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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 25 septembre 2025, n° 23/03344

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

La Vouisienne (SARL)

Défendeur :

La Surienne (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Biboud, Me Tidjani

T. com. Grenoble, du 23 juin 2023, n° 20…

23 juin 2023

Faits et procédure :

1. La société La Vouisienne a été constituée en 1972, avec pour objet principalement l'achat, la vente en gros, en demi-gros et détail de tous produits de chocolaterie, biscuiterie, confiserie, biscottes et produits de régime, cafés, thés et dérivés, l'achat, la vente en gros, en demi-gros et détail de tous produits alimentaires. Cette société est une société familiale constituée initialement par [U] [E] puis détenue par ses six enfants ayant chacun 1/6ème du capital social.

2. A la suite du décès de M.[E] en 1985, la présidence a été con'ée à son épouse [D] [E]. En 1995, [N] [E] et son frère [J] ont pris conjointement la direction générale de la société. Ce dernier a été licencié pour faute grave par sa mère, présidente de la société. En 1999, [N] [E] s'est retrouvée seule à diriger la société.

3. Lors de l'assemblée générale du 31 décembre 2017, les associés ont refusé d'approuver les comptes, ont voté la nomination d'un cogérant en la personne de [J] [E], et ramené la rémunération de [N] [E] à la somme de 1.100 euros net mensuel. Ces résolutions n'ayant pas été inscrites à l'ordre du jour, [N] [E] a saisi en référé le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de voir annuler ces décisions.

4. De son côté, la société La Vouisienne, cette fois représentée par l'autre cogérant, a assigné [N] [E] afin de pouvoir accéder aux bâtiments et aux éléments sociaux pour lesquels il est désigné en qualité de gérant. Suite à la conciliation mise en 'uvre le 15 mars 2019 par le président du tribunal, l'assemblée générale a révoqué [N] [E], laquelle a quitté l'entreprise le 15 mars 2019.

5. Entre temps et compte tenu de la perte du marché de l'Economat des Armées en 2018 et des difficultés entre les associés et la gérante, [H] [T], salarié engagé en qualité de VRP exclusif depuis le 1er mars 1994, a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail par courrier du 17 janvier 2019. Le 4 février, il a crée une société dénommée La Surienne exerçant une activité semblable à celle de la société La Vouisienne.

6. Une ordonnance du président du tribunal de commerce rendue le 6 septembre 2019 a désigné Me [Z], huissier de justice de la Selarl Durand, [Z], Jacquier située au [Adresse 6] [Localité 8], afin d'évaluer l'étendue d'une éventuelle concurrence déloyale et parasitaire.

7. Dans l'attente des procès-verbaux de constat établis par l'huissier, la société La Vouisienne a assigné, le 18 novembre 2019, [N] [E], [H] [T] et la société La Surienne pour concurrence déloyale et parasitaire.

8 . Par jugement du 23 juin 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- constaté que la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T] n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme, et qu'ils ne sont pas responsables des difficultés de la société La Vouisienne;

- constaté que la société La Surienne s'est bien acquittée du règlement du solde des factures dues pour un montant de 10.741,25 euros ;

- constaté que le chiffrage du préjudice de la société La Vouisienne est fantaisiste, et non justifié ;

- débouté la société La Vouisienne de sa demande de dommages et intérêts et de l'intégralité de ses autres demandes ;

- condamné la société La Vouisienne à payer à la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T], la somme de 3.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société La Vouisienne également aux entiers dépens de l'instance ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 2ème page de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 701 du code de procédure civile.

9. La société La Vouisienne a interjeté appel de cette décision le 20 septembre 2023, en ce qu'elle a :

- constaté que la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T] n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme, et qu'ils ne sont pas responsables des difficultés de la société La Vouisienne ;

- constaté que la société La Surienne s'est bien acquittée du règlement du solde des factures dues pour un montant de 10.741,25 euros ;

- constaté que le chiffrage du préjudice de la société La Vouisienne est fantaisiste, et non justifié ;

- débouté la société La Vouisienne de sa demande de dommages et intérêts et de l'intégralité de ses autres demandes ;

- condamné la société La Vouisienne à payer à la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T], la somme de 3.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société La Vouisienne également aux entiers dépens de l'instance.

10. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 22 mai 2025.

Prétentions et moyens de la société La Vouisienne :

11. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 29 janvier 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1231-1, 1231-2 et 1240 du code civil, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- rejeté les demandes de la concluante et a constaté que la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T] n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme, et qu'ils ne sont pas responsables des difficultés de la concluante ;

- constaté que la société La Surienne s'est bien acquittée du règlement du solde des factures dues pour un montant de 10.741,25 euros ;

- constaté que le chiffrage du préjudice de la concluante est fantaisiste et non justifié ;

- débouté la concluante de sa demande de dommages et intérêts et de l'intégralité de ses autres demandes ;

- condamné la concluante à payer à la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T], la somme de 3.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la concluante également aux entiers dépens de l'instance.

12. Elle demande à la cour, statuant à nouveau :

- de dire et juger que la société La Surienne a commis des faits constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire ;

- de dire et juger que [N] [E] et [H] [T] se sont rendus coupables de ces agissements de concurrence déloyale parasitaire ;

- de condamner en conséquence la société La Surienne, [N] [E] et [H] [T] in solidum, à payer à la concluante la somme de 1.700.414 euros, au titre du préjudice subi ;

- d'ordonner à la société La Surienne, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'adopter une dénomination qui n'entraîne pas de confusion avec celle de la concluante ;

- d'ordonner le paiement par la société La Surienne de la somme de 10.741,25 euros correspondant aux factures impayées ;

- de condamner [N] [E], [H] [T] et la société La Surienne, à payer à la concluante la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure Civile;

- de condamner [N] [E], [H] [T] et la société La Surienne aux entiers dépens.

13. L'appelante expose :

14. - que les statuts de la société La Surienne ont été déposés au greffe du tribunal le 31 janvier 2019 ; que [N] [E] détient 70 % du capital et M.[T] 30 % alors qu'il était l'ancien VRP de la concluante; que Mme [O], fille de [N] [E], est salariée de cette société ;

15. - que dès le 5 mars 2019, elle a démarché des clients et a contacté son établissement bancaire en indiquant avoir constitué une nouvelle société afin de développer une activité qui n'était pas possible avec la société La Vouisienne ;

16. - que la société La Surienne a adopté une activité identique, une dénomination extrêmement proche, un logo identique, un catalogue identique, avec des mails adressés à la clientèle lui demandant d'être discrète vis-à-vis de la concluante ; qu'elle a pris le même expert-comptable, les mêmes prestataires et fournisseurs ;

17. - qu'il ressort du constat de Me [Z] que Mme [E] a constitué la société La Surienne alors qu'elle était toujours dirigeante de la concluante, et qu'elle a démarché les clients en transmettant ses nouvelles coordonnées et en laissant croire à certains que la concluante cessait son activité ; qu'elle a détourné des demandes de clients reçues sur la boîte mail de la concluante, après les avoir transférés sur sa boîte personnelle ;

18. - que ces faits constituent des actes de parasitisme et de concurrence déloyale ;

19. - concernant le préjudice subi, qu'un acte de concurrence déloyale créé nécessairement un préjudice, même seulement moral ;

20. - que les bilans de la concluante, concernant les exercices clos au 31 décembre 2019 et 2021, établissent une baisse graduelle du chiffre d'affaires, passant de 481.415,42 euros à 200.653 euros, alors qu'en 2018, il était de 2.452.608 euros ; que le préjudice subi s'élève ainsi à deux années de marge brute calculée sur l'exercice 2018, soit 850.207 x 2 = 1.700.414 euros.

Prétentions et moyens de [N] [E], [H] [T] et de la société La Surienne:

21. Selon leurs conclusions n°2 remises le 1er avril 2025, ils demandent à la cour, au visa des articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile:

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté totalement les demandes de la société La Vouisienne ;

- de débouter en conséquence la société La Vouisienne de l'intégralité de ses demandes ;

- reconventionnellement, de condamner la société La Vouisienne à payer à la société La Surienne, Mme [E] et M.[T] la somme de 10.000 euros chacun pour appel abusif et injustifié ;

- de la condamner également à payer à la société La Surienne, Mme [E] et M.[T] la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de la condamner également aux entiers dépens de l'instance.

22. Ils demandent, à titre subsidiaire:

- de constater que le chiffrage du préjudice de la société La Vouisienne est fantaisiste, et de réduire le montant des éventuels dommages et intérêts à une somme symbolique.

23. Les intimées soutiennent :

24. - que le fait que M.[T] ait été salarié de l'appelante ne l'empêchait pas de créer une activité concurrence, puisque son contrat de travail ne comportait pas de clause de non-concurrence ; que Mme [E] n'a signé aucun engagement de non-concurrence après sa révocation le 15 mars 2019 ; qu'ils étaient ainsi libre de créer leur propre entreprise, alors que le détournement de clientèle n'existe pas du seul fait de la création d'un commerce concurrent et du seul fait que des clients se reportent sur le nouveau commerce; que le démarchage de la clientèle de l'ancien employeur n'est pas constitutif d'une concurrence déloyale s'il n'est pas réalisé par des moyens critiquables car contraires aux usages loyaux du commerce ;

25. - que si l'appelante invoque une perte de chiffre d'affaires, le marché public de l'Economat des Armées était limité à une durée de trois ans, de sorte qu'un appel d'offre a été formulé en 2017, lors duquel l'appelante n'a pas été retenue, ce marché étant attribué à la société Krut, qui l'a également à nouveau remporté en décembre 2021, alors que l'appelante n'a même pas répondu à ce nouvel appel d'offre ; que ses difficultés résultent de la poursuite d'une activité déficitaire, de l'absence de visite de clients et de réponse aux appels d'offres ; que pour l'année 2019, la société La Surienne n'a répondu à aucun appel d'offre ;

26. - que le départ de M.[T] a été négocié dans le cadre d'une rupture conventionnelle, alors que l'appelante n'a pas considéré que son poste était stratégique puisqu'elle ne l'a pas remplacé ;

27. - que s'il est reproché à Mme [E] d'avoir vendu à la société La Surienne des marchandises sans marge, selon trois factures du 15 mars 2019, il résulte des factures de l'un des fournisseurs de la concluante qu'elle a obtenu les mêmes produits à un prix plus avantageux, de sorte que la société La Vouisienne a bien réalisé une marge ; qu'il s'agissait en outre de déstocker des produits pour faire face au ralentissement de l'activité de la société La Vouisienne suite à la perte du marché des Armées ; qu'il est établi que ces factures ont été réglées par un chèque, ainsi qu'en justifie le relevé de compte de la société La Surienne ;

28. - concernant les échanges de mails avec d'anciens clients trouvés sur l'ordinateur de Mme [E], qu'ils ont eu lieu après la révocation de cette dernière, alors qu'en raison de l'ancienneté des relations, il était normal de les informer de son départ ; qu'il ne lui était pas interdit de les informer de la création de la société La Surienne ; qu'aucun procédé déloyal n'a été utilisé ;

29. - qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les faits reprochés aux concluants et les difficultés économiques de l'appelante, qui procèdent de la perte du marché des Armées, de la mise à l'écart de Mme [E], du départ du seul VRP et de l'absence de son remplacement, de l'inaction de la nouvelle direction qui n'a pas visité les clients ni répondu aux appels d'offres pour trouver de nouveaux marchés ;

30. - que la dénomination de la société La Surienne est suffisamment différente de celle de l'appelante pour ne pas engendrer de confusion auprès de la clientèle ;

31. - subsidiairement, que le préjudice invoqué est fantaisiste, puisqu'il est supérieur aux résultats nets cumulés depuis la création de l'appelante, alors que les chiffres 2018 ne peuvent être pris en compte puisqu'ils comprennent le chiffre d'affaires de l'Economat des Armées, dont le marché n'a pas été renouvelé, et qui représentait 90 % du chiffre d'affaires, alors que la société La Surienne n'a pas repris ce marché ;

32. - reconventionnellement, que l'action de l'appelante est abusive, puisque la société La Surienne prouve que les factures ont été payées.

*****

33. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

34. Selon le tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, engage sa responsabilité celui qui commet un acte de concurrence parasitaire ou un agissement parasitaire. Le parasitisme est une forme de concurrence déloyale. La concurrence parasitaire se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété. Trois conditions cumulatives sont requises pour que la responsabilité délictuelle de la concurrence soit retenue: un comportement fautif, un préjudice avéré, un lien de causalité entre la faute et le dommage subi. La faute constitutive de la concurrence déloyale est un comportement concurrentiel contraire à une loi, à un règlement ou encore à des usages ; elle n'a pas à revêtir de caractère intentionnel ; les fautes constitutives de concurrence déloyale sont classées en trois catégories en l'état actuel de la jurisprudence : le dénigrement, la confusion et la désorganisation.

35. Concernant le dénigrement, les premiers juges ont estimé que la société La Vouisienne n'apporte pas la preuve que la société La Surienne, Mme [E] et M.[T] l'ont critiqué directement ou indirectement, qu'ils ont utilisé des formules publicitaires pouvant constituer des actes de dénigrement.

36. Concernant la confusion, ils ont retenu que s'il s'agit du comportement d'un concurrent qui cherche à créer dans l'esprit du consommateur une confusion avec l'entreprise, et qu'en l'espèce, la société La Surienne, comme la société La Vouisienne, ne répond qu'à des appels d'offres pour 90% de son activité alors que l'attribution du marché se fait uniquement sur la valeur technique de l'offre, du prix et de la rapidité de l'exécution de la livraison.

37. Concernant la désorganisation de l'entreprise, ils ont indiqué qu'en l'espèce, [H] [T], salarié en qualité de VRP exclusif depuis le 1er mars 1994, suite à la perte du marché des Armées et donc à la baisse d'activité de la société La Vouisienne, a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de

travail le 17 janvier 2019 dans lequel il n'y avait aucune clause de non-concurrence. Suite à son départ de la société La Vouisienne, il a créé sa propre société, La Surienne. Le tribunal a noté que M.[T], homme clef comme le qualifie la société La Vouisienne, n'a jamais été remplacé par elle. Pour Mme [E], dirigeante de la société La Vouisienne, l'assemblée générale du 15 mars 2019 l'a rendue responsable de la perte du marché des Armées et de la baisse d'activité, l'a révoquée et Mme [E] a dû quitter l'entreprise le jour même. C'est après de multiples recherches d'emploi infructueuses qu'elle a fini par rejoindre M.[T] dans la société La Surienne. Après son départ, elle n'a fait qu'informer tous les clients et les fournisseurs avec lesquels elle avait travaillé pendant plus de 20 ans.

38. Le tribunal en a retiré que la société La Vouisienne ne justifie pas de fautes constitutives d'une concurrence déloyale.

39. Concernant l'existence d'un préjudice, le tribunal de commerce a indiqué que celui subi en cas de concurrence déloyale se caractérise notamment par une perte de clientèle qui se mesure par le constat de la baisse du chiffre d'affaires. Il a relevé qu'en l'espèce, la société La Vouisienne a bien perdu le marché des Armées qui a eu pour conséquence le départ du seul commercial, la révocation de la dirigeante et bien évidemment la baisse du chiffre d'affaires. Il a cependant dit que la société La Vouisienne n'apporte pas la preuve de ce que la perte de ce marché ait profité à la société La Surienne, et qu'elle ne démontre pas que la société La Surienne, Mme [E] et M.[T] sont responsables de ces difficultés économiques.

40. Concernant l'étendue du préjudice invoqué, le tribunal a dit que la demande faite à hauteur de 1.700.414 euros représente deux ans de marge brute de l'exercice 2018 ; que les chiffre 2018 incluaient le marché des Armées qui correspondait à 90% du chiffre d'affaires de la société La Vouisienne, de sorte que la somme demandée est non justifiée, irréaliste et fantaisiste.

41. Il en a conclu que les trois conditions tendant à la faute, au préjudice et au lien de causalité, ne sont pas réunies, et a ainsi jugé que la société La Surienne, Mme [E] et M.[T] n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale ni de parasitisme, et qu'ils ne sont pas plus responsables des difficultés de la société La Vouisienne.

42. Concernant le paiement de factures, le tribunal a constaté que la société La Surienne justifie que les marchandises facturées par la société La Vouisienne lui ont bien été vendues avec une marge réelle et confortable ; qu'il s'agissait de déstocker la société La Vouisienne pour faire face à la baisse d'activité qu'elle connaissait ; que ces factures ont été intégralement réglées par chèques.

43. La cour constate, en premier lieu, que s'agissant du paiement des marchandises facturées par l'appelante, M.[T] a adressé le chèque correspondant n°54 tiré sur la Caisse d'Epargne, pour 10.741,25 euros. Le 19 décembre 2019, il a demandé à l'appelante de l'encaisser afin de ne pas recevoir de relances. Le relevé de compte de la société La Surienne justifie du paiement de ce chèque le 13 janvier 2020. Il en résulte que le tribunal de commerce a justement rejeté la demande de paiement de la société La Vouisienne.

44. S'agissant ensuite de la concurrence déloyale invoquée par l'appelante, la cour confirme le bien fondé des principes juridiques énoncés par les premiers juges sur les conditions devant être réunies afin d'admettre l'existence d'une telle concurrence.

45. Sur le fond, il résulte des statuts de la société La Surienne déposés au greffe le 31 janvier 2019 qu'elle a adopté la forme d'une Sas, et M.[T] est associé unique et président. Mme [E] entre dans la société le 16 mars 2020. Aucun élément n'établit un concert frauduleux ayant existé entre Mme [E] et M.[T] au sujet de la création de la société La Surienne.

46. Il n'est pas contesté que M.[T] n'était pas soumis à une clause de non-concurrence à l'occasion de son départ négocié, pas que plus Mme [E] suite à la révocation de son mandat social et à son départ de la société La Vouisienne. Aucune faute ne peut ainsi être retenue s'agissant des conditions de création de la société La Surienne, d'autant qu'il est justifié par différentes lettres d'entreprises adressées à Mme [E], ne donnant pas suite à ses demandes d'emploi, entre avril 2019 et janvier 2020, qu'elle a recherché un emploi en dehors de la société La Surienne qui avait été créée par M.[T] seul.

47. La cour constate, en outre, que les logos des deux sociétés ne sont pas de nature à créer de confusion après de la clientèle, étant graphiquement distincts. Il en est de même s'agissant des noms commerciaux utilisés. Il n'existe ainsi aucun motif d'ordonner un changement de nom commercial.

48. Il ne résulte ainsi d'aucun élément que la société La Surienne a été créée dans le dessein de nuire frauduleusement à l'appelante, alors que comme indiqué par le tribunal de commerce, le principe est celui de la libre concurrence, dès lors qu'elle s'exerce loyalement.

49. La cour note que les difficultés économiques de l'appelante remontent à l'année 2018, suite notamment à la perte d'un marché public. Or, selon la lettre du 31 juillet 2018 adressée par l'Economat des Armées à l'appelante, le premier lui notifie qu'elle n'a pas obtenu le marché, qui est attribué à la société Krut, société tierce. De ce fait, l'assemblée générale du 8 octobre 2018 de la société La Vouisienne a pris acte de la perte du marché de l'Economat des Armées, en précisant qu'il représentait 80 % de son chiffre d'affaires. Pour le marché suivant, l'Economat des Armées a informé la société La Vouisienne le 12 avril 2022 qu'elle n'a pas obtenu le marché, qui est à nouveau attribué à la société Krut. Les attestations de militaires chargés d'effectuer des achats pour le compte de l'armée indiquent que suite au départ de M.[T], l'appelante n'a jamais envoyé de commercial pour les démarcher.

50. S'agissant du marché public de la ville de [Localité 9], le courrier adressé par celle-ci à l'appelante le 11 février 2019 l'informe qu'elle ne renouvellera pas le marché public. Il n'est justifié d'aucune faute des intimés dans la perte de ce marché.

51. La cour note enfin que selon le constat dressé par commissaire de justice le 2 avril 2025, le site internet de l'appelante fait toujours figurer Mme [E] dans un article relatif à l'histoire de la société La Vouisienne. Celle-ci n'a ainsi jamais mis son site internet à jour, et ne peut invoquer, à titre de faute, une confusion entretenue par les intimés dans l'esprit de la clientèle.

52. Il résulte de ces éléments qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché par l'appelante à l'encontre de M.[T] et de la société La Surienne concernant la création de cette société, son activité et l'origine de la perte de marchés publics constituant l'essentiel de l'activité de la société La Vouisienne. Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté l'action dirigée contre ces intimés.

53. Cependant, concernant Mme [E], la cour relève qu'avant sa révocation survenue le 15 mars 2019 et son départ de la société La Vouisienne, elle a invité un client, par mail remontant au mois de février 2019, à la contacter désormais sur sa boîte mail personnel. Elle a également demandé fin février 2019 à la société gérant les adresses mail de la société La Vouisienne de lui installer un logiciel sur son ordinateur personnel, avec un changement d'adresse.

54. Il ressort également d'échanges de mails en avril 2019 entre Mme [E] et un client de l'appelante qu'elle informe ce client qu'en raison de problèmes familiaux au sein de l'appelante, elle a quitté cette société pour en créer une autre, et lui demande de ne pas en faire part à l'appelante.

55. Il résulte qu'avant son départ de la société La Vouisienne, alors qu'elle était titulaire d'un mandat social, Mme [E] a été l'auteur d'actes déloyaux à l'égard de l'appelante, dans le dessein de détourner une partie de sa clientèle. Après son départ, elle a en outre commis un acte de dénigrement, dont elle n'ignorait pas le caractère illicite car demandant à ce client de ne pas en faire part à l'appelante.

56. Il en résulte qu'à l'égard de Mme [E], l'appelante justifie d'actes de concurrence déloyale par des actes tendant à une captation d'une partie de la clientèle, sans qu'il soit établi que ces actes aient été commis pour le compte de la société La Surienne et M.[T].

57. Ces actes ont causé nécessairement un préjudice à la société la Vouisienne, mais pas à hauteur de la perte de marge alléguée, puisqu'il a été indiqué plus haut que l'essentiel de l'activité de l'appelante était réalisé dans le cadre de marchés publics qu'elle a perdus ou dont elle n'a pas été attributaire, voire qu'elle n'a pas sollicités, ces marchés étant attribués notamment à une société tierce à la présente instance, alors qu'il convient de prendre en compte la spécificité des procédures afférentes à la passation de marchés publics, avec des appels à la concurrence et une sélection spéciale des attributaires.

58. Au regard des fautes établies à l'encontre de Mme [E] et de la structure de l'activité de la société La Vouisienne, la cour retiendra ainsi un préjudice à hauteur de 8.000 euros.

59. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en ce qu'il a constaté que Mme [E] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme et qu'elle n'est pas responsable des difficultés de la société La Vouisienne, en ce qu'il a débouté celle-ci de sa demande de dommages et intérêts et condamnée à payer à Mme [E] la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

60. Statuant à nouveau, la cour condamnera Mme [E] à payer à la société La Vouisienne la somme de 8.000 euros à titre de dommages intérêts, outre 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. Mme [E] sera enfin condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 1231-1 et suivants, 1240 du code civil ;

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- constaté que [N] [E] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme, et qu'elle n'est pas responsables des difficultés de la société La Vouisienne ;

- constaté que le chiffrage du préjudice de la société La Vouisienne est fantaisiste, et non justifié ;

- débouté la société La Vouisienne de sa demande de dommages et intérêts formée contre Mme [E] ;

- condamné la société La Vouisienne à payer à [N] [E] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société La Vouisienne aux entiers dépens de l'instance ;

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour ;

statuant à nouveau ;

Condamne [N] [E] à payer à la société La Vouisienne la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale ;

Condamne [N] [E] à payer à la société La Vouisienne la somme de 4.000 euros par application de l'article de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne [N] [E] aux dépens de première instance et d'appel ;

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