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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-3, 25 septembre 2025, n° 22/04775

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

France Pierre Patrimoine (SAS)

Défendeur :

France Pierre Patrimoine (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perret

Conseillers :

M. Maumont, Mme Girault

Avocats :

Me Roux, Me Testaud, Me Elmalih, SCP Courtaigne Avocats, Me Despaux

TGI Versailles, 4e ch., du 16 juin 2022,…

16 juin 2022

FAITS ET PROCEDURE

La société France Pierre Patrimoine a commercialisé une opération immobilière placée sous le régime de la vente d'immeuble à rénover.

Par actes sous seing privés des 27 juin et 27 juillet 2012, M. et Mme [F] se sont engagés à acquérir de la société France Pierre Patrimoine, en l'état futur de rénovation, les lots de copropriété n°117 constitué d'un local professionnel situé dans le bâtiment C de l'ensemble immobilier situé [Adresse 2] et [Adresse 5] à [Localité 10], 87 et 88 constitués de deux emplacements extérieurs de stationnement.

Ces avants contrats ont été conclus moyennant le prix total de 668 524 euros, dont :

- 419 008 euros, au titre du bâti existant,

- 219 516 euros, au titre des travaux de rénovation que le vendeur s'engageait à exécuter

- 30 000 euros, au titre des deux lots de parking.

Le 28 décembre 2012, cette vente a été définitivement régularisée en la forme authentique, cet acte précisant que le prix des travaux, soit 219 516 euros, serait réglé au fur et à mesure de l'exécution des travaux de rénovation. Les travaux de rénovation contractuellement convenus ont fait l'objet d'une notice descriptive chiffrée. L'exécution de ces travaux a été confiée à la société Compagnie immobilière de restauration (ci-après, « la société CIR »).

Le prix de 219 516 euros a été intégralement appelé et réglé à hauteur de 95%, soit 208 540,20 euros, sur la foi d'attestations successives d'avancement des travaux convenus, établies par M. [S] [D], architecte, sur la période du 17 décembre 2012 au 10 mars 2015.

A la date de leur acquisition par M. et Mme [F], les lots n°117, 87 et 88 étaient l'objet d'un bail commercial consenti et accepté par la société N2mcom le 30 juin 2007 pour une durée ayant vocation à se terminer le 31 décembre 2016. Au cours de l'exécution du bail, la locataire a subi de multiples dégâts des eaux provenant de la toiture terrasse et de la verrière. Les mises en demeure et courriels adressés par M. et Mme [F] ou leur mandataire à la société Compagnie immobilière de restauration (CIR), n'ont pas permis de mettre un terme à ces désordres.

Par courriel du 28 novembre 2014, un chargé d'affaires de la société CIR constatait une malfaçon du réseau des eaux pluviales et concluait en ces termes : « La seule solution est de casser le dallage sur l'ensemble de la conduite pour la refaire (dépose des sols, indisponibilité des locaux pendant trois semaines, reprise des peintures murs et sols) ».

Par exploit du 17 décembre 2014, M. et Mme [F] ont attrait la société France Pierre Patrimoine, le syndicat des copropriétaires et leur locataire, la société N2mcom, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

Par ordonnance du 7 mai 2015, l'experte, Mme [I], a été désignée avec pour mission, d'examiner les désordres relatifs au défaut d'étanchéité de la toiture terrasse et à la désagrégation du réseau d'évacuation des eaux pluviales, en fonte. Entre temps, un procès-verbal de livraison a été signé le 26 mars 2015 avec la réserve suivante : « solive terrasse / verrière : non vérifiables car pas assemblées ».

Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 20 avril 2015, M. et Mme [F] formulaient auprès de la société France Pierre Patrimoine et de son mandataire, des réserves complémentaires et contestaient de façon générale l'exécution des travaux auxquels le vendeur s'était engagé auprès d'eux.

Aucune solution amiable n'a été trouvée avec la société France Pierre Patrimoine, laquelle considérait que les travaux litigieux n'intéressaient que les parties communes qui avaient été réceptionnées par le syndic de l'époque.

Le 9 décembre 2015, M. et Mme [F] réitéraient leurs doléances relatives au défaut d'étanchéité de la toiture.

A la suite de l'assemblée générale du 26 avril 2017, la collectivité des copropriétaires s'est vue contrainte de décider du financement et de l'exécution de travaux ayant pour objet la réfection des entablements en zinc très dégradés situés en pourtour du bâtiment dans la première cour avec nettoyage des balustres en maçonnerie et ornements en pierre ainsi que la reprise de maçonneries dégradées au niveau du dernier étage et la réfection des recouvrements en zinc au niveau de la courette sud.

Le 31 août 2017, la société N2mcom a délivré congé des locaux litigieux pour le 31 mars 2018. M. et Mme [F] n'ont pas pu donner à bail les locaux par la suite, en raison de l'état des locaux.

Durant les opérations d'expertise, l'expert judiciaire a invité à plusieurs reprises la société France Pierre Patrimoine à justifier de la réalisation des travaux de vérification de la zinguerie figurant au descriptif de travaux. Ces invitations sont demeurées sans réponse. Les consorts [F] ont estimé que les travaux que la société France Pierre Patrimoine s'était engagée à exécuter soit, ne l'avaient pas été soit, n'avaient pas été faits dans les règles de l'art, n'empêchant pas les dégâts des eaux de se succéder.

Le 19 juin 2017, M. et Mme [F] ont sommé la société CIR, désignée en qualité d'entreprise générale, de leur transmettre les pièces justifiant de cette hypothétique exécution. Cette sommation est demeurée, elle aussi, sans réponse.

Par assignation du 5 décembre 2017, M. et Mme [F] ont en conséquence sollicité l'extension de mission de l'experte judiciaire et demandé qu'il soit donné injonction à la société France Pierre Patrimoine de produire les pièces visées par la sommation de communiquer du 19 juin 2017.

Par ordonnance de référé du 1er mars 2018, le tribunal de grande instance de Versailles a fait droit à la requête de M. et Mme [F] et rejeté la demande de condamnation formée par la société France Pierre Patrimoine. Celle-ci a été condamnée à justifier entre les mains de l'expert de la réalisation des travaux de vérification de la zinguerie, comme figurant au descriptif de travaux de réhabilitation, et de produire les références de ses assurances civiles professionnelle et dommage ouvrage, souscrites pour les travaux exécutés sur l'immeuble concerné.

Par ordonnance sur incident du 10 novembre 2020, la société France Pierre Patrimoine a été condamnée sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé un délai de quinzaine, à verser aux débats les contrats de sous-traitance acceptés, les procès-verbaux de réception régularisés par elle-même ou son mandataire, la société CIR, les déclarations d'assurances décennales mentionnant l'adresse et le budget du chantier.

Par exploits d'huissier des 1er et 3 octobre 2018, M. et Mme [F] ont assigné la société France Pierre Patrimoine en réduction du prix de vente à proportion des travaux promis et non exécutés et, subsidiairement, en dommages et intérêts.

Le 25 mai 2020, l'expert judiciaire a déposé son rapport définitif.

Le 13 mai 2022, M. [F] est décédé.

Par jugement du 16 juin 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- déclaré le tribunal judiciaire compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par les parties au litige,

- déclaré irrecevable l'action de M. et Mme [F] à l'encontre de la société France Pierre Patrimoine au titre des désordres apparents,

- déclaré recevable l'action de M. et Mme [F] exercée à l'encontre de M. [D],

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [D],

- débouté M. et Mme [F] de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre de la société France Pierre Patrimoine,

- débouté M. et Mme [F] de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre de M. [D],

- déclaré irrecevable comme forclose la demande en paiement du solde du marché présentée par la société France Pierre Patrimoine à l'encontre de M. et Mme [F],

- débouté la société France Pierre Patrimoine de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de M. et Mme [F],

- débouté M. et Mme [F] comme la société France Pierre Patrimoine de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [F] à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine aux dépens de la présente instance, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Par acte du 20 juillet 2022, Mme [F] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de son époux [Y] [F] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 7 avril 2023, de :

- la déclarer, tant à titre personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de [Y] [F], recevable et bien fondée en son appel et en ses demandes,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la société France Pierre Patrimoine et de M. [D],

- le confirmer en ce qu'il a déclaré la société France Pierre Patrimoine irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 10 975,80 euros à son encontre,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la société France Pierre Patrimoine manque à son obligation probatoire de justifier de l'exécution de son obligation de résultat de réalisation des travaux rénovation auxquels elle s'était contractuellement engagée auprès d'elle et son époux, moyennant le prix de 219 516 euros,

- dire et juger que M. [D] a manqué à son obligation de moyens d'attester de travaux effectivement exécutés,

- condamner in solidum la société France Pierre Patrimoine et M. [D] à lui verser les sommes, à titre de dommages et intérêts, de :

* en réparation des travaux promis et payés, mais non exécutés............208 540,20 euros,

* en réparation de la perte de chance découlant de l'inexécution de son obligation de résultat d'exécuter les travaux de rénovation des parties communes auxquels la société venderesse s'était engagée et dont l'homme de l'art a attesté de l'achèvement à hauteur de 100 %...............................................................................................................162 000 euros,

*à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral........10 000 euros,

- condamner in solidum la société France Pierre Patrimoine et M. [D] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société France Pierre Patrimoine et M. [D] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum la société France Pierre Patrimoine et M. [D] aux entiers dépens, qui comprendront les frais d'expertise issus des ordonnances des 07 mai 2015 et 1er mars 2018, dont distraction au profit de Maître Corinne Roux, avocat aux offres de droit

Par dernières conclusions du 13 janvier 2023, M. [D] prie la cour de :

A titre principal,

- infirmer la décision rendue en ce qu'elle a déclaré recevable l'action de M. et Mme [F] à son encontre,

- infirmer la décision dont appel en ce qu'elle rejeté la fin de non-recevoir qu'il a soulevée,

Et statuant à nouveau,

- juger que l'action engagée par M. et Mme [F] à son encontre est irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,

A titre subsidiaire,

- confirmer la décision rendue en ce qu'elle a débouté M. et Mme [F] de l'ensemble de leurs demandes formulées à son encontre,

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société France Pierre Patrimoine à le garantir intégralement de toutes condamnations prononcées à son encontre,

En tout état de cause,

- débouter M. et Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine de toutes demandes formées à son encontre,

- confirmer la décision rendue en ce qu'elle a condamné M. et Mme [F] à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, ainsi qu'aux dépens,

- confirmer la décision rendue en ce qu'elle a condamné M. et Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine aux entiers dépens d'instance et d'expertise,

- condamner M. et Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine in solidum à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ainsi qu'aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 13 avril 2023, la société France Pierre Patrimoine prie la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté Mme [F], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de [Y] [F], de sa demande indemnitaire en raison de l'absence d'effet dévolutif de sa déclaration d'appel et du caractère définitif du jugement déféré sur le chef de jugement retenant la forclusion affectant les actions de M. et Mme [F] pour les désordres ou non conformités apparentes et leurs conséquences,

* en conséquence, débouté Mme [F] de l'ensemble de ses prétentions, fins et prétentions à son encontre,

Sur le moyen nouveau de la responsabilité contractuelle de droit commun invoqué par Mme [F],

- prononcer l'irrecevabilité de ses demandes portant sur des parties communes en raison de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [F],

En toutes hypothèses,

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses réclamations, fins et prétentions en ce qu'elle ne démontre aucune faute, aucun préjudice indemnisable personnel, direct et certain et aucun lien de causalité entre la faute et le préjudice,

en revanche, réformer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable car forclose sa demande en paiement du solde du prix de vente et l'a déboutée de sa demande de paiement ainsi que de sa demande de prise en charge des frais irrépétibles et des dépens dont ceux d'expertise,

Et statuant à nouveau,

- condamner Mme [F] au paiement de la somme de 10 975,80 euros au titre du solde du prix de vente,

- ordonner que cette somme portera intérêts à compter de l'exigibilité des sommes, à savoir le 26 mars 2016,

- prononcer l'anatocisme,

Sur l'appel incident de M. [D],

A titre principal,

- débouter M. [D] de sa demande de condamnation à son encontre, à être garanti et relever indemne de toutes condamnations en raison de l'absence de demande de condamnation de Mme [F] à l'encontre de M. [D] dans ses premières conclusions d'appel,

A titre subsidiaire,

- débouter M. [D] de sa demande de condamnation à son encontre, à être garanti et relever indemne de toutes condamnations, n'étant pas garante des fautes commises par l'architecte, homme de l'art, dans l'exercice de sa mission,

En tout état de cause,

- débouter M. [D] de ses demandes de condamnation fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens à son encontre,

En tout état de cause,

- condamner Mme [F] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros à raison de la procédure manifestement abusive intentée à son encontre,

- condamner Mme [F] au paiement d'une indemnité procédurale de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens, en ce compris ceux de référés, première instance et d'expertise judiciaire.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2025.

EXPOSE DES MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'est appelée à statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, à l'exclusion des demandes de voir « dire » et « juger » qui ne sont que le rappel des moyens exposés dans la discussion et qui ne constituent donc pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action des époux [F]

Pour déclarer irrecevable l'action des époux [F] à l'encontre de la société France Pierre patrimoine au titre des désordres apparents, le tribunal judiciaire a raisonné de la manière suivante:

- le contrat signé par les époux [F] relevait de la vente en l'état futur de rénovation,

- les dispositions relatives aux ventes en l'état futur d'achèvement ou de rénovation sont d'ordre public et il ne peut y être dérogé

- les désordres étaient apparents avant et à la livraison, ils ont été signalés le 26 mars 2015 dans le procès-verbal de livraison puis ensuite par courrier du 20 avril 2015 et avaient fait l'objet de réserves spécifiques, de sorte que le seul régime applicable est celui de l'article L. 261-5 du code de la construction et de l'habitation qui reprend les termes de l'article 1642-1 du code civil, selon lequel « Le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents. Il n'y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s'oblige à réparer. »

- l'action tendant à l'exécution de l'engagement pris par le vendeur s'obligeant à réparer les désordres après établissement d'un procès-verbal relevant les réserves formulées suite à la prise de possession, n'est pas soumise au délai fixé par l'article 1648 al 2 du code civil, selon lequel « Dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents. »

- en l'absence d'engagement de la société France Pierre Patrimoine à remédier aux désordres et de son refus (article 1642-1 alinea 2 du code civil), seules les dispositions des articles 1642-1 alinéa 1 et 1648 s'appliquaient de sorte que les acquéreurs, qui ont dénoncé dans les délais les désordres dont ils se plaignaient, disposaient d'un délai d'un an pour intenter une action en justice. Malgré la suspension de délai dues à la procédure de référé, les époux [F] étaient forclos depuis le 7 mai 2016 en leur action.

Mme [F] conteste cette décision, faisant valoir que la cour n'est pas saisie d'une action en garantie de désordres consécutifs à des travaux non effectués, mais d'une demande d'indemnisation sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, en raison de l'inexécution des travaux décrits et prévus au contrat soit la « restauration complète d'un ensemble immobilier de 7 logements collectifs ». Ils reprochent notamment à leur vendeur de ne pas avoir compris dans les travaux de l'immeuble à rénover, la vérification, et le cas échéant, la révision du toit-terrasse au-dessus de leur lot. Elle soutient que le régime des immeubles à construire ou à rénover ne lui est pas applicable, car son lot est à usage exclusivement professionnel, de sorte que le délai de forclusion retenu par le tribunal ne s'applique pas et que son action est soumise à la prescription quinquennale de droit commun.

La société France Pierre Patrimoine soutient d'une part que l'adage selon lequel le droit spécial déroge au droit général « specialia generalibus derogant » codifié à l'article 1105 du code civil conduit à l'application exclusive en l'espèce des dispositions relatives à la vente d'immeuble à rénover qui priment sur le régime général de la responsabilité contractuelle. D'autre part, elle soutient que Mme [F] n'a pas d'intérêt à agir dans la mesure où ses demandes formulées portent sur des travaux non exécutés dans les parties communes de l'immeuble, alors que :

le syndicat des copropriétaires a réceptionné la livraison des parties communes, après examen des pièces et des travaux prévus au contrat ;

cette réception a été faite pour le compte des copropriétaires au titre des pouvoirs conférés et notamment du pouvoir donné par M. et Mme [F] ;

aucune réserve n'a été émise ;

Mme [F] ne justifie d'aucun préjudice personnel indépendant de celui subi par la collectivité.

M. [D] conteste également la décision du tribunal, soulevant le défaut de qualité à agir des époux [F], en ce que leur action a pour objet le remboursement de la somme de 219 516 euros au titre de leur quote-part des travaux portant sur des parties communes, pour lesquels seul le syndicat des copropriétaires à vocation à agir en justice. Ainsi, peu importe que les désordres soient apparus dans le local commercial des consorts [F] dès lors que leurs demandes visent seulement à obtenir le remboursement de travaux réalisés dans les parties communes et qu'ils ne peuvent se substituer dans la gestion des parties communes de l'immeuble au syndicat des copropriétaires.

Sur ce

Il est observé que Mme [F] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée ainsi que son défunt mari de leurs demandes à l'encontre de la société France Pierre Patrimoine. Elle n'a pas interjeté appel du chef de jugement déclarant irrecevable son action à l'encontre de la société France Pierre Patrimoine au titre des désordres apparents, ne formulant pas de demande d'infirmation de ce chef de dispositif qui est donc définitif et irrévocable. Néanmoins, ce chef de dispositif n'exclut pas en tant que tel la fin de non-recevoir soulevée par France Pierre Patrimoine de l'inapplicabilité du droit commun de la responsabilité contractuelle si la demande concerne une question exclue du champ d'application de l'article L. 262-3 du code de la construction et de l'habitation, ce que Mme [F] souhaite voir appliquer afin de bénéficier de la prescription quinquennale de l'obligation de délivrance.

Sur l'application droit commun de la responsabilité contractuelle

Il résulte de l'article L261-10 alinéa 1er du code de la construction et de l'habitation, que « le contrat ayant pour objet le transfert de propriété d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation et comportant l'obligation pour l'acheteur d'effectuer des versements ou des dépôts de fonds avant l'achèvement de la construction doit, à peine de nullité, revêtir la forme de l'un des contrats prévus aux articles 1601-2 et 1601-3 du code civil, reproduits aux articles L. 261-2 et L. 261-3 du présent code. Il doit, en outre, être conforme aux dispositions des articles L. 261-11 à L. 261-14 ci-dessous. »

Aux termes de l'article L261-7 du même code : « Ainsi qu'il est dit à l'article 1648 du code civil: " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents. »

La Cour de cassation a pu juger que si les dispositions particulières du secteur protégé (de vente en l'état futur d'achèvement et d'immeuble à rénover) s'appliquent en cas d'usage mixte (professionnel et d'habitation), inversement, elles se trouvent exclues dans le cas où l'immeuble, ou la partie d'immeuble vendue, est entièrement à usage professionnel (Cass, 3ème civ, 7 avril 2016, n° 15-11.342)

Il est constant qu'en matière de vente d'immeubles à construire, c'est l'objet de la vente qui est pris en considération pour déterminer si l'opération relève ou non de ce secteur protégé du logement.

Pour apprécier si les dispositions particulières de la vente d'immeuble à rénover, s'appliquent ou non, il convient de tenir compte de ce que la partie d'immeuble vendue est ou non à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel.

En l'espèce, les époux [F] ont signé un acte de vente comprenant un lot à usage expressément professionnel et deux places de parking (p6 de l'acte de vente) avec une partie du prix de vente à régler au fur et à mesure des travaux auquel s'engageait le vendeur, dans le cadre d'une opération de rénovation dont le descriptif était annexé, avec ventilation pour la quote-part des époux [F],à l'acte.

Celui-ci mentionne par ailleurs que « le VENDEUR, en s'obligeant aux garanties ordinaires et de droit en pareille matière VEND en leur état futur de rénovation à l'ACQUEREUR qui accepte les biens dont la désignation suit considérés en leur état futur de rénovation conformément aux article L262-1 et suivants du code de la consommation » (p5 de l'acte de vente) et encore « lesdits biens vendus considérés en leur état futur de rénovation conformément aux articles L262-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation étant désignés ». Enfin le compromis de vente précisait déjà que « La fraction du prix correspondant au montant des travaux sera payée au fur et à mesure de l'avancement des travaux suivant l'échelonnement ci-dessus prévu, au vu d'une attestation de l'Homme de l'art », le tout en conformité de l'article R. 262-10 du code de la construction et de l'habitation ».

Ainsi il est manifeste que, nonobstant l'usage professionnel des locaux achetés par les époux [F], l'immeuble dont plusieurs lots sont à usage d'habitation, est à usage mixte d'une part et que les époux [F] plus spécifiquement ont accepté contractuellement l'application des règles spéciales de la vente d'immeuble à rénover d'autre part, lequel permet de bénéficier d'un choix fiscal avantageux par ailleurs, selon la stratégie d'investissement de l'acquéreur et son régime d'imposition. Par conséquent, le contrat étant la loi que les parties ont entendu voir appliquer entre elles, Mme [F], afin d'écarter le droit spécial dans ses rapports avec le vendeur, ne peut faire valoir utilement que « peu importe la destination du reste de l'immeuble », son bien étant lui, exclusivement destiné à un usage « autre que l'habitation ou mixte (habitation et professionnel)».

Les dispositions de la vente à construire ou à rénover visées à l'acte de vente (L261-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation), se reportant aux dispositions particulières de la garantie des défauts de la chose vendue des articles 1642-1 du code civil, c'est par ces motifs ci-dessus, ajoutés à ceux du tribunal qu'il convient en l'espèce de faire application des règles spéciales dérogeant au droit commun de la vente.

Si les époux [F] ont considéré dès leur première action en référé que peu importait le caractère apparent des désordres qu'ils allèguent au regard du fondement juridique invoqué, ils ne remettent pas en question en appel cette qualification qui a été retenue par le tribunal, de « désordres apparents », pour l'absence d'étanchéité de la terrasse et l'absence d'évacuation des eaux pluviales. En effet, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'ils étaient apparus avant la livraison de leur local et qu'ils avaient précisément fait l'objet de réserves à la livraison en mars 2015, à la suite de malfaçons déjà relevées par la société Compagnie immobilière de restauration (CIR). Seules les conséquences de ces désordres, à savoir les infiltrations, sont notées comme non apparentes par l'expert.

Mme [F] est donc irrecevable à faire valoir l'application des articles 1134 et 1147 anciens du code civil pour voir exécuter des travaux sur des désordres apparents, après avoir choisi l'application du régime de la vente d'immeubles à rénover, dont les règles sont par ailleurs d'ordre public, sans qu'il soit en conséquence possible d'y déroger.

S'agissant de l'intérêt à agir de Mme [F]

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

L'article 32 du code de procédure civile précise qu' « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. »

Il est constant que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et que l'existence du droit invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès.

En principe, l'intérêt à agir donne qualité pour agir ; ce n'est que par exception, lorsque l'action est réservée à certaines personnes, que ces dernières doivent justifier, au-delà de leur intérêt à agir, du titre leur conférant le droit d'agir en justice.

Au regard de la spécificité du contrat de vente signé, il convient, pour déterminer la qualité à agir de Mme [F], en son nom personnel et en tant qu'ayant droit de son défunt époux de vérifier si l'appelante a un intérêt distinct de celui de la copropriété à agir en inexécution des travaux à la charge de France Pierre Patrimoine.

Mme [F] demande à la cour de « condamner in solidum la société France Pierre Patrimoine et M. [D] à lui verser les sommes, à titre de dommages et intérêts, de :

* en réparation des travaux promis et payés, mais non exécutés............208 540,20 euros,

* en réparation de la perte de chance découlant de l'inexécution de son obligation de résultat d'exécuter les travaux de rénovation des parties communes auxquels la société venderesse s'était engagée et dont l'homme de l'art a attesté de l'achèvement à hauteur de 100 %....................................................................................................162 000 euros,

*à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral........10 000 euros »

En l'espèce, les époux [F] ont signé un acte de vente comprenant un lot à usage expressément professionnel et deux places de parking au prix de 419 008 euros, au titre du bâti existant, 219 516 euros, au titre des travaux de rénovation que le vendeur s'engageait à exécuter, 30 000 euros, au titre des deux lots de parking.

Le montant des 219 516 euros était à régler au fur et à mesure de l'avancement des travaux selon un détail prévu à l'acte de vente et un descriptif de travaux (pièce 3 bis de l'appelante) annexé à ce dernier. Cette somme correspond à leur quote-part dans les travaux précisément décrits. Ils sont ventilés par poste (tableau pièce 5 de l'appelante).

A la lecture de ce tableau, il apparaît clairement qu'il s'agit de travaux affectant les parties communes dans le cadre de la rénovation complète de l'immeuble.

Dans la mesure où Mme [F] fait valoir des dégâts causés précisément au local professionnel acheté, à la suite de dégâts des eaux, qu'elle affirme être en lien avec l'inexécution ou la mauvaise exécution des travaux de rénovation, indépendamment de savoir quel régime est applicable et si son action est bien fondée, son intérêt à agir est incontestable. Le jugement est confirmé de ce chef.

Mais s'agissant de la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir de Mme [F] soulevée par les intimés, il est relevé que les acquéreurs ont donné aux termes de l'acte de vente « tous pouvoirs au syndic de copropriété pour procéder en [leur] nom à la constatation du parachèvement des parties communes ainsi qu'à la conformité de leur réalisation avec les plans et pièces concernant l'immeuble ». Il lui appartenait, n'étant pas satisfaite de l'exécution des travaux de s'adresser au syndic de copropriété pour lui permettre d'agir. Même si Mme [F] fait valoir que ses greifs ont été signalés au syndic, le procès-verbal de livraison a eu lieu 26 mars 2015 et consignait uniquement la réserve suivante : « solive terrasse/Verrière : non vérifiables car pas assemblées ». Mme [F] indique qu'elle avait, avec son époux, dénoncé des réserves supplémentaires à la société France Pierre Patrimoine :

- « Réserve sur la toiture terrasse, laquelle serait affectée de problèmes d'étanchéité ayant pour conséquence des infiltrations d'eau ;

- Réserve sur la verrière, en raison de l'absence de système d'évacuation des eaux pluviales ou, dans l'hypothèse où il serait existant, du fait qu'il ne remplirait pas ou mal son office ;

- Réserve sur le système d'évacuation des eaux pluviales en fonte, lequel serait désagrégé avec les conséquences mises en évidence par le passage caméra auquel vous avez procédé ».

Seul le syndic avait cependant compétence pour émettre les réserves à la livraison du chantier, lesquelles étaient nécessaires à faire valoir les droits des époux [F]. Mme [F] n'a donc pas de qualité à agir pour faire valoir une absence de conformité de ces derniers.

Du fait de l'application exclusive et d'ordre public du droit des ventes d'immeubles à rénover du code de la construction et de l'habitation qui a conduit à l'irrecevabilité de sa demande à sur ce fondement, Mme [F], bien qu'ayant intérêt à agir n'a pas qualité à agir pour demander l'exécution des travaux sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil.

Sur les demandes de Mme [F]

Sur le dol

Pour débouter les époux [F] de leur demande fondée sur le dol, le tribunal a jugé que ces derniers ne démontraient pas l'existence de man'uvres dolosives qui les auraient incités à conclure la vente.

Mme [F] sollicite la condamnation de France Pierre Patrimoine à lui verser la somme de 208.540,20 euros en réparation des travaux qu'elle estime avoir été promis et payés mais non exécutés. Elle maintient les mêmes arguments qu'en première instance, à savoir que dans la mesure où les travaux n'ont pas été effectués, le fait d'avoir mis en exergue la rénovation pour obtenir leur consentement constitue un dol en ce que cela a eu pour effet de les tromper sur la qualité définitive de l'immeuble qu'ils s'engageaient à acquérir. Elle rappelle que les documents attestant de la réalisation des travaux n'ont jamais été produits malgré ses demandes et celles de l'expert. Enfin elle ajoute qu'aucuns travaux n'a été fait à l'intérieur de son lot, ce que confirment les diverses pièces qu'ils produisent. Elle soutient par ailleurs que dans la mesure où le lot n°117 qu'ils ont acheté a été vendu occupé au titre d'un bail commercial et que le compromis de vente mentionne expressément le montant du loyer, il est ainsi entré dans le champ contractuel que le lot n°117 constituait un investissement locatif ayant pour objet de rapporter à ses acquéreurs un revenu annuel de l'ordre de 45.000 euros, ce qui n'a pas finalement pas pu être le cas au regard de la résiliation du bail par le locataire au regard de la multiplication des dégâts des eaux.

En réponse, la société France Pierre Patrimoine conteste ne pas avoir réalisé les travaux et soutient en tout état de cause que Mme [F] n'a préalablement pas d'intérêt à agir pour des travaux affectant les parties communes, dès lors que l'acte de vente donnait expressément tous pouvoirs au Syndic de copropriété pour la livraison des travaux. Or, le 9 avril 2014, le Syndicat des copropriétaires a réceptionné les travaux des parties communes, après examen des pièces et des travaux prévus au contrat et ce, pour le compte des copropriétaires avec une réserve sur l'escalier mais aucune réserve sur des travaux « qui auraient été promis et payés, mais non réalisés ». Elle relève que l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que « Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic », soit en réparation d'un dommage personnel causé par un autre copropriétaire en raison de la violation du règlement de copropriété soit en cas d'atteinte portée aux parties communes s'il justifie de l'existence d'un préjudice personnel indépendant de celui subi par la collectivité des copropriétaires, et soutient à cet égard que Mme [F] ne justifie d'aucun préjudice personnel indépendant de celui subi par la collectivité.

Sur ce,

En tant que délit civil, le dol, visé par l'article 1116 du code civil dans sa rédaction applicable au litige antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui désigne le comportement d'une personne destiné à induire en erreur une autre pour la décider à conclure un contrat, peut fonder la responsabilité extracontractuelle de son auteur, en application de l'ancien article 1382 du code civil, en même temps qu'une action en nullité du contrat pour vice du consentement, la victime pouvant solliciter ces deux sanctions ou l'une des deux seulement selon ce que commande son intérêt.

Le dol ne se présume pas et doit être prouvé par celui qui l'allègue.

En ce qu'il traduit un manquement à l'obligation de bonne foi dans la formation du contrat, le dol s'apprécie à la date à laquelle la vente acquiert force obligatoire à l'égard des deux parties.

Lorsque la victime fait le choix d'agir uniquement en indemnisation, elle ne peut en principe obtenir réparation que de sa seule perte de chance de ne pas avoir contracté à des conditions plus avantageuses (cf. Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954 ; Com. 5 juin 2019, n° 16-10.391) étant précisé que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle avait été réalisée (Civ. 1re, 14 nov. 2019, n° 18-23.915).

La cour relève en l'espèce que si Mme [F] semble maintenir ses moyens tendant à voir déclarer que la société France Pierre Patrimoine a commis des man'uvres dolosives, elle ne formule aucune demande de nullité de la convention, mais uniquement des demandes indemnitaires.

Elle demande l'indemnisation de la perte de chance « découlant de l'inexécution de son obligation de résultat d'exécuter les travaux de rénovation des parties communes auxquels la société venderesse s'était engagée et dont l'homme de l'art a attesté de l'achèvement à hauteur de 100 %». Cette perte de chance s'entend pourtant à tort, à la lecture des conclusions, comme la perte de chance de pouvoir louer son bien au regard de l'état des locaux, consécutive à des travaux non-faits ou mal faits, par un calcul annuel de loyers non perçus, et non comme la perte de chance de ne pas avoir conclu à des conditions plus favorables la vente, c'est-à-dire au prix dont est déduite la somme des travaux et des loyers hypothétiques non versés.

Toutefois, la charge de la preuve des man'uvres destinées à les tromper ou les faire conclure et sans lesquelles les époux [F] n'auraient pas acheté repose sur l'appelante et ne se confond pas avec l'inexécution contractuelle. Les man'uvres doivent en effet s'apprécier au moment de la vente et non postérieurement à celle-ci. Il est donc inopérant d'examiner la réparation de l'inexécution contractuelle alors d'une part que Mme [F] a été déclarée irrecevable plus haut à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle du fait de l'application des règles de la vente à rénover et d'autre part, que l'inexécution des travaux, à la supposer établie, n'intervient que postérieurement à la vente.

Dès lors que les travaux prévus et contenus au descriptif annexé à l'acte de vente portaient essentiellement sur des parties communes, Mme [F] ne peut se prévaloir d'une volonté de tromper du vendeur, en ce que des travaux dans leur local commercial privatif n'étaient pas envisagés. Plus spécifiquement, elle ne conclut ni ne démontre que des travaux devaient être effectués directement dans son lot et dans ses parties privatives.

Par ailleurs, il ressort de l'expertise que « les désordres persistants sont des infiltrations au droit de la terrasse de la pièce principale des bureaux », que ces infiltrations n'étaient « pas apparentes lors de la livraison » et qu'elles « ont lieu en périphérie des deux évacuations situées le long du mur du bâtiment principal ». L'experte relève que « la terrasse n'a pas été revue dans le cadre des travaux. Elle ne présente aucun trop-plein » et qu'elle a constaté que « les travaux de remise en état des toitures, zinguerie, descentes fluviales n'avaient pas été réalisées ». Pour autant, elle retient que « l'absence de vérification de la terrasse elle-même et des évacuations d'eaux pluviales de terrasse et de leur vacuité jusqu'à l'égout sur rue est la conséquence d'une omission totale de ces ouvrages par l'architecte. M. [K] chargé de la rédaction du CCTP, au stade de la réalisation. Alors que ces travaux étaient prévus au stade de la conception ». Elle précise encore que « s'agissant d'un élément important du programme, la vérification de l'état de la terrasse et des évacuations, y compris jusqu'à la rue, la compagnie immobilière de restauration, et son sous-traitant Pereira, se raccordant sur cet ouvrage en devaient impérativement la vérification de fonctionnement, l'adaptation éventuelle au flux prévu, et devaient signaler cette omission à l'architecte ». Enfin s'agissant des travaux de zinguerie, l'expert note que l'architecte « n'a pas relevé l'absence d'exécution des travaux nécessaires sur la zinguerie ».

C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a jugé les éléments que Mme [F] impute à des man'uvres dolosives du vendeur, n'étaient pas concomitants à la vente: d'une part certains travaux jugés par l'expert ont été omis par l'architecte (vérification des évacuations des eaux pluviales de la terrasse au stade de la réalisation, mais pas de la réalisation) et d'autre part, l'inexécution de certains travaux est postérieure à la vente (notamment de zinguerie), de sorte qu'ils ne peuvent constituer des man'uvres qualifiées de dolosives de la part du vendeur au moment de la vente.

A défaut de démontrer les man'uvres dolosives caractéristiques de la faute et la volonté de tromper les acquéreurs, caractérisant le défaut de loyauté dans le contrat, les conditions permettant l'octroi d'une indemnisation au titre de la perte de chance de ne pas avoir conclu la vente à des conditions plus favorables ne sont pas réunies. Mme [F] est déboutée de sa demande formée contre la société France Pierre Patrimoine et le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de l'architecte, M. [D]

Le tribunal a écarté la demande de responsabilité de l'architecte formée par les époux [F], pour défaut de conseil, relevant que d'une part sa mission n'était que d'établir des attestations d'achèvement de travaux sans que celles-ci n'emportent nécessairement attestations de conformité des travaux, et d'autre part qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les désordres subis par les époux [F] et la délivrance des attestations d'achèvement des travaux.

Pour voir infirmer le jugement, Mme [F] fonde sa demande sur les articles 1383 du code civil et fait valoir que M. [D] s'est notamment engagé à établir, sur simple demande écrite du vendeur les « attestations portant sur la constatation de l'achèvement des travaux selon les modalités » contractuellement définies. Elle soutient que l'architecte a attesté de l'exécution des travaux à 100%, en qualité d'homme de l'art, sans même avoir vérifié leur exécution effective, de sorte qu'elle les qualifie d'attestations de complaisance témoignant d'une faute dans l'exercice de sa mission. Elle conteste la décision du tribunal qui a jugé qu'il « n'était pas réellement en mesure de constater l'inexécution des travaux de zinguerie » et soutient que ce dernier devait s'acquitter d'une obligation de moyens de suivre la réalisation effective des travaux dont il lui était demandé d'attester. Par ailleurs, Mme [F] affirme que le lien de causalité entre son préjudice et la faute de l'architecte est caractérisée par le seul fait que la mission de ce dernier avait pour objet le déblocage des fonds à chaque tranche de travaux.

M. [D] demande la confirmation du jugement et fait valoir à cet égard que sa mission consistait uniquement à attester en qualité d'homme de l'art de la réalité de la répartition du prix de l'immeuble vendu entre l'existant et les travaux réalisés, les attestations ne visant que « la vraisemblance de la répartition du prix, en vue d'une optimisation fiscale au profit de l'acquéreur qui déduit fiscalement le montant des travaux payés ». Il ajoute que sa mission consistait également à attester de l'avancement des travaux au regard de la notice descriptive et des devis descriptifs des travaux en vue du paiement par les acquéreurs de leur quote-part du coût des travaux, et que ce constat n'est « que visuel ». Il affirme que l'attestation de l'homme de l'art au sens de l'article R262-10 du code de la construction et de l'habitation n'engage pas sa responsabilité en cas de vice caché ou d'insuffisance de quelque nature que ce soit dans les travaux projetés, car il n'est pas maître d''uvre. Il demande à être garanti par la société France Pierre Patrimoine de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, considérant que la mission de suivi du chantier ne relevait pas de sa mission.

La société France Pierre Patrimoine répond qu'aucune demande de condamnation n'a été formulée à l'encontre de M. [D] dans le dispositif des conclusions de Mme [F], de telle sorte que toute demande serait irrecevable à ce titre. A titre subsidiaire, elle soutient qu'elle ne saurait être tenue de relever indemne M. [D] pour des attestations inexactes d'avancement des travaux qu'il a rédigées.

Sur ce,

Sur la recevabilité de la demande

Contrairement à ce qui est soutenu par la société France Pierre Patrimoine, Mme [F] qui demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté les époux [F] de leurs demandes à l'encontre de M. [D], formule expressément une demande de condamnation in solidum de M. [D] et de la société France Pierre Patrimoine à des dommages et intérêts. Elle la fonde sur l'article 1383 du code civil. La demande est donc parfaitement recevable.

Sur le fond de la demande

L'article 1383 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, dispose que « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

Et il est acquis que l'inexécution d'une obligation contractuelle est de nature à engager, auprès des tiers, la responsabilité délictuelle de la partie qui aura manqué à son obligation s'il en résulte un préjudice pour autrui. (Cass. Ass. Plen. 13 janvier 2020, n° 17-19.963 ; Cass, Ass plen. 06 octobre 2006, n°05-13.255)

Or en l'espèce, les infiltrations à l'origine des désordres dans le lot de Mme [F] ont pour triples causes (page 30 du rapport) :

. Le rétrécissement de la canalisation d'évacuation du réseau enterré collectant les eaux de pluie et les eaux usées, le réseau présente de nombreux coudes et est complexe (la partie aérienne du réseau est réglementaire selon l'experte),

. L'absence d'un trop-plein au niveau de la terrasse de l'immeuble,

. Un défaut d'entretien de la terrasse, encombrée par des déchets et feuilles.

L'expert précise qu'à l'occasion de la vérification de la terrasse, il a constaté également que les travaux de remise en état des toitures, zinguerie, descentes pluviales n'avaient pas été réalisées.

Si l'expert retient que l'absence de vérification de la terrasse elle-même et des évacuations d'eaux pluviales de terrasse et de leur vacuité jusqu'à l'égout sur rue est la conséquence d'une omission totale de ces ouvrages par l'architecte, M. [K] chargé de la rédaction du CCTP, au stade de la réalisation. Alors que ces travaux étaient prévus au stade de la conception » et que ces omissions n'ont été relevées ni par le maître de l'ouvrage ni par l'entreprise générale en charge de la rénovation ni encore par l'entrepreneur effectuant les travaux. Il n'en demeure pas moins qu'il est établi par l'expert que les travaux de zinguerie n'ont pas été effectués de même que les vérifications de la terrasse.

Or, l'architecte ne peut se retrancher derrière son « contrat de mission de l'homme de l'art » signé avec la société France Pierre Patrimoine, qui ne comporte pas le CCTP et donc a fortiori l'obligation de comparer le descriptif des travaux avec ledit cahier des charges, pour s'exonérer de l'obligation d'attester de l'effectivité des travaux. En effet, d'une part l'homme de l'art est défini par l'article L. 262-7 du code de la construction et de l'habitation comme « un professionnel relevant de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture ; il doit être indépendant, impartial et assuré pour les prestations effectuées au titre de ces articles ». Il est donc en mesure de constater l'effectivité de travaux de rénovation, au regard de sa compétence technique et son indépendance. D'autre part, cette constatation ne saurait être formelle, non seulement en raison de ses compétences pour opérer les vérifications nécessaires et contrôler l'effectivité des travaux, mais également parce que les attestations que l'homme de l'art est amené à délivrer ont pour objet de permettre au vendeur maître de l'ouvrage de déclencher l'appel de fonds auprès des acquéreurs du bien. Or, la vraisemblance de la répartition du prix, ne peut que s'apprécier au regard de l'effectivité des travaux pour l'homme de l'art dont il est attendu une analyse et une probité dans sa mission toute particulière dès lors que des conséquences fiscales en dépendent pour les parties.

Il se déduit de cette mission d'homme de l'art qu'en cas d'attestation fausse ou trompeuse, sa responsabilité peut être engagée.

Toutefois, s'il est constant que des travaux n'ont pas été effectués conformément au descriptif annexé au contrat de vente des époux [F], il est tout aussi constant que les parties ne fournissent pas de preuve que l'architecte a attesté de l'achèvement des travaux, mais seulement qu'il n'a attesté que de 95 % d'achèvement des travaux. La pièce n°7 produite par Mme [F] n'est que l'appel de fonds de France Pierre Patrimoine, mentionnant l'attestation d'achèvement à 100 % de l'homme de l'art, sans que ladite attestation de M. [D] ne soit jointe contrairement aux précédents appels de fonds.

Aussi, en l'absence de détermination de ce que représente les 5% restant, la preuve de la faute contractuelle de M. [D] n'est pas rapportée, de même que le défaut de conseil relevé par l'expert, qui ne porte pas sur la mission confiée en l'espèce par les parties mais relèverait de l'analyse des travaux confiés et pilotés par l'autre architecte et le maître d'ouvrage. C'est donc par ces motifs ajoutés à ceux du tribunal qu'il convient de juger que M. [D] ne peut donc voir sa responsabilité engagée à ce stade et que Mme [F] est déboutée de sa demande.

Au regard de ce qui précède, Mme [F] échouant à démontrer la faute de M. [D] de nature à engager sa responsabilité, elle est déboutée de ses demandes d'indemnisation et la demande de garantie formulée par M. [D] à l'égard de la société France Pierre Patrimoine est sans objet.

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

S'agissant de la demande de paiement du solde des travaux

En l'absence de l'attestation d'achèvement de l'homme de l'art, le vendeur ne pouvait exiger le paiement du solde du marché que dans un délai de deux ans à compter de la livraison, la prescription biennale de l'article L218-2 du code de la consommation étant applicable à la vente en l'état futur d'achèvement (3ème civ 26 octobre 2017, n°16-13.591 et n°16-13.592) et par extension à la vente d'immeuble à rénover.

La cour adopte les motifs du tribunal qui déclaré la demande de paiement forclose comme ayant été faite le 1er octobre 2018, soit plus de deux ans après la livraison et l'émission de la facture consécutive du 10 mars 2015. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Aux termes de l'article 1240 du code civil, « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

L'article 1241 du code civil dispose que « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

L'article 32-1 du code de procédure civile précise que « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

Néanmoins, toute faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice ouvre droit à réparation. Le droit d'agir en justice, droit fondamental reconnu à toute personne titulaire de la capacité à agir, n'est pas absolu : son exercice peut engager la responsabilité de son titulaire lorsqu'il est mis en 'uvre de manière abusive ou dilatoire, à condition de démontrer précisément l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol, dûment établies.

En effet, le seul fait d'agir à tort n'est pas une faute, un plaideur pouvant se méprendre sur l'existence ou la portée de ses droits.

En l'espèce, c'est par de justes motifs que le tribunal a jugé que le caractère abusif de la présente procédure n'était pas démontré, dans la mesure où les époux [F] avaient légitimement pu croire au bien-fondé de leurs prétentions. En effet, au regard des désordres qu'ils ont rencontrés, des travaux non effectués constatés par l'expert, et l'absence de vérification de la terrasse par la société France Pierre Patrimoine, l'expert mentionnant également un défaut possible de conseil de l'homme de l'art, M. et Mme [F] n'ont fait qu'exercer leur droit à faire valoir leurs prétentions en justice.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Il résulte des articles 696 et 700 du code de procédure civile, que la partie perdante est condamnée, sauf décision contraire, aux dépens et aux frais exposés en vue du litige et non compris dans les dépens. Le montant de l'indemnité fixée au titre de l'article 700 précité est apprécié selon l'équité et la situation économique des parties

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.

De la même manière Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine succombant, elles seront déboutées de leur demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel et condamnées à verser à la somme de 1000 euros chacune au titre de ses frais irrépétibles engagés par M. [D].

Mme [F] et la société France Pierre Patrimoine sont également condamnées in solidum aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire mise à disposition,

Confirme le jugement dans ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable Mme [O] [Z] veuve [F] en son action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de France Pierre Patrimoine,

Condamne in solidum Mme [O] [Z] veuve [F] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [F] et la société France Pierre Patrimoine aux dépens d'appels, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne Mme [O] [Z] veuve [F] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [F] à verser à M. [S] [D] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société France Pierre Patrimoine à verser à M. [S] [D] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [O] [Z] veuve [F] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [F] et la société France Pierre Patrimoine de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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