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CC, 6 octobre 2010, n° 2010-45

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision

Décision 2010-45 QPC - 06 octobre 2010 - M. Mathieu P. [Noms de domaine Internet] - Non conformité totale - effet différé

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. DEBRÉ

Membre :

M. BARROT, Mme BAZY MALAURIE, MM. CANIVET, MM. CHARASSE, MM. DENOIX de SAINT MARC, Mme GUILLENCHMIDT, M. STEINMETZ

CC n° 2010-45

5 octobre 2010

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques : « I. Le ministre chargé des communications électroniques désigne, après consultation publique, les organismes chargés d'attribuer et de gérer les noms de domaine, au sein des domaines de premier niveau du système d'adressage par domaines de l'internet, correspondant au territoire national. L'exercice de leur mission ne confère pas aux organismes ainsi désignés des droits de propriété intellectuelle sur les noms de domaine.
« L'attribution d'un nom de domaine est assurée par ces organismes dans l'intérêt général, selon des règles non discriminatoires rendues publiques et qui veillent au respect, par le demandeur, des droits de la propriété intellectuelle.
« En cas de cessation de l'activité de ces organismes, l'État dispose du droit d'usage de la base de données des noms de domaine qu'ils géraient.
« Le ministre chargé des communications électroniques veille au respect par ces organismes des principes énoncés au deuxième alinéa. Il peut procéder au retrait de la désignation d'un organisme, après avoir mis ce dernier à même de présenter ses observations, en cas de méconnaissance par celui-ci des dispositions du présent article. La décision du ministre chargé des communications électroniques tendant à la désignation, ou au retrait de la désignation, d'un organisme peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'État. Chaque organisme adresse au ministre chargé des communications électroniques un rapport d'activité annuel.
« L'attribution et la gestion des noms de domaine rattachés à chaque domaine de premier niveau sont centralisées par un organisme unique.
« Un décret en Conseil d'État précise en tant que de besoin les conditions d'application du présent article.
« II. Sans préjudice de leur application de plein droit à Mayotte en vertu du 8° du I de l'article 3 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, les dispositions du I sont applicables à Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
« Les organismes chargés d'attribuer les noms de domaine en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ne détiennent pas de droits de propriété intellectuelle sur ces noms » ;

2. Considérant que le requérant fait grief à ces dispositions de laisser à l'autorité administrative et aux organismes désignés par elle une latitude excessive pour définir les principes d'attribution des noms de domaine et d'omettre ainsi de fixer un cadre minimal et des limites à leur action, en méconnaissance de l'étendue de sa propre compétence par le législateur ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux… des obligations civiles et commerciales » ; que ressortissent en particulier aux principes fondamentaux de ces obligations civiles et commerciales les dispositions qui mettent en cause leur existence même ;

5. Considérant, d'autre part, que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'aux termes de son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que la propriété est au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services dans la vie économique et sociale, notamment pour ceux qui exercent leur activité en ligne, l'encadrement, tant pour les particuliers que pour les entreprises, du choix et de l'usage des noms de domaine sur internet affecte les droits de la propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d'entreprendre ;

6. Considérant que l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques confie à des organismes désignés par le ministre chargé des communications électroniques l'attribution et la gestion des noms de domaine « au sein des domaines de premier niveau du système d'adressage par domaines de l'internet, correspondant au territoire national » ; qu'il se borne à prévoir que l'attribution par ces organismes d'un nom de domaine est assurée « dans l'intérêt général, selon des règles non discriminatoires rendues publiques et qui veillent au respect, par le demandeur, des droits de la propriété intellectuelle » ; que, pour le surplus, cet article renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser ses conditions d'application ; que, si le législateur a ainsi préservé les droits de la propriété intellectuelle, il a entièrement délégué le pouvoir d'encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaine sont attribués ou peuvent être renouvelés, refusés ou retirés ; qu'aucune autre disposition législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté d'entreprendre ainsi qu'à l'article 11 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; qu'il en résulte que l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques doit être déclaré contraire à la Constitution ;

7. Considérant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales qui doivent être retenus pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée ; qu'eu égard au nombre de noms de domaine qui ont été attribués en application des dispositions de l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques, l'abrogation immédiate de cet article aurait, pour la sécurité juridique, des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2011 la date de son abrogation pour permettre au législateur de remédier à l'incompétence négative constatée ; que les actes réglementaires pris sur son fondement ne sont privés de base légale qu'à compter de cette date ; que les autres actes passés avant cette date en application des mêmes dispositions ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité,

DÉCIDE :

Article 1er.- L'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques est déclaré contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er juillet 2011 dans les conditions fixées au considérant 7.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à
l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

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