboursement intégral des IPCs 1 à 12, laquelle n'était en réalité pas formulée par le Département des Routes ;
- Si la cour de céans considérait que l'octroi du remboursement des IPCs 1 à 12 était une demande implicite, celle-ci aurait alors été tranchée sur la base d'éléments qui n'ont pas été débattus.
[W] soutient par ailleurs que :
- ce moyen d'annulation affecte la Sentence et l'Addendum puisque cet élément de la décision ne peut être isolé ;
- contrairement à ce que soutient le Département des [Localité 4], il n'a pas été soulevé tardivement, n'ayant été mis en lumière qu'à la lecture des écritures en défense du Département des [Localité 4] et quoi qu'il en soit ;
- en tout état de cause, ce nouvel argument soutient la même prétention que les autres, à savoir obtenir l'annulation des Sentences.
53. Le Département des [Localité 4] répond que :
- Ce nouvel argument est tardif puisqu'il apparaît pour la première fois dans les secondes conclusions récapitulatives d'[W] ;
- Ce nouvel argument n'est pas fondé, [W] ayant eu l'occasion, à de très nombreuses reprises, de discuter et débattre contradictoirement du sort des IPCs 1 à 12 durant l'Arbitrage, que ce soit dans le cadre de son mémoire en démande, du rapport d'expert " quantum ", durant l'audience, dans le mémoire post-audience ou encore dans le cadre de la procédure de correction de la Sentence :
' Dès son mémoire en démande, [W] a pris l'initiative d'embaucher un expert " quantum " qui a pris en compte à d'innombrables reprises les IPCs pour calculer les sommes dues par les Parties ;
'Après le dépôt du rapport d'expert « quantum » par le Département des [Localité 4], dans lequel une section était dédiée aux IPCs, [W] a déposé son second rapport d'expert « quantum » dans lequel l'expert a eu l'occasion de donner son interprétation des sommes dues au vu des IPCs 1 à 12 ;
' Lors de l'audience, l'expert « quantum » d'[W] a développé son interprétation de la méthodologie à adopter pour intégrer les IPCs dans le calcul de la VADOT ;
' Dans son mémoire post-audience, [W] a de nouveau abordé, le calcul de la VADOT et la prise en compte des IPCs 1 à 12 ;
' [W] a initié la correction de la Sentence en tentant de convaincre le tribunal de revenir sur sa méthodologie de calcul de la VADOT et de prise en compte des IPCs.
- S'agissant de la prétention d'[W] selon laquelle la prise en compte des IPCs dans le calcul de la VADOT ne saurait démontrer qu'elle avait connaissance de cette demande de remboursement du Département des [Localité 4] et qu'elle a été mise en mesure d'en discuter le bien fondé, le Département des [Localité 4] réplique que :
o le calcul de la VADOT était une demande des Parties et nécessitait forcément la prise en compte des IPCs, de sorte qu'[W] a toujours pu débattre contradictoirement du sort de ceux-ci ;
o la distinction opérée par [W] entre bien-fondé de la demande de remboursement et prise en compte des IPCs dans le calcul du tribunal est artificielle, le simple fait que le tribunal n'ait pas adopté la même méthode de calcul qu'elle ne signifie pas qu'une violation du principe de la contradiction est matérialisée.
ii. Appréciation de la cour
54. L'article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.
55. Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu'elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.
56. Le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.
57. En l'espèce, comme le démontre le Département des [Localité 4] et comme il a déjà été relevé s'agissant du deuxième moyen d'annulation, [W] a été mise en mesure de débattre contradictoirement du sort des IPCs 1 à 12 durant la procédure arbitrale et de leur prise en compte dans la détermination des sommes respectivement dues par les parties puisque :
- la prise en compte des IPCs figure de manière récurrente dans les pièces de la procédure d'arbitrage, dans les rapports d'experts quantum mandatés par [W] elle-même ou par le Département des [Localité 4] (pièces DR 39, 40, 41) ;
- [W] a largement évoqué les méthodes d'évaluation dans son mémoire post-audience du 3 décembre 2021, notamment s'agissant de la VADOT et de la prise en compte des IPC (pièce DR 43).
58. [W] ne peut donc valablement soutenir ne pas avoir eu connaissance d'une demande de remboursement intégral des IPCs, alors que leur prise en compte faisait partie intégrante des débats contradictoires portant sur l'évaluation financière globale du préjudice, à laquelle le tribunal arbitral était tenu de procéder, ainsi qu'en attestent les écritures des parties et rapports d'experts « quantum ».
59. Sous couvert du moyen d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction, [W] entend en réalité obtenir une révision du montant de l'indemnisation accordée au Département des [Localité 4], à laquelle le juge de l'annulation ne saurait procéder.
60. Le moyen d'annulation tiré de l'atteinte au principe de la contradiction sera en conséquence rejeté.
61. Par suite, aucun des moyens d'annulation d'[W] n'étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours en annulation contre la sentence du 29 mars 2022 et son addendum du 1er juillet 2022, le rejet du recours conférant l'exequatur à la sentence arbitrale et son addendum en application des dispositions de l'article 1527 du code de procédure civile.
D. Sur les frais du procès
62. [W], qui succombe en son recours en annulation, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
63. Elle sera condamnée à payer au Département des [Localité 4] la somme de 150 000 euros sur le fondement du même article.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par la société [W] S.p.A. contre la sentence arbitrale du 29 mars 2022 et son addendum du 1er juillet 2022, rendues à [Localité 3] sous l'égide de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence n°24093/FS ;
2) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence ;
3) Condamne la société [W] S.p.A. aux dépens ;
4) La condamne à payer au Département des [Localité 4] du Ministère du Développement Régional et des Infrastructures de Géorgie la somme de cent cinquante mille (150 000) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.