CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 25 septembre 2025, n° 25/01615
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[Z] [S]
C/
S.A.R.L. PATINTER FRANCE
copie exécutoire
le 25 septembre 2025
à
Me [Localité 5]
Me [Localité 6]
CBO/IL/CB
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
*************************************************************
N° RG 25/01615 - N° Portalis DBV4-V-B7J-JKTJ
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 27 MARS 2025 (référence dossier N° RG 2024-33218)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [R] [I] [Z] [S]
né le 23 Août 1958 à [Localité 7] (PORTUGAL)
[Adresse 3]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté, concluant et plaidant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
S.A.R.L. PATINTER FRANCE agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 1]
représentée et plaidant par Me Hélène CAMIER de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS, avocat postulant
concluant par Me Christelle LAFITTE de la SELARL LAFITTE ET ASSOCIES, avocat au barreau de BAYONNE
DEBATS :
A l'audience publique du 26 juin 2025, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 25 septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 25 septembre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
M. [Z] [G] [D], né le 23 août 1958, a été nommé gérant de la société Patinter France, ci-après dénommée la société, à compter du 1er janvier 2009 pour une durée illimitée par décision de l'assemblée extraordinaire de ladite société du 30 décembre 2008.
La société emploie moins de 11 salariés.
Le 12 avril 2024, le mandat de gérant de M. [Z] [G] [D] a été révoqué par une décision de l'associé unique.
Demandant la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de la relation de travail, M. [Z] [G] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, le 31 octobre 2024.
Par jugement du 27 mars 2025, le conseil :
- a jugé que M. [Z] [G] [D] n'était pas lié à la société Patinter France par un contrat de travail ;
- s'est déclaré matériellement incompétent pour connaitre des demandes présentées par M. [Z] [G] [D] ;
- a invité les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction commerciale compétente';
- a condamné M. [Z] [G] [D] à payer à la société Patinter France la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- a condamné M. [Z] [G] [D] aux entiers dépens de l'instance.
Par acte d'huissier du 15 avril 2025 M. [Z] [G] [D] a fait assignation à jour fixe la société Patinter France pour l'audience du 26 juin 2025.
M. [Z] [G] [D], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 juin 2025, demande à la cour de :
- le recevoir en son appel sur la compétence ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé :
- qu'il n'était pas lié à la société Patinter France par un contrat de travail ;
- que le conseil des prud'hommes de [Localité 4] était matériellement incompétent pour connaitre de ses demandes ;
- l'a condamné à payer à la société Patinter France la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Et statuant à nouveau,
- le dire et juger lié à la société Patinter France par un contrat de travail à durée indéterminée ;
- dire le conseil des prud'hommes de [Localité 4] matériellement compétent pour connaitre de ses demandes ;
- condamner enfin la société Patinter France à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Patinter France, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 juin 2025, demande à la cour de :
- juger que M. [Z] [G] [D] était bien son gérant et en aucun cas son salarié ;
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter M. [Z] [G] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner M. [Z] [G] [D] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS
Sur le contrat de travail
M. [Z] [G] [D] expose que la société a signé un contrat de travail avec lui le 22 janvier 2009, qu'il importe peu que la réalité des tâches prime sur celles mentionnées au contrat, qu'il avait été mentionné comme salarié dans les communications entre l'expert-comptable de la société et M. [Y] directeur financier de la société Patinter Portugal, société s'ur de l'employeur en l'intégrant à la masse salariale. Il relate avoir accédé à des fonctions de directeur technique, qui dépassaient le cadre d'un mandat social, suivant assemblée générale extraordinaire du 12 juillet 2011 en remplacement de M. [H] qui n'avait pas de mandat social dans la société, qu'il était de surcroit soumis à une clause de non-concurrence ; que si sa rémunération en qualité de gérant mandataire social et son salaire étaient équivalents cet élément n'a n'aucune incidence. Il ajoute que le cumul salariat et mandat social est possible, qu'il était gérant non associé, que son activité était contrôlée par sa hiérarchie ainsi que démontre les échanges au terme desquels il reçoit des consignes précises.
La société rétorque que les statuts de la société mis à jour en décembre 2021 précisent que M. [Z] [G] [D] est gérant sans lien de subordination en France, révocable par assemblée générale des associés, qu'il avait pris l'initiative de rédiger un contrat de travail à son profit, que le document ne mentionne toutefois pas ses fonctions effectives en sus de son mandat de gérant, que le lien de subordination n'est pas établi. Elle fait valoir que l'habilitation en qualité de concessionnaire de transport répertorié sur la liste émise par le ministère est simplement nécessaire pour exercer une activité dans le domaine du transport, que l'appelant exerçait cette fonction dans le cadre de son mandat avant le contrat de travail litigieux et que la personne qui l'avait exercée précédemment était sous les ordres de M. [Z] [G] [D], qu'il n'y a pas eu de rémunération distincte en qualité de directeur technique, la rémunération étant simplement prévue pour la gérance. La société argue que le courriel échangé entre M. [Y], son directeur financier, et M. [B] n'est pas probant sur un contrat de travail mais fait simplement référence à la masse salariale sans distinction entre les salaires et les rémunérations des administrateurs ou des dirigeants, que ce n'est que suite à sa révocation pour des faits graves que M. [Z] [G] [D] a prétendu bénéficier d'un contrat de travail. Enfin la société souligne que la production de bulletins de paie est insuffisante à établir la prétention de salariat, ce d'autant que la rémunération indiquée correspond à celle approuvée en sa qualité de gérant incluant l'activité de commissionnaire de transport et donc de mandataire non salarié ; que le courriel du 12 septembre 2022 relatif aux heures supplémentaires n'a aucun caractère probant n'établissant en réalité que le fait que M. [Z] [G] [D] s'autoversait des heures supplémentaires.
Sur ce,
L'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois éléments : la fourniture d'une prestation de travail moyennant rémunération dans un lien de subordination caractérisé notamment par le pouvoir de l'employeur de donner des ordres et des directives et d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence ; cette preuve peut être administrée par tous moyens.
L'existence d'un contrat ne peut se déduire de la seule délivrance de bulletins de paie. L'apparence d'un contrat de travail se déduit d'un examen de fait. Elle peut découler d'un élément déterminant ou d'un faisceau d'indices.
En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui en conteste la réalité d'en démontrer le caractère fictif, notamment en établissant que l'état de subordination juridique du salarié, élément caractéristique du contrat de travail, fait défaut.
Pour admettre le cumul des fonctions sociales et salariales, l'intéressé doit disposer d'un contrat de travail effectif et le juge doit constater l'existence :
- de fonctions salariales distinctes de celles du mandat social ;
- d'un lien de subordination dans l'exercice des fonctions salariales ;
- d'une rémunération versée en contrepartie du service salarié accompli.
Enfin la reconnaissance d'un contrat de travail suppose l'existence de fonctions techniques correspondant à des attributions spécifiques, nettement dissociables de celles découlant du mandat social supposant des attributions mettant en 'uvre des connaissances particulières et une séparation entre celles-ci et les missions menées au titre du mandat. Si les fonctions sont absorbées par le mandat social, le cumul est écarté et cette absorption relève d'une appréciation de fait. La Cour de cassation considère que le lien de subordination ne doit pas se confondre avec les directives que peut recevoir le mandataire de la part des associés ou du conseil d'administration et qui sont la conséquence logique de son mandat.
Le 30 décembre 2008 la société Patinter France a déposé ses statuts qui stipulent à l'article 12 sous la rubrique " gérance " que M. [Z] [G] [D] a été désigné gérant de la société à compter du 1er janvier 2009 pour une durée illimitée. Il n'est pas mentionné si la gérance était salariée ou sous mandat social. Il est précisé qu'il engage la société, dispose des pouvoirs les plus étendus et dispose de la signature sociale.
M. [Z] [G] [D] produit aux débats un contrat de travail à durée indéterminée daté du 22 janvier 2009 qu'il a signé en qualité de salarié aux fonctions de directeur France et en qualité de représentant de la société.
Le code de commerce organise dans les sociétés et groupements ayant une activité économique, à l'exclusion des sociétés en nom collectif et en commandite simple, une procédure de contrôle des conventions conclues directement ou indirectement entre la société, ses dirigeants et certains de ses associés. Si la SARL est dotée d'un commissaire aux comptes (ce qui n'est obligatoire que pour les SARL atteignant certains seuils d'effectif, de bilan ou de chiffre d'affaires), l'approbation peut être donnée postérieurement à la conclusion du contrat.
En application des articles L. 223-19, L. 223-20 et L. 223-23 du code de commerce lorsque le gérant non associé devient ensuite salarié de la SARL, la conclusion de son contrat de travail est soumise à l'approbation de l'assemblée des associés. Ce contrôle prend la forme, selon le type de société soit d'une autorisation préalable des contrats conclus avec les mandataires sociaux en fonction ainsi que de leurs modifications ultérieures soit et/ou de l'approbation du rapport spécial établi par le commissaire aux comptes mentionnant les contrats passés entre la société et ses mandataires sociaux et certains associés ainsi que les modifications ayant affecté ces contrats en cours d'exercice.
M. [Z] [G] [D] ne pouvait signer un contrat de travail sans avoir obtenu avant ou après l'autorisation de l'assemblée générale des associés.
Faute de justifier de cet accord le contrat de travail est inopposable. C'est donc à celui qui se prétend salarié de rapporter la preuve en établissant l'existence d'une activité distincte de celle liée à celle du mandat social, d'une rémunération et d'un lien de subordination.
Par assemblée générale extraordinaire du 12 juillet 2011 il a été décidé que M. [Z] [G] [D] est nommé directeur technique en remplacement de M. [X] dont il est acquis qu'il n'a jamais eu de mandat social. Cette nomination n'a de sens que si les fonctions auparavant exercées par M. [X] étaient de nature différente de celles du mandat social. Si le contrat de travail litigieux ne mentionne pas les tâches qui seraient attribuées au salarié, sa désignation à compter du11 juillet 2011 ne laissent pas de doute sur la réalité de tâches de nature différentes de celles du mandat social.
Les fiches de paie mentionnent un salaire pour un poste de directeur France et non des indemnités, primes ou commissions. Sauf pour la dernière qui précise mandataire social suite à la révocation du mandat alors qu'il existait un conflit entre les parties. Elles indiquent que M. [Z] [G] [D] occupe le poste de directeur France à temps complet de 151,67 heures, qu'il est classé cadre supérieur ce qui est incompatible avec un mandat social. Par ailleurs par courriel du 13 janvier 2023, l'expert-comptable de la société fait une estimation de la masse salariale pour l'année 2023 et inclus parmi cette masse M. [Z] [G] [D] en précisant le montant des salaires brut.
Sur l'existence du lien de subordination M. [Z] [G] [D] justifie avoir sollicité le paiement de 10 heures supplémentaires le 12 septembre 2022 en précisant à son correspondant, l'un des associés, que s'il pense que c'est faux il déduira lui-même ce montant. Or l'exécution d'heures supplémentaires et une durée légale du travail sont incompatibles avec le statut de mandataire social. En outre il est versé plusieurs courriels, l'un par lequel M. [Z] [G] [D] informe l'un des associés des jours de congés validés pour trois employés dont lui-même.
Par ailleurs l'appelant produit à la procédure les échanges avec M. [T], autre associé, par lequel celui-ci informe M. [Z] [G] [D] qu'il a convenu avec le propriétaire d'un entrepôt, les modalités de remise des clés et qu'il doit prendre en compte un délai pour cette remise et vérifier pour éviter les problèmes de dernière minute. M. [Z] [G] [D] justifie aussi avoir envoyé une facture le 27 janvier 2022 pour savoir ce qu'il devait faire en termes de conditions de paiement, ce qui démontre qu'il demandait des consignes pour exécuter ses tâches.
La société argue de la mise à jour des statuts en décembre 2021 (pièce 12) qui mentionne que M. [Z] [G] [D] est gérant, il n'est en aucun cas indiqué ' sans lien de subordination en France et qu'il était en sa qualité de gérant révocable par décision de la collectivité des associés. '
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [Z] [G] [D] rapporte la preuve de l'existence d'un contrat de travail avec la société Patinter à compter du 11 juillet 2011 date de sa désignation en qualité de directeur technique. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] [G] [D] de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail le liant avec la société Patinter.
Sur les dépens et la demande au titre des frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société, succombant sera condamnée aux dépens de l'ensemble de la procédure.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Z] [G] [D] les sommes engagées pour la présente procédure. La société Patinter sera condamné à lui verser 2 500 euros au titre des frais irrépétibles pour la l'ensemble de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire mis à disposition du greffe et en dernier ressort ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que M. [Z] [G] [D] est lié à la société Patinter par un contrat de travail ;
Condamne la société Patinter à payer à M. [Z] [G] [D] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Patinter aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
N°
[Z] [S]
C/
S.A.R.L. PATINTER FRANCE
copie exécutoire
le 25 septembre 2025
à
Me [Localité 5]
Me [Localité 6]
CBO/IL/CB
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
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N° RG 25/01615 - N° Portalis DBV4-V-B7J-JKTJ
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 27 MARS 2025 (référence dossier N° RG 2024-33218)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [R] [I] [Z] [S]
né le 23 Août 1958 à [Localité 7] (PORTUGAL)
[Adresse 3]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté, concluant et plaidant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
S.A.R.L. PATINTER FRANCE agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 1]
représentée et plaidant par Me Hélène CAMIER de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS, avocat postulant
concluant par Me Christelle LAFITTE de la SELARL LAFITTE ET ASSOCIES, avocat au barreau de BAYONNE
DEBATS :
A l'audience publique du 26 juin 2025, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 25 septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 25 septembre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
M. [Z] [G] [D], né le 23 août 1958, a été nommé gérant de la société Patinter France, ci-après dénommée la société, à compter du 1er janvier 2009 pour une durée illimitée par décision de l'assemblée extraordinaire de ladite société du 30 décembre 2008.
La société emploie moins de 11 salariés.
Le 12 avril 2024, le mandat de gérant de M. [Z] [G] [D] a été révoqué par une décision de l'associé unique.
Demandant la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de la relation de travail, M. [Z] [G] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, le 31 octobre 2024.
Par jugement du 27 mars 2025, le conseil :
- a jugé que M. [Z] [G] [D] n'était pas lié à la société Patinter France par un contrat de travail ;
- s'est déclaré matériellement incompétent pour connaitre des demandes présentées par M. [Z] [G] [D] ;
- a invité les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction commerciale compétente';
- a condamné M. [Z] [G] [D] à payer à la société Patinter France la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- a condamné M. [Z] [G] [D] aux entiers dépens de l'instance.
Par acte d'huissier du 15 avril 2025 M. [Z] [G] [D] a fait assignation à jour fixe la société Patinter France pour l'audience du 26 juin 2025.
M. [Z] [G] [D], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 juin 2025, demande à la cour de :
- le recevoir en son appel sur la compétence ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé :
- qu'il n'était pas lié à la société Patinter France par un contrat de travail ;
- que le conseil des prud'hommes de [Localité 4] était matériellement incompétent pour connaitre de ses demandes ;
- l'a condamné à payer à la société Patinter France la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Et statuant à nouveau,
- le dire et juger lié à la société Patinter France par un contrat de travail à durée indéterminée ;
- dire le conseil des prud'hommes de [Localité 4] matériellement compétent pour connaitre de ses demandes ;
- condamner enfin la société Patinter France à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Patinter France, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 juin 2025, demande à la cour de :
- juger que M. [Z] [G] [D] était bien son gérant et en aucun cas son salarié ;
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter M. [Z] [G] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner M. [Z] [G] [D] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS
Sur le contrat de travail
M. [Z] [G] [D] expose que la société a signé un contrat de travail avec lui le 22 janvier 2009, qu'il importe peu que la réalité des tâches prime sur celles mentionnées au contrat, qu'il avait été mentionné comme salarié dans les communications entre l'expert-comptable de la société et M. [Y] directeur financier de la société Patinter Portugal, société s'ur de l'employeur en l'intégrant à la masse salariale. Il relate avoir accédé à des fonctions de directeur technique, qui dépassaient le cadre d'un mandat social, suivant assemblée générale extraordinaire du 12 juillet 2011 en remplacement de M. [H] qui n'avait pas de mandat social dans la société, qu'il était de surcroit soumis à une clause de non-concurrence ; que si sa rémunération en qualité de gérant mandataire social et son salaire étaient équivalents cet élément n'a n'aucune incidence. Il ajoute que le cumul salariat et mandat social est possible, qu'il était gérant non associé, que son activité était contrôlée par sa hiérarchie ainsi que démontre les échanges au terme desquels il reçoit des consignes précises.
La société rétorque que les statuts de la société mis à jour en décembre 2021 précisent que M. [Z] [G] [D] est gérant sans lien de subordination en France, révocable par assemblée générale des associés, qu'il avait pris l'initiative de rédiger un contrat de travail à son profit, que le document ne mentionne toutefois pas ses fonctions effectives en sus de son mandat de gérant, que le lien de subordination n'est pas établi. Elle fait valoir que l'habilitation en qualité de concessionnaire de transport répertorié sur la liste émise par le ministère est simplement nécessaire pour exercer une activité dans le domaine du transport, que l'appelant exerçait cette fonction dans le cadre de son mandat avant le contrat de travail litigieux et que la personne qui l'avait exercée précédemment était sous les ordres de M. [Z] [G] [D], qu'il n'y a pas eu de rémunération distincte en qualité de directeur technique, la rémunération étant simplement prévue pour la gérance. La société argue que le courriel échangé entre M. [Y], son directeur financier, et M. [B] n'est pas probant sur un contrat de travail mais fait simplement référence à la masse salariale sans distinction entre les salaires et les rémunérations des administrateurs ou des dirigeants, que ce n'est que suite à sa révocation pour des faits graves que M. [Z] [G] [D] a prétendu bénéficier d'un contrat de travail. Enfin la société souligne que la production de bulletins de paie est insuffisante à établir la prétention de salariat, ce d'autant que la rémunération indiquée correspond à celle approuvée en sa qualité de gérant incluant l'activité de commissionnaire de transport et donc de mandataire non salarié ; que le courriel du 12 septembre 2022 relatif aux heures supplémentaires n'a aucun caractère probant n'établissant en réalité que le fait que M. [Z] [G] [D] s'autoversait des heures supplémentaires.
Sur ce,
L'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois éléments : la fourniture d'une prestation de travail moyennant rémunération dans un lien de subordination caractérisé notamment par le pouvoir de l'employeur de donner des ordres et des directives et d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence ; cette preuve peut être administrée par tous moyens.
L'existence d'un contrat ne peut se déduire de la seule délivrance de bulletins de paie. L'apparence d'un contrat de travail se déduit d'un examen de fait. Elle peut découler d'un élément déterminant ou d'un faisceau d'indices.
En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui en conteste la réalité d'en démontrer le caractère fictif, notamment en établissant que l'état de subordination juridique du salarié, élément caractéristique du contrat de travail, fait défaut.
Pour admettre le cumul des fonctions sociales et salariales, l'intéressé doit disposer d'un contrat de travail effectif et le juge doit constater l'existence :
- de fonctions salariales distinctes de celles du mandat social ;
- d'un lien de subordination dans l'exercice des fonctions salariales ;
- d'une rémunération versée en contrepartie du service salarié accompli.
Enfin la reconnaissance d'un contrat de travail suppose l'existence de fonctions techniques correspondant à des attributions spécifiques, nettement dissociables de celles découlant du mandat social supposant des attributions mettant en 'uvre des connaissances particulières et une séparation entre celles-ci et les missions menées au titre du mandat. Si les fonctions sont absorbées par le mandat social, le cumul est écarté et cette absorption relève d'une appréciation de fait. La Cour de cassation considère que le lien de subordination ne doit pas se confondre avec les directives que peut recevoir le mandataire de la part des associés ou du conseil d'administration et qui sont la conséquence logique de son mandat.
Le 30 décembre 2008 la société Patinter France a déposé ses statuts qui stipulent à l'article 12 sous la rubrique " gérance " que M. [Z] [G] [D] a été désigné gérant de la société à compter du 1er janvier 2009 pour une durée illimitée. Il n'est pas mentionné si la gérance était salariée ou sous mandat social. Il est précisé qu'il engage la société, dispose des pouvoirs les plus étendus et dispose de la signature sociale.
M. [Z] [G] [D] produit aux débats un contrat de travail à durée indéterminée daté du 22 janvier 2009 qu'il a signé en qualité de salarié aux fonctions de directeur France et en qualité de représentant de la société.
Le code de commerce organise dans les sociétés et groupements ayant une activité économique, à l'exclusion des sociétés en nom collectif et en commandite simple, une procédure de contrôle des conventions conclues directement ou indirectement entre la société, ses dirigeants et certains de ses associés. Si la SARL est dotée d'un commissaire aux comptes (ce qui n'est obligatoire que pour les SARL atteignant certains seuils d'effectif, de bilan ou de chiffre d'affaires), l'approbation peut être donnée postérieurement à la conclusion du contrat.
En application des articles L. 223-19, L. 223-20 et L. 223-23 du code de commerce lorsque le gérant non associé devient ensuite salarié de la SARL, la conclusion de son contrat de travail est soumise à l'approbation de l'assemblée des associés. Ce contrôle prend la forme, selon le type de société soit d'une autorisation préalable des contrats conclus avec les mandataires sociaux en fonction ainsi que de leurs modifications ultérieures soit et/ou de l'approbation du rapport spécial établi par le commissaire aux comptes mentionnant les contrats passés entre la société et ses mandataires sociaux et certains associés ainsi que les modifications ayant affecté ces contrats en cours d'exercice.
M. [Z] [G] [D] ne pouvait signer un contrat de travail sans avoir obtenu avant ou après l'autorisation de l'assemblée générale des associés.
Faute de justifier de cet accord le contrat de travail est inopposable. C'est donc à celui qui se prétend salarié de rapporter la preuve en établissant l'existence d'une activité distincte de celle liée à celle du mandat social, d'une rémunération et d'un lien de subordination.
Par assemblée générale extraordinaire du 12 juillet 2011 il a été décidé que M. [Z] [G] [D] est nommé directeur technique en remplacement de M. [X] dont il est acquis qu'il n'a jamais eu de mandat social. Cette nomination n'a de sens que si les fonctions auparavant exercées par M. [X] étaient de nature différente de celles du mandat social. Si le contrat de travail litigieux ne mentionne pas les tâches qui seraient attribuées au salarié, sa désignation à compter du11 juillet 2011 ne laissent pas de doute sur la réalité de tâches de nature différentes de celles du mandat social.
Les fiches de paie mentionnent un salaire pour un poste de directeur France et non des indemnités, primes ou commissions. Sauf pour la dernière qui précise mandataire social suite à la révocation du mandat alors qu'il existait un conflit entre les parties. Elles indiquent que M. [Z] [G] [D] occupe le poste de directeur France à temps complet de 151,67 heures, qu'il est classé cadre supérieur ce qui est incompatible avec un mandat social. Par ailleurs par courriel du 13 janvier 2023, l'expert-comptable de la société fait une estimation de la masse salariale pour l'année 2023 et inclus parmi cette masse M. [Z] [G] [D] en précisant le montant des salaires brut.
Sur l'existence du lien de subordination M. [Z] [G] [D] justifie avoir sollicité le paiement de 10 heures supplémentaires le 12 septembre 2022 en précisant à son correspondant, l'un des associés, que s'il pense que c'est faux il déduira lui-même ce montant. Or l'exécution d'heures supplémentaires et une durée légale du travail sont incompatibles avec le statut de mandataire social. En outre il est versé plusieurs courriels, l'un par lequel M. [Z] [G] [D] informe l'un des associés des jours de congés validés pour trois employés dont lui-même.
Par ailleurs l'appelant produit à la procédure les échanges avec M. [T], autre associé, par lequel celui-ci informe M. [Z] [G] [D] qu'il a convenu avec le propriétaire d'un entrepôt, les modalités de remise des clés et qu'il doit prendre en compte un délai pour cette remise et vérifier pour éviter les problèmes de dernière minute. M. [Z] [G] [D] justifie aussi avoir envoyé une facture le 27 janvier 2022 pour savoir ce qu'il devait faire en termes de conditions de paiement, ce qui démontre qu'il demandait des consignes pour exécuter ses tâches.
La société argue de la mise à jour des statuts en décembre 2021 (pièce 12) qui mentionne que M. [Z] [G] [D] est gérant, il n'est en aucun cas indiqué ' sans lien de subordination en France et qu'il était en sa qualité de gérant révocable par décision de la collectivité des associés. '
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [Z] [G] [D] rapporte la preuve de l'existence d'un contrat de travail avec la société Patinter à compter du 11 juillet 2011 date de sa désignation en qualité de directeur technique. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] [G] [D] de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail le liant avec la société Patinter.
Sur les dépens et la demande au titre des frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société, succombant sera condamnée aux dépens de l'ensemble de la procédure.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Z] [G] [D] les sommes engagées pour la présente procédure. La société Patinter sera condamné à lui verser 2 500 euros au titre des frais irrépétibles pour la l'ensemble de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire mis à disposition du greffe et en dernier ressort ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que M. [Z] [G] [D] est lié à la société Patinter par un contrat de travail ;
Condamne la société Patinter à payer à M. [Z] [G] [D] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Patinter aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.