CA Rouen, ch. de la proximite, 25 septembre 2025, n° 24/04410
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 24/04410 - N° Portalis DBV2-V-B7I-J24O
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du Juge de l'exécution du Havre du 09 décembre 2024 (RG.24/1879)
APPELANTE :
S.A. EURASIA GROUPE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le n° 391 683 240
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Valérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN postulante de Me Marie JANET, de la SCP BLUMBERG & JANET, avocat au barreau de PARIS plaidante
INTIMEE :
S.A.S. [B] [Z] LOGISTICS FRANCE Agissant en la personne de son représentant légal domcilié es qualité audit siège
immatriculée au RCS du HAVRE sous le n°327 880 373
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée et assistée par Me Fabrice LEMARIE de la SELARL MARGUET & LEMARIE, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 26 mai 2025 sans opposition des avocats devant Madame ALVARADE, Présidente, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame ALVARADE, Présidente
Monsieur TAMION, Président
Madame TILLIEZ, Conseillère
DEBATS :
Madame DUPONT greffier
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 25 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Madame DUPONT, greffière lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 14 août 2015, la société anonyme (SA) Eurasia groupe, sous-locataire de la SCI Le Havre, a consenti en qualité de crédit preneur à la société [B] [Z] Logistics France (BLD) deux contrats de sous-location commerciale précaire, portant sur la cellule n°19 de l'entrepôt 3 sis [Adresse 1] au [Adresse 7] moyennant un loyer annuel de 59.151 euros et sur les cellules n°18, 20 et 21 de l'entrepôt 3 sis [Adresse 2] Havre moyennant un loyer annuel de 260.000 euros, puis de 297.049 euros, pour une durée devant s'achever le 8 mars 2016, renouvelable à la demande jusqu'au 8 mars 2018.
Au terme de la durée couverte par les contrats, la société BLD s'est maintenue dans les lieux, arguant d'une mise à disposition des locaux au gré de ses besoins et le versement d'un loyer en fonction de l'occupation réelle.
Elle expose avoir transféré son stockage des cellules 18, 19, 20 et 21 vers d'autres cellules dès le 31 décembre 2022 et qu'en octobre 2023, ayant eu besoin d'un stockage complémentaire, elle a sollicité la société Eurasia aux fins d'occuper à nouveau les cellules libérées, que cette dernière n'ayant pu répondre favorablement à sa demande indiquant avoir « cédé son actif au [Localité 8] depuis juillet 2022 », elle a occupé les cellules en cause en octobre, novembre et décembre 2023. La société Eurasia groupe estime pour sa part que l'occupation des cellules en cause était ininterrompue et réclame des loyers au titre des mois d'octobre 2022 à décembre 2023.
Le 12 janvier 2024, la société BLD a donné congé des locaux litigieux, congé contesté par la société Eurasia group, laquelle s'est prévalue du statut des baux commerciaux et notamment de l'application des dispositions de l'article L145-4 du code de commerce.
Le 18 avril 2024, la SA Eurasia groupe a procédé à la saisie conservatoire des comptes bancaires de la société BLD en garantie d'une somme de 1.418.379,19 euros, due au titre des loyers, mesure que celle-ci a contestée tant dans sa régularité formelle que dans son bien-fondé. Le compte entreprise présentait un solde bancaire saisissable à hauteur de 86.347,85 euros.
Sur acte de commissaire de justice du 23 avril 2024, la société BLD a saisi le président du tribunal de commerce du Havre statuant en référé afin d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire et de condamner la SA Eurasia groupe à lui payer les sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts et 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant ordonnance de référé du 2 mai 2024, le président du tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du juge de l'exécution du tribunal judiciaire du Havre, a débouté la société BLD de sa demande de dommages-intérêts et l'a condamnée au paiement d'une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le 14 mai 2024, la société Eurasia groupe a assigné la société BLD devant le tribunal judiciaire du Havre afin de la condamner au paiement de la somme de 1.678.679,19 euros au titre des loyers impayés. L'instance au fond est actuellement pendante devant cette juridiction.
Le 5 septembre 2024, la SA Eurasia groupe a procédé à une nouvelle saisie conservatoire des comptes bancaires de la société BLD, dénoncée à cette dernière le 13 septembre 2024.
Sur la contestation formée le 11 octobre 2024 par la société BLD contre la saisie conservatoire de créances pratiquées le 5 septembre 2024, le juge de l'exécution a, par jugement du 9 décembre 2024 :
constaté que la saisie conservatoire sur les comptes bancaires ouverts auprès du crédit coopératif au nom de la société BLD, menée sans autorisation préalable du juge de l'exécution est irrégulière,
annulé par voie de conséquence la saisie conservatoire de créances pratiquées le '18 avril 2024",
dit que les frais de cette mesure conservatoire resteront à la charge de la SA Eurasia groupe,
condamné la SA Eurasia groupe à payer à la société BLD la somme de 7500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices,
condamné la SA Eurasia groupe à payer à la société BLD une indemnité de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,
rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.
La SA Eurasia groupe a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2025.
PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant conclusions transmises par la voie électronique le 16 mai 2025, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la SA Eurasia groupe demande à la cour de :
Au visa des dispositions des articles L511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
voir infirmer le jugement ;
Et statuant à nouveau ;
débouter la Société [B] [Z] Logistics France de sa demande d'annulation de la saisie conservatoire ;
débouter la Société [B] [Z] Logistics France de sa demande de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
condamner la Société [B] [Z] Logistics France au paiement de la somme de 6000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la Société [B] [Z] Logistics France aux entiers dépens de première instance et d'appel que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Eurasia groupe demande à la cour de débouter la société [B] [Z] Logistics France de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire opérée sur ses comptes bancaires.
Elle soutient qu'en application des dispositions de l'article L511-2 du code des procédures civiles d'exécution, elle était dispensée d'obtenir une autorisation judiciaire préalable, s'agissant de mesures conservatoires consécutives à un loyer impayé, résultant d'un contrat de louage écrit,
que les loyers impayés ayant justifié la mesure de saisie conservatoire résultaient du bail dérogatoire écrit qui en fixait le montant et les modalités de règlement, lequel a par suite été automatiquement reconduit en bail commercial avec toutes les protections accordées au locataire par le statut des baux commerciaux sans qu'il soit besoin d'établir un nouvel écrit, au demeurant déjà existant,
que le premier juge a fait une appréciation inexacte des faits et du droit,
que la saisie pratiquée est régulière et bien fondée, dès lors qu'elle pouvait légitimement craindre de ne pas recouvrer sa créance au regard du montant des sommes dues, de l'absence de paiement, alors que l'intimée avait donné son congé en janvier 2024, élément laissant craindre qu'elle n'avait aucune intention de régulariser la situation alors même qu'elle a reconnu avoir occupé les lieux,
que la demande de dommages-intérêts devra être rejetée, l'intimée ne produisant pas le moindre justificatif de ses préjudices alors qu'il lui incombe d'en rapporter la preuve,
qu'elle sollicite en outre des dommages-intérêts fondés sur les mêmes préjudices dans un dossier connexe (RG n°24/04048) entre les mêmes parties et ne saurait bénéficier d'une double indemnisation,
qu'aucun abus n'est du reste caractérisé par la société intimée.'
Suivant conclusions transmises par la voie électronique le 19 mai 2025, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société BLD a formulé ses prétentions comme suit :
'Vu les articles L.511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles R.512-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu la jurisprudence,
juger cet appel mal fondé et la débouter de ses demandes, fins et prétentions ;
juger que les parties sont liées par un bail verbal qui ne permettait pas de procéder à une saisie conservatoire sans autorisation judiciaire préalable ;
constater que le juge du fond est saisi du débat relatif à l'existence de la créance alléguée par la société Eurasia groupe ;
juger que la société Eurasia groupe ne justifie pas de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' constaté que la saisie conservatoire sur les comptes bancaires ouverts auprès du Crédit coopératif au nom de la société [B] [Z] Logistics France menée par Eurasia sans autorisation préalable du juge de l'exécution est irrégulière ;
' Par voie de conséquence, annulé la saisie conservatoire de créance pratiquée le '18 avril 2024" par la société Eurasia groupe sur les comptes ouverts par la société [B] [Z] Logistics France auprès du Crédit coopératif ;
' dit que les frais de cette mesure conservatoire resteront à la charge de la société Eurasia groupe ;
' condamné la société Eurasia groupe aux dépens ;
' condamné la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' rappelé que l'exécutoire provisoire est de droit.
Le réformer en ce qu'il a :
' condamné la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de '5000" euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices ;
Et statuant à nouveau sur ce chef de jugement critiqué,
condamner la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de 13.752 euros à titre de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
condamner la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la même aux entiers dépens.
La société BLD fait valoir que le procès-verbal de saisie conservatoire fait exclusivement référence aux baux dérogatoires qui ont pris fin soit le 8 mars 2016, soit le 8 mars 2018, et qui ne pouvaient être renouvelés,
que si elle s'est maintenue dans les lieux, en application de l'article L.145-5 du code de commerce, il s'est opéré un nouveau bail, soumis au statut des baux commerciaux,
que toutefois, ce nouveau bail et ses obligations particulières, dont le loyer, n'ont pas été formalisés par écrit de telle sorte que les parties ne sont pas liées par un contrat écrit de louage d'immeuble, mais par un contrat verbal,
qu'en tout état de cause, il appartient au créancier de prouver que les conditions prévues à l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution étaient réunies et en particulier de justifier d'une créance paraissant fondée en son principe ainsi que de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire il sera rappelé que les demandes à fin de 'juger ou constater' ne constituent pas des prétentions à proprement parler au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, si bien que la cour n'est pas tenue de statuer sur lesdites demandes.
1 - Sur la régularité de la saisie conservatoire
Pour infirmation du jugement qui a annulé la saisie conservatoire qu'elle a fait pratiquer sur les comptes de la société [B] [Z] Logistics France en paiement d'arriérés de loyer, la société Eurasia groupe soutient que l'autorisation du juge n'était pas nécessaire, dès lors qu'elle peut se prévaloir d'un bail commercial automatiquement reconduit.
La société BLD s'oppose à cette argumentation, estimant que les parties n'ont pas régularisé de bail écrit dispensant le créancier saisissant de requérir l'autorisation du juge et que quand bien même la saisie serait régulière, les conditions de mise en 'uvre ne sont pas réunies.
En application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
L'article L. 511-2 de ce code dispose qu'une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire pour procéder à une mesure conservatoire lorsque le créancier se prévaut, notamment, d'un loyer resté impayé dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeuble.
L'article R 512-1 du code des procédures civiles d'exécution énonce en outre que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
Par ailleurs, aux termes de l'article L 145-5 du code de commerce 'les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. À l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.(...)'.
En l'espèce, les parties ont conclu deux contrats de sous-location commerciale précaire le 14 août 2015. Lesdits contrats prévoient au paragraphe "durée du bail" que : 'le bail est consenti pour une durée de douze mois consécutifs qui commencera à courir rétroactivement à compter du 9 mars 2015 pour s'achever irrévocablement et sans qu'il soit besoin de donner congé le 8 mars 2016" et au paragraphe 'renouvellement' que ' (...) Le preneur aura le droit au renouvellement du présent bail pour une durée totale d'occupation ne pouvant excéder 36 mois à compter du 9 mars 2015. Pour bénéficier de ce renouvellement qui ne pourra excéder le 8 mars 2018, le preneur devra faire connaître son intention trois mois avant l'échéance fixée au 8 mars 2016. (...)'.
Il n'est pas discuté qu'au terme de la durée couverte par les contrats, la société BLD s'est maintenue dans les lieux à tout le moins jusqu'au 31 décembre 2022.
Il résulte des dispositions de l'article L.145-5 précité que les parties à un bail portant sur des locaux à usage commercial peuvent déroger au statut des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans et si à l'expiration de la période dérogatoire, le locataire demeure dans les lieux et n'est pas immédiatement contraint de quitter les locaux, il se forme un nouveau bail régi par les dispositions protectrices des baux commerciaux, cette situation s'opérant de plein droit, dès lors que le locataire est laissé en possession au-delà du terme convenu.
Contrairement à ce que soutient la société Eurasia groupe, il ne résulte pas de cette circonstance que les baux dérogatoires sont convertis de façon automatique en baux commerciaux, sans qu'il soit besoin d'établir un nouveau contrat.
L'article L.145-5 précise au demeurant que la naissance du bail commercial sera constatée au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois suivant l'échéance. En d'autres termes, si le bailleur n'exige pas le départ du preneur dans ce délai, il s'en déduit un consentement tacite à l'établissement d'un nouveau bail soumis aux règles des baux commerciaux, sans que la rédaction d'un écrit ne soit nécessaire aux fins de formaliser ce nouvel accord, comme en l'espèce et non la reconduction d'un bail déjà existant.
La société BLD fait du reste justement observer que la seconde saisie conservatoire a été pratiquée sur le fondement 'd'un bail commercial verbal du 9 mars 2018 en raison du maintien dans les lieux du preneur à l'expiration du terme contractuel du bail'.
Il n'est pas discuté que le 5 septembre 2024, la société Eurasia groupe a régularisé la saisie conservatoire querellée sans autorisation du juge de l'exécution.
Les conditions de forme de mise en place d'une saisie conservatoire ne sont donc pas réunies, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie opérée.
2 - Sur la demande de dommages-intérêts
La société BLD sollicite la confirmation du jugement en sa disposition ayant condamné la société Eurasia groupe au paiement des dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'elle a subis des suites de la saisie conservatoire de ses comptes.
Elle allègue des préjudices de fonctionnement et financiers, mentionnant :
- le blocage de ses provisions qui a entravé son fonctionnement normal, en particulier pour le paiement de ses salariés ou règlement des administrations,
- la désorganisation de sa trésorerie, ayant nécessité une charge de travail supplémentaire de 214 heures sur toute la durée de la saisie, évaluée à 11.994 euros,
- des virements bancaires ayant engendré un coût supplémentaire de 179 euros,
- l'application à l'ouverture de lignes de crédit octroyées par la banque d'un taux d'intérêt euribor 3 mois + 2,5%, soit 4,752% en moyenne sur la somme de 86.347,85 euros entre la saisie du 18 avril 2024 et sa mainlevée le 20 décembre 2024, soit pendant 246 jours, ayant occasionné des frais supplémentaires de 1.579 euros,
- la suspension d'opérations juridiques en cours de finalisation l'ayant contrainte à se réorganiser et ayant induit une charge de travail supplémentaire pour ses équipes et des coûts supplémentaires de consultation de ses conseils juridiques.
Elle explique que ses préjudices initialement évalués à 10.000 euros n'ont fait que croître jusqu'à la mainlevée pour atteindre un montant de 13.752 euros et que sa réputation s'en est également trouvée compromise auprès de ses interlocuteurs bancaires.
Aux fins d'étayer sa demande, elle produit une attestation de son représentant légal, un tableau récapitulatif des frais et coûts engendrés, un relevé de la banque Société Générale retraçant des frais de virement, les contrats de travail du directeur administratif et financier engagé dans le cadre d'un contrat à durée déterminée le 18 juillet 2024 et de la comptable, recrutée suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 2023.
La société Eurasia groupe fait grief au premier juge de l'avoir arbitrairement condamnée au paiement d'une somme de 7500 euros à titre d'indemnisation des préjudices prétendument subis.
Elle s'oppose à cette demande au motif que l'intimée ne justifie pas de la réalité de ses préjudices, relevant que les pièces produites sont dépourvues de valeur probante, pour émaner du représentant légal de la société, ou n'être étayées par aucun élément objectif, ni non plus du crédit et de la réputation dont elle bénéficierait auprès de son établissement bancaire.
Elle observe en outre que le juge de l'exécution n'a le pouvoir d'allouer des dommages-intérêts au débiteur qu'en cas d'abus de saisie en application de l'article L121-2 du code des procédures civiles d'exécution, que la société intimée échoue à démontrer un abus sa part, alors que la saisie a été régularisée en garantie des loyers dont elle était privée.
L'article L 121-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose : 'Le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.'
L'article L 512-2 dudit code énonce : ' Les frais occasionnés par une mesure conservatoire sont à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge.
Lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.
Il s'en suit qu'en matière de saisies conservatoires, en application de l'article L 512-2 précité, en cas de mainlevée ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire. Ce texte, qui est indépendant des dispositions de l'article L 121-2 cité ci-avant, ne prévoit pas qu'il soit nécessaire de démontrer une faute du créancier, si bien qu'il est indifférent de savoir si la société Eurasia groupe en l'espèce, a engagé la procédure de saisie conservatoire de façon abusive ou non.
La saisie conservatoire a été mise en place le 5 septembre 2024 et la mainlevée, ordonnée par jugement dont appel, daté du 9 décembre 2024, signifiée le 11 décembre 2024, la mainlevée n'ayant été effective que le 20 décembre 2024.
Les pièces produites n'apparaissent pas suffisamment probantes, en ce qu'elles ne permettent pas d'identifier clairement les incidences de la saisie sur le bon fonctionnement de l'entreprise. Pour autant la saisie conservatoire peut-être source de préjudice du fait du blocage irrégulier des fonds rendus indisponibles sur la période du 5 septembre au 20 décembre 2024.
La cour ayant fait droit à la demande de la société BLD de mainlevée d'une première saisie sur la période du 18 avril au 20 décembre 2024, la présente demande en réparation sera rejetée dès lors qu'il n'est fait état, ni justifié de conséquences particulières liées à cette seconde saisie, par infirmation du jugement déféré, le surplus des dispositions étant confirmé.
3 - Sur les frais du procès
Le sort des dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge. Il convient de confirmer la décision entreprise de ces chefs.
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, en l'état de la confirmation partielle, la société Eurasia groupe sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2000 euros. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a alloué à la société [B] [Z] Logistics France une somme de 7500 euros en réparation de son préjudice,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Déboute la société [B] [Z] Logistics France de sa demande de dommages-intérêts ;
Y ajoutant,
Condamne la SA Eurasia groupe aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne la SA Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France une somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société SA Eurasia groupe de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du Juge de l'exécution du Havre du 09 décembre 2024 (RG.24/1879)
APPELANTE :
S.A. EURASIA GROUPE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le n° 391 683 240
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Valérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN postulante de Me Marie JANET, de la SCP BLUMBERG & JANET, avocat au barreau de PARIS plaidante
INTIMEE :
S.A.S. [B] [Z] LOGISTICS FRANCE Agissant en la personne de son représentant légal domcilié es qualité audit siège
immatriculée au RCS du HAVRE sous le n°327 880 373
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée et assistée par Me Fabrice LEMARIE de la SELARL MARGUET & LEMARIE, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 26 mai 2025 sans opposition des avocats devant Madame ALVARADE, Présidente, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame ALVARADE, Présidente
Monsieur TAMION, Président
Madame TILLIEZ, Conseillère
DEBATS :
Madame DUPONT greffier
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 25 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Madame DUPONT, greffière lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 14 août 2015, la société anonyme (SA) Eurasia groupe, sous-locataire de la SCI Le Havre, a consenti en qualité de crédit preneur à la société [B] [Z] Logistics France (BLD) deux contrats de sous-location commerciale précaire, portant sur la cellule n°19 de l'entrepôt 3 sis [Adresse 1] au [Adresse 7] moyennant un loyer annuel de 59.151 euros et sur les cellules n°18, 20 et 21 de l'entrepôt 3 sis [Adresse 2] Havre moyennant un loyer annuel de 260.000 euros, puis de 297.049 euros, pour une durée devant s'achever le 8 mars 2016, renouvelable à la demande jusqu'au 8 mars 2018.
Au terme de la durée couverte par les contrats, la société BLD s'est maintenue dans les lieux, arguant d'une mise à disposition des locaux au gré de ses besoins et le versement d'un loyer en fonction de l'occupation réelle.
Elle expose avoir transféré son stockage des cellules 18, 19, 20 et 21 vers d'autres cellules dès le 31 décembre 2022 et qu'en octobre 2023, ayant eu besoin d'un stockage complémentaire, elle a sollicité la société Eurasia aux fins d'occuper à nouveau les cellules libérées, que cette dernière n'ayant pu répondre favorablement à sa demande indiquant avoir « cédé son actif au [Localité 8] depuis juillet 2022 », elle a occupé les cellules en cause en octobre, novembre et décembre 2023. La société Eurasia groupe estime pour sa part que l'occupation des cellules en cause était ininterrompue et réclame des loyers au titre des mois d'octobre 2022 à décembre 2023.
Le 12 janvier 2024, la société BLD a donné congé des locaux litigieux, congé contesté par la société Eurasia group, laquelle s'est prévalue du statut des baux commerciaux et notamment de l'application des dispositions de l'article L145-4 du code de commerce.
Le 18 avril 2024, la SA Eurasia groupe a procédé à la saisie conservatoire des comptes bancaires de la société BLD en garantie d'une somme de 1.418.379,19 euros, due au titre des loyers, mesure que celle-ci a contestée tant dans sa régularité formelle que dans son bien-fondé. Le compte entreprise présentait un solde bancaire saisissable à hauteur de 86.347,85 euros.
Sur acte de commissaire de justice du 23 avril 2024, la société BLD a saisi le président du tribunal de commerce du Havre statuant en référé afin d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire et de condamner la SA Eurasia groupe à lui payer les sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts et 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant ordonnance de référé du 2 mai 2024, le président du tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du juge de l'exécution du tribunal judiciaire du Havre, a débouté la société BLD de sa demande de dommages-intérêts et l'a condamnée au paiement d'une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le 14 mai 2024, la société Eurasia groupe a assigné la société BLD devant le tribunal judiciaire du Havre afin de la condamner au paiement de la somme de 1.678.679,19 euros au titre des loyers impayés. L'instance au fond est actuellement pendante devant cette juridiction.
Le 5 septembre 2024, la SA Eurasia groupe a procédé à une nouvelle saisie conservatoire des comptes bancaires de la société BLD, dénoncée à cette dernière le 13 septembre 2024.
Sur la contestation formée le 11 octobre 2024 par la société BLD contre la saisie conservatoire de créances pratiquées le 5 septembre 2024, le juge de l'exécution a, par jugement du 9 décembre 2024 :
constaté que la saisie conservatoire sur les comptes bancaires ouverts auprès du crédit coopératif au nom de la société BLD, menée sans autorisation préalable du juge de l'exécution est irrégulière,
annulé par voie de conséquence la saisie conservatoire de créances pratiquées le '18 avril 2024",
dit que les frais de cette mesure conservatoire resteront à la charge de la SA Eurasia groupe,
condamné la SA Eurasia groupe à payer à la société BLD la somme de 7500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices,
condamné la SA Eurasia groupe à payer à la société BLD une indemnité de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,
rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.
La SA Eurasia groupe a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2025.
PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant conclusions transmises par la voie électronique le 16 mai 2025, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la SA Eurasia groupe demande à la cour de :
Au visa des dispositions des articles L511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
voir infirmer le jugement ;
Et statuant à nouveau ;
débouter la Société [B] [Z] Logistics France de sa demande d'annulation de la saisie conservatoire ;
débouter la Société [B] [Z] Logistics France de sa demande de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
condamner la Société [B] [Z] Logistics France au paiement de la somme de 6000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la Société [B] [Z] Logistics France aux entiers dépens de première instance et d'appel que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Eurasia groupe demande à la cour de débouter la société [B] [Z] Logistics France de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire opérée sur ses comptes bancaires.
Elle soutient qu'en application des dispositions de l'article L511-2 du code des procédures civiles d'exécution, elle était dispensée d'obtenir une autorisation judiciaire préalable, s'agissant de mesures conservatoires consécutives à un loyer impayé, résultant d'un contrat de louage écrit,
que les loyers impayés ayant justifié la mesure de saisie conservatoire résultaient du bail dérogatoire écrit qui en fixait le montant et les modalités de règlement, lequel a par suite été automatiquement reconduit en bail commercial avec toutes les protections accordées au locataire par le statut des baux commerciaux sans qu'il soit besoin d'établir un nouvel écrit, au demeurant déjà existant,
que le premier juge a fait une appréciation inexacte des faits et du droit,
que la saisie pratiquée est régulière et bien fondée, dès lors qu'elle pouvait légitimement craindre de ne pas recouvrer sa créance au regard du montant des sommes dues, de l'absence de paiement, alors que l'intimée avait donné son congé en janvier 2024, élément laissant craindre qu'elle n'avait aucune intention de régulariser la situation alors même qu'elle a reconnu avoir occupé les lieux,
que la demande de dommages-intérêts devra être rejetée, l'intimée ne produisant pas le moindre justificatif de ses préjudices alors qu'il lui incombe d'en rapporter la preuve,
qu'elle sollicite en outre des dommages-intérêts fondés sur les mêmes préjudices dans un dossier connexe (RG n°24/04048) entre les mêmes parties et ne saurait bénéficier d'une double indemnisation,
qu'aucun abus n'est du reste caractérisé par la société intimée.'
Suivant conclusions transmises par la voie électronique le 19 mai 2025, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société BLD a formulé ses prétentions comme suit :
'Vu les articles L.511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles R.512-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Vu la jurisprudence,
juger cet appel mal fondé et la débouter de ses demandes, fins et prétentions ;
juger que les parties sont liées par un bail verbal qui ne permettait pas de procéder à une saisie conservatoire sans autorisation judiciaire préalable ;
constater que le juge du fond est saisi du débat relatif à l'existence de la créance alléguée par la société Eurasia groupe ;
juger que la société Eurasia groupe ne justifie pas de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' constaté que la saisie conservatoire sur les comptes bancaires ouverts auprès du Crédit coopératif au nom de la société [B] [Z] Logistics France menée par Eurasia sans autorisation préalable du juge de l'exécution est irrégulière ;
' Par voie de conséquence, annulé la saisie conservatoire de créance pratiquée le '18 avril 2024" par la société Eurasia groupe sur les comptes ouverts par la société [B] [Z] Logistics France auprès du Crédit coopératif ;
' dit que les frais de cette mesure conservatoire resteront à la charge de la société Eurasia groupe ;
' condamné la société Eurasia groupe aux dépens ;
' condamné la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' rappelé que l'exécutoire provisoire est de droit.
Le réformer en ce qu'il a :
' condamné la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de '5000" euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices ;
Et statuant à nouveau sur ce chef de jugement critiqué,
condamner la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de 13.752 euros à titre de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
condamner la société Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la même aux entiers dépens.
La société BLD fait valoir que le procès-verbal de saisie conservatoire fait exclusivement référence aux baux dérogatoires qui ont pris fin soit le 8 mars 2016, soit le 8 mars 2018, et qui ne pouvaient être renouvelés,
que si elle s'est maintenue dans les lieux, en application de l'article L.145-5 du code de commerce, il s'est opéré un nouveau bail, soumis au statut des baux commerciaux,
que toutefois, ce nouveau bail et ses obligations particulières, dont le loyer, n'ont pas été formalisés par écrit de telle sorte que les parties ne sont pas liées par un contrat écrit de louage d'immeuble, mais par un contrat verbal,
qu'en tout état de cause, il appartient au créancier de prouver que les conditions prévues à l'article L.511-1 du code des procédures civiles d'exécution étaient réunies et en particulier de justifier d'une créance paraissant fondée en son principe ainsi que de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire il sera rappelé que les demandes à fin de 'juger ou constater' ne constituent pas des prétentions à proprement parler au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, si bien que la cour n'est pas tenue de statuer sur lesdites demandes.
1 - Sur la régularité de la saisie conservatoire
Pour infirmation du jugement qui a annulé la saisie conservatoire qu'elle a fait pratiquer sur les comptes de la société [B] [Z] Logistics France en paiement d'arriérés de loyer, la société Eurasia groupe soutient que l'autorisation du juge n'était pas nécessaire, dès lors qu'elle peut se prévaloir d'un bail commercial automatiquement reconduit.
La société BLD s'oppose à cette argumentation, estimant que les parties n'ont pas régularisé de bail écrit dispensant le créancier saisissant de requérir l'autorisation du juge et que quand bien même la saisie serait régulière, les conditions de mise en 'uvre ne sont pas réunies.
En application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
L'article L. 511-2 de ce code dispose qu'une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire pour procéder à une mesure conservatoire lorsque le créancier se prévaut, notamment, d'un loyer resté impayé dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeuble.
L'article R 512-1 du code des procédures civiles d'exécution énonce en outre que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
Par ailleurs, aux termes de l'article L 145-5 du code de commerce 'les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. À l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.(...)'.
En l'espèce, les parties ont conclu deux contrats de sous-location commerciale précaire le 14 août 2015. Lesdits contrats prévoient au paragraphe "durée du bail" que : 'le bail est consenti pour une durée de douze mois consécutifs qui commencera à courir rétroactivement à compter du 9 mars 2015 pour s'achever irrévocablement et sans qu'il soit besoin de donner congé le 8 mars 2016" et au paragraphe 'renouvellement' que ' (...) Le preneur aura le droit au renouvellement du présent bail pour une durée totale d'occupation ne pouvant excéder 36 mois à compter du 9 mars 2015. Pour bénéficier de ce renouvellement qui ne pourra excéder le 8 mars 2018, le preneur devra faire connaître son intention trois mois avant l'échéance fixée au 8 mars 2016. (...)'.
Il n'est pas discuté qu'au terme de la durée couverte par les contrats, la société BLD s'est maintenue dans les lieux à tout le moins jusqu'au 31 décembre 2022.
Il résulte des dispositions de l'article L.145-5 précité que les parties à un bail portant sur des locaux à usage commercial peuvent déroger au statut des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans et si à l'expiration de la période dérogatoire, le locataire demeure dans les lieux et n'est pas immédiatement contraint de quitter les locaux, il se forme un nouveau bail régi par les dispositions protectrices des baux commerciaux, cette situation s'opérant de plein droit, dès lors que le locataire est laissé en possession au-delà du terme convenu.
Contrairement à ce que soutient la société Eurasia groupe, il ne résulte pas de cette circonstance que les baux dérogatoires sont convertis de façon automatique en baux commerciaux, sans qu'il soit besoin d'établir un nouveau contrat.
L'article L.145-5 précise au demeurant que la naissance du bail commercial sera constatée au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois suivant l'échéance. En d'autres termes, si le bailleur n'exige pas le départ du preneur dans ce délai, il s'en déduit un consentement tacite à l'établissement d'un nouveau bail soumis aux règles des baux commerciaux, sans que la rédaction d'un écrit ne soit nécessaire aux fins de formaliser ce nouvel accord, comme en l'espèce et non la reconduction d'un bail déjà existant.
La société BLD fait du reste justement observer que la seconde saisie conservatoire a été pratiquée sur le fondement 'd'un bail commercial verbal du 9 mars 2018 en raison du maintien dans les lieux du preneur à l'expiration du terme contractuel du bail'.
Il n'est pas discuté que le 5 septembre 2024, la société Eurasia groupe a régularisé la saisie conservatoire querellée sans autorisation du juge de l'exécution.
Les conditions de forme de mise en place d'une saisie conservatoire ne sont donc pas réunies, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie opérée.
2 - Sur la demande de dommages-intérêts
La société BLD sollicite la confirmation du jugement en sa disposition ayant condamné la société Eurasia groupe au paiement des dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'elle a subis des suites de la saisie conservatoire de ses comptes.
Elle allègue des préjudices de fonctionnement et financiers, mentionnant :
- le blocage de ses provisions qui a entravé son fonctionnement normal, en particulier pour le paiement de ses salariés ou règlement des administrations,
- la désorganisation de sa trésorerie, ayant nécessité une charge de travail supplémentaire de 214 heures sur toute la durée de la saisie, évaluée à 11.994 euros,
- des virements bancaires ayant engendré un coût supplémentaire de 179 euros,
- l'application à l'ouverture de lignes de crédit octroyées par la banque d'un taux d'intérêt euribor 3 mois + 2,5%, soit 4,752% en moyenne sur la somme de 86.347,85 euros entre la saisie du 18 avril 2024 et sa mainlevée le 20 décembre 2024, soit pendant 246 jours, ayant occasionné des frais supplémentaires de 1.579 euros,
- la suspension d'opérations juridiques en cours de finalisation l'ayant contrainte à se réorganiser et ayant induit une charge de travail supplémentaire pour ses équipes et des coûts supplémentaires de consultation de ses conseils juridiques.
Elle explique que ses préjudices initialement évalués à 10.000 euros n'ont fait que croître jusqu'à la mainlevée pour atteindre un montant de 13.752 euros et que sa réputation s'en est également trouvée compromise auprès de ses interlocuteurs bancaires.
Aux fins d'étayer sa demande, elle produit une attestation de son représentant légal, un tableau récapitulatif des frais et coûts engendrés, un relevé de la banque Société Générale retraçant des frais de virement, les contrats de travail du directeur administratif et financier engagé dans le cadre d'un contrat à durée déterminée le 18 juillet 2024 et de la comptable, recrutée suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 2023.
La société Eurasia groupe fait grief au premier juge de l'avoir arbitrairement condamnée au paiement d'une somme de 7500 euros à titre d'indemnisation des préjudices prétendument subis.
Elle s'oppose à cette demande au motif que l'intimée ne justifie pas de la réalité de ses préjudices, relevant que les pièces produites sont dépourvues de valeur probante, pour émaner du représentant légal de la société, ou n'être étayées par aucun élément objectif, ni non plus du crédit et de la réputation dont elle bénéficierait auprès de son établissement bancaire.
Elle observe en outre que le juge de l'exécution n'a le pouvoir d'allouer des dommages-intérêts au débiteur qu'en cas d'abus de saisie en application de l'article L121-2 du code des procédures civiles d'exécution, que la société intimée échoue à démontrer un abus sa part, alors que la saisie a été régularisée en garantie des loyers dont elle était privée.
L'article L 121-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose : 'Le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.'
L'article L 512-2 dudit code énonce : ' Les frais occasionnés par une mesure conservatoire sont à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge.
Lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.
Il s'en suit qu'en matière de saisies conservatoires, en application de l'article L 512-2 précité, en cas de mainlevée ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire. Ce texte, qui est indépendant des dispositions de l'article L 121-2 cité ci-avant, ne prévoit pas qu'il soit nécessaire de démontrer une faute du créancier, si bien qu'il est indifférent de savoir si la société Eurasia groupe en l'espèce, a engagé la procédure de saisie conservatoire de façon abusive ou non.
La saisie conservatoire a été mise en place le 5 septembre 2024 et la mainlevée, ordonnée par jugement dont appel, daté du 9 décembre 2024, signifiée le 11 décembre 2024, la mainlevée n'ayant été effective que le 20 décembre 2024.
Les pièces produites n'apparaissent pas suffisamment probantes, en ce qu'elles ne permettent pas d'identifier clairement les incidences de la saisie sur le bon fonctionnement de l'entreprise. Pour autant la saisie conservatoire peut-être source de préjudice du fait du blocage irrégulier des fonds rendus indisponibles sur la période du 5 septembre au 20 décembre 2024.
La cour ayant fait droit à la demande de la société BLD de mainlevée d'une première saisie sur la période du 18 avril au 20 décembre 2024, la présente demande en réparation sera rejetée dès lors qu'il n'est fait état, ni justifié de conséquences particulières liées à cette seconde saisie, par infirmation du jugement déféré, le surplus des dispositions étant confirmé.
3 - Sur les frais du procès
Le sort des dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge. Il convient de confirmer la décision entreprise de ces chefs.
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, en l'état de la confirmation partielle, la société Eurasia groupe sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2000 euros. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a alloué à la société [B] [Z] Logistics France une somme de 7500 euros en réparation de son préjudice,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Déboute la société [B] [Z] Logistics France de sa demande de dommages-intérêts ;
Y ajoutant,
Condamne la SA Eurasia groupe aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne la SA Eurasia groupe à payer à la société [B] [Z] Logistics France une somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société SA Eurasia groupe de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente