CA Bordeaux, 4e ch. com., 24 septembre 2025, n° 22/03104
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 22/03104 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYYB
Madame [B], [P] [J] épouse [O] [V]
c/
Madame [D] [W] veuve [K]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mai 2022 (R.G. 19/05833) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 28 juin 2022
APPELANTE :
Madame [B], [P] [J] épouse [O] [V], née le 31 Décembre 1959 à [Localité 4] (87), de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Représentée par Maître Yoann DELHAYE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [D] [W] veuve [K], née le 03 Juillet 1952 à [Localité 6] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représentée par Maître Bertrand FAVREAU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. Par acte du 1er juillet 2000, Monsieur [R] [K] a donné en location à Madame [O] [V] un local à usage commercial situé [Adresse 2] à [Localité 5] afin d'y installer son activité de salon de coiffure, à effet du 1er juillet 2000 jusqu'au 30 juin 2009.
Le 29 juin 2009, le bail a été renouvelé entre Mme [K], venant aux droits de son mari décédé, et Mme [O] [V], prolongeant la location du local jusqu'au 1er juillet 2018 pour un loyer mensuel de 1304,35 euros.
Par acte authentique du 19 juillet 2012, Madame [O] [V] a cédé son fonds de commerce de coiffure à la société à responsabilité limitée [E] [A].
Par jugement du 10 mars 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société [E] [A].
Le tribunal de commerce a, par jugement du 15 mars 2017, arrêté le plan de redressement de la société [E] [A] prévoyant l'apurement du passif en huit pactes annuels progressifs.
Par courriers recommandés du 23 avril 2018, Madame [K] a mis en demeure la société [E] [A] et Madame [O] [V], celle-ci au titre de la clause de solidarité du cédant figurant au bail commercial, de lui verser au titre des loyers et taxes foncières, la somme de 19 736,45 euros.
2. Le 18 mai 2018, Madame [K] a fait délivrer à la société [E] [A] un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme principale de 36 457,07 euros, dénoncé à Madame [O] [V].
Madame [K] a assigné la société [E] [A] et la caution le 29 juin 2018 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater l'acquisition du bénéfice de la clause résolutoire et obtenir le paiement des loyers impayés.
Le mandataire a indiqué à Mme [K] avant l'audience de référé qu'il acceptait de lui restituer le local.
Par jugement du 11 juillet 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société [E] [A].
Le 14 septembre 2018, Madame [K] a déclaré sa créance à la liquidation judiciaire pour un montant total de 26 974,61 euros, une partie de la déclaration de créance ayant une cause étrangère au montant des loyers dus.
Par acte du 18 juin 2019, Madame [K] a assigné Madame [O] [V] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en paiement des loyers.
Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 23 402,71 euros au titre des loyers impayés, en application de la clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur stipulée au bail commercial, avec intérêts au taux légal, en application de l'article 1231-6 du code civil ;
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration au greffe du 28 juin 2022, Madame [O] [V] a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant Mme [K].
Par conclusions d'incident du 27 mai 2024, Mme [J] a sollicité la production forcée du contrat de bail original sous astreinte ainsi qu'une expertise en comparaison d'écritures.
Par ordonnance du 29 novembre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de production forcée de l'original du bail commercial du 29 juin 2009 sous astreinte et dit n'y avoir lieu à expertise.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières écritures notifiées le 20 mai 2024, Madame [B] [O] demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1202 du code civil, dans leur version applicable antérieurement au 1er octobre 2016,
Vu l'article 1343-5 du code civil,
- Recevoir Madame [B] [J] épouse [O] [V] en son appel et en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et l'en déclarer bien fondée et, y faisant droit,
A titre principal :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 5 mai 2022 (RG n° 19/05833) en toutes ses dispositions critiquées et particulièrement en ce qu'il a :
- condamné Madame [B] [J] épouse [O] [V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 23 402,71 euros au titre des loyers impayés, en application de la clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur stipulée au bail commercial du 19 juillet 2012, avec intérêts au taux légal, en application de l'article 1231-6 du code civil,
- condamné Madame [B] [J] épouse [O] [V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné Madame [J] épouse [O]-[V] aux dépens et en accordé distraction à la SCP Favreau Civilise ;
Et, statuant à nouveau,
- Écarter la pièce n° 32 produite par Madame [K], dès lors qu'il ne s'agit pas d'un original susceptible de lever les doutes sur son authenticité et l'identité des signataires ;
- Débouter Madame [D] [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, notamment formulées à titre incident et/ou complémentaire, complémentaires à l'encontre de Madame [B] [O] [V] ;
A titre subsidiaire,
- Ordonner avant dire droit une expertise en écriture confiée à tel expert qu'il plaira
avec ordre de mission habituel et notamment :
- Examiner la pièce n° 32,
- Dire s'il s'agit d'un document original ou d'une copie,
- Dire si cette pièce a pu faire l'objet d'une altération ou s'il s'agit d'un acte dont l'authenticité ne peut être remise en question,
- Dire si le paraphe figurant en page 7 peut être indubitablement attribué à Madame [B] [O] [V] ;
- Prononcer l'inopposabilité de la créance antérieure à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de Madame [B] [O] [V] consécutivement à l'absence de déclaration de créance au moment de l'ouverture de la procédure de redressement ;
- Réduire en conséquence la créance de Madame [D] [K] d'un montant de 10 046,30 euros suivant montant déclaré le 14 septembre 2018 ;
- Accorder à Madame [B] [O] [V] la possibilité de s'acquitter de toute somme éventuellement mise à sa charge au bénéfice de Madame [D] [K] par 23 pactes mensuels de 200 euros chacun et rendant le solde exigible au cours du 24ème mois.
En tout état de cause :
- Condamner Madame [D] [K] à verser à Madame [B] [O] [V] la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Madame [D] [K] aux dépens.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 21 mai 2024, Madame [D] [K] demande à la cour de :
Vu les articles 2288, 2298 et 1231-6 du code civil,
- Constater que Mme [J] épouse [O] [V] est solidaire avec son cessionnaire et les successeurs de celui-ci, du paiement des loyers et charges comme de l'exécution de toutes les conditions du bail jusqu'à son expiration ;
- Constater que Madame [K] n'a commis aucune négligence sur le fondement de l'article 1134 du code civil ; l'accroissement du montant des loyers impayés ayant pour cause directe le plan de continuation consentie par le Tribunal de commerce au locataire ;
- Confirmer la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'elle a condamné Madame [J] épouse [O] [V] [B] au paiement de la somme de 23 402,71 euros de loyers impayés arrêtés au jour de l'assignation ;
- Dire que les intérêts au taux légal en application de l'article 1231-6 du code civil devant être calculé à compter du jour de l'assignation ;
- la condamner à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 avril 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la clause de solidarité
5. Au visa de l'article 1202 du code civil dans sa rédaction applicable au contrat, Mme [O]-[V] fait grief au tribunal judiciaire de l'avoir condamnée à payer la somme de 23.402,71 euros en exécution d'une clause de solidarité insérée au bail objet du litige.
L'appelante explique qu'elle n'a pu donner aucun accord sur un engagement solidaire au titre des loyers éventuellement dus par son successeur dans le commerce, la société [E] [A], puisque, lors de la signature du bail, la page 7 qui comporte cette clause de solidarité était manquante, ce qu'elle n'a pas découvert immédiatement ; que cet état de fait est confirmé par l'acte de cession du fonds artisanal, qui reproduisait en annexe le bail commercial cédé à cette occasion et ne comporte pas son paraphe en page 7 ; que Mme [K] ne peut donc solliciter aucun règlement fondé sur cette stipulation qui lui est inopposable puisqu'elle n'y a pas consenti.
Mme [O]-[V] s'étonne de la production par l'intimée, pour la première fois en cinq années de procédure, d'une version nouvelle du bail litigieux ; elle demande à la cour d'écarter cette pièce des débats en faisant valoir que son authenticité peut être mise en doute ou, subsidiairement, d'ordonner une expertise en comparaison d'écritures.
6. Mme [K] répond que Mme [O]-[V] conteste pour la première fois en cause d'appel l'existence d'une clause de solidarité à sa charge dans le bail ; que, pour étayer son argumentation relative à la falsification du bail versé aux débats par la bailleresse, elle produit une version modifiée du contrat ; qu'il s'agit d'une manoeuvre qui nuit finalement à l'appelante puisque sa pièce comporte un paraphe de M. [A] qui ne pouvait être alors recueilli compte tenu de la date du document.
L'intimée ajoute que Mme [O]-[V] peut d'autant moins contester avoir acquiescé à cette clause de solidarité qu'elle l'a acceptée puis réitérée dans quatre actes successifs.
Mme [K] soutient enfin que, lorsque l'appelante a cédé son fonds de commerce à M. [A] le 19 juillet 2012, la législation alors applicable prévoyait que le cédant du fonds de commerce ou du droit au bail était tenu solidairement du paiement des loyers et de l'exécution de toutes les conditions du bail par tous les cessionnaires successifs et ce pendant la durée restant à courir du bail et de ses suites ; sauf clause limitative de durée, il demeurait solidaire jusqu'à l'expiration du bail tacitement prolongé.
Sur ce,
7. L'article 1202 du code civil, dans sa version applicable au litige, dispose :
« La solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.»
8. Mme [K], bailleresse, a produit aux débats une version numérisée du bail commercial du 29 juin 2009 comprenant la page 7 sur laquelle figure la clause litigieuse. Le document est signé et paraphé de toutes les parties.
En outre, est également produit par les deux parties l'acte de cession de fonds de commerce en date du 19 juillet 2012, au sein duquel l'intégralité dudit bail commercial est reproduite. Cet acte est également signé et paraphé de toutes les parties.
9. Au surplus, Mme [O]-[V] ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'aurait pas réalisé, au moment de la signature du contrat, que manquait la page 7 alors que les paraphes des parties sont expressément apposés précisément sous le numéro de chaque page, ce qui permettait d'identifier l'absence alléguée.
10. Dès lors, même si la pièce 32 n'est pas l'original du bail -ce qui est révélé par l'aspect des paraphes et des signatures-, aucun doute sur l'authenticité de cette reproduction numérisée n'est permis, de sorte qu'il n'y a lieu de faire droit ni à la demande tendant à faire écarter cette pièce des débats ni à la demande subsidiaire en organisation d'une expertise en comparaison d'écritures.
11. Il apparaît que ce bail du 29 juin 2009 stipule la clause suivante : « Le preneur ne pourra céder son droit au présent bail qu'en totalité et à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, en demeurant garant et répondant solidaire avec son cessionnaire et les successeurs de celui-ci du paiement des loyers et charges comme de l'exécution de toutes les conditions du présent bail jusqu'à son expiration.»
12. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que Mme [O]-[V] était solidairement tenue avec la société à responsabilité limitée [E] [A], son successeur dans le commerce, au paiement des loyers et des charges.
Sur le moyen tiré de la négligence fautive de l'intimée
13. Au visa de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au contrat objet du litige, Mme [O]-[V] indique qu'il est de principe le cédant peut être déchargé de son obligation fondée sur la solidarité stipulée dans un bail commercial lorsque le bailleur est négligent dans le recouvrement de sa créance et provoque ainsi un accroissement anormal de la dette.
L'appelante fait valoir que, à la date d'ouverture de la procédure collective, la créance de la bailleresse au titre de la dette locative était de 9.415,16 euros, soit plus de 7 termes de loyer ; qu'au cours du plan de continuation, Mme [K] n'a pas davantage fait état des sommes non réglées par la société [E] [A], de sorte que la dette locative globale a atteint la somme de 21.089,58 euros, dont 11.674,42 euros en ce qui concerne les loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure collective.
Mme [O]-[V] reproche ainsi à l'intimée de ne pas avoir mis fin à cette situation alors qu'elle disposait, dès le premier incident de paiement survenu en janvier 2017, de la faculté de mettre fin au bail commercial suivant le régime des contrats en cours applicable en matière de redressement judiciaire.
L'appelante excipe par ailleurs du fait que Mme [K] ne justifie pas avoir déclaré la créance tirée des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; que, de plus, elle n'a pas déclaré de créance privilégiée suivant les dispositions de l'article L. 622-12 du code de commerce, perdant ainsi le rang accordé légalement à sa créance ; qu'elle a donc perdu une chance de pouvoir être réglée en priorité sur les actifs de la société et a fait perdre la même chance à l'appelante, d'une part sur le montant de la dette restant due, d'autre part sur l'action récursoire ouverte au profit de Mme [O]-[V] à l'égard de la société [E] [A].
14. Mme [K] répond qu'elle n'a commis aucune négligence, puisque toute action de sa part a été paralysée par la procédure de redressement judiciaire et le plan de continuation accordé au locataire commercial ; que, au cours de l'exécution du plan de redressement, l'interdiction de poursuite bénéficie aussi aux garants et cautions personnes physiques, quelle que soit la nature de leur
engagement.
Sur ce,
15. L'article L.622-24 du code de commerce dispose :
« A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat (...)»
En vertu de l'article R.622-24 du code de commerce, ce délai de déclaration est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
L'article 2314 du code civil dispose :
« La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite.»
Il résulte de ces textes que Mme [K], qui n'établit pas avoir procédé à une déclaration de créance dans les délais prévus lors de l'ouverture de la procédure collective, ne peut participer aux répartitions ni recevoir de dividendes sur les créances non déclarées ; toutefois, il est constant en droit que cette sanction ne constitue pas une exception inhérente à la dette, susceptible d'être opposée par la caution, pour se soustraire à son engagement.
Par ailleurs, il est également de principe que si la caution est déchargée de son obligation lorsque la subrogation dans un droit préférentiel conférant un avantage particulier au créancier pour le recouvrement de sa créance ne peut plus, par le fait de celui-ci, s'opérer en faveur de la caution, pareil effet ne se produit que si cette dernière avait pu tirer un avantage effectif du droit d'être admise dans les répartitions et dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation ; qu'il appartient au créancier, pour ne pas encourir la déchéance de ses droits contre la caution, d'établir que la perte d'un droit préférentiel a causé à celle-ci un préjudice inférieur au montant de son engagement, ou ne lui en a causé aucun.
16. En l'espèce, Mme [O]-[V] soutient que la négligence de Mme [K] est double puisque celle-ci n'a pas déclaré sa créance à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [E] [A] et que, lorsqu'elle l'a déclarée lors du prononcé de la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société garantie, elle n'a pas fait valoir son privilège.
17. Il est en effet établi que Mme [K] n'a déclaré sa créance que le 14 septembre 2018, postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire ; que, toutefois, cette déclaration bénéficie nécessairement du privilège légal conféré par les article 2330 et suivants du code civil, étant cependant observé que la déclaration de créance n'en précise pas le caractère.
18. L'intimée verse à son dossier l'essentiel des documents relatifs à la procédure collective de la société [E] [A], depuis la demande, le 10 mars 2016, d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire après une procédure de mandat ad hoc le 8 décembre 2015 jusqu'à l'ordonnance du 9 janvier 2019 par laquelle le juge commissaire a ordonné la résiliation du bail commercial et la vente aux enchères publiques des actifs mobiliers de la société [E] [A] après l'échec d'une éventuelle cession du fonds de commerce.
Il résulte de l'examen de ces pièces que les actifs ont été évalués par le commissaire priseur à 230 euros pour le stock et que, si Mme [O]-[V] avait été subrogée dans les droits du créancier à la procédure de redressement de la société garantie, elle aurait concouru avec les créanciers bénéficiant d'un privilège fiscal et d'un privilège social pour 17.221 euros (dont 500 euros contestés) et 57.525 euros (dont 24.776 euros contestés), outre d'autres créanciers privilégiés pour un total de 84.167 euros (dont 38.975 euros contestés).
La liquidation judiciaire de la société [E] [A] a été prononcée en raison du fait que le premier pacte n'a pas été réglé et que le dirigeant social a indiqué au commissaire à l'exécution du plan qu'il avait créé des dettes nouvelles sans perspective de les régulariser à brève échéance et qu'il estimait être de nouveau en état de cessation des paiements.
19. Mme [K] établit ainsi que la perte éventuelle du droit préférentiel du bailleur n'a causé aucun préjudice à la caution ; l'intimée n'encourt donc pas la déchéance de ses droits contre l'appelante, qui sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
20. Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [O]-[V] à payer à Mme [K] la somme de 23.402,71 euros avec intérêts au taux légal, le montant de la dette dont le paiement a été garanti par Mme [O]-[V] à l'article 3.3 du contrat de bail du 29 juin 2009 étant justifié au dossier de l'intimée et non discuté en son montant par l'appelante.
Sur la demande de délais
21. Il doit être relevé que Mme [K] a adressé à Mme [O]-[V] une mise en demeure le 23 avril 2018 par lettre recommandée dont l'appelante a été avisée le lendemain mais qu'elle n'a pas retirée ; une nouvelle mise en demeure lui a été adressée le 25 octobre 2018 par le Conseil de la bailleresse. Il est également établi que l'intimée a envoyé un texto à l'appelante le 22 janvier 2019, invitant celle-ci à se rapprocher d'elle avant le mise en oeuvre d'une procédure judiciaire.
Il doit être souligné que le premier juge a écarté l'exécution provisoire de sa décision.
22. Mme [O]-[V] a donc bénéficié d'ores et déjà de délais de paiement étendus ; sa demande à se titre sera rejetée.
23. Il convient enfin de confirmer le jugement déféré quant à ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Partie tenue au paiement des dépens de l'appel, Mme [O]-[V] sera condamnée à verser à Mme [K] la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Rejette la demande de Madame [B] [O]-[V] tendant au rejet de la pièce 32 produite par Madame [D] [K].
Rejette la demande de Madame [B] [O]-[V] d'expertise en comparaison d'écritures.
Confirme le jugement prononcé le 5 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne Madame [B] [O]-[V] à payer les dépens de l'appel.
Condamne Madame [B] [O]-[V] à payer à Madame [D] [K] la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 22/03104 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYYB
Madame [B], [P] [J] épouse [O] [V]
c/
Madame [D] [W] veuve [K]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mai 2022 (R.G. 19/05833) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 28 juin 2022
APPELANTE :
Madame [B], [P] [J] épouse [O] [V], née le 31 Décembre 1959 à [Localité 4] (87), de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Représentée par Maître Yoann DELHAYE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [D] [W] veuve [K], née le 03 Juillet 1952 à [Localité 6] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représentée par Maître Bertrand FAVREAU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. Par acte du 1er juillet 2000, Monsieur [R] [K] a donné en location à Madame [O] [V] un local à usage commercial situé [Adresse 2] à [Localité 5] afin d'y installer son activité de salon de coiffure, à effet du 1er juillet 2000 jusqu'au 30 juin 2009.
Le 29 juin 2009, le bail a été renouvelé entre Mme [K], venant aux droits de son mari décédé, et Mme [O] [V], prolongeant la location du local jusqu'au 1er juillet 2018 pour un loyer mensuel de 1304,35 euros.
Par acte authentique du 19 juillet 2012, Madame [O] [V] a cédé son fonds de commerce de coiffure à la société à responsabilité limitée [E] [A].
Par jugement du 10 mars 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société [E] [A].
Le tribunal de commerce a, par jugement du 15 mars 2017, arrêté le plan de redressement de la société [E] [A] prévoyant l'apurement du passif en huit pactes annuels progressifs.
Par courriers recommandés du 23 avril 2018, Madame [K] a mis en demeure la société [E] [A] et Madame [O] [V], celle-ci au titre de la clause de solidarité du cédant figurant au bail commercial, de lui verser au titre des loyers et taxes foncières, la somme de 19 736,45 euros.
2. Le 18 mai 2018, Madame [K] a fait délivrer à la société [E] [A] un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme principale de 36 457,07 euros, dénoncé à Madame [O] [V].
Madame [K] a assigné la société [E] [A] et la caution le 29 juin 2018 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater l'acquisition du bénéfice de la clause résolutoire et obtenir le paiement des loyers impayés.
Le mandataire a indiqué à Mme [K] avant l'audience de référé qu'il acceptait de lui restituer le local.
Par jugement du 11 juillet 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société [E] [A].
Le 14 septembre 2018, Madame [K] a déclaré sa créance à la liquidation judiciaire pour un montant total de 26 974,61 euros, une partie de la déclaration de créance ayant une cause étrangère au montant des loyers dus.
Par acte du 18 juin 2019, Madame [K] a assigné Madame [O] [V] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en paiement des loyers.
Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 23 402,71 euros au titre des loyers impayés, en application de la clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur stipulée au bail commercial, avec intérêts au taux légal, en application de l'article 1231-6 du code civil ;
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamne Madame [J] épouse [O]-[V] aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration au greffe du 28 juin 2022, Madame [O] [V] a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant Mme [K].
Par conclusions d'incident du 27 mai 2024, Mme [J] a sollicité la production forcée du contrat de bail original sous astreinte ainsi qu'une expertise en comparaison d'écritures.
Par ordonnance du 29 novembre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de production forcée de l'original du bail commercial du 29 juin 2009 sous astreinte et dit n'y avoir lieu à expertise.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières écritures notifiées le 20 mai 2024, Madame [B] [O] demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1202 du code civil, dans leur version applicable antérieurement au 1er octobre 2016,
Vu l'article 1343-5 du code civil,
- Recevoir Madame [B] [J] épouse [O] [V] en son appel et en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et l'en déclarer bien fondée et, y faisant droit,
A titre principal :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 5 mai 2022 (RG n° 19/05833) en toutes ses dispositions critiquées et particulièrement en ce qu'il a :
- condamné Madame [B] [J] épouse [O] [V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 23 402,71 euros au titre des loyers impayés, en application de la clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur stipulée au bail commercial du 19 juillet 2012, avec intérêts au taux légal, en application de l'article 1231-6 du code civil,
- condamné Madame [B] [J] épouse [O] [V] à payer à Madame [W] épouse [K] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné Madame [J] épouse [O]-[V] aux dépens et en accordé distraction à la SCP Favreau Civilise ;
Et, statuant à nouveau,
- Écarter la pièce n° 32 produite par Madame [K], dès lors qu'il ne s'agit pas d'un original susceptible de lever les doutes sur son authenticité et l'identité des signataires ;
- Débouter Madame [D] [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, notamment formulées à titre incident et/ou complémentaire, complémentaires à l'encontre de Madame [B] [O] [V] ;
A titre subsidiaire,
- Ordonner avant dire droit une expertise en écriture confiée à tel expert qu'il plaira
avec ordre de mission habituel et notamment :
- Examiner la pièce n° 32,
- Dire s'il s'agit d'un document original ou d'une copie,
- Dire si cette pièce a pu faire l'objet d'une altération ou s'il s'agit d'un acte dont l'authenticité ne peut être remise en question,
- Dire si le paraphe figurant en page 7 peut être indubitablement attribué à Madame [B] [O] [V] ;
- Prononcer l'inopposabilité de la créance antérieure à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de Madame [B] [O] [V] consécutivement à l'absence de déclaration de créance au moment de l'ouverture de la procédure de redressement ;
- Réduire en conséquence la créance de Madame [D] [K] d'un montant de 10 046,30 euros suivant montant déclaré le 14 septembre 2018 ;
- Accorder à Madame [B] [O] [V] la possibilité de s'acquitter de toute somme éventuellement mise à sa charge au bénéfice de Madame [D] [K] par 23 pactes mensuels de 200 euros chacun et rendant le solde exigible au cours du 24ème mois.
En tout état de cause :
- Condamner Madame [D] [K] à verser à Madame [B] [O] [V] la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Madame [D] [K] aux dépens.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 21 mai 2024, Madame [D] [K] demande à la cour de :
Vu les articles 2288, 2298 et 1231-6 du code civil,
- Constater que Mme [J] épouse [O] [V] est solidaire avec son cessionnaire et les successeurs de celui-ci, du paiement des loyers et charges comme de l'exécution de toutes les conditions du bail jusqu'à son expiration ;
- Constater que Madame [K] n'a commis aucune négligence sur le fondement de l'article 1134 du code civil ; l'accroissement du montant des loyers impayés ayant pour cause directe le plan de continuation consentie par le Tribunal de commerce au locataire ;
- Confirmer la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'elle a condamné Madame [J] épouse [O] [V] [B] au paiement de la somme de 23 402,71 euros de loyers impayés arrêtés au jour de l'assignation ;
- Dire que les intérêts au taux légal en application de l'article 1231-6 du code civil devant être calculé à compter du jour de l'assignation ;
- la condamner à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 avril 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la clause de solidarité
5. Au visa de l'article 1202 du code civil dans sa rédaction applicable au contrat, Mme [O]-[V] fait grief au tribunal judiciaire de l'avoir condamnée à payer la somme de 23.402,71 euros en exécution d'une clause de solidarité insérée au bail objet du litige.
L'appelante explique qu'elle n'a pu donner aucun accord sur un engagement solidaire au titre des loyers éventuellement dus par son successeur dans le commerce, la société [E] [A], puisque, lors de la signature du bail, la page 7 qui comporte cette clause de solidarité était manquante, ce qu'elle n'a pas découvert immédiatement ; que cet état de fait est confirmé par l'acte de cession du fonds artisanal, qui reproduisait en annexe le bail commercial cédé à cette occasion et ne comporte pas son paraphe en page 7 ; que Mme [K] ne peut donc solliciter aucun règlement fondé sur cette stipulation qui lui est inopposable puisqu'elle n'y a pas consenti.
Mme [O]-[V] s'étonne de la production par l'intimée, pour la première fois en cinq années de procédure, d'une version nouvelle du bail litigieux ; elle demande à la cour d'écarter cette pièce des débats en faisant valoir que son authenticité peut être mise en doute ou, subsidiairement, d'ordonner une expertise en comparaison d'écritures.
6. Mme [K] répond que Mme [O]-[V] conteste pour la première fois en cause d'appel l'existence d'une clause de solidarité à sa charge dans le bail ; que, pour étayer son argumentation relative à la falsification du bail versé aux débats par la bailleresse, elle produit une version modifiée du contrat ; qu'il s'agit d'une manoeuvre qui nuit finalement à l'appelante puisque sa pièce comporte un paraphe de M. [A] qui ne pouvait être alors recueilli compte tenu de la date du document.
L'intimée ajoute que Mme [O]-[V] peut d'autant moins contester avoir acquiescé à cette clause de solidarité qu'elle l'a acceptée puis réitérée dans quatre actes successifs.
Mme [K] soutient enfin que, lorsque l'appelante a cédé son fonds de commerce à M. [A] le 19 juillet 2012, la législation alors applicable prévoyait que le cédant du fonds de commerce ou du droit au bail était tenu solidairement du paiement des loyers et de l'exécution de toutes les conditions du bail par tous les cessionnaires successifs et ce pendant la durée restant à courir du bail et de ses suites ; sauf clause limitative de durée, il demeurait solidaire jusqu'à l'expiration du bail tacitement prolongé.
Sur ce,
7. L'article 1202 du code civil, dans sa version applicable au litige, dispose :
« La solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.»
8. Mme [K], bailleresse, a produit aux débats une version numérisée du bail commercial du 29 juin 2009 comprenant la page 7 sur laquelle figure la clause litigieuse. Le document est signé et paraphé de toutes les parties.
En outre, est également produit par les deux parties l'acte de cession de fonds de commerce en date du 19 juillet 2012, au sein duquel l'intégralité dudit bail commercial est reproduite. Cet acte est également signé et paraphé de toutes les parties.
9. Au surplus, Mme [O]-[V] ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'aurait pas réalisé, au moment de la signature du contrat, que manquait la page 7 alors que les paraphes des parties sont expressément apposés précisément sous le numéro de chaque page, ce qui permettait d'identifier l'absence alléguée.
10. Dès lors, même si la pièce 32 n'est pas l'original du bail -ce qui est révélé par l'aspect des paraphes et des signatures-, aucun doute sur l'authenticité de cette reproduction numérisée n'est permis, de sorte qu'il n'y a lieu de faire droit ni à la demande tendant à faire écarter cette pièce des débats ni à la demande subsidiaire en organisation d'une expertise en comparaison d'écritures.
11. Il apparaît que ce bail du 29 juin 2009 stipule la clause suivante : « Le preneur ne pourra céder son droit au présent bail qu'en totalité et à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, en demeurant garant et répondant solidaire avec son cessionnaire et les successeurs de celui-ci du paiement des loyers et charges comme de l'exécution de toutes les conditions du présent bail jusqu'à son expiration.»
12. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que Mme [O]-[V] était solidairement tenue avec la société à responsabilité limitée [E] [A], son successeur dans le commerce, au paiement des loyers et des charges.
Sur le moyen tiré de la négligence fautive de l'intimée
13. Au visa de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au contrat objet du litige, Mme [O]-[V] indique qu'il est de principe le cédant peut être déchargé de son obligation fondée sur la solidarité stipulée dans un bail commercial lorsque le bailleur est négligent dans le recouvrement de sa créance et provoque ainsi un accroissement anormal de la dette.
L'appelante fait valoir que, à la date d'ouverture de la procédure collective, la créance de la bailleresse au titre de la dette locative était de 9.415,16 euros, soit plus de 7 termes de loyer ; qu'au cours du plan de continuation, Mme [K] n'a pas davantage fait état des sommes non réglées par la société [E] [A], de sorte que la dette locative globale a atteint la somme de 21.089,58 euros, dont 11.674,42 euros en ce qui concerne les loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure collective.
Mme [O]-[V] reproche ainsi à l'intimée de ne pas avoir mis fin à cette situation alors qu'elle disposait, dès le premier incident de paiement survenu en janvier 2017, de la faculté de mettre fin au bail commercial suivant le régime des contrats en cours applicable en matière de redressement judiciaire.
L'appelante excipe par ailleurs du fait que Mme [K] ne justifie pas avoir déclaré la créance tirée des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; que, de plus, elle n'a pas déclaré de créance privilégiée suivant les dispositions de l'article L. 622-12 du code de commerce, perdant ainsi le rang accordé légalement à sa créance ; qu'elle a donc perdu une chance de pouvoir être réglée en priorité sur les actifs de la société et a fait perdre la même chance à l'appelante, d'une part sur le montant de la dette restant due, d'autre part sur l'action récursoire ouverte au profit de Mme [O]-[V] à l'égard de la société [E] [A].
14. Mme [K] répond qu'elle n'a commis aucune négligence, puisque toute action de sa part a été paralysée par la procédure de redressement judiciaire et le plan de continuation accordé au locataire commercial ; que, au cours de l'exécution du plan de redressement, l'interdiction de poursuite bénéficie aussi aux garants et cautions personnes physiques, quelle que soit la nature de leur
engagement.
Sur ce,
15. L'article L.622-24 du code de commerce dispose :
« A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat (...)»
En vertu de l'article R.622-24 du code de commerce, ce délai de déclaration est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
L'article 2314 du code civil dispose :
« La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite.»
Il résulte de ces textes que Mme [K], qui n'établit pas avoir procédé à une déclaration de créance dans les délais prévus lors de l'ouverture de la procédure collective, ne peut participer aux répartitions ni recevoir de dividendes sur les créances non déclarées ; toutefois, il est constant en droit que cette sanction ne constitue pas une exception inhérente à la dette, susceptible d'être opposée par la caution, pour se soustraire à son engagement.
Par ailleurs, il est également de principe que si la caution est déchargée de son obligation lorsque la subrogation dans un droit préférentiel conférant un avantage particulier au créancier pour le recouvrement de sa créance ne peut plus, par le fait de celui-ci, s'opérer en faveur de la caution, pareil effet ne se produit que si cette dernière avait pu tirer un avantage effectif du droit d'être admise dans les répartitions et dividendes, susceptible de lui être transmis par subrogation ; qu'il appartient au créancier, pour ne pas encourir la déchéance de ses droits contre la caution, d'établir que la perte d'un droit préférentiel a causé à celle-ci un préjudice inférieur au montant de son engagement, ou ne lui en a causé aucun.
16. En l'espèce, Mme [O]-[V] soutient que la négligence de Mme [K] est double puisque celle-ci n'a pas déclaré sa créance à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [E] [A] et que, lorsqu'elle l'a déclarée lors du prononcé de la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société garantie, elle n'a pas fait valoir son privilège.
17. Il est en effet établi que Mme [K] n'a déclaré sa créance que le 14 septembre 2018, postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire ; que, toutefois, cette déclaration bénéficie nécessairement du privilège légal conféré par les article 2330 et suivants du code civil, étant cependant observé que la déclaration de créance n'en précise pas le caractère.
18. L'intimée verse à son dossier l'essentiel des documents relatifs à la procédure collective de la société [E] [A], depuis la demande, le 10 mars 2016, d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire après une procédure de mandat ad hoc le 8 décembre 2015 jusqu'à l'ordonnance du 9 janvier 2019 par laquelle le juge commissaire a ordonné la résiliation du bail commercial et la vente aux enchères publiques des actifs mobiliers de la société [E] [A] après l'échec d'une éventuelle cession du fonds de commerce.
Il résulte de l'examen de ces pièces que les actifs ont été évalués par le commissaire priseur à 230 euros pour le stock et que, si Mme [O]-[V] avait été subrogée dans les droits du créancier à la procédure de redressement de la société garantie, elle aurait concouru avec les créanciers bénéficiant d'un privilège fiscal et d'un privilège social pour 17.221 euros (dont 500 euros contestés) et 57.525 euros (dont 24.776 euros contestés), outre d'autres créanciers privilégiés pour un total de 84.167 euros (dont 38.975 euros contestés).
La liquidation judiciaire de la société [E] [A] a été prononcée en raison du fait que le premier pacte n'a pas été réglé et que le dirigeant social a indiqué au commissaire à l'exécution du plan qu'il avait créé des dettes nouvelles sans perspective de les régulariser à brève échéance et qu'il estimait être de nouveau en état de cessation des paiements.
19. Mme [K] établit ainsi que la perte éventuelle du droit préférentiel du bailleur n'a causé aucun préjudice à la caution ; l'intimée n'encourt donc pas la déchéance de ses droits contre l'appelante, qui sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
20. Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [O]-[V] à payer à Mme [K] la somme de 23.402,71 euros avec intérêts au taux légal, le montant de la dette dont le paiement a été garanti par Mme [O]-[V] à l'article 3.3 du contrat de bail du 29 juin 2009 étant justifié au dossier de l'intimée et non discuté en son montant par l'appelante.
Sur la demande de délais
21. Il doit être relevé que Mme [K] a adressé à Mme [O]-[V] une mise en demeure le 23 avril 2018 par lettre recommandée dont l'appelante a été avisée le lendemain mais qu'elle n'a pas retirée ; une nouvelle mise en demeure lui a été adressée le 25 octobre 2018 par le Conseil de la bailleresse. Il est également établi que l'intimée a envoyé un texto à l'appelante le 22 janvier 2019, invitant celle-ci à se rapprocher d'elle avant le mise en oeuvre d'une procédure judiciaire.
Il doit être souligné que le premier juge a écarté l'exécution provisoire de sa décision.
22. Mme [O]-[V] a donc bénéficié d'ores et déjà de délais de paiement étendus ; sa demande à se titre sera rejetée.
23. Il convient enfin de confirmer le jugement déféré quant à ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Partie tenue au paiement des dépens de l'appel, Mme [O]-[V] sera condamnée à verser à Mme [K] la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Rejette la demande de Madame [B] [O]-[V] tendant au rejet de la pièce 32 produite par Madame [D] [K].
Rejette la demande de Madame [B] [O]-[V] d'expertise en comparaison d'écritures.
Confirme le jugement prononcé le 5 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne Madame [B] [O]-[V] à payer les dépens de l'appel.
Condamne Madame [B] [O]-[V] à payer à Madame [D] [K] la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président