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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 26 septembre 2025, n° 21/12879

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/12879

26 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 26 SEPTEMBRE 2025

N° 2025/265

Rôle N° 21/12879 N° Portalis DBVB-V-B7F-BIBHT

[C] [O]

C/

S.A.S. [Adresse 3] (ECI)

Copie exécutoire délivrée

le : 26/09/2025

à :

- Me Maud DAVAL-GUEDJ, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE

- Me Frédéric DELCOURT, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 09 Juillet 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00320.

APPELANT

Monsieur [C] [O], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

et par Me Cécilia CABRI, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

S.A.S. [Adresse 3] (ECI), sise [Adresse 2]

représentée par Me Frédéric DELCOURT, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été appelée le 24 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2025

Signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre et Mme Pascale ROCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] La SAS [Adresse 3], ECI, a embauché M. [C] [O] suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er mars 2011 en qualité d'attaché commercial statut cadre. Les relations contractuelles des parties sont régies par les dispositions de la convention collective nationale de la papeterie, librairie, fournitures de bureau, bureautique et informatique (commerce de détail) du 15 décembre 1988. Les parties ont procédé à une rupture conventionnelle le 5 mai 2017 laquelle a été homologuée par la DIRECCTE le 17 juin 2017. Une indemnité spécifique de rupture conventionnelle d'un montant brut de 5'860'€ a ainsi été versée au salarié, outre les éléments figurant son salaire pour la période du 1er au 19 juin 2017, soit la somme totale de 15'057,98'€ nets.

[2] Se plaignant de harcèlement moral et contestant la validité de la rupture conventionnelle, M.'[C] [O] a saisi le 4'mai 2018 le conseil de prud'hommes de Toulon, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 9 juillet 2021, a':

débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes';

débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle';

laissé les dépens à la charge de chacune des parties qui les ont exposés.

[3] Cette décision a été notifiée le 3 août 2021 à M. [C] [O] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 1er septembre 2021. L'instruction a été clôturée par ordonnance du 23'mai 2025.

[4] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 22 mai 2025 aux termes desquelles M.'[C] [O] demande à la cour de':

infirmer le jugement entrepris';

débouter l'employeur de toutes ses demandes';

dire que la rupture conventionnelle est nulle';

prendre acte de ce qu'il a depuis retrouvé un emploi et ne sollicite pas sa réintégration';

condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes':

''7'184,40'€ à titre d'indemnité légale de licenciement';

''9'579,20'€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis';

'''''821,00'€ à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis';

28'736,60'€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral';

57'475,20'€ à titre d'indemnité pour licenciement nul (suite rupture conventionnelle) harcèlement moral article L. 1235-3-1 du code du travail';

''3'000,00'€ au titre des frais irrépétibles.

[5] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 23 février 2022 aux termes desquelles la SAS [Adresse 3] demande à la cour de':

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes';

dire qu'aucun acte constitutif d'un harcèlement moral peut être relevé à son encontre';

dire que la rupture conventionnelle conclue entre les parties et homologuée par la DIRECCTE est régulière et exempte de tout vice du consentement';

dire qu'aucun vice du consentement n'est rapporté par le salarié';

dire que le salarié ne démontre ni le principe ni la portée des préjudices allégués';

débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes';

débouter le salarié de sa demande relative au paiement d'une somme de 3'000'€ au titre des frais irrépétibles';

condamner le salarié à lui régler la somme de 3'000'€ au titre des frais irrépétibles';

condamner le salarié aux frais et dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le harcèlement moral

[6] Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En application de l'article L.'1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

[7] Le salarié soutient qu'il a été victime de harcèlement moral, ayant vu ses conditions de travail se dégrader et ses compétences bafouées ce qui a entamé progressivement sa santé morale et physique. Il reproche de plus à l'employeur de l'avoir poursuivi en vain pour détournement de clientèle et concurrence déloyale (plainte de l'employeur classée sans suite le 29 décembre 2017 et jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulon le 19 mai 2022 ayant débouté ce dernier de son action en concurrence déloyale). Il ne précise pas plus les faits qu'il incrimine mais produit les attestations des témoins suivants':

''Mme [S] [P] épouse [G]':

«'J'atteste avoir travaillé 18'mois au sein de la société ECI dans des conditions de pression et de tension de la part de la dirigeante envers tous les employés et moi-même. J'ai constaté que ce comportement s'est accentué à l'arrivée du directeur commercial, avec une réelle envie de changer ses effectifs et l'équipe commerciale.'»

''M. [T] [K]':

«'Par la présente je confirme avoir été témoin de pressions faites sur la personne de M.'[O] depuis l'arrivée d'un nouveau directeur commercial au sein de la société ECI au mois de février 2017, en effet cette personne avait pour objectif de renouveler l'équipe commerciale avec l'aval de la direction générale dans le but de se séparer des hauts salaires. L'équipe dirigeante a joué de tous les stratagèmes pour réussir à réaliser cet objectif, pression morale (changement de conditions de travail, annulation de challenge, climat chaotique) cette action aura comme conséquence le départ de plusieurs personnes (secr. direction, commerciaux, comptable).'»

''M. [N] [M]':

«'['] Tous les deux [le salarié et Mme [S] [P] épouse [G]] sont en arrêt de travail causé, me disent-ils, par la pression que l'employeur exerce sur eux. M. [O] m'explique que suite à l'embauche d'un nouveau directeur commercial la société ECI souhaite faire peau neuve et se séparer d'une partie de ses effectifs. Ces propos sont corroborés par Mme [U] qui est l'assistante de direction de l'entreprise E.C.I. Le but, pour l'employeur m'explique-t-il est de faire partir les salaires à moindre coût. Il est proposé plusieurs fois à M. [O] de démissionner. Mme [I] lui a coupé l'accès à sa boîte mail professionnel depuis son arrêt maladie. Je conseille à M. [O] de refuser la démission et de demander à son employeur de procéder à un licenciement. Je lui évoque une possibilité d'action syndicale qu'il refuse, pour ne pas mettre ses collègues dans l'embarras' Le 18 mai 2017, M. [O] me sollicite à nouveau par téléphone pour me faire part de la proposition de son employeur d'une rupture conventionnelle mais avec le minimum d'indemnités de départ. Bien que la somme soit loin de correspondre aux attentes de M. [O], celui-ci me fait part de sa décision d'accepter un mauvais accord lui permettant de tirer un trait définitif sur cette douloureuse histoire.'»

''M. [F] [L]':

«'Je soussigné ['], employé de la SAS [Adresse 3] du 1er'juillet'2011 au 12 octobre 2017 en qualité de chef comptable, atteste avoir été témoin de pressions exercées sur M. [O] [C] afin de faciliter l'acceptation de la rupture conventionnelle de son contrat. Mme [I] a rendu difficiles les conditions de travail de M.'[O] notamment par la mise en place d'un directeur commercial imposant des méthodes qui n'ont eu pour effet que de baisser la productivité des commerciaux et donc en cascade leur rémunération. Mme [I] s'est employée également à toucher à leur motivation lorsque par exemple elle annonce une récompense en cas d'atteinte d'un objectif puis se rétracte lorsque les commerciaux étaient en passe d'atteindre cet objectif. Mme'[I] a su également faire que le timing joue en sa faveur en exerçant ses pressions sur M. [O] tout en sachant qu'à cette période il traversait des moments compliqués d'ordre personnel ayant d'ailleurs entraîné un arrêt de travail.'»

Le salarié produit encore un certificat médical rédigé par le Dr [R] [Z] le 27'avril'2018 en ces termes':

«'Je soussigné ['] certifie par la présente avoir reçu en avril 2017 M. [C] [O] né le 03/04/84, qui me disait être victime de harcèlement au travail de pression pour démissionner de son poste. Il présentait à l'époque un syndrome anxio-dépressif avec trouble du sommeil et accutisation de ses migraines. Son état actuel est encore très précaire avec une perte de poids, un retentissement sur l'humeur.'»

[8] L'employeur répond qu'aucun élément matériel, précis et concordant, ne vient étayer les allégations du salarié alors même que le médecin conseil de la CPAM a retenu que la dégradation de son état de santé a été causée par «'une situation complexe': d'une part de sa vie personnelle (pathologie au long cours dans sa famille) et d'autre part d'une restructuration de la société'». Il ajoute que tant la plainte pénale que la procédure civile qui lui sont reprochées sont postérieures à la rupture conventionnelle. Il affirme que l'ambiance de l'entreprise était bonne et produit en ce sens des échanges de SMS entre Mme [I], chef d'entreprise, et le salarié ainsi que les attestations des témoins suivants': M. [V], Mme [Y], M. [E], M. [A] et M. [W]. Il produit encore l'attestation de M. [B], directeur commercial, ainsi rédigée':

«'Dès le premier entretien M. [O] m'a fait part de son amertume concernant le fait qu'il convoitait mon poste et a largement dénigré la décision prise par la direction de me recruter. Au cours des semaines suivantes le dénigrement a continué, verbalisant le fait que «'je ne reste pas longtemps et que je serai vite dégoûté car je n'aurai pas les moyens mis à disposition pour accomplir ma mission [']'»

[9] La cour retient que le salarié n'explicite pas les éléments de fait qui, selon lui, laisseraient supposer l'existence d'un harcèlement moral et que les témoignages qu'il produit ne sont pas plus explicites incriminant, sans précision de fait et de date, des pressions (Mme'[P], M.[K], M. [L]), un changement de conditions de travail (M.[K], M.'[L]), l'annulation d'un challenge (M.[K], M. [L]) et un climat chaotique (M.[K]). Il n'est nullement précisé quel challenge a été annulé et ce seul fait précis n'est pas répété. Dès lors, le salarié ne permet pas à l'employeur de se défendre utilement en démontrant que ses décisions étaient bien justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, et il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, lequel n'apparaît pas constitué en l'espèce.

2/ Sur la nullité de la rupture conventionnelle

[10] Le salarié soutient que la rupture conventionnelle est nulle dès lors que son consentement n'était pas libre et éclairé ce qui se déduit de l'entreprise dolosive de démotivation mise en place par la direction.

[11] Mais la cour retient que les attestations produites par le salarié, et qui ont déjà été reproduites, ne caractérisent pas, à la charge de l'employeur, des man'uvres, des mensonges, ou encore une dissimulation intentionnelle d'élément dont il savait de caractère déterminant pour le salarié. Le harcèlement moral n'est pas constitué et aucune autre man'uvre n'est établie. Les témoins ne font état d'aucun mensonge ni dissimulation intentionnelle. Dès lors, en application des dispositions de l'article 1137 du code civil, le dol n'est pas constitué et la rupture conventionnelle n'encourt pas la nullité. En conséquence, le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes.

3/ Sur les autres demandes

[12] Il convient d'allouer à l'employeur la somme de 2'000'€ au titre des frais irrépétibles d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le salarié supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Déboute M. [C] [O] de l'ensemble de ses demandes.

Y ajoutant,

Condamne M. [C] [O] à payer à la SAS [Adresse 3] la somme de 2'000'€ au titre des frais irrépétibles d'appel.

Condamne M. [C] [O] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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