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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 25 septembre 2025, n° 25/00317

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 25/00317

25 septembre 2025

ARRET



S.A. LIXXBAIL

C/

S.A.S. HERMES BOISSONS

S.E.L.A.R.L. [N]-PECOU

Copie exécutoire

le 25 Septembre 2025

à

Me Cavedon

Me Flye

FM

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025

N° RG 25/00317 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JIBZ

ORDONNANCE DU JUGE COMMISSAIRE DE [Localité 7] DU 08 OCTOBRE 2024 (référence dossier N° RG 2022/102)

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC

EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A. LIXXBAIL immatriculée au RCS de [Localité 8] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau D'AMIENS, substitué par Me Pierre-Louis DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric CAVEDON de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BORDEAUX

ET :

INTIMEES

S.A.S. HERMES BOISSONS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 4]

[Localité 3]

PV 659 en date du 31 janvier 2025.

S.E.L.A.R.L. [N]-PECOU représentée par Maître [L] [N], es-qualité de liquidateur judiciaire de la SAS HERMES BOISSONS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS, substitué par Me Sandra DE BAILLIENCOURT avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Grégory FLYE de la SELARL BERTHAUD ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de BEAUVAIS

***

DEBATS :

A l'audience publique du 26 Juin 2025 devant :

Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,

Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,

et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Elise DHEILLY

MINISTERE PUBLIC : Mme Clélie GIBALDO, substitute générale

PRONONCE :

Le 25 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Madame Elise DHEILLY, Greffière.

*

* *

DECISION

Par acte sous seing privé en date des 9 et 11 décembre 2020, la SAS Hermès Boissons, créée le 16 novembre 2018 et ayant pour activité le conditionnemment et la préparation de jus de fruits et de légumes, a souscrit auprès de la société Econocom France, un contrat de location financière concernant du matériel industriel.

Par acte sous seing privé en date du 03 décembre 2020, la société Serac, fournisseur de matériel, s'est engagée à l'égard de la société Econocom France ou à tout cessionnaire du contrat de location à acquérir l'équipement objet dudit contrat.

Le contrat de location a été modifié par trois avenants comme suit :

- avenant n°1 aux conditions générales signé par voie électronique le 09/12/2020 et 11/12/2020

- avenant n°1 au Project Contract signé par voie électronique le 11/12/2020 et 16/12/2020

- avenant n°2 au Project Contract signé par voie électronique le 17/06/2021 et 21/06/2021.

Par acte sous seing privé du 22 décembre 2020, le contrat de location et les deux premiers avenants ont été cédés à la SA Lixxbail.

Le 28 avril 2022, l'acte de transfert a fait l'objet d'un nouvel avenant stipulant qu'à compter du 01 décembre 2021 la SAS Hermès Boissons sera redevable de :

- 4 échéances de loyer mensuel d'un montant chacune de 3955,97 € ht;

- 13 échéances de loyer mensuel d'un montant chacune de 61'635 € ht;

- 36 échéances de loyer mensuel d'un montant chacune de 15'127 € ht.

Par jugement rendu le 13 septembre 2022, le tribunal de commerce de Beauvais a placé la société Hermès Boissons en redressement judiciaire et désigné la SELAS Bma en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL [N] [S] en qualité de mandataire judiciaire ; procédure convertie en liquidation judiciaire le 18 novembre 2022.

La SA Lixxbail a déclaré une créance le 18 octobre 2022 et a complété sa déclaration le 24 novembre 2022 pour la porter à hauteur de 1'588'635,08 €.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mars 2023, le liquidateur judiciaire a proposé le rejet de la déclaration de créance de la société Lixxbail, proposition contestée par cette dernière le 7 avril 2023.

Par une ordonnance en date du 3 octobre 2023 le juge commissaire a prononcé en premier ressort l'admission de la créance à titre chirographaire pour la somme de 462'891,24 € et le rejet du surplus de la créance.

Par un arrêt en date du 30 mai 2024, la chambre économique et commerciale de la cour d'appel d'Amiens, saisie de l'appel interjeté par la SA Lixxbail, a prononcé la nullité de l'ordonnance déférée, dit n'y avoir lieu à la dévolution de l'appel, ce qui a amené les parties à comparaître à nouveau devant le juge-commissaire du tribunal de commerce de Beauvais.

Par une ordonnance rendue le 8 octobre 2024, le juge commissaire a prononcé en premier ressort l'admission de la créance à titre chirographaire pour la somme de 462'891,24 € et le rejet du surplus de la créance.

Par un acte en date du 12 novembre 2024, la SA Lixxbail a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 21 février 2025, la SA Lixxbail conclut à l'infirmation partielle de l'ordonnance entreprise et demande à la cour':

- d'admettre sa créance au passif de la société Hermès boissons à hauteur de 1 588 635,08 € comme suit :

- 462'890,24 € ttc au titre des loyers impayés';

- 1'023'404,40 € ttc au titre de l'indemnité de réparation du préjudice subi';

- 102'340,44 € ttc au titre de la peine pour inexécution.

- de condamner in solidum la SAS Hermès Boissons et la SELARL [N] Pecou, représentée par maître [L] [N], ès-qualités, au paiement de la somme de 3'000 € à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens de l'instance et de dire que ces frais irrépétibles seront passés en frais de justice de la procédure collective.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 19 mars 2025, la SELARL [N] Pecou, ès-qualités, conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, subsidiairement demande à la cour de requalifier la clause intitulée «'indemnité contractuelle de résiliation'» en clause pénale, de rejeter la demande en paiement sur ce fondement, et le cas échéant de la réduire.

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la société Lixxbail à lui payer la somme de 8.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'admission de la créance de la SA Lixxbail au passif de la procédure collective de la SAS Hermès Boissons

Le litige soumis à la cour a trait à l'application de la clause de résiliation prévue au contrat car les parties s'accordent sur une fixation de créance de la SA Lixxbail à hauteur de la somme de 462.890 euros ttc au titre des loyers impayés.

La société Lixxbail soutient que l'indemnité de résiliation se décompose en deux volets': des dommages et intérêts correspondant au montant des loyers à échoir en réparation du préjudice subi et une pénalité pour inexécution.

Elle estime que l'indemnité de résiliation est l'application de la clause résolutoire du contrat de location en cause, constitue la contrepartie de l'usage du matériel et a vocation à indemniser le bailleur du capital mobilisé dans l'acquisition du matériel.

Elle fait valoir que s'agissant d'un contrat de location financière et non d'un crédit bail, à l'issue du contrat le locataire a simplement le choix entre renouveler le contrat ou restituer le matériel ( il n'y a aucune promesse de vente du matériel au locataire).

Elle insiste sur le fait que nonobstant le rachat du matériel souscrit par la société Serac ou la reprise du matériel par le groupe Agromoustiquaire (qui sont tous les deux des tiers au contrat de location financière) le prix de revente de ce matériel ne peut être imputé sur la créance que la SA Lixxbail détient sur la SAS Hermes boissons. Elle estime que la revente du matériel ne permet pas de combler le préjudice subi par le loueur dans la mesure où, si le contrat de location financière avait été exécuté jusqu'à son terme, le loueur aurait non seulement bénéficié du paiement de l'intégralité des loyers contractuellement convenus, mais également de la possibilité de revendre le matériel une fois restitué par le locataire comme convenu contractuellement.

S'agissant de la pénalité de 10%, elle estime que c'est la seule susceptible de recevoir la qualification de clause pénale, mais que toutefois le liquidateur ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement excessif de cette dernière.

Le liquidateur fait valoir que la société Lixxbail a bénéficié d'une garantie de rachat par la société Serac exécutée dans le cadre de la liquidation. Il insiste sur le fait que consécutivement à la cession de l'usine, le groupe Agromousquetaire s'est porté acquéreur du matériel auprès de la société Serac.

Il expose que l'article L 622-13 du code de commerce organise la continuation des contrats en cours au jour du jugement ouvrant la procédure collective et que si une clause pénale est prévue au contrat rien ne l'interdit dès lors qu'elle n'est pas stipulée pour une cause d'ouverture de procédure collective. Selon lui la clause critiquée constitue à la fois une clause résolutoire et une clause pénale. Il soutient que la clause litigieuse vise simplement à indemniser forfaitairement le loueur d'une rupture anticipée du contrat en majorant les charges financières pesant sur le débiteur en cas de défaillance de celui-ci ou une situation juridique à savoir l'ouverture d'une procédure collective et constitue à ce titre à la fois un moyen de le contraindre dans l'exécution de ses obligations et une évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le créancier peu important que ce dernier soit à l'origine de la rupture du contrat.

Subsidiairement, il indique que la clause est vouée à modération et qu'au surplus la société Lixxbail ne produit aucun élément permettant d'apprécier le préjudice subi.

Il y a lieu de rappeler qu'au moment de l'ouverture d'une procédure collective, la convention de location financière est susceptible d'être en plein cours d'exécution, qu'elle soit correctement exécutée ou non, en fonction des capacités financières de la société en difficulté. Il est constant que l'ouverture de la procédure collective contre le locataire n'affecte pas, par principe, le maintien du contrat. En effet, selon l'article L 622-13-I du code de commerce «'nonobstant toutes dispositions légales ou toute clause contractuelle, aucune divisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde'» applicable à la liquidation judiciaire en vertu de l'article L 641-11-1 du même code.

Au cas présent, il est établi que le contrat de location financière dont s'agit a été désigné dans le plan de cession puisque le matériel financé a été repris par le repreneur du site, la société Agromousquetaire et cet élément est fondamental dans l'appréciation de l'application de la clause critiquée.

En l'espèce, l'article 12.2.1 du contrat prévoit qu'en cas de liquidation judiciaire, le locataire devra verser immédiatement au loueur, sans mise en demeure préalable':

- les loyers échus et impayés au jour de la résiliation ainsi que les intérêts de retard contractuellement stipulés et les accessoires,

- une indemnité en réparation du préjudice subi égale':

à la somme des loyers restant à courir à la date de la réalisation jusqu'au terme initialement prévu du contrat,

augmentée d'une pénalité pour inexécution du contrat égale à 10% du montant HT des loyers restant à courir.

Selon l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Il est constant qu'il appartient aux juges du fond, souverains dans l'appréciation du préjudice subi par le créancier, de fixer librement le montant de l'indemnité résultant de l'appréciation d'une clause pénale dès lors qu'ils estiment manifestement excessive.

Il y a lieu de souligner que le juge ne peut être lié par la qualification préalable de clause pénale pour une seule partie de la stipulation et non lié par l'absence de qualification pour l'autre partie. Ainsi, la cour estime que l'indemnité de résiliation ainsi prévue par l'article 12.2.1 susvisée doit être qualifiée de clause pénale susceptible de modération en cas d'excès manifeste, non seulement à l'égard des majorations de 10 % déjà qualifiées contractuellement comme telles (somme de 102.340,44 euros ttc réclamée) mais également à l'égard des échéances restant à courir (somme de 1.023.404,40 euros ttc), en ce qu'elle constitue une estimation par avance forfaitaire de l'indemnisation du préjudice subi par le bailleur à raison de la résiliation anticipée du contrat par effet de la clause résolutoire.

En l'espèce, il y a lieu d'observer au regard de l'importance des montants prévus au titre de l'indemnité contractuelle que ceux-ci équivalent strictement aux sommes à la charge de la société Hermès Boissons dans l'hypothèse où le contrat aurait été à son terme. Ainsi le défaut de proportionnalité de l'indemnité prévue au préjudice subi rend illusoire la possibilité de dédit de la société Hermès Boissons qui reste tenue, par anticipation, à l'entier paiement des sommes prévues contractuellement. Faute de cette proportionnalité, l'indemnité de résiliation a le caractère d'une sanction et doit s'analyser comme une clause pénale manifestement excessive.

Ainsi, si le loueur a pris un risque en acceptant de financer l'acquisition des produits choisis par le locataire, risque qui s'est réalisé puisque la société Hermès Boissons a cessé de payer les loyers en décembre 2021, soit au bout de la première année de location, toutefois la SA Lixxbail a obtenu la restitution du matériel et a mis en 'uvre l'engagement de rachat par la société Serac du matériel financé dès le 30 novembre 2022. S'il est établi par les écritures concordantes des parties sur ce point que le matériel financé a été repris par le groupe Agromousquetaire qui a repris le site à l'issue du plan de cession, toutefois la SA Lixxbail ne justifie pas du montant qu'elle a obtenu à l'occasion de cette revente.

Aussi, au vu de ces éléments la cour estime que l'indemnité prévue au contrat est manifestement excessive puisqu'elle tend à procurer à la SA Lixxbail un gain supérieur à celui obtenu par l'exécution du contrat de location financière s'il s'était poursuivi jusqu'à son terme.

Il s'en déduit que le montant des clauses pénales stipulées revêt un caractère manifestement excessif et doit être, non pas réduit à néant, mais modéré à 90.000 euros en application de l'article 1231-5 précité.

Dans ces conditions, il convient d'admettre la créance de la SA Lixxbail au passif de la procédure collective de la SAS Hermès Boissons représentée par son liquidateur à la somme de 552.890,34 euros.

Par conséquent, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise du chef du quantum.

Sur les autres demandes

Eu égard à la nature de l'affaire, il convient d'ordonner l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective et de débouter les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance rendue le 8 octobre 2024 par le juge commissaire du tribunal de commerce de Beauvais du chef du quantum de l'admission de la créance.

Et statuant à nouveau, y ajoutant,

Fixe la créance de la SA Lixxbail à la procédure collective de la SAS Hermès Boissons à la somme de 552.890,34 euros à titre chirographaire.

Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.

Le Greffier, La Présidente,

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