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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 25 septembre 2025, n° 23/04220

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

ECM Technologies (SAS)

Défendeur :

Tavengineering (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Jorquera, SCP VBA Avocats Associés, Me Benhamou, Me Rossi

T. com. Grenoble, du 24 nov. 2023, n° 20…

24 novembre 2023

EXPOSE DU LITIGE :

La société ECM Technologies fabrique et commercialise des solutions de fours industriels et installations clefs en main de traitement thermique sous vide (notamment la cémentation basse pression, nitruration, frittage, le brasage traitement thermique par gaz etc.). Elle propose également la fourniture de pièces de rechange et des services de maintenance, de rénovation et de réparation d'installations de traitement thermique.

La société de droit italien Tavengineering SpA, dont les établissements sont installés en Lombardie, a pour activité principale le recyclage et le reconditionnement d'équipements industriels de type fours sous vide, et tous services afférents à l'entretien et à la remise en état desdits matériels, dont la fourniture de pièces détachées.

La société Tavengineering SpA a souhaité s'implanter en France et a créé une filiale, la société Tavengineering, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Grenoble le 3 mars 2020, située à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs et dont l'objet social consiste en l'assistance technologique et technique dans le domaine des installations industrielles, la construction, la reconstruction, la restructuration, la rénovation et le commerce d'installations industrielles et de leurs composants, essentiellement dans le secteur des fours à traitement thermique.

Le 26 septembre 2016, la société ECM Technologies a recruté M. [X] [C] pour une durée indéterminée en qualité de technico-commercial. Son contrat de travail stipulait une clause d'exclusivité pour la durée d'exécution du contrat ainsi qu'une clause de confidentialité applicable tant pendant l'exécution du contrat qu'après la rupture de celui-ci et une clause de non-concurrence d'une durée de 12 mois renouvelable une fois et limitée aux zones suivantes : France, Allemagne, US, Chine, Japon et Corée du Sud.

M. [C] a présenté sa démission à effet au 2 mars 2020. La société ECM Technologies n'a pas délié M. [C] de la clause de non-concurrence prévue au contrat et lui a versé l'indemnité compensatrice prévue et ce à compter du 3 mars 2020.

La société ECM Technologies a appris, au cours de l'été 2020 que M. [C] avait été embauché par la société Tavengineering.

Le 27 juillet 2020 le président de la société ECM Technologies a interpellé la société Tavengineering en lui notifiant qu'à supposer même qu'elle l'ignorât, M. [C] était tenu de respecter une clause de non-concurrence qui lui interdisait de se mettre à son service.

Par un courriel en réponse du 30 juillet 2020, la société Tavengineering a reconnu avoir embauché M. [C] et indiqué simplement lui avoir donné pour instruction de ne pas concurrencer la société ECM Technologies,

Par courrier recommandé du 10 août 2020, la société ECM Technologies a mis en demeure la société Tavengineering de cesser toute collaboration avec M. [C]. Selon réponse en date du 18 août 2020, la société Tavengineering a repris les termes de son courriel du 30 juillet 2020.

En parallèle, par un courrier également du 10 août 2020, la société ECM Technologies a mis en demeure M. [C] de cesser toute activité au service de la société Tavengineering.

Selon courrier du 20 août 2020, M. [C] a transmis à la société ECM Technologies un règlement correspondant aux indemnités versées depuis le 3 mars 2020 par la société ECM Technologies en contrepartie de l'application de la clause de non-concurrence, soit une somme de 7.413,35 euros.

Par lettre recommandée en date du 10 août 2020, la société ECM Technologies a mis en demeure la société Tavengineering d'avoir à interrompre toute collaboration avec M. [C], lequel a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée à effet le 16 mars 2020 en qualité de directeur technique, au motif que ce dernier, qui avait été salarié de la société ECM entre le 26 septembre 2016 et le 2 mars 2020, date d'effet de sa démission, serait obligé par une clause de non concurrence.

Par une ordonnance en date du 23 décembre 2020, la formation de référé du Conseil de Prud'hommes a ordonné à M. [C] de mettre fin à toutes les activités concurrentielles exercées à l'encontre de la société ECM Technologies, contraire à la clause de non-concurrence stipulée à l'article 11 du contrat de travail signé le 26 septembre 2020, et ce jusqu'au 2 mars 2022, date d'expiration de la période renouvelée le 21 novembre 2020.

Selon courrier de son conseil en date du 8 janvier 2021, M. [C] a indiqué à la société ECM Technologies avoir conclu avec la société Tavengineering une rupture conventionnelle de son contrat de travail à effet au 12 février 2021.

Se prévalant de ce que les faits de concurrence déloyale se poursuivaient suite au départ de M. [C], la société ECM Technologies a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble, par requête fondée sur les articles 145, et 493 du code de procédure civile et l'article 874 du code civil, afin que tous constats soient opérés par huissier de justice au sein des locaux de la société Tavengineering susceptible de recueillir les éléments de preuve établissant les actes de concurrence déloyale dont elle était victime et leur étendue.

Par une ordonnance en date du 12 avril 2021, la présidente du tribunal de commerce de Grenoble a fait droit à cette demande. L'huissier de justice désigné s'est présenté dans l'établissement de la société Tavengineering et a exécuté sa mission, assisté de deux experts en informatique de la société Lerti. Un procès-verbal de constat a été établi le 22 juillet 2021.

Par acte d'huissier du 13 octobre 2021 la société ECM Technologies a fait délivrer assignation à la société Tavengineering devant le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de voir :

- juger que la société Tavengineering s'est rendue coupable de faits de concurrence déloyale à son préjudice,

- avant-dire droit, condamner la société Tavengineering sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter du 8ème jour suivant la décision à intervenir à produire aux débats « les documents comptables qu'elle a dû publier pour l'année 2020 ou en tout cas établir et faire viser par ses experts comptables et/ou commissaires aux comptes, et toute pièce comptable visée par son expert-comptable et/ou son commissaire aux comptes attestant de son chiffre d'affaires pour l'année 2021 », ainsi que « tout document comptable identifiant le chiffre d'affaires réalisé client par client et ce pour les années 2020 et 2021 »,

- condamner la société Tavengineering au paiement de la somme, à parfaire, de 3.509.120 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,

- condamner la société Tavengineering au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par jugement du 24 novembre 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- retenu les pièces numérotées 31 et 32 remises au tribunal par la société ECM Technologies au début de l'audience du 22 septembre 2023,

- jugé que la société Tavengineering ne s'est pas rendue coupable de faits de concurrence déloyale au préjudice de la société ECM Technologies,

- débouté la société ECM Technologies de ses demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,

- autorisé l'huissier, pour les pièces qu'il détient :

*à rendre à la société Tavengineering les éventuels originaux,

*à détruire les copies,

- condamné la société ECM Technologies à payer à la société Tavendineering une indemnité de procédure arbitrée à la somme de 5.000 euros au titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société ECM Technologies aux entiers dépens.

Par déclaration du 14 décembre 2023 la société ECM Technologies en a interjeté appel en ce qu'il a :

- jugé que la société Tavengineering ne s'est pas rendue coupable de faits de concurrence déloyale au préjudice de la société ECM Technologies,

- débouté la société ECM Technologies de ses demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,

- condamné la société ECM Technologies à payer à la société Tavendineering une indemnité de procédure arbitrée à la somme de 5.000 euros au titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société ECM Technologies aux entiers dépens.

Prétentions et moyens de la société ECM TEchnologies :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 25 février 2025, la société ECM Technologies demande à la cour au visa des articles 1240 et suivants du code civil de :

- réformer le jugement entrepris dans les limites de l'appel, et statuant à nouveau des chefs de jugement critiqués :

- juger que la société Tavengineering s'est rendue coupable de faits de concurrence déloyale commis au préjudice de la société ECM Technologies,

- condamner la société Tavengineering à régler à la société ECM Technologies la somme de 3.009.120 euros (trois millions cinq cent neuf mille cent-vingt euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale dont cette dernière a été victime,

- condamner la société Tavengineering à payer à la société ECM Technologies la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour justifier de faits de concurrence déloyale de la part de la société Tavengineering, elle expose que :

- les deux sociétés interviennent dans la fabrication et dans le SAV, dans le même domaine d'activité ce que confirment les statuts de la société Tavengineering et le K bis de la société, de sorte que c'est donc à tort que l'intimée soutient qu'elle ne développe qu'une activité de maintenance à l'exclusion de toute autre prestation, le site internet de la société Tavengineering à [Localité 4] présentant bien une section « produits » et une section « SAV », et les produits présentés sont bien des fours industriels,

- les deux sociétés sont donc concurrentes non seulement sur une activité de maintenance, mais également sur celle de fourniture d'équipements neufs que la société Tavengineering propose clairement dans ses communications commerciales,

- la société Tavengineering s'est livrée à une désorganisation de l'entreprise en débauchant ses salariés et en captant sa clientèle,

- le débauchage résulte de ce que :

* elle a engagé plusieurs de ses salariés importants pour le développement de son activité, soit un technico-commercial SAV, un technicien SAV et un chargé d'affaires représentant au total 43% de l'équipe dédiée aux fours sous-vides au sein du SAV de l'entreprise, et non pas 10% comme l'a mentionné le tribunal dans sa décision,

* elle a engagé M. [C] le 16 mars 2020 soit au début de son activité effective, sachant que le salarié avait démissionné de la société ECM le 2 mars 2020, et étant rappelé que la société Tavengineering a été immatriculée au RCS le 3 mars 2020 pour un commencement d'activité déclaré au 21 février 2020,

* cette embauche s'est faite en violation totale de l'obligation de non-concurrence à laquelle celui-ci était astreint en vertu de son contrat de travail, obligation de non-concurrence parfaitement valable découlant de la décision du Conseil de Prud'hommes ayant enjoint à M. [C] de cesser toute relation contractuelle salariée avec la société Tavengineering, qui n'a pas été frappée d'appel,

* M. [C] qui était technico-commercial SAV au sein de la société ECM, connaissait l'identité de tous ses clients et les contacts permettant un démarchage rapide auprès d'eux, ainsi que les besoins techniques et en matériels de ces clients, et les tarifs auxquels ils étaient susceptibles de consentir à contracter, de sorte que c'est à tort que le tribunal a retenu qu'il n'est pas démontré que ce dernier s'est emparé du fichier client et qu'il l'a utilisé, étant relevé qu'il n'avait pas formellement besoin d'un fichier pour connaître les clients,

* il résulte du procès-verbal de constat sur ordonnance du 22 juillet 2021 que M. [R] [T], qui a démissionné de la société ECM Technologies le 5 février 2020, a été embauché comme chargé d'affaires au service de la société Tavengineering, de sorte qu'il est démontré qu'il a démissionné pour se faire embaucher par l'intimée quelques jours plus tard, et au surplus à une époque où la société Tavengineering n'avait pas encore commencé son activité, ce qui prouve le projet concerté élaboré en amont de désorganisation de la société ECM Technologies,

* M. [O] qui était depuis plusieurs mois un salarié à sa disposition comme intérimaire en qualité de technicien SAV, a quitté son poste au début du mois de mars 2020 sous couvert de « problèmes familiaux » qui en réalité ont visé à cacher son embauche par la société Tavengineering,

- les faits de captation de la clientèle découlant de la désorganisation orchestrée par cette dernière résultent de ce que :

* la société Tavengineering a rapidement développé son chiffre d'affaires avec les clients de la société ECM Technologies sans d'ailleurs avoir en son sein le moindre ingénieur d'étude, est la preuve à elle-seule du résultat du débauchage de M. [C] et de la mise à disposition de son nouvel employeur de la liste de ses clients,

* l'une des commandes faites auprès de la société Schneider Electric par Tavengineering pour près de 100.000 euros résultait d'ailleurs d'un chiffrage opéré par M. [C] avant son départ d'ECM Technologies, et le tribunal n'a pas analysé ce fait dans sa décision,

* le directeur de la société Solcera, client historique de la société ECM, a attesté que M. [C] est intervenu dans la société Solcera au mois d'août 2020 «mandaté par la société TAV » et non plus la société ECM Technologies,

* pour 2020, elle a vu le montant des commandes du secteur SAV fours sous vide, en chute de 2.000.000 d'euros à fin octobre 2020 et cette baisse n'est pas liée à l'épidémie de Covid-19 que la société Tavengineering a, en première instance, utilisé comme bien curieux argument dans ses conclusions, cette épidémie ne l'ayant pas empêchée de développer étonnamment, quant à elle, son activité de manière fulgurante,

* l'huissier a pu mettre en évidence que le chiffre d'affaires réalisé par la société Tavengineering pour l'année 2020 par le biais des clients de la société ECM se montait à 290.949 euros HT, ce qui représente un volume très important, réalisé seulement en moins de 10 mois pour une société nouvellement implantée en France, qui ne peut qu'être le fruit d'une captation fautive de clientèle, et l'utilisation par le biais du débauchage de salariés du fichier clients,

* si le chiffre d'affaires généré par le SAV des fours de type « ICBP », pendant l'épidémie de Covid, a eu un volume stable en termes de prises de commandes (6.220.000 euros en 2019 pour 2.213.000 euros en 2020), en revanche, le chiffre d'affaires réalisé par la division à laquelle M. [C] appartenait a vu le volume des prises de commandes divisé par deux, ce qui ne peut s'expliquer que par un détournement de clientèle grâce aux contacts dont il disposait.

Au soutien de sa demande indemnitaire, elle expose que:

- si l'huissier instrumentaire désigné par le tribunal de commerce a pu chiffrer une facturation pour les années 2020 et 2021 se montant à 521.389 euros HT, il s'agit pour ces deux années d'exercices partiels (2020 de mars à décembre et 2021 de janvier à juillet),

- les données qui ont pu être recueillies tant dans le logiciel de comptabilité que dans le facturier présent physiquement dans les locaux ne permettent donc absolument pas d'être certain que le montant des facturations recensé par l'huissier au titre des années 2020 et 2021 représente l'étendue de la facturation émise par la société Tavengineering à l'égard des clients de la société ECM qu'elle a indûment captés,

- en outre, certains contrats passés avec les clients d'ECM Technologies n'avaient sans doute pas, au moment du constat d'huissier, fait encore l'objet de factures,

- la facturation opérée par ECM Technologies au titre de l'activité de SAV Fours sous-vide, était en 2019 de 3.100.879 euros et elle n'a été en 2020 que de 1.991.691 euros dont 582.072 euros de facturés sur des affaires prises par M. [C] en 2019 avant son départ,

- la perte de facturation et ainsi de chiffre d'affaires liée à la concurrence déloyale dont elle a été victime s'élève ainsi à 1.200.000 euros HT à tout le moins mais plus sûrement à 1.800.000 euros HT si l'on retraite les factures sur les affaires conclues par M. [C] avant son départ et cette estimation coïncide avec les variations des montants de prises de commandes toujours en ce qui concerne l'activité SAV Fours sous vide, puisque le total des prises de commandes avait été en 2019 de 3.177.932 euros alors que celui de 2020 a été de 1.401.087 euros, toujours selon les données extraites de l'ERP de l'entreprise,

- en prenant pour base une perte de chiffre d'affaires d'environ 1.800.000 euros HT par an liée à la concurrence déloyale exercée par la société Tavengineering, le préjudice, sur les années 2020 et 2021 et compte tenu du taux de marge de la société ECM Technologies (41,92 % en 2020) s'élève donc a minima à la somme de 1.800.000 euros x 2 x 41,92% = 1.509.120 euros HT,

- ce préjudice va se perpétuer à l'avenir, la perte de certains clients étant totale depuis le départ de M. [C], les prises de commande ayant chuté de 100% en 2020 et 2021, comme pour les clients Hudry Jallut, Sodern, Solcera, TMN Surface et TMN Thermique,

- d'autres clients ne génèrent plus aucun chiffre d'affaires, comme la société Thales, un extrait de l'ERP de l'entreprise montrant que le chiffre d'affaires pour les différentes entités clientes de cette société est passé, pour ECM, de 139.038 euros en 2019 à 0 euros à partir de 2023,

- en conséquence, la société intimée devra lui verser la somme de 3.009.120 euros à titre de dommages et intérêts.

Prétentions et moyens de la société Tavengineering :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 4 juin 2024, la société Tavengineering, demande à la cour au visa des articles 1240 et 1241 du code civil et l'article 514-1 du code de procédure civile de :

- débouter la société ECM Technologies de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement rendu le 24 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Grenoble,

- condamner la société ECM Technologies à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société ECM Technologies aux entiers dépens.

Pour contester l'existence d'actes de désorganisation et de captation de clientèle, elle expose que :

- les activités concurrentielles des deux parties se limitent strictement à la fourniture de prestations d'entretien et de réparation de fours sous vide, dès lors que la société ECM fabrique et commercialise des fours industriels et installations de traitement thermique sous vide, fabrique et vend des pièces de rechange et vend des prestations de maintenance et de réparation, alors que sa propre activité consiste, depuis sa création et jusqu'à présent encore, exclusivement en l'exécution de prestations d'entretien et de réparation de fours sous vide, de marque TAV ou d'autres marques, à l'exclusion de toute autre prestation,

- il n'est démontré aucun acte de débauchage à son encontre alors que :

* M. [C] a démissionné librement de son poste, et il n'est démontré aucune sollicitation ou initiative extérieure qui aurait incité ou contraint ce dernier à présenter sa démission,

* M. [R] [T] a librement démissionné de son poste de chargé d'affaires opérationnel au sein des effectifs de la société ECM, sans que cette dernière ne produise le moindre élément de fait de nature à établir qu'elle est intervenue de quelque façon que ce soit dans la décision de son ex-salarié de se démettre,

* M. [F] [O], technicien n'était nullement salarié de la société ECM, mais salarié d'une entreprise de travail temporaire, la société Egalis, laquelle mettait à disposition de la société ECM son salarié depuis l'année 2019 pour accroissement temporaire d'activité,

- c'est de manière parfaitement fondée que le tribunal de commerce a rappelé que le recrutement de salariés chez un concurrent n'est pas en soi une faute et la société ECM ne procède que par affirmation et n'établit nullement la preuve de man'uvres déloyales que la société Tavengineering aurait mises en 'uvre dans le but de débaucher son personnel,

- il n'est pas démontré une désorganisation alors que les deux salariés ne représentent qu'une petite partie des effectifs de la société ECM Technologies et environ 10 % de ses effectifs de SAV et qu'elle n'allègue et a fortiori ne prouve aucun fait de nature à caractériser une désorganisation de ses services,

- il n'est pas démontré de captation de clientèle par l'usage du fichier client de la société ECM alors que la liste des clients communiquée par la société ECM en identifie plus de 400 (voire environ 500 dans la mesure où la liste communiquée par la demanderesse apparaît incomplète en ce que les clients dont la dénomination commence par les lettres A et B sont manquants) et que le procès-verbal de constat a révélé que 12 des noms des clients de la société ECM apparaissent dans les comptes clients de la société Tavengineering, de sorte que la proportion de clients communs extrêmement marginale, soit équivalente à 3 % du fichier client de l'appelante, ne saurait constituer la preuve de l'utilisation d'un quelconque fichier appartenant la société ECM, qu'elle dément détenir,

- la société ECM elle-même a largement bénéficié du réseau de M. [C] qui a réussi à amplifier la propre clientèle de son employeur pendant les 3 années et demi passées à son service, et M. [C], professionnel reconnu dans son domaine, est spontanément suivi par des entreprises qui désirent vouloir continuer à travailler avec lui et bénéficier de son expertise, parce qu'une relation de confiance personnelle s'est nouée entre eux directement, tout au long de son parcours professionnel, comme en attestent les sociétés TMN Thermique et TMN Surface ainsi que M. [H] [B], responsable production de la société Stoca, et M. [Y] [E], gérant de la société A2T, entreprises faisant également partie de la liste des 12 clients supposés « captés »,

- l'attestation du directeur de la société Solcera qui indique que M. [C] est intervenu pour l'installation et la mise en service d'un four ECM, et indique qu'il est successivement intervenu mandaté par la société TAV qui s'est chargée de la maintenance du four B04, au moment où l'équipe de TAV remettait en service cet équipement, n'indique nullement avoir été démarché par la société Tavengineering,

- l'attestation établie par le nouveau responsable du SAV de la société ECM fait référence à des propos ou faits rapportés, l'attestant n'en a pas été le témoin direct, lesquels n'ont donc guère d'intérêt pour la solution du litige et les caractères de pertinence et probatoire de cette attestation, sont discutables compte tenu des liens de parenté et de subordination de l'attestant, M. [J] [U], étant le fils du gérant de la société ECM,

- les sociétés Tavengineering entretenaient des relations d'affaires avec une partie de cette clientèle depuis bien avant 2020, et avant que soit créée la filiale française Tavengineering France et vendaient déjà à ces derniers des solutions industrielles comme en attestent quelques échanges de courriels avec certains des « clients historiques » d'ECM, tel que la société Framatome, la société Hauck Heat Treatment, la société Solcera et la société TMN Thermique et TMN Surface,

- dès lors que la société Tavengineering France a été créée en mars 2020 et est devenue opérationnelle sur le territoire français pour fournir des prestations de SAV et maintenance, c'est très naturellement que certaines des entreprises qui avaient auparavant acheté des fours aux sociétés TAV, de marque TAV, se sont adressées à elle pour lui commander des prestations de maintenance,

- la société ECM n'est donc absolument pas fondée à revendiquer une quelconque antériorité non plus qu'une exclusivité de relations commerciales avec ces clients et en particulier avec les 12 clients supposés « captés » par la société Tavengineering France.

Pour s'opposer à la demande indemnitaire, elle fait valoir que le préjudice invoqué par la société ECM n'est fondé ni en son principe ni en son quantum dès lors que :

- les motifs de croissance du chiffre d'affaires de la société Tavengineering s'expliquent par des débuts de l'activité qui, par hypothèse, ne pouvait donc que présenter des résultats croissants dans la mesure où il n'y avait pas d'antériorité et par le fait que le groupe TAV entretenait déjà précédemment des relations d'affaires avec des clients français, lesquels exploitent des fours de marque TAV et se sont naturellement dirigés vers la filiale du groupe TAV nouvellement créée pour commander des prestations d'entretien et de maintenance de leurs fours sous vide,

- le chiffrage de la perte de chiffre d'affaires allégué par l'appelante est approximatif et fantaisiste dès lors que :

* toutes les pièces qu'elle verse aux débats à l'appui de sa démonstration sont des documents qui émanent de ses propres services et ne sont, pour aucune d'entre elles, certifiées par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes,

* les chiffres relatifs au chiffre d'affaires réalisé est différent dans les écritures de l'appelante et dans les pièces produites, de sorte que cette imprécision laisse à tout le moins planer le doute sur la sincérité des chiffres utilisés,

* le taux de marge d'un montant autant extravagant qu'injustifié de 41,92 %,

* les années d'indemnisation 2020 et 2021 sollicitées sont injustifiées, alors qu'elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Grenoble le 3 mars 2020, que son activité a débuté le 21 février 2020 et que M. [C] a cessé de travailler pour la société Tavengineering le 4 janvier 2021 et qu'il a cessé de faire partie des effectifs de la société le 12 février 2021,

* comme le calcul d'un préjudice sur une période de deux exercices de la somme « a minima» de 1.509.120 euros HT ne faisait pas bonne mesure, la société ECM sollicite que lui soit allouée en sus des dommages-intérêts complémentaires de 1.500.000 euros, soit la somme totale de 3.509.120 euros, demande qui n'est pas fondée et totalement injustifiée,

* il résulte du compte de résultat que la société Tavengineering a réalisé un chiffre d'affaires avec les 12 clients « historiques de la société ECM » qu'elle a supposément « captés », sur 22 mois, de 668.744,15 euros, de sorte que le manque à gagner annuel de 1.800.000 euros HT allégué par la société ECM confirme le caractère fantaisiste de la demande,

- c'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a jugé « que la société ECM dit avoir eu une baisse de chiffre d'affaires de 1.200.000 euros HT entre 2019 et 2020, lié à la concurrence déloyale, alors que l'huissier a retrouvé un chiffre d'affaires de 290.949 euros HT avec les 12 anciens clients de la société ECM, ce qui représente environ 25 % de cette baisse de chiffre d'affaires ».

Pour s'opposer à la demande indemnitaire, elle fait valoir que la société ECM est également défaillante à rapporter la preuve d'un lien de causalité direct et exclusif entre les actes de concurrence déloyale qu'elle invoque et le préjudice qu'elle prétend subir, dès lors que :

- elle ne fait nul examen des causes bien plus vraisemblables qui auraient conduit à la baisse prétendue de son préjudice, comme par exemple l'impact sur l'économie de la crise sanitaire qui s'est poursuivie pendant toute la durée de la période en examen, l'arrivée d'autres concurrents sur le marchés, etc...mais aussi des causes internes qui peuvent être de nature multiple comme par exemple un taux d'absences inhabituel lié à la crise sanitaire,

- l'appelante se contente de procéder par affirmation en prétendant que ses résultats moins bons seraient purement, simplement et exclusivement dus, comme par l'effet de vases communicants, à ceux réalisés par la société Tavengineering.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2025, l'affaire a été appelée à l'audience du 12 juin 2025 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 25 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Constitue un acte de concurrence déloyale, susceptible d'être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, le recours à des procédés contraires aux usages et habitudes professionnels tendant à occasionner un trouble commercial à un concurrent. Le succès de l'action en concurrence déloyale est attaché à la démonstration d'une faute et d'un préjudice en lien causal.

Le débauchage de salariés d'une entreprise n'est pas, à lui seul, constitutif de concurrence déloyale par désorganisation d'une entreprise, dont la caractérisation est subordonnée à la double preuve de ce que le débauchage est le résultat de man'uvres déloyales et de ce qu'il provoque la désorganisation de l'entreprise.

Constitue ainsi un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d'un concurrent qui a pour effet d'entraîner sa désorganisation (Cass. com., 13 avr. 2023, n° 22-12.808).

En l'absence d'engagement de non- concurrence, les salariés sont libres de mettre leur force au service d'une entreprise, même concurrente de celle à laquelle ils appartenaient, de sorte que, l'embauche par un employeur d'un salarié ayant appartenu récemment à une entreprise exerçant une activité dans le même secteur ne fait pas présumer, par elle-même, de l'existence d'un acte de concurrence déloyale.

En revanche, l'employeur qui embauche un salarié tenu par une clause de non-concurrence se rend coupable de concurrence déloyale par tierce complicité, s'il méconnaît sciemment la clause (Com. 18 déc. 2007, n° 05-13.697 ; Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-10.254).

En l'espèce, il est constant que M. [C], employé en qualité de technico-commercial selon contrat du 26 septembre 2020 comportant une clause de non concurrence d'une durée de 12 mois renouvelable, au sein de la société ECM, spécialisée dans la fabrication et commercialisation de solutions de fours industriels et installations clefs en main de traitement thermique sous vide ainsi que la maintenance, rénovation et réparation d'installations de traitement thermique, a présenté sa démission à effet au 2 mars 2020.

En mars 2020, M. [C] a été recruté au sein de la société Tavengineering, spécialisée dans le recyclage et le reconditionnement d'équipements industriels de type fours sous vide et tous services afférents à l'entretien et à la remise en état desdits matériels, dont la fourniture de pièces détachées, les parties ayant ensuite régularisé une rupture conventionnelle du contrat de travail le 4 janvier 2021, en exécution de l'ordonnance rendue le 23 décembre 2020 par le juge des référés du Conseil de prud'hommes de Grenoble ordonnant à M. [C] de mettre fin à toute activité concurrentielle exercées à l'encontre de la société ECM contraire à la clause de non concurrence stipulé à l'article 11 de son contrat de travail.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Tavengineering, qui a recruté M. [C] en connaissance de l'existence de la clause de non-concurrence à laquelle il était tenu, comme en atteste son courrier du 30 juillet 2020 adressé à la société ECM au terme duquel elle lui a indiqué qu'elle employait son ex-salarié, [X] [C] dans les derniers mois mais qu'il avait mandat de leur part de ne pas enfreindre les droits de la société ECM dans son travail, s'est ainsi rendue coupable de concurrence déloyale par tierce complicité, en méconnaissant sciemment cette clause.

En revanche, l'embauche par l'intimée de M. [C], technico-commercial, de M. [T], chargé d'affaire et de M. [O], technicien SAV, exerçants auparavant leurs fonctions au sein de la société appelante n'est pas de nature à caractériser une désorganisation de la société par débauchage massif alors qu'il n'est pas contesté par l'appelante qu'elle emploie 250 personnes, que M. [O] n'était pas salarié de l'entreprise mais travailleur intérimaire et qu'il ne résulte que des seules allégations de l'appelante, non assorties d'offre de preuve que M. [C], M. [O] et M. [T] représentent 100 % de l'effectif de son SAV.

Enfin, il ressort du procès-verbal de constat sur ordonnance dressé par Me [K], huissier de justice le 22 juillet 2021 en exécution de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Grenoble le 12 avril 2021, qu'en 2020 et 2021, la société Tavengineering a contracté avec douze sociétés clientes de la société ECM.

Or, si l'intimée justifie d'un contact ponctuel antérieur avec certaines des sociétés identifiées dans le cadre des investigations de l'huissier, en l'espèce en 2018 avec la société Framatome, en 2016 avec la société Hauckht, en 2016 et 2019 avec la société Solcera, en février 2020 avec la société Stoca et en 2019 avec la société Lesueur, il résulte néanmoins des éléments du dossier que M. [C] qui, en sa qualité de technico-commercial, connaissait parfaitement les clients et les tarifs pratiqués de son ancien employeur a été en mesure de capter une partie de cette clientèle.

En effet, quand bien même certains clients attestent avoir suivi volontairement M. [C] après son départ de la société ECM pour la société Tavengineering, ces témoignages ne sont pas de nature à exonérer l'intimée, laquelle, en acceptant ces clients en connaissance de la clause de non -concurrence à laquelle était tenue M. [C], a sciemment capté cette clientèle.

A ce titre, M. [U], nouveau responsable du service après-vente de la société ECM atteste que la société Thales lui a demandé une remise en se prévalant d'une offre de M. [C] inférieure de 30 % pour une prestation équivalente.

Si ce témoignage émane d'un salarié de la société ECM , il se trouve corroboré par l'examen des éléments comptables produits aux débats s'agissant de l'évolution des prises de commandes du service après-vente de la société ECM entre 2017 et 2022, lesquels établissent une baisse du chiffre d'affaires réalisé par l'appelante sur les exercices 2020 et 2021 s'agissant des douze clients identifiés par les investigations de l'huissier et la réalisation corrélative d'un chiffre d'affaires par la société Tavengineering avec lesdites sociétés, dont l'huissier a identifié le montant au titre des commandes passées. Enfin, il importe peu s'agissant du préjudice que M. [C] ait quitté la société Tavengineering, au début de l'année 2021, alors qu'il n'est ni allégué ni a fortiori démontré que la clientèle ainsi captée a cessé dès cet instant toute relation contractuelle avec l'intimée.

Compte tenu du taux de marge de 42 % de la société ECM dont la réalité, au demeurant non discutée, est attestée par les extraits de sa comptabilité et étant observé, d'une part que l'attestation du commissaire aux comptes relative à l'évolution des prises de commandes du service après-vente de l'appelante entre 2017 et 2022 ne mentionne que huit des douze clients identifiés par l'huissier ( Medtronic, Sodern, Schneider Electric, Solcera, STB Bully, Stoca, TMN Thermique et TMN surface), et d'autre part, qu'il n'est pas démontré que l'ensemble des clients ainsi détournés par la société Tavengineering auraient poursuivi leur relation contractuelle avec l'appelante, le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale commis par l'intimée doit être évalué à la somme de 127.638 euros ( 303.900 euros x 42 % du taux de marge). Il convient donc de condamner la société Tavengineering à payer à la société ECM la somme de 127.638 euros en réparation de son préjudice résultant des faits de concurrence déloyale. Il convient ainsi d'infirmer le jugement déféré.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

La société Tavengineering doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la société ECM la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel. Il convient en outre d'infirmer le jugement déféré. Il y a également lieu de débouter la société Tavengineering de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne la société Tavengineering à payer à la société ECM la somme de 127.638 euros en réparation de son préjudice résultant des faits de concurrence déloyale,

Condamne la société Tavengineering à payer à la société ECM la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel,

Déboute la société Tavengineering de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Tavengineering aux dépens de première instance et d'appel.

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