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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 septembre 2025, n° 23/01710

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Digicad Group (SARL)

Défendeur :

Seb Developpement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme de La Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Arnaud, Me Etevenard, Me Vago

T. com. Marseille, du 11 janv. 2022, n° …

11 janvier 2022

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

La société Digicad Group ('société Digicad'), distributeur de logiciels qui commercialise notamment en France le logiciel 'Solid Edge' édité par la société Unigraphics Solution Inc, ultérieurement acquise par la société Siemens, a repris en 2001 la fourniture des licences et la maintenance de cette application que les sociétés Calor, Moulinex, Seb et Tefal avaient confié à la société Siemens depuis 1990, la société Seb Developpement (ci-après 'la société Seb') qui pour activité l'assistance administrative, financière et commerciale de ses filiales ayant repris l'ensemble des contrats à compter de 2009.

Le 13 septembre 2019, la société Seb a notifié à la société Digicad la résiliation de tous les contrats de maintenance avec effet au 31 décembre 2019.

Jugeant le préavis insatisfaisant en raison de l'ancienneté de la relation commerciale établie avec la société Seb, la société Digicad l'a vainement mise en demeure le 24 mars 2021 de régler la somme de 326.767,48 ainsi que celle de 50.000 euros au titre du préjudice commercial avant de l'assigner le 3 juin 2021 en condamnation de ces deux chefs devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par un jugement du 11 octobre 2022, le tribunal de commerce de Marseille a rejeté les notes et pièces communiquées après la clôture des débats par les sociétés Seb et Digicad, constaté la rupture brutale de la relation commerciale établie aux torts de la société Seb, condamné à ce titre la société Seb à payer à la société Digicad la somme de 114.777,07 euros hors taxes, débouté la société Digicad de sa demande d'indemnisation au titre des préjudices commercial et d'image, condamné à la société Seb à payer à la société Digicad la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire, débouté les parties de leurs autres demandes et condamné la société Seb aux dépens ;

La société Digicad Group a interjeté appel du jugement le 12 janvier 2023 ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 13 mai 2025 pour la société Digicad Group afin d'entendre, en application des articles L. 442-1, II, L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce :

- confirmer le jugement en ce qu'il constaté la rupture brutale de la relation commerciale établie à l'initiative de la société Seb,

- réformer le jugement en ce qu'il a fixé la durée du préavis à 12 mois,

- juger que la durée du préavis de rupture devait être de 24 mois,

- réformer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la société Seb au paiement à la société Digicad de la somme de 114.777,07 euros HT à titre de dommages et intérêts en réparation de sa perte de marge brute,

- condamner à titre principal la société Seb à payer à la société Digicad la somme de 580. 996,1 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de sa perte de marge brute au cours du préavis de 24 mois sur la base de l'année 2017 avec les intérêts au taux légal à compter du 3/6/2021,

- condamner à titre subsidiaire la société Seb à payer à la société Digicad la somme de 407. 824,68 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de sa perte de marge brute au cours du préavis de 24 mois sur la base des années 2017 et 2018 avec les intérêts au taux légal à compter du 3/6/2021,

- condamner à titre très subsidiaire la société Seb la société Seb à payer la somme de 326. 767,48 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de sa perte de marge brute au cours du préavis de 24 mois sur la base des années 2017, 2018 et 2019 avec les intérêts au taux légal à compter du 3/6/2021,

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société Digicad de sa demande en paiement par la société Seb de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et d'image,

- condamner la société Seb à payer à la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et d'image,

- débouter la société Seb de son appel incident,

- condamner la société Seb à payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Seb aux dépens ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 mai 2025 pour la société Seb Developpement afin d'entendre, en application des articles 910-4, alinéa 1 du code de procédure civile et L. 442-1, II du code de commerce,

- déclarer à titre liminaire irrecevable la demande formulée par la société Digicad dans ses dernières écritures de 'Débouter la société Seb de son appel incident',

- infirmer le jugement en ce qu'il constate la rupture brutale de la relation commerciale établie à l'initiative de la société Seb, condamne la société Seb à payer à la société Digicad la somme de 114.777,07 euros HT au titre de la perte de marge ainsi que la somme de 5.000 euros au titre de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens,

- confirmer le jugement en ce qu'il déboute la société Digicad de sa demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice commercial et d'atteinte à la renommée,

- juger que compte-tenu des modalités de fonctionnement existant entre les parties, aucune relation commerciale établie et autonome au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce n'est caractérisée par la société Digicad,

- juger que la décision de ne pas renouveler le contrat de maintenance ne caractérise pas une décision de rompre imputable à la société Seb au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce ;

- juger que la société Digicad ne démontre pas que le préavis de trois mois et dix-sept jours octroyé par la société Seb était insuffisant au sens de L. 442-1 du code de commerce,

- juger que la société Digicad n'établit nullement la réalité d'un quelconque préjudice,

- rejeter l'intégralité des demandes de condamnation formulées par la société Digicad à l'encontre de la société Seb,

- condamner la société Digicad à restituer l'intégralité des condamnations payées par la société Seb en exécution de la décision de première instance soit la somme de 114.777,07 euros HT au titre de la perte de marge ainsi que la somme de 5.000 euros au titre de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rembourser les dépens supportés par la société Seb en première instance,

à titre subsidiaire,

- juger qu'un préavis de six mois était suffisant,

- condamner en conséquence la société Digicad à restituer le montant des condamnations de première instance trop perçues,

en tout état de cause,

- condamner la société Digicad à payer la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR,

1. Sur l'irrecevabilité de la demande tendant au débouter de la société Digicad

La société Seb relève que la société Digicad a ajouté au dispositif de ses conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 13 mai 2025, une demande tendant au 'Débouter la société SEB de son appel incident', prétention qui n'était pas élevée dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 6 octobre 2023, soit le lendemain de l'expiration du délai de trois mois de l'article 910 du code de procédure civile.

La société Seb demande en conséquence que cette prétention soit écartée des débats en application de l'article 910-4, alinéa 1 du Code de procédure civile, dans sa version applicable à l'instance, énonçant que :

A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Toutefois, alors que la société Digicad demande depuis ses premières conclusions, la 'confirm[ation] [du] jugement en ce qu'il constaté la rupture brutale de la relation commerciale établie à l'initiative de la société Seb', la demande de 'débouter' exprime, sous une forme synonyme, la réponse à la substance des demandes de la société Seb tendant à l'infirmation du jugement de ce chef, de sorte que la cause de l'irrecevabilité est dépourvue d'objet.

2. Sur le bien fondé de la relation commerciale établie et de sa rupture brutale

Il est rappelé les termes de l'article L. 442-1 II du code de commerce selon lesquels :

Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Pour contester le jugement en ce qu'il a retenu à ses torts la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Digicad, la société Seb dénie, en premier lieu, l'existence d'une relation commerciale établie 'autonome' avec cette prestataire, alors que l'application Solid Edge est développée sous la licence de la société Siemens et que l'essentiel des prestations était fourni par la société Siemens, ainsi que l'atteste son tableau de bord d'action ('dashboard for action plan') qu'elle a édité le 21 juillet 2015, et comme les stipulations des contrats de maintenance (articles 2.2, 2.3, 2.4, 2.3, 2.5 et 2.6) font référence à la société Siemens en sa qualité de fabricant du logiciel pour sa garantie, ou pour ses actions au titre de la formation ou des services techniques.

La société Seb prétend, d'autre part, que la société Digicad intervenait peu au titre de la maintenance, au lieu des actions de la société Siemens ainsi que l'attestent des courriels que la société Seb a échangés avec la société Siemens produits en pièces numéros 12, 13, 14, 16 et 17. Elle relève par ailleurs que les contrats étaient souscrits à durée déterminée sans que les parties aient convenu de leur renouvellement tacite.

La société Seb conclut, en outre, que les prix de la prestation de maintenance étaient négociés avec ceux imposés par la société Siemens comme l'atteste un courriel du 16 décembre 2008 et ce que le 'contrat de maintenance mise à jour et support' conclu entre les parties pour l'année 2019 mentionnait expressément à son article 1.4 dans les termes suivants :'Le prix applicable pour le renouvellement du contrat sont les tarifs Siemens en vigueur à la date de ce renouvellement', ce contrat stipulant encore à son article 1.5 que les pénalités applicables étaient celles définies par la société Siemens.

Enfin, la société Seb affirme que c'est sous cette contrainte que, à compter de 2010, le groupe Seb a dû confier à la société Digicad la maintenance des applications de toutes les filiales.

La société Seb déduit ainsi que l'intervention de la société Digicad était dépendante de la relation existant entre la société Seb et la société Siemens et de leur capacité à trouver un accord financier pour le renouvellement de la licence et conclut, d'une part, que la société Digicad ne pouvait avoir aucune croyance légitime en la poursuite des relations commerciale, et d'autre part, qu'il ne peut être reproché ni même imputé à la société Seb la décision de rompre une relation dont les conditions étaient déterminées par la société Siemens.

Au demeurant, la notion de 'relation commerciale autonome' n'entre pas dans la définition de l'article L. 442-1 II du code de commerce précité, et la qualité de la société Digicad de revendeur de l'application de la société Siemens ne l'exclut non plus pas du champ d'application de l'article L. 442-1 II, et tandis que d'après les contrats et les facturations des prestations de maintenance et de formation que la société Cegid met aux débats, elle établit, indépendamment de la durée des contrats, la preuve de leur caractère suivi, stable et habituel avec la société Seb, il convient de confirmer le jugement qui en a reconnu l'existence et l'obligation de la société Seb de répondre du préavis en rapport avec la durée de la relation commerciale établie.

3. Sur l'appréciation de la durée de la relation commerciale, du délai de préavis et de l'assiette des dommages et intérêts

La société Digicad conteste le préavis utile à la rupture de la relation commerciale de 12 mois retenu par les premiers juges et qu'elle prétend à nouveau fixer à 24 mois en concluant, en premier lieu, que pour l'année 2017, la part du chiffre d'affaires de la société Seb représentait 27,41% de son chiffre d'affaires total, se prévalant, en deuxième lieu, des termes du 'contrat de maintenance et mise à jour et support' de 2017 pour déduire la preuve qu'elle a 'investi tout au long de sa relation commerciale avec le Groupe SEB pour satisfaire les exigences de son client le plus important en l'état de prestations à haute valeur ajoutée à actualiser en fonction des besoins dans le cadre de mises à jour de logiciels, de formation', la société Digicad soutenant, en troisième lieu, que par leur action concertée, les sociétés Seb et Siemens l'ont évincée de son marché, entraînant une division par deux de son chiffre d'affaires réalisé entre 2017 et 2018-2019.

La société Digicad conteste par ailleurs les premiers juges en ce qu'ils ont déterminé l'indemnité propre à réparer le préjudice sur la moyenne de la marge brute réalisée avec la société Seb sur les années 2017, 2018 et 2019, alors que son chiffre d'affaires a été divisé par deux à compter de 2018 de telle sorte que seule l'année 2017 devait servir de référence pour le calcul des dommages et intérêts, ou à défaut les années 2017 et 2018.

Au demeurant, et ainsi que les premiers juges l'ont relevé dans leur décision, ni la part du chiffre d'affaires réalisée avec la société Seb, ni le surplus des affirmations de la société Digicad ne sont de nature à établir la preuve de sa dépendance économique, ni celle de la réalité des investissements particuliers qu'elle aurait irrémédiablement perdus à la suite de la rupture de la relation commerciale.

D'autre part, la cour relève que la facturation des prestations de la société Digicad auprès de la société Seb est établie en 2016 à 103.865 euros (Pièce n°27), soit un chiffre d'affaires comparable à ceux réalisés en 2018 et 2019, de sorte qu'en l'absence de preuve que des commandes sur ces deux dernières années ont été fournies à la société Seb par un concurrent ou par la société Siemens, il n'y a pas lieu d'exclure du calcul de l'indemnité les valeurs de 2018 et 2019.

La société Seb conteste quant à elle le jugement en ce qu'il a retenu un préavis de 12 mois sur la base d'une relation commerciale établie à compter de 2001 avec les sociétés Calor, Seb et Tefal, alors que ces dernières n'avaient passé que des commandes ponctuelles et isolées avant que la société Seb Developpement ne reprenne à son compte les contrats en 2008.

Néanmoins, telle qu'elle s'évince de l'énoncé de l'article L. 442-1, la durée de la relation commerciales établie ne s'apprécie pas d'après la valeur des flux d'affaires, mais ainsi que cela est rappelé au point 2 ci-dessus, d'après d'après la preuve de leur caractère suivi, stable et habituel, et tandis que la société Digicad justifie de ces conditions attachées à la fourniture des licences et des prestations de maintenance et de formation à destination des sociétés de la société Seb depuis 2001, il convient de confirmer le jugement qui a retenu la durée de 19 ans de relation commerciale établie.

Ainsi, et sur la base des attestations sur les chiffres d'affaires des années 2017, 2018 et 2019 et du taux de marge brute que la société Digicad a dûment établi, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Seb à lui verser une indemnité de 114.777,07 euros.

Enfin, la société Digicad n'établit la preuve d'aucun préjudice commercial distinct de ceux entraînés par la rupture de la relation commerciale dans la mesure de l'indemnisation retenue ci-dessus, ni non plus la preuve d'une atteinte à sa renommée, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de ces chefs.

4. Sur les dépens et les frais irrépétibles

Alors que la société Seb succombe au principal de l'action, le jugement sera confirmé en ce qu'il a tranché les dépens et les frais irrépétibles, mais tandis que la société Digicad succombe dans son appel, il convient de la condamner aux dépens et à payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la demande d'irrecevabilité de la prétention de la société Digicad tendant au 'débouter de la société SEB DEVELOPPEMENT' ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant au jugement,

CONDAMNE la société Digicad Group aux dépens ;

CONDAMNE la société Digicad Group à payer à la la société Seb Developpement la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article de l'article 700 du code de procédure civile.

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