CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 septembre 2025, n° 23/19339
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Boco (SAS), Boco Developpement (SARL)
Défendeur :
Financière Maestria (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Etevenard, Me Menguy, Me Moisan, Me Zakharova-Renaud
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Boco avait pour activité principale la restauration rapide. Créée le 18 mars 2010 par les frères [O], elle mettait en 'uvre le concept « Cantine des chefs » ciblant la catégorie CSP+ élaboré par ces derniers qui consistait à proposer pour une quinzaine d' euros un repas complet servi dans des bocaux sur place ou à emporter et cuisiné à partir d'aliments biologiques ou labellisés par des chefs étoilés au Guide Michelin et des grands chefs pâtissiers.
Elle a exploité six restaurants en Ile-de-France entre 2011 et 2015 et développé des canaux de distribution complémentaires dès 2012 (livraison de plateaux repas aux entreprises, distribution dans les TGV). Elle a externalisé la production de ses bocaux le 1er octobre 2014 et a conclu le 4 juin 2015 avec sa sous-traitante, la SA Newrest France, un contrat de licence de fabrication modifié par avenant du 1er janvier 2016.
La SARL Boco Développement a été créée le 3 mars 2015 pour constituer et organiser le réseau de franchise Boco. Elle concluait ainsi le 1er février 2015 un contrat de licence de marques et de savoir-faire avec la SAS Boco.
Désireux d'intégrer ce réseau de franchise naissant, monsieur [M] [R], titulaire d'un master en marketing et disposant d'une expérience professionnelle dans la restauration rapide et dans la gestion de patrimoine, et la SAS Financière Maestria ont créé le 15 septembre 2015 la SARL Bocaux [Localité 20] pour exploiter le premier restaurant franchisé reproduisant le concept Boco.
Le 31 août 2015, la SARL Boco Développement leur remettait le document d'information précontractuelle (ci-après, « le DIP ») et, le 20 octobre 2015, elle concluait pour une durée de sept ans un contrat de franchise avec la SARL Bocaux [Localité 20] qui s'acquittait d'un droit d'entrée de 48 000 euros TTC.
Pour financer la création du restaurant (droit au bail, droit d'entrée, acquisition de matériel, travaux d'aménagement et frais promotionnels pour un total de 488 000 euros), la SARL Bocaux [Localité 20] a souscrit un emprunt de 415 000 euros dont monsieur [M] [R] et son associé se sont portés cautions solidaires à hauteur de 207 500 euros chacun tandis que la SAS Financière Maestria procédait à une avance de 60 000 euros sur son compte courant d'associé.
Alors que le restaurant a été ouvert au public courant janvier 2016 et que les résultats prévisionnels étaient atteints durant les trois premiers mois d'exploitation, la SARL Bocaux [Localité 20] a éprouvé dès mai 2016 d'importantes difficultés financières dont elle informait son franchiseur le 1er juin 2016. Le 2 juin 2016, elle demandait à la Chambre du commerce et de l'industrie de [Localité 20] (ci-après, « la CCI de [Localité 20] ») d'analyser la situation de son point de vente et de proposer un plan d'actions utiles à son redressement. Elle tentait ensuite une diversification de son activité en développant un service traiteur et un canal livraison et en ouvrant son restaurant tous les jours de la semaine. Cependant, le bilan de la SARL Bocaux [Localité 20] au 31 décembre 2016 mentionnait un chiffre d'affaires de 245 525 euros et un résultat négatif de 252 955 euros.
Les différentes réunions organisées avec son franchisé n'ayant pas permis une amélioration de sa situation, la SARL Boco Développement a, par courrier du 11 août 2017, mis en demeure la SARL Bocaux [Localité 20] d'apurer son encours de 46 313,64 euros et annonçait suspendre les livraisons à défaut de paiement. Elle proposait néanmoins le 18 août 2017 un protocole d'accord comportant notamment un échéancier et une exonération de redevances pendant six mois.
Alors que d'autres franchisés réunis dans un collectif dès l'été 2017 avaient alerté la SARL Boco Développement sur leurs difficultés et que trois franchisés sur six avaient été contraints de cesser leur activité, le tribunal de commerce de Reims ouvrait par jugement du 12 septembre 2017 une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SARL Bocaux Reims, mesure convertie en liquidation judiciaire le 24 avril 2018 après fermeture du restaurant le 10 avril 2018. La procédure était clôturée pour insuffisance d'actifs le 30 septembre 2020. En sa qualité de caution, monsieur [M] [R] était contraint de régler une somme totale de 88 117,88 euros en exécution d'un protocole d'accord homologué par le tribunal de commerce de Reims le 19 mars 2019.
Entretemps, par lettre de son conseil du 11 avril 2019, monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria ont mis en demeure la SAS Boco et la SARL Boco Développement de l'indemniser des préjudices résultant du vice de leur consentement, de l'absence de cause du contrat de franchise et de son inexécution fautive. Le 18 avril 2019, la SAS Boco et la SARL Boco Développement contestaient toute faute.
C'est dans ces circonstances que monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria ont, par acte d'huissier signifié les 29 octobre et 2 novembre 2020, assigné la SAS Boco et la SARL Boco Développement devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation de leurs préjudices causés par leur dol et leurs fautes.
En cours d'instance, la SAS Boco était placée en redressement judiciaire par jugement du 27 octobre 2022 désignant la Selarl 2M et Associés (Maître [I] [D]) en qualité d'administrateur judiciaire et la Selarl Fides (Maître [B] [T]) en qualité de mandataire judiciaire. Monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria déclaraient leurs créances le 4 novembre 2022.
Par jugement du 11 octobre 2023, le tribunal de commerce de Paris a notamment :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action opposée par la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et par la SARL Boco Développement ;
- condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria la somme de 90 050 euros ;
- condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 91 867,88 euros ;
- condamné la SARL Boco Développement aux dépens ;
- condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement de leurs demandes.
La SAS Boco a fait objet d'un plan de cession arrêté par jugement du 9 février 2024 prononçant parallèlement sa liquidation judiciaire tandis que la SARL Boco Développement était l'objet d'une mesure de liquidation judiciaire prononcée par jugement du 30 novembre 2023, la Selarl Fides (Maître [B] [T]) étant désignée liquidateur judiciaire de ces deux sociétés. Aussi, le concept Boco n'est plus exploité.
Par déclaration reçue au greffe le 4 décembre 2023, la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, ont interjeté appel de ce jugement.
Le 8 décembre 2023, monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria ont déclaré leurs créances respectives au passif de la SARL Boco Développement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 août 2024, la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, demandent à la Cour, au visa des articles 1199 et 2224 du code civil :
- d'infirmer le jugement du 11 octobre 2023 en ce qu'il a :
o rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action opposée par la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et par la SARL Boco Développement ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria a somme de 90 050 euros ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 91 867,88 euros ;
o condamné la SARL Boco Développement aux dépens ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o débouté la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement de leurs demandes ;
- statuant à nouveau, à titre principal, de :
o juger que l'action de monsieur [M] [R] ainsi que de la SAS Financière Maestria est prescrite ;
o juger que la SAS Boco est tierce et juger irrecevables et mal fondées les demandes formées à son encontre ;
o juger que monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria sont irrecevables en leurs demandes et les déclarer intégralement irrecevables ;
o en conséquence, débouter monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria de leurs demandes tant à l'encontre de la SARL Boco Développement et de la Selarl Fides que de la SAS Boco et de la Selarl Fides ainsi que de leur appel incident ;
- à titre subsidiaire, de débouter monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria de toutes leurs demandes à l'encontre de la SARL Boco Développement et de la Selarl Fides, et, par ricochet, de toutes les demandes présentées à l'encontre de la SAS Boco et de la Selarl Fides ainsi que de leur appel incident ;
- en tout état de cause, de :
o débouter les intimés de l'intégralité de leurs demandes et de leur appel incident ;
o condamner monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens.
En réponse, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 mai 2024, monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria demandent à la Cour, au visa des articles 1240 et 1241 nouveaux du code civil, 1240, 1310 à 1319 nouveaux du code civil, L 330-3 et R 330-1 du code de commerce et 700 du code de procédure civile :
- de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
o rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action opposée par la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et par la SARL Boco Développement ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria a somme de 90 050 euros ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, par inscription à son passif, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 91 867,88 euros ;
o condamné la SARL Boco Développement aux dépens ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à la SAS Financière Maestria la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamné solidairement la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement à payer à monsieur [M] [R] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o débouté la SAS Boco, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaire, et la SARL Boco Développement de leurs demandes ;
- d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté monsieur [M] [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour le préjudice moral et de perte de chance de mieux investir ses fonds ;
- statuant à nouveau, de condamner in solidum la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, par inscription à leur passif, à payer des dommages-intérêts à monsieur [M] [R] se décomposant comme suit :
o 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
o 50 000 euros en réparation de sa perte de chance de mieux investir ses fonds.
- condamner la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, chacune, à verser la somme de 10 000 euros à chacun des intimés au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, aux dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la Cour rappelle que, en vertu des dispositions des articles L 631-14, L 622-21, L 622-22 et L 622-7 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce le redressement judiciaire :
- interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;
- interrompt les instances en cours jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L 625-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ;
- emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes, ainsi que toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L 622-17, tout acte ou tout paiement passé en violation de ces dispositions étant annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public. La déclaration de créance étant le corollaire de l'interdiction des actions en paiement, l'obligation de déclarer sa créance ne concerne, en application de l'article L 622-21§I du code de commerce, que les actions « tendant ['] à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent [' ou] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ».
En outre, le prononcé de la liquidation judiciaire de la SAS Boco ayant mis fin à la mission de son administrateur judiciaire, la présence dans la cause de la Selarl 2M et Associés est inutile, seul son liquidateur ayant qualité pour la représenter, ce qui sera constaté dans le dispositif de l'arrêt.
1°) Sur la recevabilité de l'action
Moyens des parties
La SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, exposent que monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria sont irrecevables à invoquer des manquements au contrat de franchise conclu le 20 octobre 2015, soit plus de 5 ans avant l'introduction de l'instance, l'action initiée sur un fondement délictuel ne pouvant par ailleurs avoir interrompu le délai de prescription de l'action fondée sur la responsabilité contractuelle. Elles ajoutent que « les intimées ne sauraient valablement se prévaloir, sur le terrain de la responsabilité délictuelle de manquements à un contrat auquel elles ne sont pas parties, et dont la seule partie qui aurait pu s'en prévaloir a disparu sans avoir fait juger dudit manquement au surplus prescrit ». La SAS Boco explique pour sa part qu'elle est tiers au contrat de franchise dont les stipulations ne peuvent l'obliger au sens de l'article 1165 devenu 1199 du code civil, que les manquements aux obligations qu'il énonce ne peuvent lui être imputés et engager sa responsabilité délictuelle, et que, en dépit de la formulation de leurs griefs par les intimées, l'unique faute susceptible d'être en lien avec le dommage allégué, qui réside dans la liquidation judiciaire de la SARL Bocaux [Localité 20], est précontractuelle et non contractuelle. Les appelantes précisent en outre que le DIP désigne exclusivement la SARL Boco Développement en qualité de franchiseur et la distingue clairement de la SAS Boco qui n'a pas négocié le contrat et est dotée d'une personnalité morale propre, peu important que leur actionnariat soit commun et qu'elles forment un groupe de sociétés, celui-ci étant dépourvu de personnalité juridique. La SAS Boco conteste par ailleurs toute immixtion susceptible de créer une apparence trompeuse dans la gestion de la SARL Boco Développement et l'exécution du contrat de franchise, les factures adressées par erreur à la SARL Bocaux [Localité 20] sous son entête à raison des contraintes du logiciel d'édition employé ayant été immédiatement rectifiées.
En réponse, monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria exposent que leur action est de nature délictuelle et que le point de départ de sa prescription est la date de réalisation de dommage. Au titre du préjudice consistant dans la perte des apports en capital et du compte courant d'associé ainsi que de la perte de chance d'investir mieux les fonds et du préjudice moral de monsieur [M] [R], ils estiment que le dommage s'est réalisé le jour de la liquidation judiciaire de la SARL Bocaux [Localité 20], soit le 24 avril 2018. Concernant son préjudice découlant de son engagement de caution, monsieur [M] [R] soutient que le dommage s'est manifesté le jour de l'homologation de l'accord avec la banque, soit le 19 mars 2019. Ils ajoutent que l'action de la SARL Bocaux [Localité 20] au titre de la responsabilité précontractuelle de la SARL Boco Développement n'aurait pas été prescrite, le dommage subi ne s'étant révélé qu'après plusieurs mois d'exploitation, soit à la fin de l'exercice 2016.
Ils expliquent par ailleurs que les tiers au contrat peuvent l'invoquer comme un fait juridique et opposer sa violation au contractant si celle-ci leur cause un préjudice et en déduisent que l'actionnaire ou le dirigeant de la société franchisée peut engager la responsabilité délictuelle du franchiseur à raison de ses fautes contractuelles ou précontractuelles, peu important l'inaction du franchisé victime.
Ils précisent enfin que leur action est recevable à l'encontre de la SAS Boco à raison de la confusion entretenue avec la SARL Boco Développement (identité de dirigeants et de sièges sociaux, absence d'effectif propre de la SARL Boco Développement) et du comportement de la SAS Boco qui, assimilée à la SARL Boco Développement dans les conditions générales de vente et seul auteur du concept Boco, a agi comme un cocontractant en suivant et en validant chaque étape du projet avant la conclusion du contrat de franchise, en définissant le calendrier encadrant sa signature, en lui adressant cinq factures de redevance, en réalisant les évaluations QSP, en se présentant comme l'interlocuteur principal du franchisé et en organisant les réunions de franchise.
Réponse de la Cour
En vertu des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
- Sur la prescription de l'action
Conformément à l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance, effective ou présumée au regard des circonstances de fait et de droit, des faits permettant l'exercice du droit, l'article 2224 du code civil le rattache au jour de la connaissance, déterminée concrètement, des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire. Le point de départ du délai de prescription varie ainsi selon l'objet et la nature des demandes auxquelles il s'applique.
S'agissant d'une action en responsabilité civile le point de départ de l'action est la date à laquelle, la faute étant identifiée, le dommage en lien causal avec celle-ci s'est manifesté (en ce sens, précisant une jurisprudence ancienne : Ch. Mixte, 19 juillet 2024, n° 22-18.729 : « le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur »). Le dommage doit alors être certain en son principe mais le préjudice en résultant n'a pas à être chiffrable et identifié en toute ses composantes pour que coure le délai de prescription (en ce sens, Com. 9 mai 2007, n° 06-10.185).
Monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria agissent contre la SARL Boco Développement et la SAS Boco sur le fondement de la responsabilité délictuelle, les fautes alléguées résidant dans des manquements susceptibles d'avoir été commis durant la phase de négociation et de formation de contrat (absence de savoir-faire substantiel, mentions erronées du DIP, surestimation du chiffre d'affaires validé) puis à l'occasion de son exécution (évolution et dénaturation du concept, défaut d'assistance et insuffisance du marketing). En leur qualité d'associé, et pour monsieur [M] [R], de caution solidaire, ils entendent obtenir la réparation de préjudices distincts entre eux et présentés comme différents de ceux éventuellement subis par la SARL Bocaux [Localité 20] consistant en la perte de leurs investissements, monsieur [M] [R] poursuivant en outre le remboursement des sommes payées en qualité de caution outre un préjudice moral et une perte de chance de mieux employer ses fonds.
Au regard du fondement et de la nature des prétentions, l'absence d'action préalablement intentée par la SARL Bocaux [Localité 20] est sans incidence. Et, si elle avait agi sur le fondement du dol en nullité du contrat de franchise ainsi que, cumulativement ou alternativement, en indemnisation, le délai quinquennal de son action, défini selon le cas par l'article 1304 du code civil ou par l'article 2224 du code civil, n'aurait pu commencer à courir avant la révélation de l'erreur ou du dol, soit de la tromperie déterminante de son consentement. Or, touchant à la rentabilité de l'activité, ces derniers ne pouvaient être perçus par la SARL Bocaux [Localité 20], comme par ses associés, qu'à compter de l'apparition des difficultés économiques et financières sérieuses et durables auxquelles elle a été confrontée soit, non en mai 2016, date des premières manifestations inquiétantes de celles-ci qui pouvaient toutefois n'être alors que temporaires et surmontables, mais à la clôture du premier exercice le 31 décembre 2016, le résultat négatif de la SARL Bocaux [Localité 20] à hauteur de 252 955 euros (pièce 23 des intimés) marquant l'impossibilité certaine et définitive d'exercer une activité rentable.
Par ailleurs, la perte de l'avance en compte-courant d'associé et de l'apport en capital n'est consommée qu'au jour de l'impossibilité pour la SARL Bocaux [Localité 20] de payer le premier et de poursuivre son activité, soit à la date d'ouverture de sa liquidation judiciaire le 24 avril 2018. Il en est de même du préjudice consécutif résidant dans la perte de chance de mieux investir les fonds.
Enfin, le préjudice de monsieur [M] [R] à raison des paiements réalisés en sa qualité de caution lui a été révélé au plus tôt le 18 mai 2018, date de la mise en demeure que lui a adressée la banque, et au plus tard le 19 mars 2019, date de l'homologation du protocole d'accord fixant sa dette à la somme de 103 890,02 euros (sa pièce 62). Son préjudice moral, qui découle de la consommation des préjudices précédents, n'a pu être révélé antérieurement.
En conséquence, aucune de ces demandes n'est prescrite au jour de l'assignation des 29 octobre et 2 novembre 2020 et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la SARL Boco Développement et la SAS Boco à ce titre.
- Sur la qualité à défendre
Conformément aux articles 30 à 31 du code de procédure civile, l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.
Les principes de l'effet relatif des contrats, désormais posé par l'article 1165 (devenu 1199 et 1200) du code civil, et de l'autonomie des personnes morales, qui découle de l'article 1842 du même code, excluent que la responsabilité civile d'une société mère, tierce au contrat conclu par sa filiale, puisse être engagée à raison des fautes commises par celle-ci. Cependant, hors fictivité de la filiale ou confusion des patrimoines, cette impossibilité cesse quand, par son immixtion, la société mère a créé une apparence trompeuse laissant croire au cocontractant qu'elle s'est substituée dans les engagements de sa filiale (en ce sens, cités par les intimés, Com. 12 juin 2012, n° 11-16109 et Com. 3 février 2015, n° 13-24895, reprenant la solution dégagée par Ass. plén, 9 octobre 2006, n° 06-11.056 et 06-11.307).
C'est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal a considéré que, bien que non signataire du contrat de franchise et distincte de la SARL Boco Développement dont le patrimoine n'est pas confondu avec le sien, la SAS Boco, qui partageait son dirigeant et son siège social avec la SARL Boco Développement qui n'avait pour sa part aucun personnel salarié (pièces 65, 86 et 93 des intimés), s'est comportée, par-delà la seule facturation ponctuelle de redevances (pièce 76 des intimés), comme le cocontractant franchiseur de la SARL Bocaux Reims en :
- organisant en juillet 2015, postérieurement à l'immatriculation de la SARL Boco Développement, la signature du contrat de franchise (pièce 75 des intimés) ;
- étant l'interlocuteur unique de la SARL Bocaux [Localité 20], toutes les adresses électroniques utilisées pour échanger avec elle comportant une extension propre à la SAS Boco (@boco.fr), et ce dès l'envoi du DIP (pièces 3, 18, 22, 24 à 27, 29, 34 bis, 50, 67, 75, 90 des intimés). Le président de la SAS Boco s'adressait d'ailleurs aux membres du réseau, notamment pour organiser des réunions collectives avec les franchisés au siège social de la SAS Boco, en cette qualité et non à raison de ses fonctions de gérant de la SARL Boco Développement, à l'instar du directeur général nommé le 10 janvier 2017 (pièces 28, 32, 52, 56, 59, 68 et 77 des intimés). Faute de salarié, la SARL Boco Développement n'a matériellement exécuté aucune des obligations du franchiseur, la grille d'évaluation QSP des locaux de la SARL Bocaux [Localité 20], qui constitue une tâche du franchiseur au sens de l'annexe 2 du contrat de franchise, ayant ainsi été établie par un salarié de la SAS Boco sur un papier à l'entête de cette dernière (pièce 70 des intimés) ;
- gérant directement l'organisation de la franchise en fixant, dans le contrat de licence de fabrication du 4 juin 2015 puis dans son avenant du 29 février 2016 conclus avec la SA Newrest France (pièces 19 et 20 des intimés), les normes du contrôle qualité des produits, les prix des marchandises livrées à ses franchisés ainsi que le processus de livraison « des marchandises destinées à ses restaurants » et en accordant à son fabricant la faculté de sous-traiter l'approvisionnement des restaurants à son enseigne.
Aussi, alors que la SARL Boco Développement, qui n'avait aucune expérience en la matière ainsi que le confirme le DIP (pièce 3 des intimés, page 6), n'assumait en réalité que la facturation des redevances, la SAS Boco s'est comportée en fait dès l'origine comme le franchiseur de la SARL Bocaux [Localité 20]. Cette immixtion, caractérisée par une confusion totale du personnel et des activités par-delà les distinctions formelles opérées dans le DIP et le contrat de franchise, a fondé la croyance légitime de la SARL Bocaux [Localité 20], comme celle de l'ensemble des franchisés et des intimés, en la substitution de la SARL Boco Développement par la SAS Boco dans la fonction de franchiseur. Elle justifie leur condamnation in solidum dans l'hypothèse où la responsabilité civile du franchiseur serait engagée.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par la SAS Boco tirée de son défaut de qualité à défendre.
- Sur la qualité à agir
Le fait que monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria soient tiers au contrat de franchise ne leur interdit pas :
- d'invoquer la faute contractuelle à l'égard de la SARL Bocaux [Localité 20] qui constitue à leur endroit une faute délictuelle (cf. infra), peu important l'absence d'action préalable du franchisé qui n'est pas une condition nécessaire de la caractérisation de la violation, alléguée comme fait juridique par un tiers, d'une obligation stipulée dans le contrat de franchise (en ce sens, Com., 18 octobre 2023, n° 22-19.329, rendu sous l'angle de la violation du principe de la contradiction à l'égard du cocontractant non attrait que l'autre partie ne peut invoquer à sa place) ;
- d'opposer au franchiseur de fait ou de droit les manquements commis durant la phase précontractuelle qui ont déterminé leurs propres engagements et leur ont causé un préjudice personnel direct.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la SAS Financière Maestria justifie avoir déclaré sa créance au passif de la SARL Bocaux [Localité 20] (sa pièce 89), le défaut de déclaration n'étant quoi qu'il en soit pas une fin de non-recevoir.
Ces moyens sont inopérants.
Cependant, en application de l'article L 622-20 alinéa 1 du code de commerce, le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Cette disposition inscrite dans les règles de la sauvegarde est applicable à la liquidation judiciaire en application de l'article L 641-4 alinéas 1 et 4 du code de commerce.
Ainsi, l'action en défense de l'intérêt collectif des créanciers d'une société en liquidation judiciaire, qui n'est pas la somme de leurs intérêts individuels, est attitrée. Elle n'appartient qu'au mandataire judiciaire, d'ailleurs anciennement dénommé représentant des créanciers, puis au liquidateur, tout créancier antérieur étant irrecevable à agir dans ce but et ne pouvant poursuivre à titre personnel que la réparation d'un préjudice qui lui est propre et qui est distinct de celui subi par la collectivité des créanciers (en ce sens, Ass. plén., 9 juillet 1993, n° 89-19211 ; Com., 28 janvier 2014, n° 12-27901 : « seul le liquidateur d'une société soumise à une procédure de liquidation judiciaire a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer le patrimoine social et ['] la perte de valeur des actions ou parts ne constitue pas un dommage personnel distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition de ce patrimoine » ; Com., 22 septembre 2021, n° 20-12.238, rappelant qu'un associé ou un créancier n'est pas recevable à agir en réparation d'un préjudice qui ne constitue qu'une fraction du passif collectif dont l'apurement est assuré par le gage commun des créanciers, qu'il appartient au seul mandataire de reconstituer, et qualifiant la perte de l'apport initial en capital de fraction du préjudice collectif).
Aussi, en ce qu'elles portent sur la perte de leur apport en capital qui relève du gage commun des créanciers, le préjudice allégué n'étant ainsi qu'indirect, les demandes indemnitaires de la SAS Financière Maestria et de monsieur [M] [R] (3 750 euros chacun) à ce titre, à la différence de leurs autres demandes qui sont étrangères à l'intérêt collectif des créanciers (cf. infra page 21), relèvent du monopole d'action du liquidateur judiciaire. Si sa mission a pris fin par l'effet du jugement de clôture pour insuffisance d'actif, la recevabilité d'une telle action menée dans l'intérêt des créanciers demeure subordonnée à la reprise de la liquidation au sens de l'article L 643-13 du code de commerce (en ce sens, Com., 10 mai 2012, n° 10-28.217).
Si ce moyen n'est pas soulevé par les appelantes quoique les intimés motivent la recevabilité de leurs demandes au titre de l'avance en compte-courant d'associé et de l'engagement de caution par référence au caractère personnel de leurs préjudices et aux dispositions de l'article L 622-20 du code de commerce, la fin de non-recevoir tirée du monopole d'action du liquidateur est d'ordre public (en ce sens, Com., 18 janvier 2000, n° 97-20.587, et Com., 18 janvier 2023, n° 21-17.581). Aussi doit-elle être relevée d'office conformément à l'article 125 du code de procédure civile.
Au regard de l'évidence de la nature du préjudice allégué et de l'automaticité des conséquence de ce constat sur la recevabilité de l'action, aucune réouverture des débats au sens des articles 12 et 16 du code de procédure civile n'est nécessaire.
En conséquence, le jugement entrepris sera :
- infirmé en ce qu'il a condamné la SARL Boco Développement et la SARL Bocaux [Localité 20] à payer à monsieur [M] [R] et à la SAS Financière Maestria la somme de 3 750 euros chacun et ces demandes seront déclarées irrecevables pour défaut de droit d'agir ;
- confirmé en ce qu'il a déclaré recevables les autres demandes de monsieur [M] [R] et de la SAS Financière Maestria.
2°) Sur la responsabilité délictuelle de la SAS Boco et de la SARL Boco Développement
Moyens des parties
Au soutien de leurs prétentions, la SAS Boco et la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, exposent que le franchiseur n'est pas tenu de communiquer au candidat un prévisionnel de l'activité entreprise et que sa responsabilité ne peut être engagée que si le franchisé, qui a le devoir de se renseigner personnellement, prouve, d'une part, qu'il a néanmoins remis un tel document et, d'autre part, que celui-ci était erroné, son obligation étant alors seulement de moyen et le seul écart entre les prévisionnels et le chiffre d'affaires effectivement réalisé ne caractérisant pas une faute en l'absence de preuve d'une erreur ou d'un dol. Elles précisent que, en cas de manquement à une obligation précontractuelle d'information, le préjudice réparable du débiteur de cette obligation qui a fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat correspond, non à la perte d'une chance de ne pas contracter, mais à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses. S'appuyant sur ces principes, la SARL Boco Développement conteste toute faute au motif que :
- les documents produits par les intimés ne sont pas des prévisionnels qu'elle aurait établis mais exclusivement un compte d'exploitation prévisionnel type éclairant exclusivement la construction des ratios de gestion sans correspondre à l'exploitation projetée. Elle ajoute que le prévisionnel réalisé par la SAS Financière Maestria n'est pas étayé et ne lui a pas été communiqué et qu'elle a assisté son franchisé en l'alertant sur l'inadéquation du choix du local et des projets d'activités hors concept. Elle soutient que les données financières et comptables relatives au franchisé d'[Localité 13] sont exactes et pertinentes ;
- alors que le savoir-faire est par nature évolutif, les modifications apportées étaient cohérentes et adaptées à l'activité envisagée, les recettes signatures ayant été conservées quoique renommées, les compositions à assembler étant limitées aux salades et proposées en juin 2017 aux franchisés sans leur être imposées, et l'offre [Localité 11], supprimée dès le 16 juin 2015, n'ayant jamais été exclusive. Elle précise que les coûts d'achat contractualisés ont été respectés, le franchisé fixant seul le prix de vente et la SARL Boco Développement n'ayant bénéficié d'aucune remise non répercutée. Elle indique que les prix qu'elle pratiquait n'ont pas fait obstacle au déploiement de l'activité traiteur lancée par la SARL Bocaux [Localité 20], que l'offre de produits surgelés a été faite à la demande des franchisés et que la SAS Financière Maestria a refusé de souscrire à celle portant sur les gammes de bocaux comprenant des DLC mieux adaptées à l'hôtellerie. Elle ne reconnait qu'une substitution marginale et à titre d'essai du verre par du plastique ;
- le contrat de franchise relatif au restaurant du Luxembourg a été conclu avec une société du groupe tierce et a pris fin à raison du mauvais emplacement du local.
La SARL Boco Développement oppose en revanche aux intimées la propre faute du franchisé qui réside dans le choix de son local d'exploitation et dans sa mauvaise gestion caractérisée notamment par ses tentatives de diversifications ne correspondant pas au concept.
Subsidiairement, elle conteste tout préjudice en soutenant que la SAS Financière Maestria ne prouve pas son apport en compte courant d'associés et que monsieur [M] [R] ne prouve pas l'existence d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil distincte de la seule inexécution contractuelle qu'il allègue.
En réponse, la SAS Financière Maestria et monsieur [M] [R], qui précisent que le DIP produit par les appelantes n'est pas celui qui leur a été remis, seul pertinent, expliquent que le franchiseur a commis des fautes précontractuelles résidant dans :
- le défaut de transmission d'un savoir-faire substantiel expérimenté et éprouvé, la réussite du franchiseur, qui ne justifiait que d'une exploitation déficitaire en région parisienne, n'étant pas établie et aucune alerte sur l'absence de rentabilité du concept ne leur ayant été adressée. Ils ajoutent que cette éventuelle réussite n'était quoi qu'il en soit pas réitérable, l'emplacement du local étant adéquat et validé et aucune faute dans la gestion n'étant imputable à la SARL Bocaux [Localité 20] tandis que tous les restaurants ouverts en franchise ont été fermés en moins de deux ans, à l'instar de ceux exploités en direct par le franchiseur, signe que le concept litigieux ne procurait aucun avantage concurrentiel. Ils indiquent en outre que le savoir-faire a été banalisé sans égard pour son caractère secret par la conclusion avec la SA Newrest France d'un contrat autorisant cette dernière à utiliser les recettes Boco et le savoir-faire trois ans après son expiration ;
- la dénaturation, sans test préalable, du concept en cours d'exécution du contrat de franchise par le remplacement des bocaux en verre qui faisaient son identité par des contenants en plastique puis des produits frais par des produits surgelés, par l'élargissement de la gamme en intégrant des recettes non élaborées par des chefs étoilés ainsi que par le développement de plats à assembler dans le restaurant et de l'offre BtoB alors que le seul chiffre d'affaires généré par les ventes sur place et à emporter devait suffire à assurer la pérennité de l'exploitation ;
- ses mensonges dans le DIP sur le contenu de son savoir-faire tenant à l'absence de recettes [Localité 11] à raison du retrait de la certification pourtant antérieure à la remise du DIP et à l'inexistence des laboratoires de production que ce dernier évoque. Ils soutiennent que ce comportement a provoqué une augmentation du coût de production des produits de moindre qualité et une réduction corrélative du chiffre d'affaires de la SARL Bocaux [Localité 20] et de la clientèle ;
- la surestimation des prévisions de chiffre d'affaires et la communication de ratio-clés mensongers utilisés pour établir le prévisionnel de la SARL Bocaux [Localité 20] validé par le franchiseur. Ils précisent à cet égard que les résultats du franchisé d'[Localité 13] ne pouvaient servir de référence à raison de ses modalités spécifiques d'exploitation (partenariat avec la société Elior) et de sa localisation avantageuse, particularités qui n'ont de surcroît pas empêché sa fermeture. Ils ajoutent que les prix d'achat contractualisés n'ont pas été respectés, le franchiseur ayant augmenté de 7 % ses prix pour bénéficier de remises de la part de la SA Newrest France sans les répercuter, et que les prix de transport étaient supérieurs de 150 % à ceux promis.
Monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria soulèvent également des fautes contractuelles consistant en :
- une évolution erratique du savoir-faire en contradiction avec les investissements initialement réalisés (développement d'une offre de surgelés de moindre qualité représentant 80 % de la carte alors que l'aménagement initial du restaurant ne prévoyait aucune chambre froide permettant de recevoir un tel stock, apparition et multiplication de recettes à composer en contradiction avec la simplicité du mode opératoire présentée comme un point fort de la franchise) ;
- une dénaturation du concept sans évolution des recettes (multiplication de recettes non signées par des chefs étoilés, utilisation de récipients en plastique dès l'été 2017) ;
- une absence d'assistance (défaut de réponses aux interrogations et alertes du franchisé) et un marketing insuffisant (inexistence de toute communication, absence de réactivité pour ada
pter les offres aux difficultés des franchisés).
Ils contestent toute faute de la SARL Bocaux [Localité 20] en précisant que la mise en place d'un canal de vente en livraison, qui n'a jamais été critiquée par le franchiseur avant le litige, était conforme au concept et représentait 39 % de son chiffre d'affaires, et que la proposition d'évènements privés était adéquate au regard du public cible. Ils ajoutent que l'emplacement choisi était adapté et a été validé par le franchiseur, qui connaissait les observations de son prestataire habituel en matière d'étude de marché, et que le facteur météorologique n'explique la chute du chiffre d'affaires que pour le mois de mai 2016. Ils soutiennent que leur expérience professionnelle n'était pas de nature à leur permettre de déceler les insuffisances du concept, dissimulées ou révélées en cours d'exécution du contrat de franchise. Ils ajoutent que le caractère « naissant » de celui-ci, qui n'est pas établi puisqu'il était exploité depuis 2011 et qu'il n'était pas présenté comme tel, ne dispense pas le franchiseur du respect de ses obligations, à l'instar de la clause excluant toute garantie de responsabilité qui ne l'autorise pas à communiquer des informations erronées ou mensongères.
Monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria prétendent que ces fautes leur cause un préjudice économique consistant en la perte de leurs investissements (avance en compte courant d'associé par la SAS Financière Maestria non remboursé à hauteur de 86 300 euros, participations au capital social de 3 750 euros chacun, engagement de caution de monsieur [M] [R] de 88 117,88 euros). Monsieur [M] [R] allègue en outre un préjudice moral à raison du temps et de l'argent consacrés au projet, de la nécessité d'agir en justice pour faire valoir ses droits ainsi que de l'atteinte à sa réputation commerciale (50 000 euros), et une perte de chance de faire une meilleure utilisation de son argent en créant un autre fonds de commerce bénéficiaire (50 000 euros).
Réponse de la cour
Le contrat de franchise litigieux ayant été conclu par la SARL Bocaux [Localité 20] le 20 octobre 2015, les dispositions régissant ses conditions de formation et d'exécution, mobilisées pour apprécier la faute contractuelle constitutive d'une faute délictuelle à l'endroit des tiers directement victimes du préjudice qu'elle cause, sont celles antérieures à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conformément à son article 9.
Aux termes de l'article 1165 du code civil, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne nuisent point au tiers qui doivent néanmoins, ainsi que le précise désormais l'article 1200 du code civil, respecter la situation juridique créée par le contrat qui constitue pour eux une situation de fait. Et, en vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 (devenus 1240 et 1241) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
En vertu de ces dispositions combinées, le tiers à un contrat à qui le manquement d'un contractant à une de ses obligations contractuelles, qui est de nature à constituer en soi un fait illicite à son égard, cause un préjudice direct et personnel peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, en obtenir l'indemnisation sans avoir à prouver une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (en ce sens, Ass. Plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963, itérant la solution retenue par Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255).
La victime a droit à réparation intégrale des préjudices directement causés par celle-ci et dont elle souffre personnellement, l'indemnisation accordée l'étant sans perte ni profit, à la mesure du préjudice prouvé en son principe et sa mesure. Le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500, et 2ème Civ., 28 mars 2013, n° 12-14.655), apprécie souverainement, au jour de sa décision, son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).
En application des articles 1101 et 1108 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l'obligation, l'article 1131 disposant que l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.
Et, conformément à l'article 1109 du code civil, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. En vertu de l'article 1110 du même code, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. Et, en application de l'article 1116 de ce code, le dol, qui ne se présume pas et doit être prouvé, est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Dans ce cadre, la victime de man'uvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu'elle a subi (en ce sens, de manière constante, Com. 15 janv. 2002, n° 99-18.774), le rejet de la première n'impliquant pas nécessairement celui de la seconde (en ce sens, 1ère Civ., 14 janvier 2021, n° 19-24.881).
Par ailleurs, conformément à l'article L 330-3 du code de commerce toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause, ce DIP ainsi que le projet de contrat étant communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme exigée préalablement à celle-ci. Le contenu de ce DIP est défini à l'article R 330-1 du code de commerce.
a) Sur les fautes
Les parties reconnaissent que leurs relations sont régies par un contrat de franchise ainsi que le précise l'acte lui-même (pièce 4 des intimées). Ce contrat, dont le régime n'est pas défini par la loi, s'entend habituellement comme un contrat synallagmatique à exécution successive par lequel une entreprise, le franchiseur, confère, moyennant rémunération, à une autre entreprise juridiquement indépendante, le franchisé, le droit de reproduire, sous l'enseigne du franchiseur et à l'aide de ses signes distinctifs, de son savoir-faire éprouvé et de son assistance continue, le modèle concret d'exploitation et la technique commerciale uniformes au sein du réseau préalablement expérimentés par le franchiseur qui doivent, grâce à l'avantage concurrentiel qu'ils procurent, raisonnablement permettre au franchisé normalement diligent de réitérer sa réussite commerciale. Il porte ainsi sur la mise à disposition au bénéfice du franchisé d'un savoir-faire propre à permettre cette dernière et de signes distinctifs de ralliement de la clientèle ainsi que sur l'assistance par le franchiseur jusqu'au terme contractuel, obligation dont l'objet exact et la portée sont définis par le contrat.
Ainsi que le précise le contrat de franchise (préambule et articles 2 et 5-2 à 5-5), la SARL Boco Développement s'engage à transmettre à la SARL Bocaux [Localité 20] un savoir-faire lui permettant d'itérer son succès commercial et à l'assister dès l'installation.
- Sur la transmission d'un savoir-faire
Le savoir-faire, dont la transmission est une obligation essentielle du contrat de franchise, peut être défini comme un ensemble secret (i.e. qui n'est généralement pas connu ou facilement accessible), substantiel (i.e. significatif et utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels) et identifié (i.e. décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu'il remplit les conditions de secret et de substantialité) d'informations pratiques non brevetées résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci (selon une définition invariable retenue en droit de l'Union, notamment par les règlements UE 330/2010 du 20 avril 2010 et 2022/270 du 10 mai 2022, et adoptée en droit interne par la Cour de cassation, Com. 8 juin 2017, n° 15-22.318, et désormais par l'article L 341-2 3° du code de commerce relatif aux clauses de non-concurrence post contractuelle).
A raison de l'objet du contrat de franchise qui est de permettre l'itération d'une réussite commerciale, le savoir-faire doit être identifié, soit décrit de manière suffisamment précise en ses éléments constitutifs et en leur combinaison formant un tout, et spécifique, soit adapté à la branche d'activité et aux produits et services concernés. Il doit en outre être éprouvé, en ce que sa capacité à fonder un succès commercial reproductible est empiriquement démontrée par l'expérience du franchiseur (sauf, à titre exceptionnel, à informer préalablement et clairement le candidat que le concept proposé n'a fait l'objet d'aucune exploitation antérieure à raison de son caractère innovant : en ce sens, Com. 5 janvier 2016, n° 14-15.705), et actualisé, y compris par le biais de formations dispensées aux franchisés. Partant, il doit procurer un avantage concurrentiel (en ce sens, Com., 10 décembre 2013, n° 12-23.115).
S'il est un indice de l'impropriété du savoir-faire à remplir sa fonction, l'échec commercial de la franchise, attesté par la disparition du réseau et la liquidation judiciaire des sociétés Boco et Boco Développement en 2023 et 2024, n'est pas en soit la preuve de l'inexistence du savoir-faire au jour de la conclusion du contrat de franchise.
A cette date, le concept développé par la SAS Boco « Un repas de chefs étoilés' en bocaux » s'articulait autour des trois éléments suivants relatifs à la qualité, à la présentation, à l'origine et aux prix des produits (pièce 2 des intimés) :
- « Une cuisine de qualité servie en bocaux en verre, sur place ou à emporter, dans un bistrot aux accents parisiens, le prix moyen d'un repas complet (entrée-plat-boisson ou plat-dessert-boisson) se situ[ant] autour de 15 euros » ;
- des recettes » créées par huit des plus grands Chefs et Chez-Pâtissiers français » et d' » autres talents » à venir ;
- des ingrédients « de saison, [Localité 11], labelisés ou sauvages » et des produits non comestibles (vaisselle, consommables, publications) « écolo, durables ou recyclables ». A ce titre, l'accent est mis sur la présentation dans des bocaux en verre évocateurs d'une cuisine traditionnelle, garantissant une bonne conservation des aliments et recyclables, le client pouvant manger sur place, à charge pour le franchisé de réchauffer le plat, ou à emporter, le cas échéant après une commande par téléphone, et choisissant lui-même son menu dans des « vitrines réfrigérées ».
A l'appui de cette présentation, la SAS Boco livrait les « chiffres clés d'un point de vente Boco (France) » suivants : un prix de vente moyen compris entre 12 et 16 euros pour un chiffre d'affaires annuel de 800 000 à 2 millions d' euros pour 180 à 300 repas par jour dans un restaurant de 100 m² comprenant 60 à 80 places assises impliquant un « ratio coûts de personnel » de 18 à 22 %. Destiné à satisfaire une clientèle CSP+, le concept, déjà développé en 2015 dans sept restaurants (six à [Localité 14] et un à [Localité 12]) avait vocation à se déployer dans les quartiers d'affaires et les lieux touristiques, une offre complémentaire en TGV étant proposée depuis 2013. Ses « points forts » consistaient en » une production centralisée selon des recettes normées » n'impliquant pas de cuisson sur place et pas d'installation d'extraction, en un « mode opératoire simple permettant de recruter du personnel aux qualifications modestes », en sa modularité, les surfaces pouvant varier de 60 à 200 m² et les lieux d'implantations être très divers (« Boco peut s'implanter partout »).
Le DIP remis le 31 août 2015 (pièce 3 des intimés) reprenait ces éléments constitutifs du concept (article 5.1.1 qui porte toutefois le « ticket moyen » à 18 euros, soit 15 euros sur place et 22 euros à emporter) qu'il présentait comme éprouvé en soulignant l'ouverture des restaurants en mai 2011 ([Localité 15]), mai 2012 ([Localité 17]), octobre 2012 ([Localité 19]), juin 2014 ([Localité 14] [Localité 13] en franchise Elior), septembre 2014 ([Localité 18]) et janvier 2015 ([Localité 16]) ainsi que la création d'un second laboratoire de fabrication des produits en juillet 2013 et la diversification des modalités de distribution à travers le lancement d'un service traiteur événementiel en juillet 2013, d'un service de livraison de plateaux repas à destination des entreprises en novembre 2012 et d'une commercialisation en 1ère classe des TGV en novembre 2013.
Le savoir-faire est défini dans les mêmes termes dans le contrat de franchise conclu le 20 octobre 2015 (pièce 4 des intimés, préambule et article 5-2) qui renvoie pour sa présentation détaillée à un manuel confidentiel remis au franchisé.
Si, faute de production de ce dernier, la Cour ne peut apprécier directement sa consistance, soit ses caractères substantiel et identifié, elle peut déterminer s'il était propre à permettre un succès commercial, point qui concentre les critiques des intimés. A cet égard, si la dénaturation alléguée du concept est en soi une faute contractuelle sans incidence, par hypothèse, sur la formation du contrat et l'intégrité des consentements échangés, elle est susceptible de révéler rétrospectivement l'insuffisance originelle du savoir-faire et son inadéquation de principe au projet qu'il est censé servir qui constituent pour leur part une cause de nullité pour défaut de cause au sens de l'article 1131 du code civil (en ce sens, Com., 14 septembre 2010, n° 09-17.079, solution désormais appréhendée sous l'angle du défaut de contrepartie au sens de l'article 1169 du code civil).
A ce titre, alors que le concept reposait sur la promesse d'une nourriture de qualité et de repas conçus par de grands chefs servis dans des bocaux en verre, matériau choisi à raison de son caractère évocateur, de ses propriétés favorisant la conservation des aliments et la préservation de leur goût ainsi que de sa recyclabilité, et que les franchisés avaient l'obligation de se fournir en plats auprès du franchiseur (article 7.2.1 du contrat de franchise), la SAS Boco, se substituant à la SARL Boco Développement, a, durant l'exécution du contrat de franchise :
- multiplié les plats préparés surgelés, les proportions des commandes en froid positif et négatif s'inversant entre janvier 2017 et janvier 2018 (pièces 66-1 et 2 des intimés). Outre la baisse évidente de qualité, au moins gustative, et l'alourdissement des normes à respecter qu'induit ce mode de conservation et de préparation, il était incompatible avec les installations qu'impliquaient la seule distribution de plats en bocaux à courte durée de conservation et, ainsi que l'a reconnu la SAS Boco le 16 janvier 2018 (pièce 67 des intimés et annexe 2 du DIP), était inadapté à certaines recettes. Il est en de même de l'introduction de recettes à assembler contraire à la « production centralisée selon des recettes normées » dans des laboratoires du franchiseur, et à la simplicité du mode opératoire qui devait permettre de recruter du personnel peu qualifié ;
- développé des recettes non conçues par des chefs étoilés dont les prestations constituaient pourtant le c'ur du concept rappelé aux articles 5.1.1 du DIP et 7.1.2 du contrat de franchise et dont l'importance était encore soulignée lors d'une réunion du réseau du 31 janvier 2018 (pièce 58 des intimés, compte-rendu intitulé « Boco, La cantine des chefs étoilés » en écho au document de présentation en pièce 2 qui mentionnait « Une cuisine de chefs étoilés en bocaux »). Ainsi, la gamme BtoB 2018 comprenait trois desserts sur cinq et un tiers des plats élaborés par monsieur [J] [O], qui n'est ni un chef étoilé ni un « grand chef pâtissier » (même pièce), quand les menus proposés pour la mercuriale de septembre 2017 intégraient deux entrées sur quatre, quatre salades sur sept, quatre plats sur treize, l'intégralité des recettes de pâtes (peu appréciées de la clientèle : pièce 17 des intimés) et sept desserts sur dix-huit réalisés par ce dernier, de nombreux autres produits provenant de « Boco » ou de « Sélection Boco » sans plus de précision, ces proportions se retrouvant dans tous les menus définis en 2016 et 2017 (pièces 20 à 23 des appelants) ;
- utilisé, en contradiction flagrante avec un élément central de l'identité du concept employé dans les éléments figuratifs des signes distinctifs du réseau, des récipients en plastique à compter de l'été 2017 (pièces 20 à 23 des appelants). Les sociétés Boco et Boco Développement reconnaissent ainsi que près de 16 % des produits étaient concernés en 2016 et 2017 (page 49 de leurs écritures) sans toutefois prouver que cette démarche était temporaire, le « test » évoqué dans le courriel du 3 avril 2017 ne concernant que les desserts eux-mêmes et non leur contenant (leur pièce 22). Ce renoncement, que confirmait également la commercialisation de sandwichs, était d'ailleurs acté dans le compte-rendu de réunion du 31 janvier 2018 (pièce 58 des intimés) qui précise que « la spécificité de Boco n'est plus dans le contenant ». Cette substitution, qui a modifié la gamme des produits et banalisé l'offre en supprimant ses éléments d'originalité, ne correspondait pas au positionnement « haut de gamme » du franchiseur et à sa clientèle cible ;
- supprimé toute proposition [Localité 11] de ses cartes alors pourtant que, tout en sachant qu'elles avaient perdu la certification le 16 juin 2015 (sa pièce 13, page 44 de leurs écritures), tant le DIP remis postérieurement, qui érige cette dernière en argument de vente, que le contrat de franchise soulignaient à de multiples reprises l'importance d'une telle offre dont la SAS Boco reconnaissait lors de la réunion du 31 janvier 2018 qu'elle était « l'ADN de marque à sa naissance » (pièce 58 des intimés). Ainsi que l'a relevé le tribunal, la partie « Etat général du marché, Restauration rapide » du DIP (pièce 3 bis des intimés) présente le concept Boco, qui « concilie Fast-food et produits Bio », comme étant positionné à la croisée des marchés de la restauration rapide et du Bio auquel il consacre onze pages vantant son expansion. Ce document précise que « Boco offre un service de restauration rapide gastronomique proposant à sa carte une sélection de produits biologiques dans un cadre de bistrot parisien contemporain soigné et agréable », qu'une « bonne partie de la carte est composée essentiellement de produits 100 % [Localité 11] » et que « Boco propose des plats [Localité 11] de qualité ». Outre le fait que ces propositions étaient en grande partie mensongères et trompeuses, l'orientation proposée n'a pas été tenue alors qu'elle était essentielle pour satisfaire la clientèle cible ;
- sous-traité la production de ses bocaux le 1er octobre 2014 à la SA Newrest France avant de lui concéder une licence de fabrication le 4 juin 2015 (pièces 4.1 et 4.2 des appelantes), soit avant la transmission du DIP qui insiste pourtant sur l'existence des laboratoires de production de la SAS Boco et la qualité du « fait maison » et ne mentionne la SA Newrest France que pour signaler l'extension de l'activité aux TGV. La qualité des prestations en a été directement affectée : l'avenant de la licence de fabrication du 29 février 2016 (pièce 4.3 des appelantes) stipule l'émission par la SA Newrest France d'un avoir total avoisinant 50 000 euros pour compenser des non-conformités qualitatives et quantitatives, les difficultés ayant cependant persisté (pièce 18 des intimés).
Si le savoir-faire se doit d'être évolutif pour demeurer utile et spécifique et si le franchiseur a l'obligation d''uvrer à la recherche d'une solution lorsque les résultats ne sont pas atteints sans faute imputable au franchisé, les transformations apportées par le franchiseur doivent respecter l'esprit et la nature du concept initial sans le transformer au point de le rendre méconnaissable. Or, les modifications réalisées par la SAS Boco heurtaient frontalement les éléments constitutifs et distinctifs du savoir-faire transmis et de l'identité du réseau. Dénaturantes, elles traduisaient, non la recherche d'une amélioration de la compétitivité du réseau par des mesures innovantes ou de l'adaptation cohérente des méthodes commerciales aux difficultés rencontrées par l'ensemble des franchisés, mais des tâtonnements dispersés sans vision cohérente d'ensemble. Au regard de l'effondrement rapide du réseau, y compris au titre de l'exploitation directe par le franchiseur, qui exclut qu'une faute de la SARL Bocaux [Localité 20] en soit la cause, et de l'absence de toute contrainte exogène l'expliquant, ces modifications substantielles du savoir-faire en cours d'exécution révèlent qu'il était originellement impropre sous la forme transmise à permettre une réussite économique, le franchiseur ayant en réalité élaboré ses méthodes commerciales au fil de l'exécution du contrat sans les expérimenter préalablement et en laissant aux franchisés la charge d'en éprouver eux-mêmes, à leurs dépens, la pertinence et l'efficacité.
Ainsi, le savoir-faire transmis n'étant pas propre à remplir sa fonction et, faute d'être substantiel et identifié, à procurer au franchisé un avantage concurrentiel, la contrepartie essentielle de l'engagement de ce dernier qu'il constituait était inexistante. Ce constat fondait la nullité du contrat de franchise pour défaut de cause au sens de l'article 1131 du code civil dans sa version applicable et caractérise à l'égard des tiers que sont monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria, qui étaient les interlocuteurs directs de la SAS Boco durant la phase précontractuelle, une faute délictuelle.
- Sur la rentabilité de la franchise
Le défaut de rentabilité de l'exploitation encadrée par le contrat de franchise doit être appréhendé sous l'angle de l'erreur portant, non sur la valeur qui est indifférente en elle-même, mais sur la substance de la chose qui vicie le consentement du franchisé au sens de l'article 1110 du code civil. En effet, dans le contrat de franchise, l'espérance de gain, que fonde l'intégration à un réseau censé avoir fait économiquement la preuve de sa capacité à dégager des bénéfices selon une méthode éprouvée et qui touche à la substance de l'engagement du franchisé qui espère par hypothèse itérer le succès commercial du franchiseur, est déterminante du consentement du premier (en ce sens, Com., 4 octobre 2011, n° 10-20956 ; Com., 12 juin 2012, n° 11-19.047). Cependant, la rentabilité future d'une exploitation est affectée d'un aléa et le vice du consentement, même éclairé ou révélé par des éléments postérieurs, ne peut être caractérisé qu'au jour de la formation du contrat. Aussi, le défaut de rentabilité, qui ne traduit pas à lui seul une faille du modèle économique du franchiseur qui n'est pas tenu de garantir la réussite de son franchisé, doit s'entendre, non de l'insuffisance subjective des résultats, mais d'une impropriété objective des méthodes et savoir-faire objet du contrat de franchise à réaliser cette fin appréciée au jour de sa formation (le cas échéant sous l'éclairage d'éléments ultérieurs). L'erreur doit être excusable et de ce fait découler d'une inadéquation entre les éléments d'information fournis par le franchiseur, tels les prévisionnels ou les données sur lesquelles ils ont été conçus par le franchisé, et la réalité de l'exploitation non entravée par des fautes du franchisé (en ce sens, sur le second point : Com., 24 juin 2020, n° 18-15.249 : « L'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur »).
La loi n'impose pas au franchiseur de fournir au franchisé une étude de marché ou des comptes prévisionnels (en ce sens, Com., 18 octobre 2023, n° 22-19.329, qui précise néanmoins que, si une telle étude est spontanément fournie, la présentation du marché doit être sincère) et les insuffisances et les carences éventuelles du DIP n'emportent pas par elles-mêmes nullité du contrat, le franchisé devant qualifier et caractériser le vice du consentement en découlant (en ce sens, Com. 10 février 1998, n° 95-21.906, et Com., 7 octobre 2014, n° 13-23.119).
Aux termes de l'annexe 2 du DIP, les « ratios clés de la franchise » étaient les suivants : marge commerciale, 55 %, rapport charges de personnel/chiffre d'affaires, 20 %, rapport loyer/chiffre d'affaires, 7 %, « G&A », 7 %, logistique d' approvisionnement, 4 %, frais de la franchise, 5 % et EBIT, 11 %. Ces éléments étaient complétés par la présentation du concept remise au franchisé (pièce 2 des intimés) qui mentionne un prix de vente moyen compris entre 12 et 16 euros (porté à 18 euros dans le DIP) pour un chiffre d'affaires annuel de 800 000 à 2 millions d' euros pour 180 à 300 repas par jour dans un restaurant de 100 m² comprenant 60 à 80 places assises impliquant un « ratio coûts de personnel » de 18 à 22%, la répartition des ventes étant la suivante : 50 % au déjeuner, 20 % en journée et 30% le soir à raison de 70 % de ventes sur place et 30 % à emporter. L'annexe 3 du contrat de franchise précisait pour sa part que le prix de cession des produits ne pourrait excéder 42% du prix de vente HT.
Pour étayer ces données, la SAS Boco communiquait son bilan et son compte de résultat 2014, la SARL Boco Développement n'ayant aucune activité au jour de la conclusion du contrat de franchise, ainsi que le chiffre d'affaires généré par l'activité du concessionnaire Elior au titre de l'exploitation du restaurant d'[Localité 13] entre 2014 et 2015 qui avoisinait en moyenne 1 850 000 euros (pièce 23 des appelantes).
Le compte d'exploitation prévisionnel établi par la SARL Bocaux [Localité 20] (pièce 7 des intimés) étaient conformes à ces données et se situait dans leur fourchette basse (chiffre d'affaires de 664 950 euros en année 1, 705 030 euros en année 2 et 743 983 euros en année 3). Si la SAS Boco et la SARL Boco Développement n'ont pas participé à l'élaboration de ces projections, elles les ont néanmoins clairement validées le 1er juillet 2015 (pièce 75 des intimés : « Suite à notre dernière réunion, je crois que nous sommes d'accord sur tous les points de la mise en place de votre projet »).
Or, durant sa première année d'activité, du 1er janvier au 31 décembre 2016, la SARL Bocaux [Localité 20] a dégagé un chiffre d'affaires de 245 525 euros pour un résultat négatif de 252 955 euros (pièce 23 des intimés), soit un écart de 69 % par rapport au chiffre d'affaires minimal annoncé par le franchiseur et de 63 % avec le chiffre d'affaires prévisionnel. Le ratio achat/vente de marchandises était de 53 %, soit 11 % de plus que le taux contractualisé quoique le franchisé ait pratiqué les prix conseillés par le franchiseur (pièce 91 des intimés), écart dénoncé par d'autres franchisés (pièces 55, 69 et 87 des intimés), quand la part des frais logistiques d'approvisionnement représentait 10 % du chiffre d'affaires au lieu des 4 % attendus.
Alors que le prévisionnel établi par la SARL Bocaux [Localité 20] était cohérent avec les données économiques et financières fournies avant la conclusion du contrat et conforme à l'hypothèse basse avancée par le franchiseur, ce dernier explique cette distorsion par la faute de la SARL Bocaux [Localité 20] dans le choix de son local d'exploitation et par sa mauvaise gestion en dépit de l'expérience professionnelle de ses associés, dont la prise de risque était consciente au regard du caractère naissant du concept, ainsi que par les conditions météorologiques défavorables.
Par courriel du 16 avril 2015, le franchiseur a émis d'importantes réserves sur le choix de son local par la SARL Bocaux [Localité 20] à raison, en particulier, de sa petite superficie et de son emplacement à l'écart de toute fréquentation naturelle par les piétons (pièce 10 des appelantes), analyse confirmée par la CCI de [Localité 20] qui, sollicitée par la SARL Bocaux [Localité 20] dès l'apparition des premières difficultés sérieuses d'exploitation, notait dans son étude du 2 juin 2016 que l'emplacement était difficilement accessible et constituait « un réel handicap pour le restaurant » (pièce 14 des intimés). Cette étude, qui relevait l'excellente qualité de l'accueil des clients, soulignait néanmoins le « déficit d'image » du réseau, notamment car le « concept rest[ait] flou à raison d'un manque de communication orchestrée (sic) par le franchiseur lui-même », ainsi que l'impossibilité de transposer à [Localité 20] l'expérience client développée à [Localité 14].
Cette initiative constitue l'unique imprudence imputable à la SARL Bocaux [Localité 20] dont la mauvaise gestion n'est en revanche pas prouvée, sa pertinence étant au contraire positivement établie par la CCI et reconnue par le franchiseur lors de ses évaluations QSP et client mystère d'avril et octobre 2016 (pièces 14 et 70 des intimés). Ce dernier n'a d'ailleurs jamais adressé le moindre reproche à son franchisé durant l'exécution du contrat de franchise, notamment sur ses tentatives de diversification de ses modalités de distribution (vente en livraison et à emporter, privatisation du restaurant) qui n'étaient pas plus éloignés de la logique du concept initial que les modifications désordonnées du franchiseur.
Cependant, tous les franchisés, en France ou à l'étranger, ont connu des difficultés identiques et ont cessé leur exploitation après 3 mois à 2 ans et demi d'activité (pièce 65 des intimés), le réseau ayant aujourd'hui disparu. Cet effondrement général suffit à établir que le choix de l'emplacement du local, comme les conditions météorologiques qui n'ont pu avoir une incidence réelle sur une année entière d'exploitation, n'est pas une cause déterminante du défaut objectif de rentabilité de la franchise qui trouve son origine dans la transmission d'un savoir-faire peu abouti et non éprouvé, dans le manque de communication relevé par la CCI et dans l'impossibilité d'itérer à [Localité 20] l'expérience développée à [Localité 14] dans des lieux bénéficiant d'une fréquentation naturelle exceptionnelle. De fait, en dépit des répartitions annoncées dans le DIP, le franchiseur prenait acte dans le compte-rendu de réunion du 31 janvier 2018 (pièce 58 des intimés) de l'impossibilité de développer une activité en dehors du déjeuner et d'un « environnement tertiaire », signe supplémentaire que son analyse de l'activité des restaurants parisiens n'était pas généralisable.
Par ailleurs, si la franchise était toute récente lors de la remise du DIP, le concept n'était pas pour autant naissant puisque la SAS Boco revendique une ancienneté d'exploitation remontant à 2011 et l' » acquisition fulgurante d'une notoriété » (pages 5 et 6 de ses écritures). Et, si les intimés disposaient d'une expérience solide dans la restauration rapide, ils ne pouvaient, au regard des éléments fournis par le franchisé et des renseignements qu'ils avaient eux-mêmes recueillis en réalisant leur propre étude de marché (leur pièce 5), identifier le risque d'un échec aussi massif et rapide, l'erreur sur la rentabilité, par nature déterminante du consentement du franchisé, ayant été provoquée par les données économiques et financières inexactes communiquées dès l'origine par le franchiseur.
Aussi, la nullité du contrat de franchise aurait également pu être fondée sur l'erreur sur la substance, erreur provoquée par la faute du franchiseur simultanément constitutive d'un manquement à l'égard des associés dont elle a déterminé les investissements.
- Sur l'obligation d'assistance
L'obligation d'assistance, qui est, avec la transmission du savoir-faire et le droit d'user des signes distinctifs du réseau, une obligation essentielle du contrat de franchise, est à exécution successive et perdure jusqu'au terme contractuel. Elle est destinée à favoriser la réitération, par le commerçant indépendant qu'est le franchisé, des modalités d'exploitation développées avec succès par le franchiseur. Son objet exact et sa portée sont définis par le contrat.
Outre le fait que la SARL Boco Développement, comme la SAS Boco, ne démontre avoir mis en 'uvre aucune des actions de communication visées à l'article 8 du contrat de franchise, sa carence en la matière ayant été soulignée par la CCI (pièce 14 des intimés), elle n'a pas été en mesure d'aider utilement la SARL Bocaux [Localité 20] à qui elle a proposé des modifications du concept dénaturantes et sans effets économiques positifs.
Cette faute contractuelle, accessoire par comparaison avec la dénaturation continue du concept, a contribué à aggraver les effets des manquements précontractuels déjà caractérisés dont le rôle causal dans la réalisation du préjudice est premier et suffisant.
b) Sur le lien de causalité et les préjudices
Au regard de la rapidité de la survenance des difficultés économiques insurmontables de la SARL Bocaux [Localité 20] et de l'ouverture de son redressement puis de sa liquidation judiciaires avec une date de cessation des paiements fixée au 1er janvier 2017 (pièces 46 et 47 des intimés), il est certain que ces mesures, en l'absence de faute déterminante du franchisé ou de cause exogène prouvée, sont exclusivement et directement causées par les fautes précontractuelles commises par la SAS Boco et la SARL Boco Développement dont les effets ont été aggravés par leurs fautes contractuelles.
Et, le défaut de paiement de la SARL Bocaux [Localité 20] puis sa liquidation judiciaire corrélative clôturée pour insuffisance d'actif sont à leur tour la cause directe et exclusive de :
- la déchéance du terme du prêt qu'elle avait souscrit pour les besoins du financement d'une activité qu'elle n'aurait pas exercée sans la faute des appelantes ainsi que de l'engagement de monsieur [M] [R] en sa qualité de caution solidaire à hauteur de 103 890,92 euros en exécution de la transaction homologuée par le tribunal de commerce de Reims par jugement du 19 mars 2019 (pièces 10, 12, 13 et 62 des intimés), sa dette ayant été toutefois réduite à 88 117,88 euros (pièce 73 des intimés) ;
- l'impossibilité de rembourser à la SAS Financière Maestria le montant de son avance en compte-courant d'associé qui, distinct de l'apport en capital qui emporte à sa différence l'attribution de droits sociaux, s'analyse en l'absence de définition légale en un prêt soumis aux dispositions des articles 1915 et suivants du code civil et remboursable en totalité à tout moment à défaut de terme ou de convention contraire. Aux termes de l'attestation de l'expert-comptable de la SARL Bocaux [Localité 20], ce crédit atteignait 86 300 euros au jour de sa liquidation judiciaire (pièce 71 des intimés), montant régulièrement déclaré à son passif (pièce 89 des intimés).
Ainsi que le soutiennent monsieur [M] [R] et la SAS Financière Maestria, ces préjudices leurs sont personnels et n'ont pas de lien avec le préjudice collectif des créanciers de la SARL Bocaux [Localité 20] (en ce sens, Com. 17 octobre 2018, n° 17-16.263, et Com. 10 février 2021, n° 18-25.474, cités par les intimés).
En revanche, monsieur [M] [R] ne produisant pas le moindre élément susceptible d'établir la réalité du préjudice moral qu'il allègue, dans lequel il intègre de surcroît un préjudice financier dont la nature distincte exclut la confusion qu'il opère (investissement et mauvaise cotation bancaire), ainsi que la nature des opportunités qu'il évoque lapidairement, ses demandes au titre de son préjudice moral et de sa perte de chance de mieux utiliser ses fonds sont infondées.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a :
- retenu la responsabilité in solidum des sociétés Boco et Boco Développement au titre de l'engagement de caution de monsieur [M] [R] et du compte-courant d'associé de la SAS Financière Maestria ;
- rejeté les demandes de monsieur [M] [R] au titre de son préjudice moral et de la perte de chance de mieux employer ses fonds.
En revanche, il sera infirmé en ce qu'il a condamné au paiement la SARL Boco Développement, son redressement puis sa liquidation judiciaires imposant la fixation au passif des sommes correspondantes, peu important que l'ouverture de la procédure collective soit postérieure au jugement entrepris (en ce sens, Com., 19 mars 2025, n° 23-22.925), et en ce qu'il a fixé le montant des condamnations aux sommes de 90 050 euros et 91 867,88 euros qui comprennent le remboursement de l'apport en capital alors que les demandes afférentes sont irrecevables.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
En vertu de l'article L 622-17 I du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-13 en matière de liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Le critère de détermination du caractère postérieur ou antérieur des créances au sens du droit des procédures collectives est leur fait générateur ainsi que l'induit la référence expresse à leur naissance. La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 a néanmoins ajouté un critère d'utilité au critère chronologique.
Introduite contre la SAS Boco et la SARL Boco Développement et de nature à accroître leur passif, l'action n'était pas utile à la procédure collective et à la satisfaction des intérêts des créanciers. Aussi, les créances au titre des dépens et des frais irrépétibles, constituées par l'arrêt, ne peuvent pas être considérées comme nées pour les besoins du déroulement de la procédure.
Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens sauf en ce qu'il a condamné la SARL Boco Développement à ce titre, les montants correspondants devant être fixés à son passif à raison du prononcé de sa liquidation judiciaire.
Et, succombant en leur appel, la SAS Boco et la SARL Boco Développement, dont les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées, sont tenues in solidum aux frais irrépétibles et aux dépens d'appel. Ces derniers, ainsi que la somme de 10 000 euros au bénéfice de chacun des intimés au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seront fixés à leurs passifs respectifs.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Constate que la présence en la cause de la Selarl 2M et Associés en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SAS Boco est inutile ;
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a :
- déclaré recevables les demandes indemnitaires de la SAS Financière Maestria et de monsieur [M] [R] au titre de leurs apports en capital respectifs et condamné la SARL Boco Développement et la SAS Boco à ce titre ;
- fixé le montant des condamnations prononcées aux sommes de 90 050 euros au bénéfice de la SAS Financière Maestria et 91 867,88 euros au bénéfice de monsieur [M] [R] ;
- condamné la SARL Boco Développement au paiement de ces sommes ainsi qu'aux dépens et aux frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare irrecevable pour défaut de droit d'agir les demandes de monsieur [M] [R] et de la SAS Financière Maestria au titre de leurs apports en capital respectifs ;
Dit que la SARL Boco Développement et la SAS Boco, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, sont responsables in solidum des préjudices subis par monsieur [M] [R] et par la SAS Financière Maestria et sont tenues in solidum aux frais irrépétibles de première instance ;
Fixe aux passifs respectifs de la SARL Boco Développement et la SAS Boco :
- la créance de monsieur [M] [R] d'un montant de 88 117,88 euros au titre de son engagement de caution ;
- la créance de la SAS Financière Maestria d'un montant de 86 300 euros au titre de son compte-courant d'associé ;
- la créance d'un montant de 10 000 euros détenue par monsieur [M] [R] au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
- la créance d'un montant de 10 000 euros détenue par la SAS Financière Maestria au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
Fixe au passif de la SARL Boco Développement les dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Rejette les demandes de la SAS Boco et de la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, au titre des frais irrépétibles ;
Dit que la SAS Boco et de la SARL Boco Développement, prises en la personne de leur liquidateur judiciaire, sont tenues in solidum des entiers dépens et des frais irrépétibles d'appel ;
Fixe aux passifs respectifs de la SARL Boco Développement et la SAS Boco :
- la créance d'un montant de 10 000 euros détenue par monsieur [M] [R] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la créance d'un montant de 10 000 euros détenue par la SAS Financière Maestria en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les dépens d'appel.