Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 26 septembre 2025, n° 21/12880

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mathis

Conseillers :

Mme Bourdon-Picquoin, Mme Boitaud Derieux

Avocats :

Me Daval-Guedj, Me Delcourt, Me Cabri

Cons. prud'h. Toulon, du 9 juill. 2021, …

9 juillet 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] La SAS [Adresse 5], ECI, a embauché M. [T] [R] suivant contrat de travail à durée indéterminée du 9 janvier 2012 en qualité d'attaché commercial statut cadre. Les relations contractuelles des parties sont régies par les dispositions de la convention collective nationale de la papeterie, librairie, fournitures de bureau, bureautique et informatique (commerce de détail) du 15 décembre 1988. Les parties ont procédé à une rupture conventionnelle le 22 juin 2017 laquelle a été réputée homologuée par la DIRRECTE le 4'août'2017. Une indemnité spécifique de rupture conventionnelle d'un montant brut de 5'000'€ a ainsi été versée au salarié, outre les éléments figurant son salaire pour la période du 1er au 29'juillet'2017, soit la somme totale de 18'797,82'€ nets.

[2] Contestant la validité de la rupture conventionnelle, M. [T] [R] a saisi le 20'juillet 2018 le conseil de prud'hommes de Toulon, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 9 juillet 2021, a':

dit que la rupture conventionnelle est fondée';

dit que la rupture conventionnelle est exempte de vices de consentement';

débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes';

débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle';

dit que chacune des parties assume ses propres dépens par elle exposés.

[3] Cette décision a été notifiée le 2 août 2021 à M. [T] [R] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 1er septembre 2021. L'instruction a été clôturée par ordonnance du 23'mai'2025.

[4] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 22 mai 2025 aux termes desquelles M.'[T] [R] demande à la cour de':

infirmer le jugement entrepris';

débouter l'employeur de toutes ses demandes';

dire que la rupture conventionnelle est nulle';

prendre acte de ce qu'il a depuis retrouvé un emploi et ne sollicite pas sa réintégration';

condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes':

''4'680,71'€ à titre d'indemnité légale de licenciement';

''9'361,42'€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis';

'''''731,36'€ à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis';

28'084,26'€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral';

56'168,56'€ à titre d'indemnité pour licenciement nul (suite rupture conventionnelle) harcèlement moral, article L. 1235-3-1 du code du travail';

''3'000,00'€ au titre des frais irrépétibles.

[5] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 23 février 2022 aux termes desquelles la SAS [Adresse 5] demande à la cour de':

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes';

dire qu'aucun acte constitutif d'un harcèlement moral ne peut être relevé à son encontre';

dire que la rupture conventionnelle conclue entre les parties et homologuée par la DIRECCTE est parfaitement régulière et exempte de tout vice de consentement';

dire qu'aucun vice de consentement n'est rapporté par le salarié';

dire que le salarié ne démontre ni le principe ni la portée des préjudices allégués';

débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes';

débouter le salarié de sa demande relative au paiement d'une somme de 3'000'€ au titre des frais irrépétibles';

condamner le salarié à lui régler la somme de 3'000'€ au titre des frais irrépétibles';

condamner le salarié aux frais et dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le harcèlement moral

[6] Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En application de l'article L.'1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

[7] Le salarié soutient qu'il a été victime de harcèlement moral, ayant vu ses conditions de travail se dégrader et ses compétences bafouées ce qui a entamé progressivement sa santé morale et physique. Il reproche de plus à l'employeur de l'avoir poursuivi en vain pour détournement de clientèle et concurrence déloyale (plainte de l'employeur classée sans suite le 29 décembre 2017 et jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulon le 19 mai 2022 ayant débouté ce dernier de son action en concurrence déloyale). Il ne précise pas plus les faits qu'il incrimine mais produit les attestations des témoins suivants':

''Mme [B] [S] épouse [A]':

«'Je soussigné ['] atteste avoir travaillé 18'mois au sein de la société ECI dans des conditions de pression et de tension de la part de la dirigeante envers tous les employés et moi-même. Ce comportement s'est accentué à l'arrivée du directeur commercial, avec une réelle envie de changer ses effectifs et l'équipe commerciale.'»

''M. [K] [Y]':

«'Je confirme avoir été témoin direct et indirect de pressions envers la personne de M.'[R] [T]. Pressions exercées depuis l'arrivée d'un nouveau directeur commercial qui n'hésitait pas à clamer son envie de renouveler une partie des effectifs. Personnellement j'ai constaté pour M. [R]':

- dossiers signés et refusés par la suite par la direction';

- nouvelles directives visant à empêcher le commercial d'être présent sur le terrain';

- pressions morales (dénigrement du travail effectué, annulation ou changement de règles pour l'atteinte de challenges commerciaux)';

- ambiance délétère quotidienne.

Il est à noter que ces pressions ont visé d'autres personnes de la société, donnant lieu à quatre départs en moins de six mois.'»

''M. [W] [P]':

«'Je soussigné ['], employé de la SAS [Adresse 5] du 1er'juillet'2011 au 12 octobre 2017 en tant que chef comptable, atteste avoir été témoin de pressions exercées certains employés dont M. [R] afin de les pousser à accepter une future rupture conventionnelle. Mme [F] a montré sa volonté de se séparer de son équipe commerciale dont M. [R] faisait partie en modifiant les conditions de travail, en refusant par exemple certains dossiers alors que validés par le directeur commercial qui, d'après les dires de M.'[F] lors de l'arrivée de ce dernier, devenait la personne ayant autorité pour la validation des dossiers. L'impact était aussi moral lorsque par exemple Mme [F] et son directeur commercial mettaient place un challenge commercial et l'annulaient au moment où les commerciaux touchaient au but.'»

Le salarié produit encore un certificat médical rédigé par le Dr [M] [H] le 2'mai'2018 en ces termes':

«'Je soussigné ['] certifie avoir examiné ce jour M. [R] [T] domicilié [Adresse 1] [Adresse 4]. Le patient me rapporte des troubles du sommeil à type de difficultés à l'endormissement et des réveils nocturnes depuis le 23/04/2018.'»

[8] L'employeur répond qu'aucun élément matériel, précis et concordant, ne vient étayer les allégations du salarié alors même que le certificat médical rapporte des troubles ayant débuté plus de huit mois après la rupture du contrat de travail. Il ajoute que tant la plainte pénale que la procédure civile qui lui sont reprochées sont tout autant postérieures à la rupture conventionnelle. Il affirme que l'ambiance de l'entreprise était bonne et produit en ce sens des échanges de SMS entre le salarié et la direction ainsi que les attestations des témoins suivants': M. [N], Mme [C], M.'BONFANTE, M. [O] et M. [D]. Il produit encore l'attestation du M.'TOURSEL, directeur commercial, ainsi rédigée':

«'Concernant M. [R] de la même manière, il a été très véhément sur la politique de l'entreprise et sur la pertinence de mon recrutement et ce, dès notre premier entretien. Pariant même sur le fait que je ne reste pas longtemps à mon poste, multipliant les allégations visant à me dégoûter de rester. Par exemple en me disant que la direction n'avait aucune écoute, que les moyens ne me seraient jamais donnés pour mener à bien ma mission''»

[9] La cour retient que le salarié n'explicite pas les éléments de fait qui, selon lui, laisseraient supposer l'existence d'un harcèlement moral et que les témoignages qu'il produit ne sont pas plus explicites, incriminant, sans précision de fait et de date, des pressions morales et un changement de conditions de travail. Il n'est en effet nullement précisé quel challenge aurait été annulé ni quels dossiers n'auraient pas été validés ni encore quelles directives auraient empêché le salarié d'être «'présent sur le terrain'» ni qui aurait dénigré et en quels termes le travail du salarié. Dès lors, ce dernier ne permet pas à l'employeur de se défendre utilement en démontrant que ses décisions étaient bien justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, et il sera dès lors débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, lequel n'apparaît pas constitué en l'espèce, étant relevé encore que le certificat médical ne rapporte qu'une plainte relative à des troubles du sommeil ayant débuté plus de 8 mois après la fin des relations de travail.

2/ Sur la nullité de la rupture conventionnelle

[10] Le salarié soutient que la rupture conventionnelle est nulle dès lors que son consentement n'était pas libre et éclairé ce qui se déduit de l'entreprise dolosive de démotivation mise en place par la direction.

[11] Mais la cour retient que les attestations produites par le salarié, et qui ont déjà été reproduites, ne caractérisent pas, à la charge de l'employeur, des man'uvres, des mensonges, ou encore une dissimulation intentionnelle d'élément dont il savait de caractère déterminant pour le salarié. Le harcèlement moral n'est pas constitué et aucune autre man'uvre n'est établie. Les témoins ne font état d'aucun mensonge ni dissimulation intentionnelle. Dès lors, en application des dispositions de l'article 1137 du code civil, le dol n'est pas constitué et la rupture conventionnelle n'encourt pas la nullité. En conséquence, le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes.

3/ Sur les autres demandes

[12] Il convient d'allouer à l'employeur la somme de 2'000'€ au titre des frais irrépétibles d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le salarié supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Déboute M. [T] [R] de l'ensemble de ses demandes.

Y ajoutant,

Condamne M. [T] [R] à payer à la SAS ESPACE COPIEURS IMPRESSIONS la somme de 2'000'€ au titre des frais irrépétibles d'appel.

Condamne M. [T] [R] aux dépens d'appel.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site