CA Grenoble, ch. civ. A, 23 septembre 2025, n° 24/00547
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 24/00547
N° Portalis DBVM-V-B7I-MDXB
C3
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Faïçal LAMAMRA
la SCP MONTOYA & DORNE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Chambre civile section A
ARRÊT DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 22/01488)
rendue par le tribunal judiciaire de Valence
en date du 19 décembre 2023
suivant déclaration d'appel du 31 janvier 2024
APPELANTE :
S.C.I. [5] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Faïçal LAMAMRA, avocat au barreau de VALENCE
INTIMEE :
Me [K] [F] ancien notaire,
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA & DORNE, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Cyrielle DELBE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 juin 2025, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry, conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes d'un acte reçu les 5 et 6 mars 2009 par Me [K] [F], notaire à Hauterives (26), la SCI [5] a consenti un bail préciare de 23 mois à l'association [6] sur des locaux à usage professionnel à compter du 5 mars 2009 .
Aux termes de cet acte, les membres de l'association se sont portés caution solidaire de la locataire à concurrence du montant des loyers et des charges, ainsi que de tous intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant, avec renonciation au bénéfice de discussion et de division, et ce pendant une durée de 23 mois.
A la fin de ce bail, un litige entre le bailleur et le preneur est survenu concernant l'état des locaux restitués.
Par arrêt du 21 mai 2019, la cour d'appel de Grenoble, infirmant le jugement du tribunal de grande instance de Valence du 8 octobre 2013, a notamment condamné l'association [6] à payer à la SCI [5] la somme de 25.000€ au titre des travaux de remise en état des locaux après avoir considéré que les cautions solidaires ne pouvaient pas être recherchées quant au paiement de ces travaux de remise en état dès lors qu'elles n'étaient engagées qu'au titre des loyers et charges en cas de défaillance du locataire.
L'association [6] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 janvier 2022 et la SCI [5] a déclaré sa créance au titre des travaux de remise en état à hauteur de 25.000€ en principal auprès du mandataire judiciaire.
Par acte extrajudiciaire du 17 mai 2022, la SCI [5] a assigné Me [F] devant le tribunal judiciaire de Valence aux 'ns de condamnation, au visa des dispositions de l'article 1240 du code civil, à lui payer les sommes de 25.000€ euros au titre de la perte de chance subie, outre les intérêts au taux légal à compter du 2l mai 2022, et 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement par Me Pierre-Marie Baudelet, avocat.
Par jugement contradictoire du 19 décembre 2023, le tribunal précité a :
- débouté la SCI [5] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la SCI [5] à verser à Me [F] la somme de 1.500€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI [5] aux entiers dépens de l'instance,
- débouté Me [H] [X] de sa demande de recouvrement des dépens dont il a fait l'avance conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au 1er janvier 2020.
La juridiction a retenu en substance que :
- Me [F] n'a commis aucune faute,
- le devoir d'information et de mise en garde du notaire ne s'étend pas à l'opportunité économique de l'opération réalisée.
Par déclaration déposée le 31 janvier 2024, la SCI [5] a relevé appel.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 avril 2025 sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la SCI [5] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,
- condamner Me [F] à lui payer une indemnité de 25.000€ au titre de la perte de chance subie, outre intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2023 et intérêts capitalisés à compter du 21 mai 2023,
- condamner Me [F] à lui payer une indemnité de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Me [F] aux dépens de première instance et d'appel.
L'appelante fait valoir en substance que :
- l'obligation pour le notaire de s'assurer de l'efficacité de ses actes présente un caractère absolu, Me [F] a commis une faute en omettant d'inclure dans le cautionnement le coût des travaux de reprise des possibles dégradations de l'association locataire, et de ne pas l'avoir pas mise en garde qu'en l'état de cette rédaction les travaux resteraient à sa charge,
- Me [F] a commis une faute en ne délivrant aucune information sur les conséquences qu'elle encourait en raison de l'insuffisance des garanties fournies par un acte de cautionnement,
- même si son dirigeant avait eu connaissance de l'acte au préalable, il n'aurait pas été en capacité d'interroger le notaire sur ses stipulations dès lors qu'il était un profane,
- son préjudice est en lien avec la faute de Me [F] et consiste en la perte de chance de recouvrer le montant des condamnations mises à la charge exclusive de l'association [6], car sans la faute de Me [F], elle aurait pu faire appel à des cautions solvables.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 mai 2025 au visa de l'article 1240 du code civil, Me [F] entend voir la cour :
- juger que l'accord des parties a été directement négocié entre elles en dehors de l'intervention du notaire,
- juger que le notaire n'a pas à vérifier l'opportunité économique de l'opération envisagée,
- juger que le notaire a correctement retranscrit l'accord des parties,
- juger que la SCI [5] avait une parfaite connaissance de la teneur de l'engagement pris,
- juger qu'elle a donné toutes informations utiles compte-tenu des termes clairs et précis du projet d'acte et de l'acte de bail précaire,
- juger que la SCI [5] ne démontre pas que l'accord portait sur un engagement de caution illimité,
- juger que la SCI [5] n'a fait part d'aucune remarque quant au contenu du projet d'acte et de l'acte de bail précaire régularisé,
- juger qu'elle n'a commis aucun manquement fautif dans l'accomplissement de sa mission,
- juger qu'il n'est aucunement justifié de ce que la SCI [5] aurait pu espérer un engagement de caution étendu à l'ensemble des frais auxquels pouvaient s'exposer le preneur,
- juger que la perte de chance invoquée est nulle,
- juger qu'il n'est aucunement justifié des démarches entreprises à l'encontre de l'association [6] pour que la SCI [5] soit désintéressée de sa créance,
- juger que le principe et le quantum du préjudice financier invoqué ne sont aucunement justifiés,
- juger que la SCI [5] ne justifie de l'existence d'aucun préjudice indemnisable,
en conséquence,
- débouter la SCI [5] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à son encontre,
dès lors,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
y ajoutant,
- condamner la SCI [5] à lui payer la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel, outre les entiers dépens d'appel.
L'intimée répond que :
- la SCI [5] ne rapporte pas la preuve qu'elle a commis une faute à son obligation d'assurer la validité et l'efficacité de ses actes, obligation qui n'est que de moyens,
- elle n'est intervenue qu'après que les parties se soient mises d'accord sur les conditions de la convention de bail et il n'est pas démontré que la SCI [5] aurait souhaité que l'engagement de caution soit illimité et porte sur l'ensemble des obligations du preneur,
- elle n'est pas tenue d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération,
- les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance. la SCI [5] ne démontre pas avoir perdu une chance de ne pas recouvrer sa créance auprès de l'association [6] ayant déclaré sa créance à la procédure collective,
- l'insolvabilité de l'association [6] n'est pas avérée et la SCI [5] ne verse pas aux débats les justificatifs des mesures conservatoires mises en 'uvre à l'encontre de l'association [6] avant que celle-ci soit placée en liquidation judiciaire plusieurs années après le prononcé de l'arrêt du 21 mai 2019.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 mai 2025.
MOTIFS
Le notaire est tenu professionnellement d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente ; en tant que rédacteur d'un acte, il a l'obligation d'assurer non seulement la validité mais aussi l'efficacité des actes qu'il reçoit, ce qui implique un devoir de conseil, qui en est le prolongement indispensable. Or l'efficacité d'un acte suppose , en premier lieu, une recherche de l'intention des parties, à savoir qu'il faut tout d'abord découvrir ce que se proposent de faire les contractants afin de pouvoir le réaliser et en second lieu de faire en sorte que la forme juridique adoptée permette l'accomplissement du but recherché.
il ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu'il n'a fait qu'authentifier l'acte établi par les parties ; il a la charge de rapporter la preuve qu'il a respecté son devoir de conseil lequel subsiste en dépit d'une mission limitée à l'authentification de convention, le conseil devant être complet et circonstancié.
En l'espèce, la SCI [5] a consenti à l'association [6] , selon acte dressé les 5 et 6 mars 2009 un bail précaire de 23 mois dérogatoire aux dispositions du statut du bail commercial défini aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce.
S'il n'est pas démontré que les parties au bail avaient préétabli un projet de bail pour simple authentification par Me [F], il est constant que le notaire a communiqué les 3 et 4 mars 2009 à la SCI [5] un projet de bail rédigé par ses soins afin de recueillir leurs éventuelles observations.
Ce faisant, pour rédiger ce projet de bail, il a nécessairement préalablement recherché et reçu des instructions de la part des parties à cet acte (nature du bail qui était dérogatoire au statut commercial, désignation du bien, durée du bail, loyer, obligations respectives du bailleur et du preneur, prise de garantie pour la bonne exécution du contrat...)
Contrairement aux allégations développées au soutien de son appel par la SCI [5], la clause du bail relative au cautionnement est claire et dépourvue d'ambiguïté à savoir que n'était cautionné que le montant du loyer et des charges outre intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant (« se rendre et constituer caution solidaire du locataire envers le bailleur, qui accepte, à concurrence du montant du loyer et des charges ainsi que tous intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant et ce, pour le cas où le locataire ne pouvait satisfaire lui-même aux paiements ci-dessus stipulés au profit du bailleur »).
L'appelante ne peut donc pas utilement soutenir avoir cru à la lecture de cette clause qu'était également cautionné le coût des éventuelles dégradations commises par son locataire comme faisant partie « des frais et accessoires », alors même qu'il est bien précisé que ces frais et accessoires se rapportent au montant du loyer et charges.
Il est par ailleurs rappelé à l'acte notarié, ce qui vaut jusqu'à inscription de faux, que lecture de celui-ci a été donnée par le notaire instrumentaire aux parties avant que celles-ci signent avec lui cet acte.
Il se déduit de ces constatations et considérations, que le notaire instrumentaire a clairement informé la SCI [5] du périmètre du cautionnement litigieux, limité à la seule obligation du paiement des loyers et charges à l'exclusion des autres obligations mises à la charge du preneur, notamment celle de « rendre les locaux loués en parfait état d'entretien, propreté et de réparations locatives et acquitter le montant des réparations pouvant être dues ».
Dans ce contexte, il ne revenait pas au notaire instrumentaire, dans le cadre de son devoir de conseil et d'information qui s'exerce avant la régularisation du bail de suggérer un élargissement du cautionnement « au montant des réparations pouvant être dues » par le preneur à la restitution des lieux alors qu'il n'est pas démontré qu'il avait reçu mission de la SCI [5] de régulariser un cautionnement illimité garantissant toutes les obligations du preneur, et ce d'autant, que l'obligation substantielle d'un contrat de bail reste le paiement des loyers et charges, laquelle a bien été garantie par le cautionnement litigieux.
Sans plus ample discussion, le jugement querellé est confirmé sur le rejet de l'action en responsabilité de la SCI [5] initiée à l'encontre de Me [F].
Sur les mesures accessoires
Succombant dans son recours, la SCI [5] est condamnée aux dépens d'appel et conserve ses frais irrépétibles exposés devant la cour ; elle est condamnée à verser à l'intimée une indemnité de procédure pour l'instance d'appel.
Les mesures accessoires de première instance sont par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré,
Condamne la SCI [5] à verser à Me [F] une indemnité de procédure d'appel de 3.000€,
Déboute la SCI [5] de sa réclamation présentée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI [5] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
N° Portalis DBVM-V-B7I-MDXB
C3
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Faïçal LAMAMRA
la SCP MONTOYA & DORNE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Chambre civile section A
ARRÊT DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 22/01488)
rendue par le tribunal judiciaire de Valence
en date du 19 décembre 2023
suivant déclaration d'appel du 31 janvier 2024
APPELANTE :
S.C.I. [5] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Faïçal LAMAMRA, avocat au barreau de VALENCE
INTIMEE :
Me [K] [F] ancien notaire,
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA & DORNE, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Cyrielle DELBE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 juin 2025, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry, conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes d'un acte reçu les 5 et 6 mars 2009 par Me [K] [F], notaire à Hauterives (26), la SCI [5] a consenti un bail préciare de 23 mois à l'association [6] sur des locaux à usage professionnel à compter du 5 mars 2009 .
Aux termes de cet acte, les membres de l'association se sont portés caution solidaire de la locataire à concurrence du montant des loyers et des charges, ainsi que de tous intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant, avec renonciation au bénéfice de discussion et de division, et ce pendant une durée de 23 mois.
A la fin de ce bail, un litige entre le bailleur et le preneur est survenu concernant l'état des locaux restitués.
Par arrêt du 21 mai 2019, la cour d'appel de Grenoble, infirmant le jugement du tribunal de grande instance de Valence du 8 octobre 2013, a notamment condamné l'association [6] à payer à la SCI [5] la somme de 25.000€ au titre des travaux de remise en état des locaux après avoir considéré que les cautions solidaires ne pouvaient pas être recherchées quant au paiement de ces travaux de remise en état dès lors qu'elles n'étaient engagées qu'au titre des loyers et charges en cas de défaillance du locataire.
L'association [6] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 janvier 2022 et la SCI [5] a déclaré sa créance au titre des travaux de remise en état à hauteur de 25.000€ en principal auprès du mandataire judiciaire.
Par acte extrajudiciaire du 17 mai 2022, la SCI [5] a assigné Me [F] devant le tribunal judiciaire de Valence aux 'ns de condamnation, au visa des dispositions de l'article 1240 du code civil, à lui payer les sommes de 25.000€ euros au titre de la perte de chance subie, outre les intérêts au taux légal à compter du 2l mai 2022, et 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement par Me Pierre-Marie Baudelet, avocat.
Par jugement contradictoire du 19 décembre 2023, le tribunal précité a :
- débouté la SCI [5] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la SCI [5] à verser à Me [F] la somme de 1.500€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI [5] aux entiers dépens de l'instance,
- débouté Me [H] [X] de sa demande de recouvrement des dépens dont il a fait l'avance conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au 1er janvier 2020.
La juridiction a retenu en substance que :
- Me [F] n'a commis aucune faute,
- le devoir d'information et de mise en garde du notaire ne s'étend pas à l'opportunité économique de l'opération réalisée.
Par déclaration déposée le 31 janvier 2024, la SCI [5] a relevé appel.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 avril 2025 sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la SCI [5] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,
- condamner Me [F] à lui payer une indemnité de 25.000€ au titre de la perte de chance subie, outre intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2023 et intérêts capitalisés à compter du 21 mai 2023,
- condamner Me [F] à lui payer une indemnité de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Me [F] aux dépens de première instance et d'appel.
L'appelante fait valoir en substance que :
- l'obligation pour le notaire de s'assurer de l'efficacité de ses actes présente un caractère absolu, Me [F] a commis une faute en omettant d'inclure dans le cautionnement le coût des travaux de reprise des possibles dégradations de l'association locataire, et de ne pas l'avoir pas mise en garde qu'en l'état de cette rédaction les travaux resteraient à sa charge,
- Me [F] a commis une faute en ne délivrant aucune information sur les conséquences qu'elle encourait en raison de l'insuffisance des garanties fournies par un acte de cautionnement,
- même si son dirigeant avait eu connaissance de l'acte au préalable, il n'aurait pas été en capacité d'interroger le notaire sur ses stipulations dès lors qu'il était un profane,
- son préjudice est en lien avec la faute de Me [F] et consiste en la perte de chance de recouvrer le montant des condamnations mises à la charge exclusive de l'association [6], car sans la faute de Me [F], elle aurait pu faire appel à des cautions solvables.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 mai 2025 au visa de l'article 1240 du code civil, Me [F] entend voir la cour :
- juger que l'accord des parties a été directement négocié entre elles en dehors de l'intervention du notaire,
- juger que le notaire n'a pas à vérifier l'opportunité économique de l'opération envisagée,
- juger que le notaire a correctement retranscrit l'accord des parties,
- juger que la SCI [5] avait une parfaite connaissance de la teneur de l'engagement pris,
- juger qu'elle a donné toutes informations utiles compte-tenu des termes clairs et précis du projet d'acte et de l'acte de bail précaire,
- juger que la SCI [5] ne démontre pas que l'accord portait sur un engagement de caution illimité,
- juger que la SCI [5] n'a fait part d'aucune remarque quant au contenu du projet d'acte et de l'acte de bail précaire régularisé,
- juger qu'elle n'a commis aucun manquement fautif dans l'accomplissement de sa mission,
- juger qu'il n'est aucunement justifié de ce que la SCI [5] aurait pu espérer un engagement de caution étendu à l'ensemble des frais auxquels pouvaient s'exposer le preneur,
- juger que la perte de chance invoquée est nulle,
- juger qu'il n'est aucunement justifié des démarches entreprises à l'encontre de l'association [6] pour que la SCI [5] soit désintéressée de sa créance,
- juger que le principe et le quantum du préjudice financier invoqué ne sont aucunement justifiés,
- juger que la SCI [5] ne justifie de l'existence d'aucun préjudice indemnisable,
en conséquence,
- débouter la SCI [5] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à son encontre,
dès lors,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
y ajoutant,
- condamner la SCI [5] à lui payer la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel, outre les entiers dépens d'appel.
L'intimée répond que :
- la SCI [5] ne rapporte pas la preuve qu'elle a commis une faute à son obligation d'assurer la validité et l'efficacité de ses actes, obligation qui n'est que de moyens,
- elle n'est intervenue qu'après que les parties se soient mises d'accord sur les conditions de la convention de bail et il n'est pas démontré que la SCI [5] aurait souhaité que l'engagement de caution soit illimité et porte sur l'ensemble des obligations du preneur,
- elle n'est pas tenue d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération,
- les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance. la SCI [5] ne démontre pas avoir perdu une chance de ne pas recouvrer sa créance auprès de l'association [6] ayant déclaré sa créance à la procédure collective,
- l'insolvabilité de l'association [6] n'est pas avérée et la SCI [5] ne verse pas aux débats les justificatifs des mesures conservatoires mises en 'uvre à l'encontre de l'association [6] avant que celle-ci soit placée en liquidation judiciaire plusieurs années après le prononcé de l'arrêt du 21 mai 2019.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 mai 2025.
MOTIFS
Le notaire est tenu professionnellement d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente ; en tant que rédacteur d'un acte, il a l'obligation d'assurer non seulement la validité mais aussi l'efficacité des actes qu'il reçoit, ce qui implique un devoir de conseil, qui en est le prolongement indispensable. Or l'efficacité d'un acte suppose , en premier lieu, une recherche de l'intention des parties, à savoir qu'il faut tout d'abord découvrir ce que se proposent de faire les contractants afin de pouvoir le réaliser et en second lieu de faire en sorte que la forme juridique adoptée permette l'accomplissement du but recherché.
il ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu'il n'a fait qu'authentifier l'acte établi par les parties ; il a la charge de rapporter la preuve qu'il a respecté son devoir de conseil lequel subsiste en dépit d'une mission limitée à l'authentification de convention, le conseil devant être complet et circonstancié.
En l'espèce, la SCI [5] a consenti à l'association [6] , selon acte dressé les 5 et 6 mars 2009 un bail précaire de 23 mois dérogatoire aux dispositions du statut du bail commercial défini aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce.
S'il n'est pas démontré que les parties au bail avaient préétabli un projet de bail pour simple authentification par Me [F], il est constant que le notaire a communiqué les 3 et 4 mars 2009 à la SCI [5] un projet de bail rédigé par ses soins afin de recueillir leurs éventuelles observations.
Ce faisant, pour rédiger ce projet de bail, il a nécessairement préalablement recherché et reçu des instructions de la part des parties à cet acte (nature du bail qui était dérogatoire au statut commercial, désignation du bien, durée du bail, loyer, obligations respectives du bailleur et du preneur, prise de garantie pour la bonne exécution du contrat...)
Contrairement aux allégations développées au soutien de son appel par la SCI [5], la clause du bail relative au cautionnement est claire et dépourvue d'ambiguïté à savoir que n'était cautionné que le montant du loyer et des charges outre intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant (« se rendre et constituer caution solidaire du locataire envers le bailleur, qui accepte, à concurrence du montant du loyer et des charges ainsi que tous intérêts, frais et accessoires s'appliquant à ce montant et ce, pour le cas où le locataire ne pouvait satisfaire lui-même aux paiements ci-dessus stipulés au profit du bailleur »).
L'appelante ne peut donc pas utilement soutenir avoir cru à la lecture de cette clause qu'était également cautionné le coût des éventuelles dégradations commises par son locataire comme faisant partie « des frais et accessoires », alors même qu'il est bien précisé que ces frais et accessoires se rapportent au montant du loyer et charges.
Il est par ailleurs rappelé à l'acte notarié, ce qui vaut jusqu'à inscription de faux, que lecture de celui-ci a été donnée par le notaire instrumentaire aux parties avant que celles-ci signent avec lui cet acte.
Il se déduit de ces constatations et considérations, que le notaire instrumentaire a clairement informé la SCI [5] du périmètre du cautionnement litigieux, limité à la seule obligation du paiement des loyers et charges à l'exclusion des autres obligations mises à la charge du preneur, notamment celle de « rendre les locaux loués en parfait état d'entretien, propreté et de réparations locatives et acquitter le montant des réparations pouvant être dues ».
Dans ce contexte, il ne revenait pas au notaire instrumentaire, dans le cadre de son devoir de conseil et d'information qui s'exerce avant la régularisation du bail de suggérer un élargissement du cautionnement « au montant des réparations pouvant être dues » par le preneur à la restitution des lieux alors qu'il n'est pas démontré qu'il avait reçu mission de la SCI [5] de régulariser un cautionnement illimité garantissant toutes les obligations du preneur, et ce d'autant, que l'obligation substantielle d'un contrat de bail reste le paiement des loyers et charges, laquelle a bien été garantie par le cautionnement litigieux.
Sans plus ample discussion, le jugement querellé est confirmé sur le rejet de l'action en responsabilité de la SCI [5] initiée à l'encontre de Me [F].
Sur les mesures accessoires
Succombant dans son recours, la SCI [5] est condamnée aux dépens d'appel et conserve ses frais irrépétibles exposés devant la cour ; elle est condamnée à verser à l'intimée une indemnité de procédure pour l'instance d'appel.
Les mesures accessoires de première instance sont par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré,
Condamne la SCI [5] à verser à Me [F] une indemnité de procédure d'appel de 3.000€,
Déboute la SCI [5] de sa réclamation présentée en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI [5] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE