CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 26 septembre 2025, n° 24/20810
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20810 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQ4F
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Novembre 2024-Président du TJ de [Localité 7]- RG n° 24/00626
APPELANTS
Monsieur [G], [L] [C]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Madame [J] [F] épouse [C]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentées par Me Brigitte VENADE, avocat au barreau de MEAUX
INTIMÉ
E.U.R.L. [O] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
INTERVENANT VOLONTAIRE
Madame [O] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2025-016358 du 26/06/2025 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 8])
Représentée par Me Damien CHEVRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0920
Ayant pour avocat plaidant Me Pauline EBERHARD, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804 et 905/906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juillet 2025, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, président de chambre , chargée du rapport et Marie-Catherine GAFFINEL, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, président de chambre,
Marie-Catherine GAFFINEL, conseiller,
Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, président de chambre et par Catherine CHARLES, greffière, présent lors de la mise à disposition.
********
Par acte du 13 septembre 2022, M. et Mme [C] ont donné à bail commercial à Mme [P], à compter du 1er octobre 2022, des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5] (Seine-et-Marne), moyennant un loyer mensuel de 500 euros, charges comprises, payable d'avance, afin d'y exercer "des activités de bureaux et boutique".
Des loyers étant demeurés impayés, les bailleurs ont fait délivrer au locataire, le 7 mars 2024, un commandement de payer, visant la clause résolutoire insérée au bail, pour la somme en principal de 5.769,21 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 5 mars 2024.
Par acte du 15 juillet 2024, M. et Mme [C] ont assigné l'EURL [P] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la défenderesse et condamnation de cette dernière au paiement, par provision, d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif.
Par ordonnance du 13 novembre 2024, le premier juge a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. et Mme [C] ;
- dit n'y avoir lieu de renvoyer l'affaire au fond,
- ordonné une mesure d'expertise, confiée à M. [Y], aux fins, notamment :
' d'examiner les lieux,
' dire s'ils sont affectés des désordres mentionnés dans les procès-verbaux de constat des 25 mai 2023 et 21 mars 2024 et dans les conclusions en réponse n° 2 de Mme [P] remises à l'audience du 16 octobre 2024,
' dans l'affirmative, les décrire, en rechercher les causes et préciser pour chacun d'eux s'ils existaient au jour de la conclusion du bail du 13 septembre 2022, s'ils étaient connus des bailleurs et s'ils proviennent d'une négligence dans leur entretien ou leur exploitation ou de toute autre cause,
'fournir tout renseignement technique et de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues par les bailleurs et évaluer les préjudices de toute nature éventuellement subis par Mme [P] résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance ; en proposer une évaluation chiffrée,
'donner son avis sur le caractère exploitable d'une activité de soins de beauté esthétique dans ces lieux,
'décrire les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés ; en évaluer le coût poste par poste après avoir, le cas échéant, examiné et discuté les devis ou propositions chiffrées présentés par les parties dans le délai qu'il leur aura imparti ; préciser la durée des travaux préconisés,
' donner son avis sur la solution économiquement la plus raisonnable,
' s'il y a lieu, proposer un compte entre les parties,
laissé les dépens à la charge des parties qui les ont exposés ;
rejeté leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 6 décembre 2024, M. et Mme [C] ont relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 7 juillet 2025, M. et Mme [C] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;
- constater l'intervention volontaire de Mme [P] ;
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dont ils ont relevé appel ;
statuant à nouveau,
- constater que le bénéfice de la clause résolutoire figurant au bail est acquis ;
- en conséquence, constater la résiliation de plein droit du bail liant les parties ;
- à titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial ;
- ordonner à Mme [P] de quitter et vider les lieux loués, et les remettre à la libre disposition du bailleur en satisfaisant aux obligations du locataire sortant ;
- à défaut de le faire, autoriser le bailleur à faire procéder à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, après l'accomplissement des formalités voulues par la loi, avec l'assistance de la force publique si besoin est ;
- autoriser en ce cas le bailleur à faire entreposer en tel garde meuble de son choix, les meubles pouvant alors se trouver dans les lieux, et ce, aux frais risques et périls de Mme [P] ;
- fixer une indemnité d'occupation provisionnelle de 533,45 euros à compter de l'échéance d'avril 2024 jusqu'à la libération effective des lieux ;
- condamner Mme [P] à leur payer :
' la somme de 12.170,61 euros (terme de mars 2025 inclus) à titre de provision sur loyers et indemnités d'occupation échus outre 265,83 euros au titre de la quote part de taxes foncières 2024 et en sus des autres charges récupérables,
'une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle égale à 533,45 euros à compter de l'échéance d'avril 2024 jusqu'à la libération effective des lieux, outre les charges ;
'la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
'les dépens de première instance en ce compris le coût du commandement de payer, ainsi que les dépens d'appel ;
- débouter Mme [P] de toutes ses prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de confirmation de la désignation de l'expert judiciaire, et de débouté des demandes provisionnelles, ordonner la consignation des loyers et charges soit 12.170,61 euros (mars 2025 inclus) outre 265,83 euros au titre de la quote part de taxes foncières 2024 en sus des autres charges récupérables, par Mme [P] auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 juin 2025, Mme [P], étant intervenue volontairement à l'instance, demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
- débouter M. et Mme [C] de l'ensemble de leurs prétentions ;
- les condamner à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 9 juillet 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'intervention volontaire de Mme [P]
M. et Mme [C] ont intimé devant la cour l'EURL [O] [P]. Or, s'il est indiqué en première page du bail que celui-ci est conclu avec une société représentée par Mme [P], il n'est pas démontré que la location a été consentie à une personne morale, dont la dénomination et l'immatriculation ne figurent pas au contrat et dont l'existence n'est pas établie par un extrait Kbis.
Dans ces conditions, l'intervention volontaire de Mme [P] est recevable.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.
Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
Enfin, sauf impossibilité d'exercer son droit de jouissance qui s'analyse comme une impossibilité totale d'utiliser les lieux loués conformément à leur destination, le locataire ne peut opposer l'exception d'inexécution au bailleur qui n'exécute pas correctement ses obligations.
Au cas présent, M. et Mme [C] font valoir que les loyers ont cessé d'être réglés depuis le mois de mars 2023 et que les locaux ne sont, de surcroît, plus assurés. S'ils justifient avoir fait délivrer à Mme [P], le 7 mars 2024, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme en principal de 5.769,21 euros, au titre de l'arriéré locatif arrêté au 1er mars 2024, terme de mars inclus, ils ne démontrent pas avoir délivré un commandement d'avoir à justifier d'une police d'assurance couvrant le local donné à bail, de sorte que la résiliation du bail ne saurait être constatée à ce titre.
Il n'est pas contesté par la locataire que la somme visée au commandement de payer n'a pas été réglée dans le mois de cet acte de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire sont susceptibles d'être réunies au 7 avril 2024.
Pour s'opposer aux effets de ce commandement, Mme [P] invoque des désordres affectant le local loué l'empêchant d'exercer son activité d'institut de beauté.
Elle explique que lors de la prise à bail, il lui avait été assuré par l'agence immobilière, mandataire des bailleurs, qu'elle pouvait effectuer de simples travaux de peinture et réinstaller un wc qui avait été retiré par le précédent locataire mais que lors de la réalisation de ces travaux, elle a constaté que les murs, noirs de moisissures, s'effritaient, que le mur de gauche "formait des vagues" par les gonflements dus à l'humidité, qu'en dépit de la pose d'une VMC et de plaques de plâtre anti-humidité, les désordres n'ont pas cessé, des champignons étant depuis apparus provoquant une odeur insoutenable rendant impossible l'exploitation de son fonds de commerce. Elle ajoute que le 26 avril 2023, quelques jours avant l'ouverture de son institut de beauté, un refoulement des eaux usées de l'immeuble s'est produit par les sanitaires qu'elle avait fait réinstaller, souillant ainsi l'ensemble du local et des installations nécessaires à l'exercice de son activité. Elle indique encore avoir découvert que les précédents locataires avaient cessé l'exploitation de leur fonds en raison des mêmes désordres, précisant qu'un des locataires avait fait retirer le sanitaire et condamner l'évacuation des eaux usées pour éviter de nouveaux refoulements d'eaux usées.
L'intimée verse aux débats un procès-verbal de constat en date du 25 mai 2023, qui établit la présence d'une forte odeur nauséabonde en entrant dans le local, que les plinthes sont hors d'usage, que les murs sont recouverts de salissures et de traces noirâtres, que le bloc wc est recouvert d'excréments ainsi que le sol de l'ensemble du local et précise que le mobilier en place lors du refoulement a dû être jeté.
Un deuxième procès-verbal de constat en date du 21 mars 2024 démontre la présence de mousse et de végétation sur les contours de la porte vitrée d'accès du local et à l'intérieur de celui-ci ainsi que des traces d'humidité et de moisissure sur le revêtement de peinture et le carrelage du sol.
Un troisième procès-verbal de constat, dressé le 20 mai 2025, établit l'existence d'un nouveau refoulement des eaux du bloc wc, ce constat confirmant, notamment, la forte odeur nauséabonde et la présence de résidus de couleur marron au sol et de salissures sur les murs et plafonds.
Mme [P] produit également une attestation du précédent locataire, qui indique avoir subi, lorsqu'il occupait le local, une importante humidité avec traces de moisissures l'ayant contraint à refaire à trois reprises la peinture.
En l'état de ces éléments, qui établissent l'existence de désordres affectant gravement le local, s'agissant notamment des refoulements par le bloc wc, élément d'équipement indispensable pour l'exploitation du local, il apparaît que Mme [P] a été empêchée d'exercer son activité et donc, privée de la jouissance des lieux loués.
Dans ces conditions, son obligation de paiement des loyers se heurte à une contestation sérieuse, l'intimée pouvant invoquer un manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
C'est donc par une exacte appréciation des faits qui lui étaient soumis que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences ainsi que sur la provision réclamée au titre de l'arriéré locatif.
Au regard des éléments qui précèdent, il n'y a pas davantage lieu d'ordonner la consignation des loyers.
L'ordonnance sera donc confirmée de ces chefs, étant en tout état de cause rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de prononcer la résiliation d'un bail.
Sur la demande d'expertise
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès "en germe", possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, l'expertise judiciaire ordonnée n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.
Au regard des motifs qui précèdent, Mme [P] justifie d'un procès en germe à l'encontre de ses bailleurs, qui, en l'état, n'apparaît pas manifestement voué à l'échec. Justifiant d'un motif légitime résidant dans l'existence et la persistance des désordres subis et leurs conséquences sur l'exploitation du local loué et l'activité professionnelle de l'intimée, celle-ci est fondée à solliciter une mesure d'expertise. L'ordonnance entreprise sera également confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
Succombant en leurs prétentions, M. et Mme [C] supporteront les dépens d'appel. Mme [P] bénéficiant de l'aide juridictionnelle, aucune considération d'équité ne commande de la faire bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'intervention volontaire de Mme [P] ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Condamne M. et Mme [C] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20810 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQ4F
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Novembre 2024-Président du TJ de [Localité 7]- RG n° 24/00626
APPELANTS
Monsieur [G], [L] [C]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Madame [J] [F] épouse [C]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentées par Me Brigitte VENADE, avocat au barreau de MEAUX
INTIMÉ
E.U.R.L. [O] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
INTERVENANT VOLONTAIRE
Madame [O] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2025-016358 du 26/06/2025 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 8])
Représentée par Me Damien CHEVRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0920
Ayant pour avocat plaidant Me Pauline EBERHARD, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804 et 905/906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juillet 2025, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, président de chambre , chargée du rapport et Marie-Catherine GAFFINEL, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, président de chambre,
Marie-Catherine GAFFINEL, conseiller,
Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, président de chambre et par Catherine CHARLES, greffière, présent lors de la mise à disposition.
********
Par acte du 13 septembre 2022, M. et Mme [C] ont donné à bail commercial à Mme [P], à compter du 1er octobre 2022, des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5] (Seine-et-Marne), moyennant un loyer mensuel de 500 euros, charges comprises, payable d'avance, afin d'y exercer "des activités de bureaux et boutique".
Des loyers étant demeurés impayés, les bailleurs ont fait délivrer au locataire, le 7 mars 2024, un commandement de payer, visant la clause résolutoire insérée au bail, pour la somme en principal de 5.769,21 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 5 mars 2024.
Par acte du 15 juillet 2024, M. et Mme [C] ont assigné l'EURL [P] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la défenderesse et condamnation de cette dernière au paiement, par provision, d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif.
Par ordonnance du 13 novembre 2024, le premier juge a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. et Mme [C] ;
- dit n'y avoir lieu de renvoyer l'affaire au fond,
- ordonné une mesure d'expertise, confiée à M. [Y], aux fins, notamment :
' d'examiner les lieux,
' dire s'ils sont affectés des désordres mentionnés dans les procès-verbaux de constat des 25 mai 2023 et 21 mars 2024 et dans les conclusions en réponse n° 2 de Mme [P] remises à l'audience du 16 octobre 2024,
' dans l'affirmative, les décrire, en rechercher les causes et préciser pour chacun d'eux s'ils existaient au jour de la conclusion du bail du 13 septembre 2022, s'ils étaient connus des bailleurs et s'ils proviennent d'une négligence dans leur entretien ou leur exploitation ou de toute autre cause,
'fournir tout renseignement technique et de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues par les bailleurs et évaluer les préjudices de toute nature éventuellement subis par Mme [P] résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance ; en proposer une évaluation chiffrée,
'donner son avis sur le caractère exploitable d'une activité de soins de beauté esthétique dans ces lieux,
'décrire les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés ; en évaluer le coût poste par poste après avoir, le cas échéant, examiné et discuté les devis ou propositions chiffrées présentés par les parties dans le délai qu'il leur aura imparti ; préciser la durée des travaux préconisés,
' donner son avis sur la solution économiquement la plus raisonnable,
' s'il y a lieu, proposer un compte entre les parties,
laissé les dépens à la charge des parties qui les ont exposés ;
rejeté leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 6 décembre 2024, M. et Mme [C] ont relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 7 juillet 2025, M. et Mme [C] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;
- constater l'intervention volontaire de Mme [P] ;
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dont ils ont relevé appel ;
statuant à nouveau,
- constater que le bénéfice de la clause résolutoire figurant au bail est acquis ;
- en conséquence, constater la résiliation de plein droit du bail liant les parties ;
- à titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial ;
- ordonner à Mme [P] de quitter et vider les lieux loués, et les remettre à la libre disposition du bailleur en satisfaisant aux obligations du locataire sortant ;
- à défaut de le faire, autoriser le bailleur à faire procéder à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, après l'accomplissement des formalités voulues par la loi, avec l'assistance de la force publique si besoin est ;
- autoriser en ce cas le bailleur à faire entreposer en tel garde meuble de son choix, les meubles pouvant alors se trouver dans les lieux, et ce, aux frais risques et périls de Mme [P] ;
- fixer une indemnité d'occupation provisionnelle de 533,45 euros à compter de l'échéance d'avril 2024 jusqu'à la libération effective des lieux ;
- condamner Mme [P] à leur payer :
' la somme de 12.170,61 euros (terme de mars 2025 inclus) à titre de provision sur loyers et indemnités d'occupation échus outre 265,83 euros au titre de la quote part de taxes foncières 2024 et en sus des autres charges récupérables,
'une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle égale à 533,45 euros à compter de l'échéance d'avril 2024 jusqu'à la libération effective des lieux, outre les charges ;
'la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
'les dépens de première instance en ce compris le coût du commandement de payer, ainsi que les dépens d'appel ;
- débouter Mme [P] de toutes ses prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de confirmation de la désignation de l'expert judiciaire, et de débouté des demandes provisionnelles, ordonner la consignation des loyers et charges soit 12.170,61 euros (mars 2025 inclus) outre 265,83 euros au titre de la quote part de taxes foncières 2024 en sus des autres charges récupérables, par Mme [P] auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 juin 2025, Mme [P], étant intervenue volontairement à l'instance, demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
- débouter M. et Mme [C] de l'ensemble de leurs prétentions ;
- les condamner à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 9 juillet 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'intervention volontaire de Mme [P]
M. et Mme [C] ont intimé devant la cour l'EURL [O] [P]. Or, s'il est indiqué en première page du bail que celui-ci est conclu avec une société représentée par Mme [P], il n'est pas démontré que la location a été consentie à une personne morale, dont la dénomination et l'immatriculation ne figurent pas au contrat et dont l'existence n'est pas établie par un extrait Kbis.
Dans ces conditions, l'intervention volontaire de Mme [P] est recevable.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.
Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
Enfin, sauf impossibilité d'exercer son droit de jouissance qui s'analyse comme une impossibilité totale d'utiliser les lieux loués conformément à leur destination, le locataire ne peut opposer l'exception d'inexécution au bailleur qui n'exécute pas correctement ses obligations.
Au cas présent, M. et Mme [C] font valoir que les loyers ont cessé d'être réglés depuis le mois de mars 2023 et que les locaux ne sont, de surcroît, plus assurés. S'ils justifient avoir fait délivrer à Mme [P], le 7 mars 2024, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme en principal de 5.769,21 euros, au titre de l'arriéré locatif arrêté au 1er mars 2024, terme de mars inclus, ils ne démontrent pas avoir délivré un commandement d'avoir à justifier d'une police d'assurance couvrant le local donné à bail, de sorte que la résiliation du bail ne saurait être constatée à ce titre.
Il n'est pas contesté par la locataire que la somme visée au commandement de payer n'a pas été réglée dans le mois de cet acte de sorte que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire sont susceptibles d'être réunies au 7 avril 2024.
Pour s'opposer aux effets de ce commandement, Mme [P] invoque des désordres affectant le local loué l'empêchant d'exercer son activité d'institut de beauté.
Elle explique que lors de la prise à bail, il lui avait été assuré par l'agence immobilière, mandataire des bailleurs, qu'elle pouvait effectuer de simples travaux de peinture et réinstaller un wc qui avait été retiré par le précédent locataire mais que lors de la réalisation de ces travaux, elle a constaté que les murs, noirs de moisissures, s'effritaient, que le mur de gauche "formait des vagues" par les gonflements dus à l'humidité, qu'en dépit de la pose d'une VMC et de plaques de plâtre anti-humidité, les désordres n'ont pas cessé, des champignons étant depuis apparus provoquant une odeur insoutenable rendant impossible l'exploitation de son fonds de commerce. Elle ajoute que le 26 avril 2023, quelques jours avant l'ouverture de son institut de beauté, un refoulement des eaux usées de l'immeuble s'est produit par les sanitaires qu'elle avait fait réinstaller, souillant ainsi l'ensemble du local et des installations nécessaires à l'exercice de son activité. Elle indique encore avoir découvert que les précédents locataires avaient cessé l'exploitation de leur fonds en raison des mêmes désordres, précisant qu'un des locataires avait fait retirer le sanitaire et condamner l'évacuation des eaux usées pour éviter de nouveaux refoulements d'eaux usées.
L'intimée verse aux débats un procès-verbal de constat en date du 25 mai 2023, qui établit la présence d'une forte odeur nauséabonde en entrant dans le local, que les plinthes sont hors d'usage, que les murs sont recouverts de salissures et de traces noirâtres, que le bloc wc est recouvert d'excréments ainsi que le sol de l'ensemble du local et précise que le mobilier en place lors du refoulement a dû être jeté.
Un deuxième procès-verbal de constat en date du 21 mars 2024 démontre la présence de mousse et de végétation sur les contours de la porte vitrée d'accès du local et à l'intérieur de celui-ci ainsi que des traces d'humidité et de moisissure sur le revêtement de peinture et le carrelage du sol.
Un troisième procès-verbal de constat, dressé le 20 mai 2025, établit l'existence d'un nouveau refoulement des eaux du bloc wc, ce constat confirmant, notamment, la forte odeur nauséabonde et la présence de résidus de couleur marron au sol et de salissures sur les murs et plafonds.
Mme [P] produit également une attestation du précédent locataire, qui indique avoir subi, lorsqu'il occupait le local, une importante humidité avec traces de moisissures l'ayant contraint à refaire à trois reprises la peinture.
En l'état de ces éléments, qui établissent l'existence de désordres affectant gravement le local, s'agissant notamment des refoulements par le bloc wc, élément d'équipement indispensable pour l'exploitation du local, il apparaît que Mme [P] a été empêchée d'exercer son activité et donc, privée de la jouissance des lieux loués.
Dans ces conditions, son obligation de paiement des loyers se heurte à une contestation sérieuse, l'intimée pouvant invoquer un manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
C'est donc par une exacte appréciation des faits qui lui étaient soumis que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences ainsi que sur la provision réclamée au titre de l'arriéré locatif.
Au regard des éléments qui précèdent, il n'y a pas davantage lieu d'ordonner la consignation des loyers.
L'ordonnance sera donc confirmée de ces chefs, étant en tout état de cause rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de prononcer la résiliation d'un bail.
Sur la demande d'expertise
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès "en germe", possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, l'expertise judiciaire ordonnée n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.
Au regard des motifs qui précèdent, Mme [P] justifie d'un procès en germe à l'encontre de ses bailleurs, qui, en l'état, n'apparaît pas manifestement voué à l'échec. Justifiant d'un motif légitime résidant dans l'existence et la persistance des désordres subis et leurs conséquences sur l'exploitation du local loué et l'activité professionnelle de l'intimée, celle-ci est fondée à solliciter une mesure d'expertise. L'ordonnance entreprise sera également confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
Succombant en leurs prétentions, M. et Mme [C] supporteront les dépens d'appel. Mme [P] bénéficiant de l'aide juridictionnelle, aucune considération d'équité ne commande de la faire bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'intervention volontaire de Mme [P] ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Condamne M. et Mme [C] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT