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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 25 septembre 2025, n° 24/02753

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/02753

25 septembre 2025

N° RG 24/02753 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JXGW

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2024F265

Tribunal de commerce du Havre du 19 juillet 2024

APPELANTES :

S.A.S. BRASSERIE DE NORMANDIE

[Adresse 9]

[Localité 13]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Stéphane PIEUCHOT de la SELARL PIEUCHOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de CAEN, plaidant.

S.E.L.A.R.L. [V] [H] représentée par Maître [V] [H], ès qualités de mandataire judiciaire et de liquidateur judiciaire de la SAS BRASSERIE DE NORMANDIE.

[Adresse 6]

[Localité 13]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Stéphane PIEUCHOT de la SELARL PIEUCHOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de CAEN, plaidant.

INTIMEES :

S.E.L.A.R.L. FHBX représentée par Maître [S] [X], ès qualités d'administrateur judiciaire de la SAS BRASSERIE DE NORMANDIE.

[Adresse 2]

[Localité 14]

Non constituée bien que régulièrement assignée par voie de commissaire de justice le27 novembre 2024 à l'étude du commissaire de justice.

S.C.I. HAL

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Caroline VELLY de la SELARL VD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Dominique LECOMTE de la SCP DOREL - LECOMTE - MARGUERIE, avocat au barreau de CAEN, plaidant.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 05 juin 2025 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme VANNIER, présidente de chambre

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DEBATS :

A l'audience publique du 05 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 septembre 2025.

ARRET :

RENDU PAR DEFAUT

Prononcé publiquement le 25 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SARL Brasserie de Normandie exploitait un fonds de commerce de bar, brasserie, restauration et salon de thé, au [Localité 15], au sein de locaux situés [Adresse 12] donnés à bail le 29 juin 2013 par la société ADJ.

La SAS Loca Land, dont M. [F] [D] est le président et unique actionnaire a acquis les titres de la société d'exploitation du fonds de commerce de brasserie.

Le 3 avril 2015, la société d'exploitation sous la forme de SARL a été transformée en SAS, l'activité étant exercée sous l'enseigne « Au Bureau ».

La SAS Brasserie de Normandie exploite son activité dans des locaux détenus par la société civile immobilière Hal, détenue par M [B] [D] et Mme [T] [D], les enfants de M [F] [D], à hauteur de 50% chacun. [B] [D] et [T] [D], sont les deux co-gérants de la société Hal.

Par acte sous seing privé du 26 janvier 2018, un bail a été conclu entre la société Hal, représentée par [T] [D], ès qualités de cogérante et la SAS Brasserie de Normandie représentée par [B] [D], ès qualités de président, portant sur les locaux sis [Adresse 10] et [Adresse 8] moyennant un loyer annuel de 132.000 euros. La conclusion de ce bail emporte notamment novation à compter du 1er avril 2017 du contrat de bail conclu le 29 juin 2013 et de son avenant en date du 1er mars 2016.

Le bail a fait l'objet d'un avenant le 2 février 2020 ramenant le montant du loyer à 117.600 euros.

En 2021, [B] [D] a résilié le contrat d'enseigne « Au Bureau » pour exploiter en direct l'établissement sous le nom de Brasserie de Normandie.

Des difficultés financières sont apparues.

[F] [D] a repris la présidence de la société Brasserie de Normandie.

Il a déposé une demande de redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Havre à l'égard de la SAS Brasserie de Normandie. Par un jugement du 24 février 2023, sa demande a été accueillie. La société FHBX a été désignée comme administrateur judiciaire et la société [V] [H] comme mandataire judiciaire.

Par acte du 26 mars 2024, la SAS Brasserie de Normandie, la société FHBX et la société [V] [H] ont fait assigner la SCI Hal devant le tribunal de commerce du Havre pour prononcer l'extension de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Brasserie de Normandie à la société Hal.

Par jugement du 19 juillet 2024, le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a :

- rejeté la demande d'extension de procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie ' [Adresse 12] à la société Hal, demeurant [Adresse 5] ;

- condamné la société Brasserie de Normandie à payer à la société Hal la somme de 7.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement rendu ;

- ordonné la notification du jugement rendu ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.

La SAS Brasserie de Normandie et la SARL [V] [H] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 30 juillet 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 30 octobre 2024 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de, la société Brasserie de Normandie et la société [V] [H] qui demandent à la cour de :

- déclarer la société Brasserie de Normandie recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer le jugement rendu 19 juillet 2024, en ce qu'il a :

* rejeté la demande d'extension de procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie ' [Adresse 12] à la société Hal, demeurant [Adresse 5] ;

* condamné la société Brasserie de Normandie à payer à la société Hal la somme de 7.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* ordonné l'exécution provisoire du jugement rendu ;

* omis de statuer et/ou débouté la société Brasserie de Normandie de ses demandes, à savoir :

**recevoir l'intégralité des moyens et prétentions du demandeur ;

**prononcer l'extension de la procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie, Société par Actions Simplifiée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés du Havre sous le numéro 501 322 036, dont le siège social est situé [Adresse 11] à la société Hal, société civile immobilière, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lisieux n° 534 657 994 dont le siège social est situé [Adresse 4], avec toutes suites et conséquences de droit, notamment unicité des masses actives et passives et date de cessation des paiements ;

**débouter la société Hal de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

Statuant à nouveau :

- recevoir l'intégralité des moyens et prétentions des concluants ;

- prononcer l'extension de la procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie, Société par Actions Simplifiée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés du Havre sous le numéro 501 322 036, dont le siège social est situé [Adresse 11] à la société Hal, Société Civile Immobilière, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lisieux n° 534 657 994 dont le siège social est situé [Adresse 4], avec toutes suites et conséquences de droit, notamment unicité des masses actives et passives et date de cessation des paiements ;

- débouter la société Hal de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure ;

- accorder à la société Lexavoue Normandie représentée par Maître [E] [G] le bénéfice du droit de recouvrement direct instauré par l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 16 janvier 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société HAL qui demande à la cour de :

- débouter purement et simplement la société Brasserie de Normandie et la société [V] [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- confirmer la décision du tribunal de commerce du Havre en ce qu'elle a rejeté la demande d'extension de la procédure et condamné la société Brasserie de Normandie au paiement de la somme de 7.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance.

Y ajoutant :

- condamner la société Brasserie de Normandie au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;

- la condamner au paiement de la somme de 7.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société FHBX n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel et les conclusions des appelantes lui ont été signifiées le 27 novembre 2024 par dépôt des actes à l'étude du commissaire de justice.

Par conclusions du 26 mars 2025, le Ministère Public sollicite par confirmation du jugement entrepris le rejet de la demande d'extension de la procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie à la société Hal.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juin 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'extension de la procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie ouverte le 24 février 2023 à la société Hal.

Moyens des parties

La SAS Brasserie de Normandie (la Brasserie) et le mandataire judiciaire soutiennent que :

* la Brasserie a relevé plusieurs éléments démontrant l'existence de relations financières anormales dans ses rapports avec la société Hal ;

* la question de la détention du capital social des entités concernées est indifférente à la notion de confusion de patrimoine ;

* le loyer est manifestement excessif ; il n'a été fixé que dans le seul intérêt de la société Hal et de ses associés, au détriment de la société d'exploitation ;

* M. [C], expert, estime la valeur locative des locaux en question à la somme de 76 000 HT HC ; ce n'est pas [F] [D] qui a signé le bail commercial initial et l'avenant, mais [B] [D] ; le rapport de M. [A] manque d'impartialité et d'objectivité ; la société Hal ne peut sérieusement se fonder sur ce rapport pour considérer que le montant du loyer actuel ne serait pas manifestement disproportionné à la valeur locative des locaux commerciaux ;

* entre le bail du 29 juin 2013, conclu avec le précédent propriétaire et celui fixé le 26 janvier 2018, le montant du loyer a augmenté sans raison de 65 % ;

* le précédent exploitant, qui avait fait part de son intérêt pour déposer une offre de reprise a finalement retiré son offre en raison d'un loyer bien trop élevé condamnant ainsi cette perspective de reprise à un prix pourtant très intéressant pour la collectivité de créanciers de la concluante ;

* la société Hal a accordé à sa locataire plusieurs mois de franchise de loyers au cours des années 2020 et 2021 ; or la Cour de cassation considère que les restrictions sanitaires imposées par les pouvoirs publics aux commerces non-essentiels ne justifient pas la suspension du paiement des loyers ;

* la société Hal, a régularisé une déclaration de créance au passif de la Brasserie à hauteur de la somme de 79.260 euros ramenée à la somme de 66.480 euros ce qui démontre qu'elle n'a entrepris aucune diligence à l'encontre de la Brasserie pour tenter de recouvrer lesdits loyers impayés ce qui caractérise l'anormalité des relations financières entretenues entre preneur et bailleur ;

* malgré l'état de cessation des paiements de la Brasserie et l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, [B] [D] n'a pas hésité à accorder à la SCI un paiement préférentiel dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts ; il a adressé le règlement de deux loyers, par anticipation, à la société Hal ;

* [B] [D] a adopté une attitude particulièrement agressive à l'égard de la société preneuse au cours de sa période d'observation en rompant les pourparlers, en lui faisant délivrer un commandement de payer et en tentant de lui appliquer une révision de loyer en contrariété avec les dispositions réglementaires applicables.

La SCI Hal réplique que :

* il n'existe strictement aucune relation capitalistique entre la SCI bailleresse et la SAS preneuse à bail commercial ;

* en dehors d'une éventuelle action en fixation de la valeur locative, les parties demeurent strictement libres de fixer amiablement le montant du loyer commercial ;

* il n'existe aucun loyer manifestement excessif ; en juin 2013, le loyer réglé par l'exploitant était déjà fixé à la somme de 80.000 euros HT et hors charges ; la comparaison qu'effectue la demanderesse est sans pertinence aucune car elle est faite entre deux surfaces totalement différentes ; le local commercial est situé dans l'une des zones les plus attractives du secteur commercial du centre-ville du [Localité 15] ;

* elle a sollicité l'intervention de M.[A] professionnel du secteur qui retient une possible valeur locative à hauteur de 100.436 euros HT et hors charges, alors que le loyer contractuel est fixé à hauteur de 117.000 euros ;

* M. [F] [D] est à l'origine de la construction globale du projet, les remboursements d'emprunt que doit réaliser la SCI bailleresse ayant été déterminés et acceptés par ses associés ;

* en raison du Covid et de ses conséquences, elle a accepté, pour permettre la reprise d'activité de la locataire en difficulté d'abandonner des loyers sur l'année 2020 et elle a opéré une réduction du montant de loyers dus en 2021 sur la période de nouveau sujette à confinement ;

* le loyer était versé mensuellement ; en admettant un paiement préférentiel ce qu'elle conteste, la SAS preneuse à bail commercial aurait simplement réglé en janvier et février 2/3 du loyer trimestriel qui était dû depuis le 1er janvier de la même année ; on ne peut prétendre à un paiement anticipé du locataire lorsque celui-ci accuse un arriéré correspondant à plus de six mois de retard.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce : « A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. »

L'article L. 631-7 du code de commerce énonce que « Les articles L. 621-1, L. 621-2 et L. 621-3 sont applicables à la procédure de redressement judiciaire. »

Ainsi une procédure collective ouverte à l'égard d'un débiteur peut être étendue à une autre personne en cas de confusion de leurs patrimoines qui peut se caractériser par la seule existence de relations financières anormales entre elles ne présentant pas un caractère isolé et ponctuel.

Les relations financières anormales s'entendent de relations financières incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales, sans qu'il soit nécessaire de constater une imbrication des patrimoines. Cette notion permet d'appréhender des situations dans lesquelles, sans qu'il y ait de véritable transfert d'actif d'un patrimoine à l'autre, une personne juridique abandonne certaines prérogatives, renonce sans contrepartie ou sans motif légitime à percevoir certaines créances au bénéfice d'une autre ou lui concède des avantages injustifiés.

Il n'est pas non plus nécessaire d'établir que ces relations ont appauvri, au préjudice des créanciers, la société débitrice soumise à la procédure collective dont l'extension est demandée.

Seuls des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective initiale peuvent justifier l'extension de cette procédure à une autre personne, morale ou physique.

Le caractère anormal des relations s'apprécie in concreto, mais la présence de dirigeants ou d'associés communs, l'identité des objets sociaux, la mutualisation de moyens matériels ou financiers ne suffisent pas, à eux seuls, à caractériser des relations financières anormales.

La preuve de relations financières anormales doit reposer sur un faisceau d'indices convergents.

La charge de cette preuve repose sur la SAS Brasserie de Normandie et le mandataire judiciaire.

A titre liminaire, la cour relève que la Brasserie et le mandataire judiciaire ne produisent pas d'extrait Kbis de ladite société contemporain de la période au cours de laquelle [B] [D] en a assumé les fonctions de directeur général. La date à laquelle [F] [D] a été désigné comme président n'est pas plus connue alors que son fils, [B] [D], est désigné comme tel dans le bail du 26 janvier 2018 et dans l'avenant au bail du 2 février 2020. L'extrait Kbis produit à jour au 19 février 2024 mentionne que [F] [D] en est le président sans précision de date quant au changement des organes dirigeants.

Selon la Brasserie et le mandataire judiciaire l'anormalité des relations financières est caractérisée par le loyer manifestement excessif prévu par le bail, 132 000 euros, puis par son avenant, 117 600 euros.

Il convient de relever qu'en juin 2013, lors de l'exploitation du fonds de commerce par le prédécesseur de [B] [D], la SARL Brasserie de Normandie, le loyer alors appliqué par le précédent bailleur, la SCI ADJ, était de 80 000 euros HT et portait sur un local commercial d'une surface de 104,92 m2 situé uniquement au [Adresse 9] alors que le bail commercial du 26 janvier 2018 puis l'avenant du 2 février 2020 portent non seulement sur ce local mais aussi sur un local commercial situé au [Adresse 7] d'une surface de 88,89 m2 acquis par la société Hal, surface qui n'était pas comprise dans le bail initialement exploité. Il en résulte qu'aucune comparaison ne peut utilement être faite entre le prix du bail fixé le 29 juin 2013 avec le prix du bail fixé le 26 janvier 2018 puis le 2 février 2020. Il ne peut donc pas en être déduit l'existence d'un loyer manifestement excessif.

Si la Brasserie et le mandataire judiciaire produisent un rapport d'expertise amiable émanant de M. [C], expert immobilier, qui estime la valeur locative annuelle des locaux à 76 000 euros HT, force est de relever que le bail historique conclu en juin 2013 et portant sur une surface moins importante était d'une valeur excédant l'estimation faite par M.[C] dix années plus tard alors qu'il relève l'attractivité du secteur. Et la SCI Hal produit une estimation faite par M. [A], expert immobilier, d'une possible valeur locative annuelle de 100 436 euros obtenue en intégrant un coefficient de majoration locative pour tenir compte notamment de la présence d'une terrasse, d'une véranda et d'un kiosque. Or, M. [C] n'évoque dans son rapport aucun coefficient de majoration locative du fait de ces derniers éléments, l'estimation étant faite au regard de la seule surface pondérée. Il s'ensuit que la Brasserie et le mandataire judiciaire ne démontrent pas par le rapport incomplet de M. [C] sérieusement combattu par celui de M. [A], le caractère manifestement excessif du loyer fixé d'abord à 132 000 euros puis à 117 600 euros sans qu'il soit nécessaire pour la cour d'entrer dans le détail de l'argumentation des appelantes relevant potentiellement d'un débat devant le juge des loyers commerciaux.

S'agissant des franchises de loyer en 2020 (de mars à août) et 2021 (de février à juillet) d'un montant de 58 800 euros, il est constant entre les parties qu'elles s'inscrivent dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid 19 et des périodes de fermetures administratives imposées par les pouvoirs publics. Il est notoire que dans ce contexte des bailleurs commerciaux, encouragés à soutenir leurs locataires, ont pu accepter d'abandonner des loyers pour favoriser une reprise d'activité, nonobstant la possibilité pour les restaurants de poursuivre une activité de vente à emporter. La Brasserie et le mandataire judiciaire ne produisent sur ce point aucun élément sur le chiffre d'affaires de la Brasserie durant cette période alors que l'intimée fait état des importantes difficultés financières de sa locataire. Dans ce contexte exceptionnel de crise sanitaire, cet abandon et cette réduction de loyers au détriment de la société bailleresse pour tenir compte des difficultés économiques de sa locataire ne caractérisent pas un indice de relations financières anormales entre la Brasserie et la SCI Hal.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que par courrier recommandé du 23 janvier 2023, la Brasserie a été mise en demeure par la SCI Hal de lui régler diverses sommes au titre d'échéances de loyers impayés en 2020 et 2022. Aux termes de ce courrier, la SCI Hal a rappelé à la Brasserie que le bail comportait une clause résolutoire dont elle entendait faire application. Les sommes visées dans ce courrier recommandé ont par la suite fait l'objet de la déclaration de créances le 20 mars 2023. Les appelantes sont donc mal fondées à soutenir l'absence de mise en 'uvre d'une quelconque mesure de recouvrement de créances de loyers pour caractériser l'anormalité des relations financières entre le preneur et le bailleur.

En ce qui concerne un paiement préférentiel de deux loyers payés par anticipation, la Brasserie et le mandataire judiciaire produisent un relevé du compte loyer du grand livre de la SAS Brasserie de Normandie intitulé « Situation du 1er août 2022 au 31 mars 2023 » mais sans toutefois préciser de quels loyers il s'agit et à quelle échéance ils se rattachent. Par ailleurs, cette pièce fait ressortir, contrairement à ce que les appelantes soutiennent, que les loyers étaient payés mensuellement au moins depuis octobre 2019. En tout état de cause, ce seul élément, à le supposer établi, étant isolé il ne constitue pas un indice pertinent de relations financières anormales entre la Brasserie et la SCI Hal.

Enfin, le moyen tiré du comportement prétendument agressif de la SCI Hal en ce qu'elle a fait délivrer le 3 janvier 2024 à la preneuse un commandement de payer des loyers, puis le 5 janvier 2024 un courrier recommandé pour réclamer une indexation des loyers est inopérant pour caractériser l'existence de relations financières anormales et ce d'autant plus qu'il s'agit de faits postérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective.

Il résulte de tout ceci que la SAS Brasserie de Normandie et le mandataire judiciaire sont défaillants à établir l'existence de relations financières anormales entre les deux sociétés de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il rejeté la demande d'extension de procédure de redressement judiciaire de la société Brasserie de Normandie à la société Hal.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La SCI Hal soutient que :

* la procédure initiée et maintenue en appel s'inscrit dans un cadre manifestement fautif, comme tentative de pression une nouvelle fois sur les enfants de [F] [D] pour réduire le loyer ;

* si un comportement fautif doit être retenu, c'est celui de la société demanderesse, seule et unique bénéficiaire d'une éventuelle décision de ce type de la SCI bailleresse, permettant mécaniquement un accroissement très sensible de la valeur du fonds de commerce exploité dans les lieux ;

* la Brasserie a fait dégénérer en abus le droit qu'elle avait de s'adresser à justice.

La SAS Brasserie de Normandie et le mandataire judiciaire répliquent que :

* la demande de dommages et intérêts pour procédure prétendument abusive et injustifiée est fantaisiste, la SCI Hal ne démontre pas l'éventuel préjudice qu'elle subirait.

Réponse de la cour

Il n'est pas démontré que la Brasserie ait abusivement interjeté appel, celle-ci étant en droit de contester une décision de justice, il convient de la débouter de sa demande en paiement, le jugement étant complété sur ce point puisqu'il a rejeté la demande dans ses motifs sans la reprendre dans son dispositif.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à l'intimée la charge de ses frais irrépétibles d'appel non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt rendu par défaut et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Le complétant et y ajoutant,

Déboute la SCI Hal de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

La déboute de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

La greffière, La présidente,

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