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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 16 septembre 2025, n° 24/18541

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SNEL (Sté)

Défendeur :

FG HEMISPHERE ASSOCIATES (Sté), LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Daniel BARLOW

Conseillers :

M. Jacques LE VAILLANT, Mme Joanna GHORAYEB

Avocats :

Me Benoît HENRY, Me Jean-Claude CHEVILLER, Me Charles Emmanuel PRIEUR, Me Clémence LEMETAIS D'ORMESSON, Me Matthieu BOCCON GIBOD

CA Paris n° 24/18541

15 septembre 2025

1. La cour est saisie de l'appel d'une ordonnance d'exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris du 5 novembre 2009, qui a déclaré exécutoire en France une sentence arbitrale rendue à Zurich le 30 avril 2003, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans une affaire n° 11441/KGA.

2. Le différend à l'origine de cette décision oppose la société bosniaque Energoinvest DD (ci-après, « Energoinvest »), aux droits de laquelle vient la société de droit du Delaware FG Hemisphere Associates LLC (ci-après, « FG Hemisphere »), à l'entreprise publique zaïroise Société Nationale d'Électricité (ci-après, « SNEL ») et à la République du Zaïre, aujourd'hui République Démocratique du Congo (ci-après, « la RDC »).

3. Le 2 avril 1980, la République du Zaïre et la SNEL ont conclu un accord de crédit avec Energoinvest pour financer la construction d'une ligne à haute tension reliant [Localité 3] à [Localité 4].

4. Invoquant un défaut de remboursement de leur dette par la RDC et la SNEL, Energoinvest a engagé une procédure d'arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire stipulée par cette convention.

5. Par sentence arbitrale du 30 avril 2003, la RDC et la SNEL ont été condamnées conjointement et solidairement à payer à Energoinvest la somme de 11 725 844,96 USD, outre les intérêts et les frais d'arbitrage.

6. Sur requête de FG Hemisphere venant aux droits d'Energoinvest, cette sentence a été revêtue de l'exequatur par ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris du 5 novembre 2009.

7. La RDC et la SNEL ont interjeté appel de cette décision le 21 novembre 2011.

8. Le 16 juillet 2012, la RDC a notifié à FG Hemisphere l'exercice de son droit au retrait litigieux, sur le fondement de l'article 1699 du code civil. FG Hemisphere s'est opposée à la reconnaissance de ce droit.

9. La déclaration d'appel de la SNEL ayant été déclarée caduque, cette société a saisi la cour d'une nouvelle déclaration d'appel le 18 mai 2015.

10. Par arrêt du 12 avril 2016, la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable la demande de retrait litigieux de la RDC et a rejeté l'appel formé par cette partie.

11. Cette décision a été cassée en toutes ses dispositions, suivant arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation ayant retenu que la cour d'appel avait violé l'article 1699 du code civil en jugeant irrecevable comme non-comprise dans sa mission la demande de retrait litigieux, alors que l'exercice de celui-ci affecte l'exécution de la sentence.

12. Par arrêt du 14 janvier 2020, la cour de céans a sursis à statuer sur l'appel interjeté par la SNEL dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur renvoi après cassation dans la procédure engagée par la RDC.

13. Statuant sur renvoi après cassation dans cette procédure, la cour d'appel de Paris a rejeté la demande de retrait litigieux et l'appel formé par la RDC, dans un arrêt du 7 décembre 2021.

14. Par arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation a cassé cette décision sans renvoi, la cassation portant sur le seul rejet de la demande de retrait litigieux formulée par la République démocratique du Congo sur le fondement de l'article 1699 du code civil français, la Cour de cassation retenant qu'il y a lieu de juger désormais qu'est irrecevable une demande d'exercice d'un droit au retrait litigieux formée devant le juge du contrôle de l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger comme n'entrant pas dans les cas prévus à l'article 1520 du code de procédure civile.

15. Réinscrite au rôle le 13 novembre 2024, la présente affaire a été appelée à l'audience du 27 mai 2025 au cours de laquelle la clôture a été prononcée et les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 avril 2025, la SNEL demande à la cour, au visa des articles 509 et 1504 et suivants du code de procédure civile, de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution et de la Convention de New York de 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, de bien vouloir :

- Donner acte à la Société nationale d'électricité (SNEL) de ce qu'elle se réserve d'exercer ultérieurement et le cas échéant, devant le Juge de l'exécution, son droit au retrait litigieux de l'article 1699 du Code civil.

- Recevoir la Société nationale d'électricité (SNEL) en son appel et l'y déclarer bien fondée,

- À titre principal, dire et juger que l'ordonnance du 5 novembre 2009 et le procès-verbal de sa signification en date du 17 décembre 2009 sont frappés de nullité.

- Subsidiairement, déclarer exécutoire le jugement rendu le 2 avril 2010 par le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa sous le numéro de rôle 101.912.

- Infirmer l'ordonnance du 5 novembre 2009 et, statuant à nouveau,

- Rejeter la demande de reconnaissance et d'exécution de la société FG Hemisphere, de même que ses demandes accessoires, dommages et intérêts et article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société FG Hemisphere au paiement à la Société nationale d'électricité (SNEL) de la somme de EUR 150.000,00 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, en ce compris les dépens d'incidents.

17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 avril 2025, FG Hemisphere Associates LLC demande à la cour, au visa des articles 42, 43, 1447, 1466, 1506, 1520, 1524 et 1525 du code de procédure civile de bien vouloir :

Sur la demande incidente de la Société Nationale d'Électricité :

- Se déclarer incompétente pour statuer sur la demande de la Société Nationale d'Électricité visant à voir déclaré exécutoire un jugement rendu le 2 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa ;

- À titre subsidiaire, rejeter la demande d'exequatur du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa le 2 avril 2010 ;

Sur les demandes de nullité de la Société Nationale d'Électricité :

- Dire et juger que la demande de la Société Nationale d'Électricité à voir déclarer nulle l'ordonnance d'exequatur du 5 novembre 2009 du Tribunal de grande instance de Paris est irrecevable et subsidiairement ne relève pas de la compétence de la Cour de céans ;

- Rejeter la demande de nullité de la Société Nationale d'Électricité à l'encontre du procès-verbal de signification du 5 avril 2019 ;

Sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur :

- Dire et juger irrecevables les moyens invoqués par la Société Nationale d'Électricité au soutien de son appel faute d'avoir été soulevés devant le tribunal arbitral ;

- En tout état de cause, dire et juger mal fondés les moyens invoqués par la Société Nationale d'Électricité au soutien de son appel ;

En conséquence,

- Rejeter l'appel interjeté par la Société Nationale d'Électricité à l'encontre de l'ordonnance ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue le 30 avril 2003 à Zurich sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI dans l'affaire n°11441/KGA ;

En tout état de cause

- Condamner la Société Nationale d'Électricité à payer à la société FG Hemisphere Associates une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamner la Société Nationale d'Électricité à payer à la société FG Hemisphere Associates une somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Société Nationale d'Électricité aux entiers dépens, dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Maître Chevillier.

18. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III.A Sur la demande de donner acte

19. La SNEL invite la cour, dans le dispositif de ses conclusions, à lui « donner acte ['] de ce qu'elle se réserve d'exercer ultérieurement et le cas échéant, devant le juge de l'exécution, son droit au retrait litigieux de l'article 1699 du code civil ».

20. Cette demande, qui est dépourvue de tout portée juridique et qu'aucun moyen de droit ne vient soutenir, ne constitue pas une prétention au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile.

21. Il ne sera, par conséquent, pas statué sur ce point.

III.B Sur la nullité de l'ordonnance d'exequatur

III.B.1 Positions des parties

22. La SNEL conclut à la nullité de l'ordonnance d'exequatur querellée en soutenant que :

- il appartient à la cour de s'assurer de la régularité formelle et procédurale de la décision juridictionnelle conférant l'exequatur à une sentence arbitrale ;

- le tribunal a outrepassé ses pouvoirs en reconnaissant de fait et sans aucun contrôle la validité d'une substitution de créancier et en accordant à un tiers à l'arbitrage le droit d'exécuter la sentence sur le territoire français, sans s'enquérir du respect des formalités prévues à l'article 1690 du code civil, alors que la cession de créance n'était pas opposable à SNEL puisqu'elle ne lui a pas été signifiée ni n'a été acceptée par elle ;

- le tribunal a par ailleurs ignoré la nature et l'étendue de son contrôle et a privé sa décision de base légale en retenant que la sentence ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à l'ordre public alors que l'article 1498 du code de procédure civile (aujourd'hui 1514) lui faisait obligation de vérifier que la reconnaissance n'était pas manifestement contraire à l'ordre public international ;

- en ne cantonnant pas son examen à un empêchement manifeste, le tribunal a donné à sa décision une portée générale qui fait grief à la concluante.

23. FG Hemisphere répond que :

- l'ordonnance d'exequatur n'est susceptible d'aucun recours conformément à l'article 1524 du code de procédure civile ;

- seule la sentence elle-même est susceptible d'un recours, seule la preuve de l'un des vices énumérés à l'article 1520 pouvant entraîner son annulation ;

- en tout état de cause, la mission du juge de l'annulation est limitée à l'examen des vices énumérés à l'article 1520 du code de procédure civile, comme rappelé par la Cour de cassation dans ses arrêts du 28 février 2024, de sorte que l'acte de cession de créances ne relève ni du pouvoir ni de la compétence de la cour de céans ;

- au surplus, la loi française qui est invoquée par la SNEL est inapplicable à la cession des créances qui est soumise au droit suisse.

III.B.2 Appréciation

24. En vertu de l'article 1525 du code de procédure civile, l'ordonnance qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est susceptible d'appel.

25. Saisie d'un tel appel, la cour ne peut, selon ce texte, refuser la reconnaissance ou l'exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l'article 1520 du même code.

26. Aucune disposition ne pouvant interdire de faire constater selon les voies de recours de droit commun la nullité d'une décision entachée d'excès de pouvoir, le caractère limitatif des cas de refus de reconnaissance ou d'exequatur de la sentence arbitrale encadrant l'exercice du contrôle opéré à ce titre par la cour n'est pas de nature à faire obstacle à la demande d'annulation de l'ordonnance formée par l'appelante.

27. Cette demande relève donc de la compétence de la cour et doit être déclarée recevable.

28. Selon l'article 1498 (devenu 1514) du code de procédure civile, pris dans sa rédaction applicable à la date à laquelle l'ordonnance d'exequatur querellée a été rendue, les sentences arbitrales sont reconnues en France si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et si cette reconnaissance n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international.

29. Ce texte, qui limite l'exercice du contrôle opéré par le juge de l'exequatur à l'existence de la sentence et à l'absence de contrariété manifeste à l'ordre public international, ne lui confère aucune compétence pour vérifier la régularité d'une cession de créance ou le respect des formalités prévues à l'article 1690 du code civil.

30. Un tel contrôle n'entrant pas dans ses attributions, c'est à tort que la SNEL soutient que ce juge aurait outrepassé ses pouvoirs en ne l'exerçant pas.

31. Ne caractérise pas davantage un excès de pouvoir la motivation de l'ordonnance qui constate que « la sentence arbitrale ci-contre ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à l'ordre public », dès lors que le premier juge n'a pas excédé ses attributions en conférant l'exequatur à la sentence litigieuse, la formule ainsi retenue, qui n'est pas investie de l'autorité de la chose jugée, ne liant pas la cour - en quoi l'appelante ne saurait invoquer un quelconque grief.

32. La demande d'annulation de l'ordonnance formée par la SNEL doit en conséquence être rejetée.

III.C Sur la nullité du procès-verbal de signification

III.C.1 Positions des parties

33. La SNEL conclut à la nullité du procès-verbal de signification de l'ordonnance en faisant valoir que :

- ce procès-verbal visait le recours en annulation de l'article 1504 ancien du code de procédure civile relatif aux sentences rendues en France, alors que la sentence dont l'exécution était poursuivie a été rendue à l'étranger et relevait du régime de l'article 1498 ancien de sorte que les dispositions de l'article 1503 (ancien) ont été violées ;

- il est irrégulier pour avoir présenté la voie de recours comme devant être exercée au plus tard le 17 mars 2010, alors qu'à cette date, les destinataires n'avaient pas bénéficié de l'intégralité du délai d'un mois prévu à l'article 1503 ancien du code de procédure civile ;

- il mentionnait un délai courant à compter de la date de l'acte, alors que la notification par parquet diplomatique fait courir le délai non à compter de la date de la remise au parquet mais à compter de la réception de l'acte par son destinataire ;

- la société FG Hemisphere ne conteste pas cette nullité ;

- la sentence est dès lors insusceptible d'exécution forcée.

34. FG Hemisphere répond que la question de la validité du procès-verbal de signification de l'ordonnance d'exequatur est dépourvue d'intérêt compte tenu de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er mars 2018 qui a jugé que le délai de recours en annulation n'avait pas couru à l'égard de la SNEL.

III.C.2 Appréciation

35. Selon l'article 1525 du code de procédure civile, l'appel de l'ordonnance d'exequatur est formé dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision.

36. Conformément à l'article 680 du même code, applicable à la signification des ordonnances d'exequatur des sentences arbitrales, l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.

37. En vertu de l'article 693 de ce code, ces exigences sont prescrites à peine de nullité, de sorte que la sanction du vice de forme qui en résulte suppose la démonstration d'un grief par celui qui s'en prévaut.

38. Par ordonnance du 1er mars 2018, le conseiller de la mise en état a, dans la présente affaire, constaté que « l'acte de signification de l'ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale remis au parquet compétent le 17 décembre 2009 comporte des erreurs en ce qu'il mentionne que la décision peut faire l'objet d'un recours en annulation et que le délai pour ce faire, d'un mois augmenté de deux mois pour les personnes demeurant à l'étranger, "court à compter du présent acte", soit du 17 décembre 2009, alors que la voie de recours ouverte à l'encontre d'une ordonnance d'exequatur est l'appel et le point de départ du délai pour l'interjeter n'est pas, à l'égard du destinataire de l'acte, la date de remise au parquet compétent de l'État requérant ».

39. FG Hemisphere ne conteste pas l'existence, ainsi mise en évidence, des vices de forme affectant la signification de l'ordonnance.

40. Quoique caractérisées, ces irrégularités n'ont toutefois causé aucun grief à la SNEL, dont l'appel a été déclaré recevable par le conseiller de la mise en état, qui a retenu que les délais du recours n'avaient pas couru.

41. Les conditions d'annulation du procès-verbal litigieux ne sont dès lors pas réunies.

42. Par suite, la demande de l'appelante doit être rejetée.

III.D Sur la demande incidente d'exequatur d'un jugement

III.D.1 Positions des parties

43. La SNEL sollicite, à titre incident, l'exequatur d'un jugement rendu le 2 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa, en faisant valoir que :

- ce jugement a dit pour droit que les accords du 2 avril 1980 et du 4 mars 1986 ont été conclus en violation des dispositions impératives relatives aux marchés publics et les a, en conséquence, déclarés invalides et nuls ;

- la régularité internationale de cette décision n'a pas été contestée ;

- le tribunal de grande instance de Kinshasa était compétent pour connaître du litige qui lui était soumis, lequel se rattachait de manière caractérisée au juge congolais ;

- cette compétence n'a pas été contestée et ne heurte pas la compétence exclusive d'une juridiction française ;

- le choix de la juridiction est exempt de fraude ;

- l'ordre public international, tant de fond que de procédure, a été respecté ;

- le jugement ne contient aucune disposition contraire à la loi ou à la conception française de l'ordre public international ;

- le respect des droits de la défense et des principes du procès équitable a été assuré ;

- l'assignation et le jugement ont dûment été signifiés, le défaut requis à l'égard de la société FG Hemisphere par le ministère public congolais ne signifiant pas qu'elle n'a pas été touchée par l'assignation, alors que les pièces de procédure produites prouvent que cette société a choisi d'ignorer la procédure et ses suites ;

- la société FG Hemisphere ne prouve pas la corruption du tribunal qu'elle allègue ;

- la cour est compétente pour connaître de cette demande incidente ;

- l'exequatur du jugement du 2 avril 2010 fait obstacle à la demande de reconnaissance et d'exécution de la société FG Hemisphere.

44. FG Hemisphere répond que :

- la cour de céans n'est pas compétente pour ordonner l'exequatur du jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa, la demande d'exequatur relevant de la seule compétence du tribunal judiciaire statuant à juge unique, conformément à l'article R.212-8 du code de l'organisation judiciaire ;

- en tout état de cause, la SNEL ne rapporte pas la preuve que les conditions nécessaires pour conférer l'exequatur au jugement litigieux sont réunies ;

- la juridiction saisie était incompétente pour se prononcer sur les accords de crédit qui contenaient tous les deux une clause compromissoire prévoyant le recours à l'arbitrage sous l'égide de la CCI ;

- la clause compromissoire étant autonome du contrat, le tribunal arbitral restait compétent pour se prononcer sur tous les litiges en lien avec ces accords ;

- le jugement rendu n'est pas conforme à l'ordre public de procédure, la société FG Hemisphere n'ayant pas été régulièrement citée ;

- faute d'avoir été régulièrement citée, FG Hemisphere n'a pas comparu dans le cadre de cette procédure, qui a été menée en fraude de ses droits de la défense ;

- ledit jugement n'a pas non plus été signifié à FG Hemisphere ;

- l'analyse du jugement permet de douter sérieusement de l'impartialité du tribunal ;

- le système judiciaire de la RDC étant profondément affecté par la corruption, l'indépendance des juges n'est pas garantie, ce qui est incompatible avec les exigences d'accès à une justice équitable ;

- le jugement n'a pas été rendu entre les parties de la présente procédure, la SNEL tentant volontairement d'entretenir une confusion, illustrant son comportement déloyal et dilatoire.

III.D.2 Appréciation

45. En droit, il est admis que l'exequatur aux fins de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement étranger peut être demandé par voie incidente dans une instance qui n'a pas pour objet principal ce jugement, y compris pour la première fois en appel lorsque la partie défenderesse n'a pas été constituée en première instance (1re Civ., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-20.416, Bull. 2018, I, n° 1).

46. Pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, et l'absence de fraude (1re Civ., 20 février 2007, pourvoi n° 05-14.082, Bull. 2007, I, n° 68, [W]).

47. Dans la présente affaire, la SNEL sollicite à titre incident l'exequatur d'un jugement rendu le 2 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa, qui a « Dit pour droit que l'Accord du 02 avril 1980 tel que rééchelonné et celui du 04 mars 1986, conclus entre la République Démocratique du Congo et Energoinvest l'ont été en violation des dispositions impératives relatives aux marchés publics » et a en conséquence déclarés « invalides et nuls lesdits Accords ».

48. Contrairement à ce que soutient FG Hemisphere, la cour de céans est compétente pour se prononcer sur cette demande qui, conformément au principe ci-avant rappelé, peut être formée à titre incident, même à hauteur d'appel dès lors que la partie qui l'invoque n'a pas été constituée en première instance, ce qui est le cas en l'espèce, l'ordonnance d'exequatur querellée ayant été rendue ex parte.

49. Le moyen tiré de l'incompétence du juge congolais pour statuer sur le différend dont il était saisi, à raison de l'existence d'une clause compromissoire dans les accords de crédit litigieux, est de même sans emport, le juge requis devant procéder à la vérification de la compétence indirecte du juge étranger sans égard pour la clause d'arbitrage qui lui est opposée (en ce sens : 1re Civ., 28 mars 2013, pourvoi n° 11-25.123, 11-23.801, Bull. 2013, I, n° 61).

50. Cette compétence est acquise toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux (1re Civ., 6 février 1985, pourvoi n° 83-11.241, Bull. 1985, I, n° 55, Simitch).

51. L'action à l'origine du jugement dont l'exequatur est sollicité a été engagée par la société Gecamines, entreprise publique congolaise non-signataire des accords de crédit litigieux. Elle avait pour objet de voir déclarés " invalides et nuls " les accords de crédits conclus entre Energoinvest et la République du Zaïre, dire la Gecamines étrangère à ces accords et obtenir la condamnation de FG Hemisphere à lui payer une sommes de 30 millions de dollars à titre de dommages et intérêts.

52. Une telle action, qui ne relève en rien de la compétence exclusive d'une juridiction française, en l'absence de tout lien avec la France, doit être regardée comme se rattachant de manière caractérisée au for saisi dès lors que deux des trois défendeurs étaient domiciliés en RDC, que les accords de crédits litigieux ont été conclus à [Localité 5] et qu'ils avaient vocation à être exécutés - au moins en partie - en République du Zaïre, devenue République Démocratique du Congo.

53. Aucun élément ne permet par ailleurs de considérer que le choix de la juridiction congolaise présenterait un caractère frauduleux, la cour relevant que la société demanderesse n'était pas partie aux accords de crédit, de sorte que les clauses compromissoires qu'ils contiennent ne pouvaient lui être opposées, rien ne permettant de conclure qu'elle aurait pu, ni a fortiori dû, s'en prévaloir.

54. Le critère tiré de la compétence indirecte du juge saisi est dès lors satisfait.

55. Il n'est en revanche pas démontré que la société FG Hemisphere aurait été informée en temps utile de la procédure conduite devant le juge congolais, la SNEL ne rapportant pas la preuve de la réception de son assignation par cette société. Il apparaît en effet que : (i) l'assignation n'a pas été délivrée à personne, l'huissier instrumentaire indiquant en avoir envoyé un exemplaire à l'adresse étasunienne de la défenderesse (pièces SNEL n° 2 et 7) ; (ii) si l'appelante produit un récépissé d'un dépôt d'envoi recommandé (pièce SNEL n° 8), ce document ne comporte aucune date lisible ni aucune indication permettant de le rattacher à l'assignation litigieuse ; (iii) en toute hypothèse, aucune preuve de réception n'est produite ; (iv) le jugement a été rendu par défaut. Il ne peut, dans ces conditions, être considéré que FG Hemisphere a été mise en mesure d'exercer ses droits de la défense devant le juge saisi.

56. Il n'est pas davantage établi que le jugement, rendu par défaut, a été régulièrement notifié à cette société, la SNEL ne produisant qu'un formulaire d'envoi de recommandé, sans preuve de sa réception. Il n'est ainsi pas démontré que cette décision a été portée à la connaissance de FG Hemisphere dans des conditions lui permettant d'exercer une voie de recours.

57. Il ne peut dès lors être considéré que le jugement litigieux satisfait aux exigences de l'ordre public international de procédure.

58. La demande d'exequatur du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa le 2 avril 2010 sera en conséquence rejetée.

III.E Sur l'exequatur de la sentence arbitrale

III.E.1 Positions des parties

59. La SNEL conclut à l'infirmation de l'ordonnance d'exequatur :

- premièrement, en raison de sa contrariété avec le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa le 2 avril 2010 ;

- deuxièmement, pour défaut de capacité d'une partie à l'arbitrage, dès lors que :

- selon l'article V 1. A) de la Convention de New-York de 1958, l'exécution d'une sentence arbitrale internationale doit être refusée si une partie à la convention d'arbitrage prouve qu'en vertu de sa loi personnelle, elle était frappée d'incapacité lorsqu'elle a contracté ;

- en l'espèce, la SNEL administre la preuve que la signature apposée en son nom en bas des deux contrats est irrégulière, ce qui a été confirmé par le jugement du 2 avril 2010 du TGI de Kinshasa ;

- cette décision a force de chose jugée et FG Hemisphere, partie défaillante qui a choisi de ne pas exercer de recours, est réputée en avoir accepté les termes ;

- la SNEL ignorait cette irrégularité au moment de l'arbitrage de sorte qu'elle ne s'est pas abstenue en connaissance de cause de soulever la difficulté devant les arbitres.

- troisièmement, à raison de l'inarbitrabilité du litige, en ce que :

- l'article V.2. a) de la Convention de 1958 dispose que l'exécution pourra être refusée s'il est établi que, d'après la loi du pays où l'exécution est requise, le différend n'était pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage ;

- ce moyen est recevable puisque cette disposition est attachée au lieu d'exécution de la sentence et il ne peut donc être reproché à la SNEL de n'avoir pas soulevé la difficulté devant les arbitres ;

- les sentences litigieuses admettent que le marché conclu avait pour première finalité l'intérêt public ;

- or, en droit français, on ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et établissements publics, l'État ne pouvant compromettre.

- Cette inarbitrabilité est issue de la matière et non de l'ordre public et est donc de la compétence du juge de l'exequatur ;

- le litige doit donc être déclaré inarbitrable en application de l'article 2060 du code civil.

- quatrièmement, pour contrariété à l'ordre public international, dès lors que :

- l'article V2.b) de la Convention de 1958 dispose que l'exécution pourra être refusée si elle est contraire à l'ordre public du pays dans lequel elle est poursuivie ;

- ce moyen est recevable puisque cette disposition est attachée au lieu d'exécution de la sentence et il ne peut donc être reproché à la SNEL de n'avoir pas soulevé la difficulté devant les arbitres ;

- le contrat du 2 avril 1980 couvre un projet d'intérêt national caractérisant un marché public avec une mission d'intérêt général. Un tel marché doit impérativement faire l'objet d'une procédure d'adjudication sur appel d'offres selon le droit congolais et selon l'ordre public international français, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ;

- la conception française de l'ordre public international interdit de porter atteinte à la souveraineté de la RDC en déclarant exécutoire en France une sentence rendue en violation des règles d'ordre public de cet État.

60. FG Hemisphere répond que :

- la Convention de New York invoquée par la SNEL n'est pas applicable, en vertu de son article VII.1, dès lors que le droit français est plus favorable ;

- les moyens tirés d'irrégularités non invoquées devant le tribunal arbitral sont irrecevables, la SNEL n'ayant jamais émis de réserve ni soulevé d'irrégularité devant le tribunal arbitral concernant la validité de la clause d'arbitrage, l'arbitrabilité du litige ou une violation de la loi congolaise sur les marchés publics ;

- le prétendu défaut de capacité de la SNEL est inopérant, ce moyen étant fondé exclusivement sur le jugement du tribunal de Kinshasa qui a été rendu dans des conditions frauduleuses et ne remplit aucune des conditions pour être reconnu ou exécuté sur le territoire français ;

- la prétendue inarbitrabilité du litige ne peut être retenue en ce que :

- en matière d'arbitrage international, la jurisprudence a dégagé une règle matérielle de pleine capacité des personnes morales de droit public à compromettre dans le commerce international et ce quel que soit l'objet du contrat qui contient la convention d'arbitrage, cette règle matérielle ayant vocation à s'appliquer en l'espèce, à l'exclusion de l'article 2060 du code civil ;

- le litige soumis au tribunal arbitral était en l'espèce parfaitement arbitrable dès lors qu'il ne fait aucun doute que l'arbitrage était un arbitrage commercial international, les accords de crédit du 2 avril 1980 et du 4 mars 1986 étant des contrats de droit privé ;

- la SNEL ne rapporte pas la preuve que l'exécution de la Sentence heurterait la conception française de l'ordre public international, dès lors que :

- la jurisprudence invoquée par l'appelante est inapplicable, la SNEL ne rapportant pas la preuve que l'exécution de la sentence en France violerait les dispositions relatives au contrôle des pouvoirs publics sur les investissements étrangers, la Sentence n'ayant en outre aucun lien de rattachement avec la France ;

- la SNEL ne rapporte pas la preuve d'une quelconque violation de la loi congolaise sur les marchés publics, ni que cette loi entrerait dans la conception française de l'ordre public international ;

- Au surplus, la Cour ne saurait admettre une quelconque violation de l'ordre public international français dès lors que les Sentences et l'accord de crédit sur lequel elles se prononcent, intervenus entre des parties qui ne sont pas françaises pour la réalisation d'un contrat qui n'est pas soumis au droit français et qui portait sur l'exécution d'un marché qui n'a pas été réalisé en France, ne présente aucun lien de rattachement quelconque avec la France.

III.E.2 Appréciation

(i) Sur le droit applicable

61. La SNEL invoque au soutien de ses prétentions la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères signée à New-York le 10 juin 1958 (ci-après, « la Convention »).

62. La France étant partie à cette convention, qu'elle a ratifiée, c'est à tort que la société FG Hemisphere prétend que ce texte ne serait pas applicable par le juge français et qu'il ne pourrait être valablement invoquée par la SNEL, la cour relevant que les conditions énoncées à l'article I, paragraphe 1, de la Convention, aux termes duquel celle-ci s'applique à la reconnaissance et à l'exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d'un État autre que celui où la reconnaissance et l'exécution des sentences sont demandées, et issues de différends entre personnes physiques ou morales, se trouvent ici satisfaites.

63. Il convient toutefois, pour les besoins de cette application, de tirer toutes conséquences de l'article VII, paragraphe 1, de la Convention, selon lequel les dispositions de ce texte ne privent aucune partie intéressée du droit qu'elle pourrait avoir de se prévaloir d'une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admises par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée, cette disposition conduisant à écarter les exigences de la Convention au profit des règles et principes propres au droit français de l'arbitrage toutes les fois que celui-ci se montre plus favorable à la reconnaissance ou à l'exécution de la sentence arbitrale internationale.

(ii) Sur la contrariété de la sentence avec le jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa du 2 avril 2010

64. En vertu des dispositions combinées des articles 1525 et 1520, 5°, du code de procédure civile, l'exequatur peut être refusé si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international.

65. Est notamment susceptible de caractériser une telle contrariété, l'inconciliabilité de la sentence avec une autre décision, des décisions devant être regardées comme inconciliables lorsqu'elles entraînent des conséquences qui s'excluent mutuellement.

66. La méconnaissance de l'autorité de chose jugée par une sentence arbitrale n'est toutefois pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international. Dans le cas d'un jugement rendu en dehors de l'Union européenne, la violation alléguée de l'ordre public international ne sera en effet considérée comme caractérisée que dans la mesure où la décision de justice étrangère a été précédemment revêtue en France de l'exequatur.

67. En l'espèce, l'exequatur du jugement rendu le 2 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa ayant été refusé, pour les motifs précités, l'inconciliabilité entre la sentence arbitrale litigieuse et cette décision ne saurait, même à la supposer établie, caractériser une violation de la conception française de l'ordre public international propre à entraîner le refus de l'exequatur de la sentence.

68. Le grief tiré de la « contrariété » de ces décisions sera donc écarté.

(iii) Sur le défaut de capacité d'une partie à l'arbitrage

69. Selon l'article V, paragraphe 1, a), de la Convention, invoqué par la SNEL, la reconnaissance et l'exécution de la sentence pourront être refusées si la partie à qui l'on oppose la convention d'arbitrage fournit la preuve qu'elle était frappée d'une incapacité ou que ladite convention n'est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'on subordonnée ou, à défaut d'indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue.

70.En l'espèce, la SNEL entend se prévaloir d'une irrégularité de la clause compromissoire tirée du non-respect des règles issues de la loi congolaise n° 78-002 du 6 janvier 1978, à raison d'un défaut de pouvoir du président délégué général de la société.

71. Il résulte toutefois du droit français qu'en matière d'arbitrage international, l'engagement d'une société à l'arbitrage ne s'apprécie pas par référence à une quelconque loi nationale mais par la mise en 'uvre d'une règle matérielle déduite du principe de validité de la convention d'arbitrage fondée sur la volonté commune des parties, de l'exigence de bonne foi et de la croyance légitime dans les pouvoirs du signataire de la clause pour conclure un acte de gestion courante qui lie la société (1re Civ., 1re Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-16.025, Bull. 2009, I, n° 165).

72. Cette règle, favorable à la reconnaissance de la sentence, doit ici prévaloir en application de l'article VII, paragraphe 1, de la Convention.

73. La cour relève à cet égard que l'irrégularité alléguée par la SNEL n'est pas de nature à remettre en cause la validité de la convention d'arbitrage dès lors qu'il résulte des termes mêmes de ses écritures qu'elle " ignorait cette irrégularité au moment de l'arbitrage ", ce dont il se déduit qu'elle a contracté la clause compromissoire dans la croyance légitime des pouvoirs de son signataire, rien ne permettant de mettre en doute la bonne foi des parties sur ce point. En quoi, son consentement à l'arbitrage est établi.

74. Aucun élément versé aux débats n'étant de nature à remettre en cause la volonté commune des parties de recourir à l'arbitrage, le grief tiré de la prétendue incapacité de la SNEL à contracter est sans emport. Il sera, comme tel, écarté.

(iv) Sur l'inarbitrabilité du litige

75. Selon l'article V, paragraphe 2, a), de la Convention, la reconnaissance et l'exécution de la sentence pourront être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate que, d'après la loi de ce pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage.

76. La SNEL entend se prévaloir à ce titre des dispositions de l'article 2060 du code civil aux termes duquel on ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public, en avançant qu'en droit français, l'État ne peut compromettre et qu'il résulte de la sentence que le marché litigieux avait une finalité d'intérêt public.

77. En vertu d'une règle matérielle du droit français de l'arbitrage, la prohibition de compromettre concernant les personnes morales de droit public n'est toutefois pas applicable à un contrat international passé pour les besoins et dans les conditions conformes aux usages du commerce international (1re Civ., 2 mai 1966, Bull. 1966, I, n° 256). Il est ainsi admis qu'en matière d'arbitrage international, le principe de l'autonomie de la clause compromissoire est d'application générale, la validité de la convention devant être contrôlée au regard des seules exigences de l'ordre public international. La prohibition pour un État de compromettre étant limitée aux contrats d'ordre interne, elle n'est pas d'ordre public international et il suffit, pour valider la clause compromissoire incluse dans un contrat, de constater l'existence d'un contrat international passé pour les besoins et dans les conditions conformes aux usages du commerce international.

78. En l'espèce, la clause compromissoire est insérée dans un accord de crédit destiné au financement d'un investissement portant sur la construction d'une ligne à haute tension au Zaïre (pièce FG Hemisphere n° 12). Cet accord prévoit l'exécution d'obligations au Zaïre et à [Localité 7]. Il présente, comme tel, un caractère commercial et international.

79. Le litige ne saurait dès lors être considéré comme inarbitrable à raison de la matière, en quoi le grief soutenu par la SNEL de ce chef est infondé.

(v) Sur la contrariété avec l'ordre public international

80.Selon de l'article V, paragraphe 2, b), de la Convention, la reconnaissance et l'exécution de la sentence pourront être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate que cette reconnaissance ou cette exécution serait contraire à l'ordre public de ce pays.

81. En droit français de l'arbitrage international, la cour saisie d'un appel contre une ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger peut, par l'application combinée des articles 1525 et 1520, 5°, du code de procédure civile, refuser l'exequatur lorsque la reconnaissance ou l'exécution de cette sentence est contraire à l'ordre public international.

82. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

83. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

84. En vertu de l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir. Le respect de l'ordre public de direction ne pouvant être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre, la fin de non-recevoir énoncée par ce texte ne saurait toutefois être opposée au moyen tiré d'une telle violation de l'ordre public international.

85. Par suite, la SNEL invoquant la contrariété de la sentence à l'ordre public international à raison de violations des règles congolaises relatives aux marchés publics et d'une atteinte à sa souveraineté, c'est à tort que FG Hemisphere prétend que ces griefs seraient irrecevables.

86.Sur le fond, aucun de ces griefs n'est cependant de nature à entraîner le refus de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence.

87. En vertu de la règle matérielle du droit français de l'arbitrage ci-avant rappelée, la validité de la convention d'arbitrage doit en effet être contrôlée au regard des seules exigences de l'ordre public international, le recourant ne pouvant invoquer devant le juge chargé du contrôle de la sentence la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels.

88. L'inobservation de règles nationales relatives à la passation des marchés publics ne peut donc être sanctionnée pour elle-même, de sorte que le moyen développé de ce chef par la SNEL est sans emport.

89. Il en va de même du non-respect des règles nationales congolaises relatives au pouvoir d'engager la SNEL, qui ne caractérise pas une atteinte à la conception française de l'ordre public international.

90. Pour les mêmes raisons, la SNEL ne saurait se prévaloir d'une prétendue atteinte à la souveraineté de la RDC résultant de la reconnaissance d'une sentence arbitrale qui contreviendrait aux règles d'ordre public de cet État, lesquelles n'entrent pas, en tant que telles, dans le champ de la conception française de l'ordre public international.

91. Le moyen tiré de la contrariété de la sentence avec l'ordre public international est dès lors infondé. Il sera rejeté.

92. Par suite, aucun des moyens d'appel de la SNEL n'étant fondé, il y a lieu de confirmer l'ordonnance querellée, le rejet de l'appel conférant l'exequatur à la sentence arbitrale en application des dispositions de l'article 1527 du code de procédure civile.

III.F Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts

III.F.1 Positions des parties

93. FG Hemisphere conclut, à titre reconventionnel, à la condamnation de la SNEL à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive en faisant valoir que :

- la SNEL, tout comme la RDC, n'ont jamais eu l'intention d'exécuter les sentences arbitrales prononcées à leur encontre en 2003 ;

- la SNEL a ainsi attendu 2011, soit plus de huit ans après la reddition de la sentence pour intenter un premier appel à l'encontre de l'ordonnance d'exequatur ;

- le présent appel a uniquement pour objet de retarder l'exécution de la sentence ;

- il ne repose sur aucun argument juridique sérieux ;

- intenté dans le but de se soustraire à l'exécution de la sentence, il est constitutif d'un abus de droit d'agir et justifie la condamnation de la SNEL à verser FG Hemisphere une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts.

94. La SNEL répond que le caractère abusif de la procédure n'est pas établi, pas plus que le préjudice spécial qu'il aurait pu provoquer.

III.F.2 Appréciation

95. Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

96. La condamnation à des dommages et intérêts de ce chef suppose la démonstration d'une faute commise dans l'exercice du droit d'agir faisant dégénérer l'action en abus, l'octroi de dommages et intérêts étant subordonné à l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec cette faute, conformément à l'article 1240 du code civil.

97. Si, en l'espèce, le maintien de l'appel interjeté par la SNEL après que celui de la RDC portant sur la même ordonnance d'exequatur eut échoué, comme le caractère infondé des moyens soutenus par l'appelante révèlent une certaine mauvaise foi de sa part, FG Hemisphere ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct de celui d'avoir eu à exposer des frais pour les besoins de la présente procédure, qui relève des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

98. Sa demande de condamnation pour procédure abusive sera en conséquence rejetée.

III.G Sur les frais du procès

99. La SNEL, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

100. Elle sera condamnée à payer à FG Hemisphere la somme de 100 000 euros sur le fondement du même article.

Par ces motifs, la cour :

1) Se déclare compétente pour connaître de la demande d'annulation de l'ordonnance d'exequatur du 5 novembre 2009 du Tribunal de grande instance de Paris formée par la Société Nationale d'Électricité ;

2) Déclare cette demande recevable ;

3) Déboute la Société Nationale d'Électricité de sa demande d'annulation de l'ordonnance d'exequatur du 5 novembre 2009 du Tribunal de grande instance de Paris ;

4) Déboute la Société Nationale d'Électricité de sa demande d'annulation du procès-verbal de signification de cette ordonnance ;

5) Se déclare compétente pour statuer sur la demande de la Société Nationale d'Électricité visant à voir déclaré exécutoire le jugement rendu le 2 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Kinshasa ;

6) Rejette la demande d'exequatur du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa le 2 avril 2010 ;

7) Déclare recevable les moyens invoqués par la Société Nationale d'Électricité au soutien de son appel ;

8) Confirme l'ordonnance ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue le 30 avril 2003 à Zurich sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la CCI dans l'affaire n°11441/KGA ;

9) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet de l'appel interjeté par la Société Nationale d'Électricité confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

10) Rejette la demande de condamnation pour procédure abusive ;

11) Condamne la Société Nationale d'Électricité aux dépens, Maître Jean-Claude Chevillier pouvant recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

12) La condamne à payer à la société FG Hemisphere Associates LLC la somme de cent mille euros (100 000,00 EUR) au titre du présent appel.

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