CA Amiens, ch. économique, 25 septembre 2025, n° 24/01071
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[T]
C/
S.E.L.A.R.L. [12]
Copie exécutoire
le 25 Septembre 2025
à
Me [Localité 13]
Me Mangel
FM
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/01071 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JAQG
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS DU 22 FEVRIER 2024 (référence dossier N° RG 23001897)
APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC
EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [J] [T]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS, substitué par Me Hélène CAMIER, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Emmanuel LAVERRIERE de la SELAS RACINE, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
S.E.L.A.R.L. [12] Représentée par Maître [X] [G], es qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17]. agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Frédéric MANGEL de la SELARL MANGEL AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
***
DEBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2025 devant :
Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,
Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,
et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Elise DHEILLY
MINISTERE PUBLIC : Mme Clélie GIBALDO, substitute générale
PRONONCE :
Le 25 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Elise DHEILLY, Greffière.
*
* *
DECISION
La société [17] ayant pour activité la commercialisation sous toutes formes que ce soit, de toutes constructions, pavillons ou bâtiments individuels ou collectifs de toute nature soit directement, soit à titre de mandataire ou de concessionnaire, d'agent commercial ou de commissionnaire exerçant sous l'enseigne et le nom commercial «'Maison Pierre'» a été placée en liquidation judiciaire par jugement rendu le 27 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Soissons qui a fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2022 et désigné la SELARL [12], prise en la personne de Maître [X] [G], en qualité de liquidateur.
Par acte de commissaire de justice en date du 19 juillet 2023, la SELARL [12], ès-qualités, a fait assigner M. [J] [T] en sa qualité de président et associé unique de la société [17] devant le tribunal de commerce de Soissons en responsabilité pour insuffisance d'actif, lui reprochant des fautes de gestion.
Par un jugement rendu le 22 février 2024, le tribunal de commerce de Soissons a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire condamné M. [J] [T] à payer à la SELARL [12], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], la somme de 2.500.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif et la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, outre aux dépens.
Par un acte en date du 1er mars 2024, M. [J] [T] a interjeté appel de ce jugement.
Saisi par M. [J] [T], le premier président de cette cour a ordonné la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement critiqué et mis les dépens à la charge de ce dernier.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 24 avril 2025, M. [J] [T] conclut à l'annulation du jugement, et subsidiairement à l'infirmation et demande à la cour de':
- débouter le liquidateur de ses demandes en paiement,
- condamner la SELARL [12], en la personne de Maître [X] [G] ès-qualités, à lui payer les sommes de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 20.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 15 mai 2025, le liquidateur conclut':
- à titre principal, au sursis à statuer':
- dans l'attente des conclusions de l'expert désigné pour se prononcer sur l'existence ou non d'une immixtion fautive par la société [14] dans la gestion de la SAS [17],
- dans l'attente des décisions rendues par la cour sur les appels formés par les sociétés [14] et [17] contre les jugements rendus par le tribunal de commerce de Soissons le 16 janvier 2025, afin qu'il soit établi ou non l'accessibilité par la SAS [17] aux éléments utiles à la vérification des créances,
- au fond, à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner M. [J] [K] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par avis notifié le 22 août 2024, le ministère public conclut à la confirmation du jugement critiqué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de sursis à statuer
En application des dispositions des articles 377 et 378 du code de procédure civile, hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Au vu de l'ancienneté du litige, le liquidateur étant à l'initiative de la présente procédure et l'administration de la preuve lui incombant, étant souligné que M. [J] [T] s'oppose à cette demande de sursis à statuer, la cour estime qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de rejeter la demande de sursis à statuer et de juger la présente affaire au regard des éléments de preuve actuels soumis en l'état à son appréciation.
Sur la demande de nullité du jugement
-' Sur la violation de l'article L.651-4 alinéa 1 du code de commerce
M. [J] [T] soutient que le tribunal a violé les dispositions de l'article L 651-4 du code de commerce en se prononçant sans exiger le rapport prévu par l'article R 651-1 du même code qui dispose que «'Pour l'application de l'article L 651-4, le juge désigné par le président du tribunal peut se faire assister de toute personne de son choix dont les constatations sont consignées dans son rapport. Ce rapport est déposé au greffe et communiqué par le greffier au ministère public. Au moins deux mois avant l'audience, le greffier communique ce rapport aux dirigeants ou à l'entrepreneur mis en cause par lettre recommandée avec accusé de réception. Le tribunal statue sur le rapport du juge désigné après avoir entendu ou dûment appelé les contrôleurs'».
Il expose que le président du tribunal de commerce de Soissons, qui venait d'être désigné juge-commissaire dans le jugement d'ouverture, s'est auto-désigné pour procéder à l'enquête de patrimoine, n'usant pas de la faculté offerte par la loi de désigner un autre membre de la juridiction, et qu'au surplus le jugement a été rendu sans qu'il n'ait été destinataire d'un rapport d'enquête.
La SELARL [12], ès-qualités réplique que si le président du tribunal a ordonné une enquête, force est de constater qu'elle n'a pas eu lieu, ce qui rend inopérant le moyen invoqué par M. [J] [T] qui ne démontre pas qu'il aurait subi un grief en l'absence de rapport écrit.
Il ressort des débats et des écritures des parties que l'enquête de patrimoine critiquée n'a pas été réalisée et que l'assignation délivrée à la requête du liquidateur l'a été sur la base de renseignements recueillis sur des données accessibles par tous (extraits Kbis et statuts de société). Il en résulte qu'aucune nullité n'est encourue, la contradiction ayant été respectée puisqu'il ressort des dispositions du jugement frappé d'appel qui font foi jusqu'à inscription de faux que M. [T] a comparu à l'audience assisté de son conseil et que le juge-commissaire a été entendu en son rapport dont il a été donné lecture au début de l'audience, s'étant déclaré favorable à l'action engagée à l'encontre de M.[H], M. le procureur de la République ayant été entendu en ses réquisitions.
Par conséquent, il convient de rejeter les moyens tirés de l'absence de respect des dispositions de l'article L 651-4 du code de commerce.
- Sur la violation de l'article R 662-12 du code de commerce
M. [J] [K] demande l'annulation du jugement attaqué en ce que celui-ci viole les dispositions de l'article R.662-12 du code de commerce, qui dispose que «'Le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L 653-8. Toutefois, il n'est pas fait de rapport lorsque le tribunal statue sur un recours formé contre une ordonnance de ce juge'».
Il expose que s'il existe un rapport, celui-ci n'est pas daté, est à charge et ne fait pas référence aux arguments en défense, de sorte que l'impartialité de ce document est remise en cause.
La SELARL [12], ès-qualités, réplique que le rapport litigieux a été lu à l'audience, que ce dernier n'est pas exigé en cause d'appel et que la cour peut statuer au fond.
Il résulte de la rédaction du jugement critiqué que le juge-commissaire a été entendu dans son rapport, dont il a été donné lecture au début de l'audience. Force est de constater qu'aucune violation des dispositions de l'article R.662-12 du code de commerce n'est démontrée. Dans ces conditions, il convient de rejeter les moyens tirés de l'absence de respect des dispositions de ce dernier article.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande d'annulation du jugement formée par M. [T].
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
M. [J] [T] fait valoir que le tribunal l'a condamné sur la base d'une insuffisance d'actif provisionnelle alors même que le passif n'a pas été vérifié, que l'actif a été fortement dégradé lors de la cession du fonds de commerce pour des raisons imputables à une société tierce (la société [14]), contre laquelle le liquidateur n'a engagé aucune action en responsabilité alors qu'il disposait de tous les éléments pour le faire.
Il expose qu'à ce jour le passif n'est toujours pas vérifié, qu'il a formulé des contestations qui n'ont encore pas été prises en compte par le liquidateur judiciaire. Il précise que les pièces permettant de documenter les contestations de créances sont bloquées et retenues par la société [14], son ancien employeur, avant qu'il ne créé la SAS [17] pour que celle-ci devienne courtier de la société [14], puis franchisée par un contrat signé en février 2018.
Il soutient que la cession du fonds au profit de la société [14] a été réalisée pour un prix dérisoire dans un contexte qui a écarté toute mise en concurrence. Il estime que le liquidateur aurait pu et dû engager la responsabilité de la société [14], et ce sur plusieurs fondements, ce qu'il s'est toujours refusé à faire.
La SELARL [12], ès-qualités réplique qu'au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire, et même si la procédure de vérification des créances n'est pas achevée, l'insuffisance d'actif est absolument certaine.
L'article L 651-2 du code de commerce énonce que lorsque la liquidation judiciaire fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. En effet, l'action en comblement du passif formée contre le dirigeant de la personne morale suppose que celui qui la met en 'uvre démontre une faute du dirigeant qui a contribué à l'insuffisance d'actif qui ne se confond pas avec une simple négligence et qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Ce même article dispose que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est une application particulière de la responsabilité civile qui tend à sanctionner les dirigeants qui ont commis des fautes dans la gestion de la personne morale défaillante. Elle est soumise à la preuve de trois éléments : un préjudice caractérisé par l'insuffisance d'actif, une faute de gestion du dirigeant et un lien de causalité les unissant.
Pour emporter la responsabilité du dirigeant, sa faute doit avoir contribué à une insuffisance d'actif. Cependant, il suffit que la faute de gestion ait contribué à l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute. Ainsi, le dirigeant peut donc être déclaré responsable pour le tout même si la faute de gestion n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et à l'origine que d'une partie des dettes.
La réalité et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à la faire supporter par un dirigeant social.
L'existence d'un passif social et/ou fiscal suffit pour caractériser une insuffisance d'actif.
L'insuffisance d'actif résulte de la différence entre le passif non contesté et l'actif évalué lui-même selon une méthode non contestée.
En l'espèce, M. [T] lors du dépôt le 17 octobre 2022 de sa demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la société [17] a déclaré un passif de 5.986.025 euros dont 928.775 euros de prêts garantis par l'État, 848.630 euros de dettes fiscales et sociales et 3.990.778 euros de dettes fournisseurs.
Si à ce jour la procédure de vérification des créances n'est pas achevée, formalité qui n'est pas obligatoire pour engager une action aux fins de condamnation du dirigeant en comblement de l'insuffisance d'actif, il est toutefois établi que par ordonnance du 26 janvier 2023, le juge-commissaire a ordonné pour le prix de 858.182 euros la cession des contrats en cours et par une autre du 28 février 2023 la vente des matériels aux enchères, lesquels ont permis de recouvrer la somme de 1.650 euros. La réalisation des actifs s'élève à la somme totale de 859.832 euros, soit une somme bien inférieure au passif déclaré par le dirigeant lui-même.
En l'état l'insuffisance d'actif est dès lors caractérisé à hauteur de 5.126.193 euros.
Il appartient au demandeur à l'action, en l'espèce le liquidateur, de démontrer que M. [T] a commis une faute de gestion qui a participé en tout ou partie à l'insuffisance d'actif.
Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours
La SELARL [12], ès-qualités, soutient que M. [T] a commis une faute en ne sollicitant pas une procédure collective dans les 45 jours suivants l'état de cessation des paiements de la société [17]. Elle rappelle qu'il s'agit d'une obligation prescrite par l'article L.631-4 du code de commerce sanctionnable d'une'mesure d'interdiction de gérer et qui a contribué à l'accroissement de l'insuffisance d'actif.
M.[T] réplique que le retard dans la déclaration s'élève uniquement à 2 mois, que celui-ci est dû aux vacations judiciaires, de sorte qu'il ne peut être considéré comme une faute intentionnelle, et que ce manquement ne suffit pas à prononcer une condamnation au titre de l'insuffisance d'actif.
En liquidation judiciaire, l'article L 640-4 du code de commerce prévoit que l'ouverture de cette procédure doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Il est constant que l'omission par un dirigeant de solliciter l'ouverture d'une procédure collective, dans le délai fixé par l'article L631-4, constitue une faute de gestion lorsqu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif et qu'elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu de l'importance des difficultés rencontrées par la société.
En l'espèce, le jugement rendu le 27 octobre 2022, désormais définitif, prononçant la liquidation judiciaire de la société [17] a fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2022. Il est établi que la déclaration de cessation des paiements réalisée par M. [T] le 17 octobre 2022 n'était pas spontanée dans la mesure où la société [17] était déjà convoquée à la demande du ministère public, qui par requête du 12 octobre 2022 sollicitait l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire au bénéfice de la société [17]'; force est de constater que M. [T] n'a pas respecté le délai de 45 jours précité.
Il est constant que l'omission par un dirigeant de solliciter l'ouverture d'une procédure collective, dans le délai fixé par l'article L631-4, constitue une faute de gestion lorsqu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif et qu'elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu de l'importance des difficultés rencontrées par la société.
Il est justifié de ce que l'[18] ont déclaré des créances cumulées entre le 31 juillet 2022 et la fin du mois d'octobre 2022 pour un montant total de 395.174 euros et que le trésor public sur la même période a déclaré une créance de TVA exigible d'un montant total de 473.949 euros.
Le liquidateur produit les relevés de compte de la société [17] sur lesquels il apparaît qu'au 30 juin, 31 juillet, 31 août, 30 septembre et 31 octobre 2022 les positions respectives de compte était de l'ordre de + 179.183,51 euros, +59.753,09 euros, -7.580,73 euros, -55.912,77 euros, -29.932,95 euros.
Il ressort de ces éléments que même si la société [17] disposait d'un découvert bancaire autorisé pour la somme de 100.000 euros, la comparaison entre l'augmentation des dettes sociales et fiscales de ladite société avec la diminution constante des disponibilités de cette dernière démontre que le retard pris dans la déclaration de la cessation des paiements a contribué à augmenter l'insuffisance d'actif.
Il est ainsi démontré que M. [T], en sa qualité de dirigeant avait parfaitement conscience de l'état de cessation des paiements et ne peut sérieusement se retrancher derrière la période de vacations judiciaires pour expliquer le retard pris dans la déclaration.
Ce grief est dès lors caractérisé.
Sur la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une activité qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale
Le liquidateur reproche à M. [T] une gestion fautive contraire à l'intérêt social de la société destinée uniquement à favoriser l'intérêt personnel de son dirigeant consistant notamment en une absence de reversement du précompte salarial et du prélèvement à la source, une rémunération excessive de M. [T], des retraits en espèces et des dépenses non justifiées au profit du couple [T], une mise à disposition gracieuse de véhicules, un bail commercial signé au profit des époux [T] et des loyers versés sans qu'aucune activité ne soit exercée par la société [17].
Le liquidateur verse aux débats la proposition de rectification que l'administration fiscale a adressé à la société [17] le 4 juin 2021 et dont il résulte que':
- Des prélèvements en espèces ont été effectués en 2018 pour un montant de 13.568,42 euros, sans que la société n'en fournisse les justificatifs et en l'absence de tenue d'un compte caisse, les mouvements n'ont pas pu être retracés. En 2019, une situation identique a été mise en évidence pour un montant de 6.123,17 euros. Ces deux sommes ont fait l'objet d'un rappel de base d'impôt sur les sociétés. Contrairement à ce que soutient M. [T], il n'est pas justifié de l'engagement de ces dépenses au profit de la société, et a contrario elles ont été effectuées au bénéfice du seul chef d'entreprise.
- Le dirigeant et son épouse salariée ont bénéficié de la mise à disposition de véhicules de la part de la société sans que ces avantages en nature n'aient été réintégrés sur les fiches de paie'; ainsi sur la période contrôlée le montant de ces avantages non comptabilisés s'est établi à la somme de 37.728 euros. L'explication de M. [T], selon laquelle les véhicules n'étaient pas utilisés à titre personnel mais constituait des voitures de fonction affectées aux cadres supérieurs du fait que la société opérait sur un large territoire ne le dispensait pas de déclarer cet avantage en nature. Cette faute de gestion a entraîné un réhaussement de l'imposition.
- Des loyers ont été payés par la société [17] sans contrepartie au bénéfice des époux [T] pour les années 2017 et 2018 pour des locaux sis [Adresse 3] à [Localité 15] alors qu'aucune fiche de paie à compter du mois d'août 2017 pour des salariés employés à cette adresse n'avait été établie, aucun salarié n'avait plus été déclaré employé à cette adresse depuis octobre 2017 les abonnements d'eau, d'électricité et de gaz étaient ouverts au nom de Mme [T]. C'est ainsi que le vérificateur a écrit «'La société a commis un acte anormal de gestion en continuant à verser des loyers pour un local qui ne présentait plus d'intérêt pour elle. Pour rappel, les bailleurs sont M. [J] [T] et Mme [R] [Z]. C'est donc sciemment que la société [17] s'est appauvrie en continuant à verser des loyers et à les comptabiliser en charge. Par conséquent les rappels relatifs au rejet des loyers comptabilisés à compter du mois de septembre 2017 seront assortis de la majoration pour manquement délibéré'».
M. [T] explique que le maintien de ce local était motivé par la prudence commerciale dans un contexte d'incertitude sur le futur contrat de franchise conclu avec la société [14].
Un rappel d'un montant de 160.000 euros a été édité. Il est indéniable qu'en percevant sans cause des loyers par la société qu'il dirigeait, M. [T] a agi dans son seul intérêt personnel, appauvrissant la trésorerie de sa société et a commis sciemment un détournement d'actifs.
- Le vérificateur a également dénoncé la pratique de distributions non justifiées au profit de M. [T] pour des montants de 118.558,52 euros en 2018 et de 12.961,62 euros en 2019 et a conclu «'Par conséquent, il s'ensuit un rappel en base d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qui auraient dû être reversés à l'État par la société sur une base de 118'558,52 € au titre de l'année 2018 et 12'961 € au titre de l'année 2019'». Si M. [T] conteste que les distributions aient été excessives au regard des résultats positifs à l'époque de la société [17] et de son implication constante dans la gestion de l'entreprise, toutefois au regard de l'important passif supporté par la société à la date de cessation des paiements, il y a lieu de constater que la société s'est trouvée asséchée progressivement de tout actif et que les distributions précitées sanctionnées par l'administration fiscale ont contribué à l'augmentation de ce passif.
Le liquidateur reproche à M. [T] une pratique fautive de gestion consistant en une absence de reversement du précompte salarial ainsi que du prélèvement à la source à compter de juillet 2022. M. [T] réplique que ces défauts de reversement ont été ponctuels, qu'ils n'ont pas donné lieu à des pénalités et à des majorations de retard et qu'au demeurant les sommes concernées étaient très faibles au regard du volume global de l'entreprise et se sont inscrites dans une période de tension sociale et judiciaire.
Il est constant que le fait pour l'employeur de précompter les contributions des salariés aux assurances sociales sur leur fiche de paie et de ne pas reverser ces sommes aux organismes sociaux est pénalement répréhensible. Au cas présent, il ressort des déclarations de créance établies par l'URSSAF qu'à compter de juillet 2022, la société [17] s'est livrée à cette pratique pour un montant cumulé de 123.630 euros. Cette pratique proscrite permet d'utiliser l'allégement pour soutenir une activité dont la trésorerie est exsangue. En effet, le fait de retenir le précompte salarial contribue à l'insuffisance d'actif en ce qu'il finance la poursuite d'activité par la rétention de sommes versées par les salariés à destination de l'URSSAF et qui n'entrent pas, par essence dans l'actif de la société. Cette faute doit donc être retenue à l'encontre du dirigeant, M. [T], organe décisionnel en la matière en raison du mode de fonctionnement de la société.
De la même manière, sur la même période M. [T] n'a pas reversé le prélèvement à la source pourtant opérée sur les fiches de paie pour un montant de 13.994 euros. Cette absence de restitution est également fautive et a participé à l'insuffisance d'actif.
Le liquidateur reproche à M. [T] des choix de gestion incompatibles avec l'intérêt social de la société consistant à renouveler le parc automobiles de la société, dès la sortie de la crise [10] et à verser au couple [T] une rémunération excessive, augmentant ainsi les charges de l'entreprise alors que parallèlement M. [T] se plaignait de subir les pratiques commerciales et financières imposées par son franchiseur, la société [14].
M.[T] explique qu'il a constitué la société [17] le 1er juin 2013, alors qu'il était salarié de la société [14] depuis 2007 et ceci pour exercer une activité de courtier pour cette dernière, avec des agences en Seine-et-Marne, dans la Marne et dans l'Aisne'; qu'en 2016 la société [14] a décidé de se développer en réseau de franchise et a alors proposé à la société [17] d'intégrer ledit réseau en devenant franchisée exclusive dans les départements de l'Aisne, du Nord et de la Marne. Il indique que le contrat de franchise a été signé en février 2018 et que dans le cadre de cette nouvelle activité, la société [17] s'est trouvée contrainte de régulariser des contrats avec deux garants, la réglementation imposant à tout constructeur de maisons individuelles une obligation de souscription d'une garantie de livraison (protection du maître de l'ouvrage contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution), d'une garantie de remboursement d'acompte (protection encore une fois du maître de l'ouvrage amené à verser des acomptes au démarrage), ces garanties étant constituées par une caution solidaire donnée par un établissement bancaire, une société de financement ou une entreprise d'assurance agréée. Il précise que le contrat de franchise prévoyant que les garanties soient conclues auprès de compagnies préalablement référencées par la société [14], ces dernières ont été régularisées auprès de la société [7] et de la société [9], lesquelles ont exigé que la société débitrice dispose pour chacune respectivement d'encours de 15000000 euros et 9000000 euros. Il soutient que la crise du Covid a aggravé les difficultés de la société [17], sans que la société [14] n'accepte de revoir les conditions contractuelles, sauf tardivement la transformation de la dette exigible de 2000000 d'euros sur les chantiers transférés, en un prêt de 1600000 euros dont les échéances s'avéreront selon lui beaucoup trop importantes.
Il ressort de la lecture de la liasse fiscale déposée au titre de l'exercice 2020/2021 et au titre duquel M. [T] a soutenu que la société ne parvenait plus à faire face à ses engagements financiers (la société [14] lui refusant les nouveaux chantiers dans le cadre de la «'contre-garantie'»), l'ayant conduit à solliciter l'intervention de la [8] pour un financement de 350.000 euros et celle du [11] pour la souscription d'un prêt garanti par l'État de 750.000 euros que M. [T] a perçu une rémunération brute de 460.011 euros et son épouse Mme [M], celle de 67.577 euros. De la même manière, la lecture de la liasse fiscale déposée pour l'exercice du 1er avril 2021 au 31 mars 2022 fait apparaître une rémunération brute de 352.097 euros pour M. [T] et de 99.851 euros pour son épouse.
Il est ainsi établi que la rémunération brute de M. [T] a été de 812.108 euros sur les deux derniers exercices clos, soit 150% des résultats nets de l'entreprise sur la même période. Parallèlement, la société [7] a dénoncé sa garantie en novembre 2020, ce qui a indéniablement fragilisé la santé financière de la société, ce que M.[T] ne pouvait sciemment ignorer.
Enfin, à la sortie du confinement, il y a lieu de souligner que la société [17] a choisi de renouveler le parc automobile de la société en choisissant des véhicules de marque BMW et Porsche. Pour mémoire, la souscription d'un contrat de location dès le 5 août 2020 pour une durée de 18 mois d'une voiture Porsche 911 Carrera d'un montant 165.000 euros ne constitue pas une dépense nécessaire au développement de la société, étant précisé que postérieurement à la dénonciation de la garantie [6], la société a signé':
- le 13 novembre 2020, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW 330d moyennant des échéances mensuelles de 1.929,58 euros,
- le 1er avril 2021, un contrat de location longue durée pour deux véhicules BMW 520d moyennant des échéances mensuelles de 1.257,04 euros chacune,
- le 7 mai 2021, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW 520d moyennant des échéances mensuelles de 1.257,04 euros,
le 27 novembre 2021, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW X5 moyennant des échéances mensuelles de 1.732,80 euros.
La cour estime que ces choix de gestion décidés par M. [T] mis en perspective avec la déconfiture immédiate de la société [17], la liquidation judiciaire ayant été prononcée directement et ayant conduit au licenciement de 57 salariés, ont indéniablement contribué à augmenter le passif de la société.
Si la cour relève que l'attitude du franchiseur, la société [14] a également participé à la déconfiture de la société [16], toutefois, la position adoptée par M. [T] de déposer tardivement la déclaration de cessation des paiements a non seulement privé la société d'une procédure de prévention des difficultés et d'une possibilité de redressement, mais a également contribué à augmenter l'insuffisance d'actif en permettant à M. [T] de percevoir une rémunération et des avantages en nature excessifs par rapport aux capacités financières de la société [17].
Ce grief est dès lors caractérisé.
S'agissant du lien de causalité, il est constant qu'une faute peut entraîner la responsabilité de son auteur si elle figure parmi les causes qui ont conduit à l'insuffisance d'actif, même si elle n'en est pas la cause unique voir la cause principale ou même si elle n'est à l'origine que d'une partie de l'insuffisance d'actifs.
En l'espèce, il résulte des fautes ci-dessus caractérisées que M.[T] a par son comportement fautif contribué à l'insuffisance d'actif de la société [17].
Si M. [T] établit qu'il s'est porté caution des engagements de la société [17] et que la [9] l'a notamment mis en demeure par courrier du 28 mars 2024 de lui payer la somme de 150000 euros au titre du cautionnement solidaire signé le 17 juin 2021 et que le tribunal de commerce de Meaux par un jugement rendu le 30 septembre 2024 a condamné ce dernier à payer à la société générale (venant aux droits de la banque [11]) la somme de 45.266,41 au titre de son engagement de garant du 27 septembre 2022, toutefois il ne fournit aucun élément sur sa situation patrimoniale et financière actuelle.
Il est important de souligner que l'insuffisance d'actif subi par la société [17] s'élève à la somme de 5.126.193 euros.
Aussi, en considération des griefs susvisés qui ont été retenus par la cour et du choix délibéré de ne fournir que des éléments partiels sur sa situation personnelle, la cour estime que c'est par une appréciation souveraine et à bon droit, au vu du montant conséquent de l'insuffisance d'actif et de la gravité des fautes commises par le dirigeant social M.[T], que le tribunal a condamné ce dernier à supporter à hauteur de 2.500.000 euros l'insuffisance d'actif constatée dans la liquidation judiciaire de la société [17].
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef et d'ajouter que M.[T] ne peut dès lors voir prospérer sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive à l'égard du liquidateur.
Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, M.[T] succombant, il sera tenu aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de débouter le liquidateur de sa demande en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par la SELARL [12], prise en la personne de Maître [X] [G], en qualité de liquidateur.
Rejette la demande d'annulation du jugement formé par M. [J] [T].
Confirme le jugement rendu le 22 février 2024 par le tribunal de commerce de Soissons, en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Déboute M. [J] [T] de sa demande en paiement à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Condamne M. [J] [T] aux dépens d'appel.
Le Greffier, La Présidente,
N°
[T]
C/
S.E.L.A.R.L. [12]
Copie exécutoire
le 25 Septembre 2025
à
Me [Localité 13]
Me Mangel
FM
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/01071 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JAQG
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS DU 22 FEVRIER 2024 (référence dossier N° RG 23001897)
APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC
EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [J] [T]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS, substitué par Me Hélène CAMIER, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Emmanuel LAVERRIERE de la SELAS RACINE, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
S.E.L.A.R.L. [12] Représentée par Maître [X] [G], es qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17]. agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Frédéric MANGEL de la SELARL MANGEL AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
***
DEBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2025 devant :
Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,
Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,
et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Elise DHEILLY
MINISTERE PUBLIC : Mme Clélie GIBALDO, substitute générale
PRONONCE :
Le 25 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Elise DHEILLY, Greffière.
*
* *
DECISION
La société [17] ayant pour activité la commercialisation sous toutes formes que ce soit, de toutes constructions, pavillons ou bâtiments individuels ou collectifs de toute nature soit directement, soit à titre de mandataire ou de concessionnaire, d'agent commercial ou de commissionnaire exerçant sous l'enseigne et le nom commercial «'Maison Pierre'» a été placée en liquidation judiciaire par jugement rendu le 27 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Soissons qui a fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2022 et désigné la SELARL [12], prise en la personne de Maître [X] [G], en qualité de liquidateur.
Par acte de commissaire de justice en date du 19 juillet 2023, la SELARL [12], ès-qualités, a fait assigner M. [J] [T] en sa qualité de président et associé unique de la société [17] devant le tribunal de commerce de Soissons en responsabilité pour insuffisance d'actif, lui reprochant des fautes de gestion.
Par un jugement rendu le 22 février 2024, le tribunal de commerce de Soissons a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire condamné M. [J] [T] à payer à la SELARL [12], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], la somme de 2.500.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif et la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, outre aux dépens.
Par un acte en date du 1er mars 2024, M. [J] [T] a interjeté appel de ce jugement.
Saisi par M. [J] [T], le premier président de cette cour a ordonné la suspension de l'exécution provisoire attachée au jugement critiqué et mis les dépens à la charge de ce dernier.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 24 avril 2025, M. [J] [T] conclut à l'annulation du jugement, et subsidiairement à l'infirmation et demande à la cour de':
- débouter le liquidateur de ses demandes en paiement,
- condamner la SELARL [12], en la personne de Maître [X] [G] ès-qualités, à lui payer les sommes de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 20.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 15 mai 2025, le liquidateur conclut':
- à titre principal, au sursis à statuer':
- dans l'attente des conclusions de l'expert désigné pour se prononcer sur l'existence ou non d'une immixtion fautive par la société [14] dans la gestion de la SAS [17],
- dans l'attente des décisions rendues par la cour sur les appels formés par les sociétés [14] et [17] contre les jugements rendus par le tribunal de commerce de Soissons le 16 janvier 2025, afin qu'il soit établi ou non l'accessibilité par la SAS [17] aux éléments utiles à la vérification des créances,
- au fond, à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner M. [J] [K] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par avis notifié le 22 août 2024, le ministère public conclut à la confirmation du jugement critiqué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de sursis à statuer
En application des dispositions des articles 377 et 378 du code de procédure civile, hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Au vu de l'ancienneté du litige, le liquidateur étant à l'initiative de la présente procédure et l'administration de la preuve lui incombant, étant souligné que M. [J] [T] s'oppose à cette demande de sursis à statuer, la cour estime qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de rejeter la demande de sursis à statuer et de juger la présente affaire au regard des éléments de preuve actuels soumis en l'état à son appréciation.
Sur la demande de nullité du jugement
-' Sur la violation de l'article L.651-4 alinéa 1 du code de commerce
M. [J] [T] soutient que le tribunal a violé les dispositions de l'article L 651-4 du code de commerce en se prononçant sans exiger le rapport prévu par l'article R 651-1 du même code qui dispose que «'Pour l'application de l'article L 651-4, le juge désigné par le président du tribunal peut se faire assister de toute personne de son choix dont les constatations sont consignées dans son rapport. Ce rapport est déposé au greffe et communiqué par le greffier au ministère public. Au moins deux mois avant l'audience, le greffier communique ce rapport aux dirigeants ou à l'entrepreneur mis en cause par lettre recommandée avec accusé de réception. Le tribunal statue sur le rapport du juge désigné après avoir entendu ou dûment appelé les contrôleurs'».
Il expose que le président du tribunal de commerce de Soissons, qui venait d'être désigné juge-commissaire dans le jugement d'ouverture, s'est auto-désigné pour procéder à l'enquête de patrimoine, n'usant pas de la faculté offerte par la loi de désigner un autre membre de la juridiction, et qu'au surplus le jugement a été rendu sans qu'il n'ait été destinataire d'un rapport d'enquête.
La SELARL [12], ès-qualités réplique que si le président du tribunal a ordonné une enquête, force est de constater qu'elle n'a pas eu lieu, ce qui rend inopérant le moyen invoqué par M. [J] [T] qui ne démontre pas qu'il aurait subi un grief en l'absence de rapport écrit.
Il ressort des débats et des écritures des parties que l'enquête de patrimoine critiquée n'a pas été réalisée et que l'assignation délivrée à la requête du liquidateur l'a été sur la base de renseignements recueillis sur des données accessibles par tous (extraits Kbis et statuts de société). Il en résulte qu'aucune nullité n'est encourue, la contradiction ayant été respectée puisqu'il ressort des dispositions du jugement frappé d'appel qui font foi jusqu'à inscription de faux que M. [T] a comparu à l'audience assisté de son conseil et que le juge-commissaire a été entendu en son rapport dont il a été donné lecture au début de l'audience, s'étant déclaré favorable à l'action engagée à l'encontre de M.[H], M. le procureur de la République ayant été entendu en ses réquisitions.
Par conséquent, il convient de rejeter les moyens tirés de l'absence de respect des dispositions de l'article L 651-4 du code de commerce.
- Sur la violation de l'article R 662-12 du code de commerce
M. [J] [K] demande l'annulation du jugement attaqué en ce que celui-ci viole les dispositions de l'article R.662-12 du code de commerce, qui dispose que «'Le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L 653-8. Toutefois, il n'est pas fait de rapport lorsque le tribunal statue sur un recours formé contre une ordonnance de ce juge'».
Il expose que s'il existe un rapport, celui-ci n'est pas daté, est à charge et ne fait pas référence aux arguments en défense, de sorte que l'impartialité de ce document est remise en cause.
La SELARL [12], ès-qualités, réplique que le rapport litigieux a été lu à l'audience, que ce dernier n'est pas exigé en cause d'appel et que la cour peut statuer au fond.
Il résulte de la rédaction du jugement critiqué que le juge-commissaire a été entendu dans son rapport, dont il a été donné lecture au début de l'audience. Force est de constater qu'aucune violation des dispositions de l'article R.662-12 du code de commerce n'est démontrée. Dans ces conditions, il convient de rejeter les moyens tirés de l'absence de respect des dispositions de ce dernier article.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande d'annulation du jugement formée par M. [T].
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
M. [J] [T] fait valoir que le tribunal l'a condamné sur la base d'une insuffisance d'actif provisionnelle alors même que le passif n'a pas été vérifié, que l'actif a été fortement dégradé lors de la cession du fonds de commerce pour des raisons imputables à une société tierce (la société [14]), contre laquelle le liquidateur n'a engagé aucune action en responsabilité alors qu'il disposait de tous les éléments pour le faire.
Il expose qu'à ce jour le passif n'est toujours pas vérifié, qu'il a formulé des contestations qui n'ont encore pas été prises en compte par le liquidateur judiciaire. Il précise que les pièces permettant de documenter les contestations de créances sont bloquées et retenues par la société [14], son ancien employeur, avant qu'il ne créé la SAS [17] pour que celle-ci devienne courtier de la société [14], puis franchisée par un contrat signé en février 2018.
Il soutient que la cession du fonds au profit de la société [14] a été réalisée pour un prix dérisoire dans un contexte qui a écarté toute mise en concurrence. Il estime que le liquidateur aurait pu et dû engager la responsabilité de la société [14], et ce sur plusieurs fondements, ce qu'il s'est toujours refusé à faire.
La SELARL [12], ès-qualités réplique qu'au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire, et même si la procédure de vérification des créances n'est pas achevée, l'insuffisance d'actif est absolument certaine.
L'article L 651-2 du code de commerce énonce que lorsque la liquidation judiciaire fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. En effet, l'action en comblement du passif formée contre le dirigeant de la personne morale suppose que celui qui la met en 'uvre démontre une faute du dirigeant qui a contribué à l'insuffisance d'actif qui ne se confond pas avec une simple négligence et qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Ce même article dispose que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est une application particulière de la responsabilité civile qui tend à sanctionner les dirigeants qui ont commis des fautes dans la gestion de la personne morale défaillante. Elle est soumise à la preuve de trois éléments : un préjudice caractérisé par l'insuffisance d'actif, une faute de gestion du dirigeant et un lien de causalité les unissant.
Pour emporter la responsabilité du dirigeant, sa faute doit avoir contribué à une insuffisance d'actif. Cependant, il suffit que la faute de gestion ait contribué à l'insuffisance d'actif, sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute. Ainsi, le dirigeant peut donc être déclaré responsable pour le tout même si la faute de gestion n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et à l'origine que d'une partie des dettes.
La réalité et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à la faire supporter par un dirigeant social.
L'existence d'un passif social et/ou fiscal suffit pour caractériser une insuffisance d'actif.
L'insuffisance d'actif résulte de la différence entre le passif non contesté et l'actif évalué lui-même selon une méthode non contestée.
En l'espèce, M. [T] lors du dépôt le 17 octobre 2022 de sa demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la société [17] a déclaré un passif de 5.986.025 euros dont 928.775 euros de prêts garantis par l'État, 848.630 euros de dettes fiscales et sociales et 3.990.778 euros de dettes fournisseurs.
Si à ce jour la procédure de vérification des créances n'est pas achevée, formalité qui n'est pas obligatoire pour engager une action aux fins de condamnation du dirigeant en comblement de l'insuffisance d'actif, il est toutefois établi que par ordonnance du 26 janvier 2023, le juge-commissaire a ordonné pour le prix de 858.182 euros la cession des contrats en cours et par une autre du 28 février 2023 la vente des matériels aux enchères, lesquels ont permis de recouvrer la somme de 1.650 euros. La réalisation des actifs s'élève à la somme totale de 859.832 euros, soit une somme bien inférieure au passif déclaré par le dirigeant lui-même.
En l'état l'insuffisance d'actif est dès lors caractérisé à hauteur de 5.126.193 euros.
Il appartient au demandeur à l'action, en l'espèce le liquidateur, de démontrer que M. [T] a commis une faute de gestion qui a participé en tout ou partie à l'insuffisance d'actif.
Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours
La SELARL [12], ès-qualités, soutient que M. [T] a commis une faute en ne sollicitant pas une procédure collective dans les 45 jours suivants l'état de cessation des paiements de la société [17]. Elle rappelle qu'il s'agit d'une obligation prescrite par l'article L.631-4 du code de commerce sanctionnable d'une'mesure d'interdiction de gérer et qui a contribué à l'accroissement de l'insuffisance d'actif.
M.[T] réplique que le retard dans la déclaration s'élève uniquement à 2 mois, que celui-ci est dû aux vacations judiciaires, de sorte qu'il ne peut être considéré comme une faute intentionnelle, et que ce manquement ne suffit pas à prononcer une condamnation au titre de l'insuffisance d'actif.
En liquidation judiciaire, l'article L 640-4 du code de commerce prévoit que l'ouverture de cette procédure doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Il est constant que l'omission par un dirigeant de solliciter l'ouverture d'une procédure collective, dans le délai fixé par l'article L631-4, constitue une faute de gestion lorsqu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif et qu'elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu de l'importance des difficultés rencontrées par la société.
En l'espèce, le jugement rendu le 27 octobre 2022, désormais définitif, prononçant la liquidation judiciaire de la société [17] a fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2022. Il est établi que la déclaration de cessation des paiements réalisée par M. [T] le 17 octobre 2022 n'était pas spontanée dans la mesure où la société [17] était déjà convoquée à la demande du ministère public, qui par requête du 12 octobre 2022 sollicitait l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire au bénéfice de la société [17]'; force est de constater que M. [T] n'a pas respecté le délai de 45 jours précité.
Il est constant que l'omission par un dirigeant de solliciter l'ouverture d'une procédure collective, dans le délai fixé par l'article L631-4, constitue une faute de gestion lorsqu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif et qu'elle ne peut s'analyser en une simple négligence compte tenu de l'importance des difficultés rencontrées par la société.
Il est justifié de ce que l'[18] ont déclaré des créances cumulées entre le 31 juillet 2022 et la fin du mois d'octobre 2022 pour un montant total de 395.174 euros et que le trésor public sur la même période a déclaré une créance de TVA exigible d'un montant total de 473.949 euros.
Le liquidateur produit les relevés de compte de la société [17] sur lesquels il apparaît qu'au 30 juin, 31 juillet, 31 août, 30 septembre et 31 octobre 2022 les positions respectives de compte était de l'ordre de + 179.183,51 euros, +59.753,09 euros, -7.580,73 euros, -55.912,77 euros, -29.932,95 euros.
Il ressort de ces éléments que même si la société [17] disposait d'un découvert bancaire autorisé pour la somme de 100.000 euros, la comparaison entre l'augmentation des dettes sociales et fiscales de ladite société avec la diminution constante des disponibilités de cette dernière démontre que le retard pris dans la déclaration de la cessation des paiements a contribué à augmenter l'insuffisance d'actif.
Il est ainsi démontré que M. [T], en sa qualité de dirigeant avait parfaitement conscience de l'état de cessation des paiements et ne peut sérieusement se retrancher derrière la période de vacations judiciaires pour expliquer le retard pris dans la déclaration.
Ce grief est dès lors caractérisé.
Sur la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une activité qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale
Le liquidateur reproche à M. [T] une gestion fautive contraire à l'intérêt social de la société destinée uniquement à favoriser l'intérêt personnel de son dirigeant consistant notamment en une absence de reversement du précompte salarial et du prélèvement à la source, une rémunération excessive de M. [T], des retraits en espèces et des dépenses non justifiées au profit du couple [T], une mise à disposition gracieuse de véhicules, un bail commercial signé au profit des époux [T] et des loyers versés sans qu'aucune activité ne soit exercée par la société [17].
Le liquidateur verse aux débats la proposition de rectification que l'administration fiscale a adressé à la société [17] le 4 juin 2021 et dont il résulte que':
- Des prélèvements en espèces ont été effectués en 2018 pour un montant de 13.568,42 euros, sans que la société n'en fournisse les justificatifs et en l'absence de tenue d'un compte caisse, les mouvements n'ont pas pu être retracés. En 2019, une situation identique a été mise en évidence pour un montant de 6.123,17 euros. Ces deux sommes ont fait l'objet d'un rappel de base d'impôt sur les sociétés. Contrairement à ce que soutient M. [T], il n'est pas justifié de l'engagement de ces dépenses au profit de la société, et a contrario elles ont été effectuées au bénéfice du seul chef d'entreprise.
- Le dirigeant et son épouse salariée ont bénéficié de la mise à disposition de véhicules de la part de la société sans que ces avantages en nature n'aient été réintégrés sur les fiches de paie'; ainsi sur la période contrôlée le montant de ces avantages non comptabilisés s'est établi à la somme de 37.728 euros. L'explication de M. [T], selon laquelle les véhicules n'étaient pas utilisés à titre personnel mais constituait des voitures de fonction affectées aux cadres supérieurs du fait que la société opérait sur un large territoire ne le dispensait pas de déclarer cet avantage en nature. Cette faute de gestion a entraîné un réhaussement de l'imposition.
- Des loyers ont été payés par la société [17] sans contrepartie au bénéfice des époux [T] pour les années 2017 et 2018 pour des locaux sis [Adresse 3] à [Localité 15] alors qu'aucune fiche de paie à compter du mois d'août 2017 pour des salariés employés à cette adresse n'avait été établie, aucun salarié n'avait plus été déclaré employé à cette adresse depuis octobre 2017 les abonnements d'eau, d'électricité et de gaz étaient ouverts au nom de Mme [T]. C'est ainsi que le vérificateur a écrit «'La société a commis un acte anormal de gestion en continuant à verser des loyers pour un local qui ne présentait plus d'intérêt pour elle. Pour rappel, les bailleurs sont M. [J] [T] et Mme [R] [Z]. C'est donc sciemment que la société [17] s'est appauvrie en continuant à verser des loyers et à les comptabiliser en charge. Par conséquent les rappels relatifs au rejet des loyers comptabilisés à compter du mois de septembre 2017 seront assortis de la majoration pour manquement délibéré'».
M. [T] explique que le maintien de ce local était motivé par la prudence commerciale dans un contexte d'incertitude sur le futur contrat de franchise conclu avec la société [14].
Un rappel d'un montant de 160.000 euros a été édité. Il est indéniable qu'en percevant sans cause des loyers par la société qu'il dirigeait, M. [T] a agi dans son seul intérêt personnel, appauvrissant la trésorerie de sa société et a commis sciemment un détournement d'actifs.
- Le vérificateur a également dénoncé la pratique de distributions non justifiées au profit de M. [T] pour des montants de 118.558,52 euros en 2018 et de 12.961,62 euros en 2019 et a conclu «'Par conséquent, il s'ensuit un rappel en base d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qui auraient dû être reversés à l'État par la société sur une base de 118'558,52 € au titre de l'année 2018 et 12'961 € au titre de l'année 2019'». Si M. [T] conteste que les distributions aient été excessives au regard des résultats positifs à l'époque de la société [17] et de son implication constante dans la gestion de l'entreprise, toutefois au regard de l'important passif supporté par la société à la date de cessation des paiements, il y a lieu de constater que la société s'est trouvée asséchée progressivement de tout actif et que les distributions précitées sanctionnées par l'administration fiscale ont contribué à l'augmentation de ce passif.
Le liquidateur reproche à M. [T] une pratique fautive de gestion consistant en une absence de reversement du précompte salarial ainsi que du prélèvement à la source à compter de juillet 2022. M. [T] réplique que ces défauts de reversement ont été ponctuels, qu'ils n'ont pas donné lieu à des pénalités et à des majorations de retard et qu'au demeurant les sommes concernées étaient très faibles au regard du volume global de l'entreprise et se sont inscrites dans une période de tension sociale et judiciaire.
Il est constant que le fait pour l'employeur de précompter les contributions des salariés aux assurances sociales sur leur fiche de paie et de ne pas reverser ces sommes aux organismes sociaux est pénalement répréhensible. Au cas présent, il ressort des déclarations de créance établies par l'URSSAF qu'à compter de juillet 2022, la société [17] s'est livrée à cette pratique pour un montant cumulé de 123.630 euros. Cette pratique proscrite permet d'utiliser l'allégement pour soutenir une activité dont la trésorerie est exsangue. En effet, le fait de retenir le précompte salarial contribue à l'insuffisance d'actif en ce qu'il finance la poursuite d'activité par la rétention de sommes versées par les salariés à destination de l'URSSAF et qui n'entrent pas, par essence dans l'actif de la société. Cette faute doit donc être retenue à l'encontre du dirigeant, M. [T], organe décisionnel en la matière en raison du mode de fonctionnement de la société.
De la même manière, sur la même période M. [T] n'a pas reversé le prélèvement à la source pourtant opérée sur les fiches de paie pour un montant de 13.994 euros. Cette absence de restitution est également fautive et a participé à l'insuffisance d'actif.
Le liquidateur reproche à M. [T] des choix de gestion incompatibles avec l'intérêt social de la société consistant à renouveler le parc automobiles de la société, dès la sortie de la crise [10] et à verser au couple [T] une rémunération excessive, augmentant ainsi les charges de l'entreprise alors que parallèlement M. [T] se plaignait de subir les pratiques commerciales et financières imposées par son franchiseur, la société [14].
M.[T] explique qu'il a constitué la société [17] le 1er juin 2013, alors qu'il était salarié de la société [14] depuis 2007 et ceci pour exercer une activité de courtier pour cette dernière, avec des agences en Seine-et-Marne, dans la Marne et dans l'Aisne'; qu'en 2016 la société [14] a décidé de se développer en réseau de franchise et a alors proposé à la société [17] d'intégrer ledit réseau en devenant franchisée exclusive dans les départements de l'Aisne, du Nord et de la Marne. Il indique que le contrat de franchise a été signé en février 2018 et que dans le cadre de cette nouvelle activité, la société [17] s'est trouvée contrainte de régulariser des contrats avec deux garants, la réglementation imposant à tout constructeur de maisons individuelles une obligation de souscription d'une garantie de livraison (protection du maître de l'ouvrage contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution), d'une garantie de remboursement d'acompte (protection encore une fois du maître de l'ouvrage amené à verser des acomptes au démarrage), ces garanties étant constituées par une caution solidaire donnée par un établissement bancaire, une société de financement ou une entreprise d'assurance agréée. Il précise que le contrat de franchise prévoyant que les garanties soient conclues auprès de compagnies préalablement référencées par la société [14], ces dernières ont été régularisées auprès de la société [7] et de la société [9], lesquelles ont exigé que la société débitrice dispose pour chacune respectivement d'encours de 15000000 euros et 9000000 euros. Il soutient que la crise du Covid a aggravé les difficultés de la société [17], sans que la société [14] n'accepte de revoir les conditions contractuelles, sauf tardivement la transformation de la dette exigible de 2000000 d'euros sur les chantiers transférés, en un prêt de 1600000 euros dont les échéances s'avéreront selon lui beaucoup trop importantes.
Il ressort de la lecture de la liasse fiscale déposée au titre de l'exercice 2020/2021 et au titre duquel M. [T] a soutenu que la société ne parvenait plus à faire face à ses engagements financiers (la société [14] lui refusant les nouveaux chantiers dans le cadre de la «'contre-garantie'»), l'ayant conduit à solliciter l'intervention de la [8] pour un financement de 350.000 euros et celle du [11] pour la souscription d'un prêt garanti par l'État de 750.000 euros que M. [T] a perçu une rémunération brute de 460.011 euros et son épouse Mme [M], celle de 67.577 euros. De la même manière, la lecture de la liasse fiscale déposée pour l'exercice du 1er avril 2021 au 31 mars 2022 fait apparaître une rémunération brute de 352.097 euros pour M. [T] et de 99.851 euros pour son épouse.
Il est ainsi établi que la rémunération brute de M. [T] a été de 812.108 euros sur les deux derniers exercices clos, soit 150% des résultats nets de l'entreprise sur la même période. Parallèlement, la société [7] a dénoncé sa garantie en novembre 2020, ce qui a indéniablement fragilisé la santé financière de la société, ce que M.[T] ne pouvait sciemment ignorer.
Enfin, à la sortie du confinement, il y a lieu de souligner que la société [17] a choisi de renouveler le parc automobile de la société en choisissant des véhicules de marque BMW et Porsche. Pour mémoire, la souscription d'un contrat de location dès le 5 août 2020 pour une durée de 18 mois d'une voiture Porsche 911 Carrera d'un montant 165.000 euros ne constitue pas une dépense nécessaire au développement de la société, étant précisé que postérieurement à la dénonciation de la garantie [6], la société a signé':
- le 13 novembre 2020, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW 330d moyennant des échéances mensuelles de 1.929,58 euros,
- le 1er avril 2021, un contrat de location longue durée pour deux véhicules BMW 520d moyennant des échéances mensuelles de 1.257,04 euros chacune,
- le 7 mai 2021, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW 520d moyennant des échéances mensuelles de 1.257,04 euros,
le 27 novembre 2021, un contrat de location longue durée pour un véhicule BMW X5 moyennant des échéances mensuelles de 1.732,80 euros.
La cour estime que ces choix de gestion décidés par M. [T] mis en perspective avec la déconfiture immédiate de la société [17], la liquidation judiciaire ayant été prononcée directement et ayant conduit au licenciement de 57 salariés, ont indéniablement contribué à augmenter le passif de la société.
Si la cour relève que l'attitude du franchiseur, la société [14] a également participé à la déconfiture de la société [16], toutefois, la position adoptée par M. [T] de déposer tardivement la déclaration de cessation des paiements a non seulement privé la société d'une procédure de prévention des difficultés et d'une possibilité de redressement, mais a également contribué à augmenter l'insuffisance d'actif en permettant à M. [T] de percevoir une rémunération et des avantages en nature excessifs par rapport aux capacités financières de la société [17].
Ce grief est dès lors caractérisé.
S'agissant du lien de causalité, il est constant qu'une faute peut entraîner la responsabilité de son auteur si elle figure parmi les causes qui ont conduit à l'insuffisance d'actif, même si elle n'en est pas la cause unique voir la cause principale ou même si elle n'est à l'origine que d'une partie de l'insuffisance d'actifs.
En l'espèce, il résulte des fautes ci-dessus caractérisées que M.[T] a par son comportement fautif contribué à l'insuffisance d'actif de la société [17].
Si M. [T] établit qu'il s'est porté caution des engagements de la société [17] et que la [9] l'a notamment mis en demeure par courrier du 28 mars 2024 de lui payer la somme de 150000 euros au titre du cautionnement solidaire signé le 17 juin 2021 et que le tribunal de commerce de Meaux par un jugement rendu le 30 septembre 2024 a condamné ce dernier à payer à la société générale (venant aux droits de la banque [11]) la somme de 45.266,41 au titre de son engagement de garant du 27 septembre 2022, toutefois il ne fournit aucun élément sur sa situation patrimoniale et financière actuelle.
Il est important de souligner que l'insuffisance d'actif subi par la société [17] s'élève à la somme de 5.126.193 euros.
Aussi, en considération des griefs susvisés qui ont été retenus par la cour et du choix délibéré de ne fournir que des éléments partiels sur sa situation personnelle, la cour estime que c'est par une appréciation souveraine et à bon droit, au vu du montant conséquent de l'insuffisance d'actif et de la gravité des fautes commises par le dirigeant social M.[T], que le tribunal a condamné ce dernier à supporter à hauteur de 2.500.000 euros l'insuffisance d'actif constatée dans la liquidation judiciaire de la société [17].
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef et d'ajouter que M.[T] ne peut dès lors voir prospérer sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive à l'égard du liquidateur.
Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, M.[T] succombant, il sera tenu aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de débouter le liquidateur de sa demande en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par la SELARL [12], prise en la personne de Maître [X] [G], en qualité de liquidateur.
Rejette la demande d'annulation du jugement formé par M. [J] [T].
Confirme le jugement rendu le 22 février 2024 par le tribunal de commerce de Soissons, en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Déboute M. [J] [T] de sa demande en paiement à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Condamne M. [J] [T] aux dépens d'appel.
Le Greffier, La Présidente,