CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 25 septembre 2025, n° 23/15500
PARIS
Arrêt
Autre
FAITS ET PROCÉDURE
La société Sam a été constituée entre M. [Y] [W] et son épouse Mme [C] [W] née [N] et immatriculée le 31 mai 1996.
Par acte sous seing privé du 10 janvier 2000, la société Sam a donné à bail commercial à M. [T] [L] des locaux situés [Adresse 2], d'une surface de 235 m² dont 44 m² de bureaux, pour une durée de 9 ans à compter du 1er février 2000, en contrepartie d'un loyer annuel de 78.000 francs HT, indexable à la date anniversaire de la date d'effet du bail en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction.
Par acte du 29 août 2019, la société Sam a fait délivrer à son locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail portant sur la somme en principal de 106.593,83 euros, correspondant à des impayés de loyer.
Par acte sous seing privé du 1er octobre 2019, la société Sam, représentée par Mme [W], et M. [T] [L] ont signé une convention intitulée 'convention de compensations de créances réciproques et d'abandon de créances', laquelle stipule :
- que le bailleur est redevable de 42.725,49 euros TTC à l'égard du locataire au titre de divers travaux réalisés par le locataire à la demande du bailleur de 2015 à 2019 ;
- que le locataire est redevable de 108.452,21 euros TTC au titre des loyers dus pour la période courant du 1er octobre 2014 au 31 août 2019 ;
- que le bailleur renonce à sa créance, après compensation des créances réciproques, de 65.726,72 euros TTC, 'dans le but de préserver les liens commerciaux existant entre les deux sociétés'.
Par acte du 31 janvier 2020, la société Sam a fait assigner M. [T] [L] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny en constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, faisant valoir que le commandement de payer du 29 août 2019 était resté infructueux. Cette procédure a fait l'objet d'une radiation du rôle de la juridiction le 29 juin 2020.
M. et Mme [W] ont été placés sous le régime de la curatelle renforcée, chacun par jugement du 5 février 2021 du juge des tutelles d'[Localité 4].
Par acte du 23 avril 2021, la société Sam a fait assigner M. [T] [L] devant le tribunal judiciaire de Bobigny notamment pour voir annuler la convention du 1er octobre 2019 et constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail.
Par jugement du 28 août 2023, le tribunal judiciaire de Bobigny s'est déclaré compétent et a :
- déclaré régulier l'acte introductif d'instance ;
- prononcé la nullité de la convention de créances réciproques et d'abandon de créances, en date du 1er octobre 2019 ;
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail conclu entre les parties à la date du 29 septembre 2019 ;
- déclaré que M.[T] [L] est déchu de tout titre d'occupation depuis le 29 septembre 2019 ;
- ordonné à M. [T] [L] de libérer les locaux à usage commercial situé [Adresse 2] ;
- dit qu'à défaut de départ volontaire, M. [T] [L] pourra être expulsé à la requête de la société Sam ainsi que tous occupants de son chef au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ;
condamné M. [T] [L] au paiement de la somme de 110.908,84 euros au titre des loyers et charges dus au 1er octobre 2022,
condamné M. [T] [L] au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer augmenté des charges jusqu'à la libération effective des locaux matérialisée par la date effective de la remise des clés, tout mois commencé étant dû en totalité, chaque indemnité étant augmentée des intérêts au taux légal à compter de chaque terme impayé, la date du fait générateur étant le ler de chaque mois outre les charges en sus ;
- dit le jugement commun aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce ;
- condamné M. [T] [L] aux dépens dont distraction au profit de Me Xavier Martinez ;
- condamné M. [T] [L] à payer à la société Sam la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- rappelé que le jugement est assorti de droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 20 septembre 2023, M. [T] [L] a interjeté appel du jugement en critiquant tous les chefs du dispositif à l'exception de celui par lequel le tribunal s'est déclaré compétent.
Par ordonnance du 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a rejeté la demande de radiation de l'appel formulée par la société Sam sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile.
M. [T] [L] a quitté les locaux le 30 septembre 2024.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 avril 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 5 février 2025, M. [L] demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien-fondé en son appel de la décision rendue le 28 août 2023 par le tribunal judiciaire de Bobigny,
- constater la validité du contrat de compensation et d'abandon de créance conclu le 1er octobre 2019 entre M. [L] et la société Sam,
- constater le règlement de l'intégralité des loyers et charges dus par M.[L] à la société Sam,
En conséquence,
- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- dire et juger que les demandes formées par la société Sam sont infondées et par suite la débouter de l'intégralité de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire, en cas d'annulation de la convention de compensation et d'abandon de créance pour cause de violence,
- constater la créance de M.[L] à l'égard de la société Sam à hauteur de 42.725,49 euros TTC au titre des travaux réalisés entre 2014 et 2019 par M. [L] dans les locaux de la société Sam,
- condamner la société Sam à lui verser ladite somme,
- ordonner la compensation de cette somme avec toute condamnation prononcée à l'encontre de M. [L],
A toutes fins utiles,
- condamner la société Sam au paiement d'une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Olivier Wagnon.
M. [T] [L] fait valoir :
Sur la validité de la convention de compensation et d'abandon de créances,
- qu'il a bien réalisé des travaux pour la société Sam qui est propriétaire de plusieurs locaux professionnels anciens situés [Adresse 7] [Localité 9] ; que la preuve de ces travaux résulte de devis et de contrats de maintenance signés par la société Sam, peu important l'absence de procès-verbaux de réception, la réception tacite étant une pratique habituelle compte-tenu de la nature des travaux ; que la preuve de ces travaux résulte encore des factures établies chaque année par M. [T] [L] et enregistrées au titre de chacun de ses exercices comptables antérieurement à la date de signature de la convention litigieuse, ces factures étant connues de l'expert comptable de la société Sam et de M. [R] [W], fils des associés de la société Sam ;
- que l'état de dépendance de Mme [W], gérante de la société Sam, vis à vis de M. [T] [L] au moment de la signature de la convention litigieuse du 1er octobre 2019 n'est pas démontré ; que les considérations retenues par le premier juge (âge, état de faiblesse, proximité entre la date de la signature de la convention litigieuse et la délivrance du commandement de payer, absence de contrepartie à l'effacement de la dette) ne sont pas suffisantes ; qu'il n'est pas apporté la preuve de l'altération des facultés mentales de Mme [W] au moment de la signature de la convention litigieuse ; que le certificat médical du 21 novembre 2020 concluant à une altération des facultés mentales ou corporelles de Mme [W] n'est pas produit aux débats ; que l'affaire s'inscrit dans un contexte de conflit entre les époux [W], associés de la société Sam, et leurs enfants ;
- qu'aucune mesure n'a été prise concernant la représentation de la société Sam après le placement sous curatelle renforcée de ses deux associés, Mme [W] en restant la gérante jusqu'en 2024, ce qui remet en cause la thèse selon laquelle les facultés de Mme [W] étaient très dégradées au moment de la signature de la convention du 1er octobre 2019 ;
- que l'abandon de créance consenti par la société Sam ne constitue pas un avantage excessif dès lors qu'il n'est pas sans contrepartie ; que l'abandon de créance permettait à la société Sam de conserver un locataire et prestataire de services et aux époux [W] de conserver un voisin bienveillant au quotidien ;
- que l'article 464 du code civil n'est pas applicable en l'espèce ; que cet article protège les actes passés par la personne protégée elle-même et non ceux passés par une société dont elle est la représentante ; qu'en outre, il n'existe ni preuve du caractère notoire de l'inaptitude de Mme [W] à défendre ses intérêts au jour de la signature de la convention litigieuse ni preuve de la connaissance d'un tel état par M. [T] [L] ; qu'en l'absence de preuve de la date de publication du jugement de curatelle renforcée de Mme [W], il n'est pas démontré que la convention litigieuse est intervenue dans le délai de deux ans prévus à l'article 464 du code de procédure civile ; que l'abandon de créance ne constitue pas un préjudice dès lors que les époux [W] souhaitaient garder M. [T] [L] comme voisin ;
Sur le montant de la dette locative,
- que M. [T] [L] a restitué les locaux le 30 septembre 2024 ; qu'à cette date, il était à jour des loyers postérieurs à la convention du 1er octobre 2019.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 mars 2025, la société Sam demande à la cour de :
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de M. [L],
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 août 2023 par le tribunal judiciaire de Bobigny,
Y ajoutant
- fixer le montant de la dette locative de M. [L] à la somme de 127.607,21 euros au 30 septembre 2024,
- condamner M. [L] à payer cette dette locative de 127.607,21 euros,
- condamner M. [L] à payer à la société Sam :
- 20.000 € au titre du préjudice moral,
- 20.000 € au titre du préjudice financier,
- condamner M.[L] à payer à la société Sam la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à tous les dépens de première instance et d'appel que Maître Claire Daubrey pourra recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
La société Sam fait valoir :
Sur la nullité de la convention de compensation de créances réciproques et d'abandon de créances,
- que la prétendue amabilité de M. [L] ne justifie pas dix ans de loyers impayés ;
- qu'en l'absence de production des factures de fourniture et des procès-verbaux de réception des travaux, la réalité des travaux dont se prévaut M. [L] n'est pas prouvée ;
- que M. [L] a manoeuvré, après la délivrance du commandement de payer du 29 août 2019, pour obtenir l'effacement de sa dette, en faisant signer à Mme [W], alors qu'elle n'était plus capable de lire et de comprendre convenablement ce à quoi elle s'engageait, la convention du 1er octobre 2019 qui est attentoire aux droits de celle-ci ; qu'il est indiqué que cette convention aurait été signée à [Localité 6], ce qui est faux Mme [W] qui habite à [Localité 9] ne se souvenant pas d'un déplacement à [Localité 6] et ayant déclaré à sa curatrice que cette convention avait été signée à son domicile sur un coin de table ;
- que les pièces 9 et 10 produites aux débats par M. [L] (deux lettres qui auraient été écrites par Mme [W]) ne sont pas datées ; qu'elles ont été extorquées à Mme [W] par M. [L] ; qu'il n'est pas apporté la preuve que la lettre adressée au premier avocat de la société Sam lui a été transmise ; qu'au demeurant, cette lettre n'a eu aucun effet puisque la procédure engagée par la société Sam s'est poursuivie ;
- que les enfants de Mme [W], sidérés de constater la situation dans laquelle se trouvaient leurs parents, en difficulté financière du fait de l'absence de perception des loyers, ont saisi le procureur de la République d'une plainte pour abus de faiblesse ;
- qu'il est impensable que Mme [W] ait pu en toute connaissance de cause renoncer à percevoir des loyers à hauteur de 110.000 euros en 2019 alors qu'elle avait besoin de cet argent pour payer les dettes de la société Sam ;
- qu'en l'absence de paiement des loyers, la curatrice n'a pas pu payer la facture de chauffage de Mme [W] dont la retraite s'élève à 767,69 euros par mois ;
Sur la dette locative actualisée de M.[L],
- qu'au 30 septembre 2024, la dette de loyer et d'indemnité d'occupation de M. [L] s'élève à la somme de 127.607,21 euros de sorte que la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et la résiliation de celui-ci ne peuvent qu'être confirmées par la cour ;
Sur les facultés cognitives de Madame [W],
- que M. et Mme [W] ont été placés sous curatelle renforcée par jugement du 5 février 2021 ; que ce jugement rappelle que les enfants du couple avaient constaté dès 2017 les troubles de leurs parents et avaient envisagé dès cette époque leur placement sous un régime de protection ; qu'il s'en déduit que les troubles de M. et Mme [W] étaient apparents dès 2017 ; que M. [L], qui était le voisin de M et Mme [W] a forcément constaté le déclin de leurs facultés et a abusé de la situation ;
- que M. [L] a profité de l'éloignement géographique des enfants des époux [W] et de leur isolement pour déterminer et/ou contraindre Mme [W] à signer un acte contraire à ses intérêts ;
- qu'en application de l'article 464 du code civil, tous les actes effectués par les époux [W] après le 5 février 2019, peuvent être annulés s'ils leur sont préjudiciables, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant de la convention du 1er octobre 2019 ;
Sur les modifications statutaires de la société Sam,
- qu' après son placement sous curatelle renforcée, Mme [W] avait délégué la gestion de ses biens à sa curatrice ;
- que suivant une assemblée générale extraordinaire de la société Sam du 27 novembre 2024, le fils de Madame [W] a été nommé co-gérant de la société ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Sam,
- que les carences de M.[L] ont mis gravement en péril les finances de la société Sam et de Madame [W], ce qui a nécessairement eu des conséquences pour la société Sam et Mme [W] ;
- qu'il convient de réparer les préjudices subis par la société Sam et sa gérante à hauteur de 20.000€ au titre du préjudice moral et de 20.000 € au titre du préjudice financier.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
1- Sur la demande d'annulation de la convention du 1er octobre 2019
1-1 Sur l'existence d'un vice du consentement
En vertu de l'article 1100-1 du code civil, les actes juridiques, qu'ils soient conventionnels ou unilatéraux, obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats.
En application de l'article 1178, un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul.
L'article 1128 précise que sont nécessaires à la validité d'un contrat :
1° le consentement des parties ;
2° leur capacité de contracter ;
3° un contenu licite et certain.
L'article 1129 rappelle que conformément à l'article 414-1, il faut être sain d'esprit pour consentir valablement à un contrat.
L'article 1130 dispose que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
L'article 1140 définit la violence : il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.
L'article 1143 ajoute qu'il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.
En l'espèce, les parties décrivent les facultés cognitives de Mme [W] au moment de la signature de la convention du 1er octobre 2019, les relations entre M. et Mme [W], d'une part, et M. [L], d'autre part, ainsi que le comportement de M. [L] vis-à-vis de M. et Mme [W] de façon totalement opposée.
Dans ces conditions, étant observé que la violence telle qu'elle est définie aux articles 1140 et 1143 du code civil ne peut se déduire ni du grand âge de Mme [W] (87 ans au moment de la signature de la convention litigieuse) ni de la proximité temporelle entre le commandement de payer du 29 août 2019 et la convention litigieuse du 1er octobre 2019, sauf à dénier à toute personne de 87 ans la capacité de consentir, il convient de s'attacher à l'examen des éléments de preuve produits aux débats par les parties.
La société Sam, pour preuve des facultés cognitives de Mme [W] au moment de la signature de la convention litigieuse et de la violence qu'elle reproche à M. [L], produit aux débats :
- la plainte déposée par les enfants de M. et Mme [W] auprès du procureur de la République de [Localité 5] contre M. [T] [L] pour abus de faiblesse ;
- le jugement du 5 février 2021 du juge des tutelles d'[Localité 4] qui a placé Mme [W] sous le régime de la curatelle renforcée ;
- le jugement du 5 février 2021 du juge des tutelles d'[Localité 4] qui a placé M. [W] sous le régime de la curatelle renforcée.
Dans leur plainte au procureur de la République de [Localité 5], les enfants de M. et Mme [W] déduisent l'existence d'une emprise de M. [T] [L] sur leurs parents de la signature de la convention du 1er octobre 2019, de la concomitance entre cette convention et la délivrance du commandement de payer du 29 août 2019 et d'une lettre de Mme [W] dans laquelle elle écrit n'avoir mandaté ni avocat ni huissier de justice au nom de la société Sam pour engager la procédure en référé contre M. [T] [L] selon l'assignation du 31 janvier 2020. Il n'est pas fait état d'autres faits dans cette plainte. Toutefois, le désaccord des enfants avec la convention signée par leur mère au nom de la société Sam le 1er octobre 2019 ne suffit pas à établir l'existence d'une emprise de M. [T] [L] sur M. et Mme [W]. En outre, il doit être relevé que la suite donnée à cette plainte par le procureur de la République de [Localité 5] n'a pas été portée à la connaissance de la cour.
Le jugement du 5 février 2021 du juge des tutelles d'[Localité 4] qui a placé Mme [W] sous le régime de la curatelle renforcée vise un certificat médical du 21 novembre 2020. Le contenu de ce certifcat médical n'est pas précisé dans le jugement et ce certificat n'est pas produit aux débats. Dans ce jugement, il est seulement indiqué que Mme [W] a déclaré, lors de son audition, 'n'avoir plus de nouvelles de ses enfants depuis un incident il y a quatre ans, ces derniers les ayant conviés à un rendez-vous en présence d'un homme de loi pour les faire placer sous tutelle sans en avoir discuter préalablement' et n'avoir 'plus de lien téléphonique ou physique avec aucun de ses trois enfants'. En l'absence de production aux débats d'élements médicaux sur la pathologie ayant conduit au placement de Mme [W] sous le régime de la curatelle renforcée et sur l'évolution dans le temps de cette pathologie, ce jugement ne suffit ni à établir que les facultés cognitives de Mme [W] étaient amoindries dès 2017, ni à établir que Mme [W] n'était pas saine d'esprit au moment de la signature de la convention du 1er octobre 2019, plus d'un an avant l'établissement du certificat médical visé dans le jugement.
L'analyse du jugement du 5 février 2021 du juge des tutelles d'[Localité 4] qui a placé M. [W] sous le régime de la curatelle renforcée ne présente pas d'intérêt pour le litige dès lors que Mme [W], qui était la seule gérante de la société Sam, a seule signé la convention litigieuse du 1er octobre 2019. Au demeurant, l'examen de ce jugement conduit à la même analyse que celle ci-dessus faite concernant le jugement qui a placé Mme [W] sous le régime de la curatelle renforcée.
Par ailleurs, l'éventuelle erreur sur le lieu de signature de la convention du 1er octobre 2019 n'est pas de nature à apporter la preuve de l'altération des facultés mentales de Mme [W] à cette date ou d'une pression exercée par M. [T] [L].
Quant à M. [T] [L], il produit :
- les factures des travaux qu'il soutient avoir réalisés à la demande de la société Sam ou des époux [W] entre 2015 et 2019 ainsi que l'enregistrement de ces factures dans la comptabilité de son entreprise, les contrats de maintenance et les devis de travaux signés par Mme [W] ;
- un mail adressé par le comptable de la société Sam, le 17 mai 2018, à M. [T] [L] et M.[R] [W], un des enfants de M. et Mme [W], concernant deux factures établies par M. [T] [L] ; ce mail évoque une compensation entre les créances détenues par M. [T] [L] sur la société Sam et les époux [W] e les loyers dus par M. [T] [L] à la société Sam ;
- un mail adressé le 15 juin 2008 par M. [R] [W] à M. [T] [L], dans lequel M. [R] [W] demande si la convention de compensation des créances a été établie ;
- une lettre écrite et signée de la main de Mme [W], à destination de M. [T] [L], dans laquelle Mme [W] confirme à M. [L] ne pas être à l'origine de la procédure de référé engagée par la société Sam contre lui suivant assignation du 31 janvier 2020 ;
- une lettre écrite et signée de la main de Mme [W], à destination de l'avocat ayant engagé la procédure de référé au nom de la société Sam, dans laquelle elle rappelle qu'elle est la représentante légale de la société Sam et qu'elle ne l'a pas mandaté pour engager une telle procédure.
Ces documents établissent que M. [T] [L] n'a pas attendu la délivrance du commandement de payer du 29 août 2019 pour faire état de factures de travaux venant en compensation des loyers dus à la société Sam.
L'absence de procès-verbaux de réception des travaux ne suffit pas à établir la fictivité de ces travaux s'agissant de contrats de maintenance, de travaux de chauffage et d'électricité. La signature par Mme [W] des contrats de maintenance et des devis de travaux, pour certains en 2015 et 2016, soit bien avant que soit évoquée une altération de ses facultés intellectuelles par ses enfants, établit au contraire la réalité de ces travaux.
Par ailleurs, les lettres de Mme [W], si elles ne sont pas datées, ont nécessairement, compte-tenu de leur contenu, été écrites après le 31 janvier 2020, date de l'assignation en référé délivrée par la société Sam à M. [T] [L]. Ni l'écriture ni le contenu de ces lettres ne revèle un amoindrissement des facultés cognitives de Mme [W], une pression ou une contrainte exercée par M. [T] [L]. Si la lettre adressée par Mme [W] à l'avocat n'a pas donné lieu à un désistement de l'instance en référé, la cour observe néanmoins que la procédure de référé engagée par assignation du 31 janvier 2020 par la société Sam s'est rapidement terminée par une radiation de l'affaire le 29 juin 2020.
Après examen de l'ensemble de ces éléments, il apparait qu'il n'est pas apporté la preuve de l'insanité d'esprit de Mme [W] au moment de la signature de la convention du 1er octobre 2019. Il n'est pas non plus apporté la preuve de violence, au sens des articles 1140 et 1143 du code civil, commise par M. [T] [L] et qui aurait vicié le consentement de la gérante de la société Sam. Il n'est notamment pas apporté la preuve d'un état de dépendance de Mme [W] vis-à-vis de M. [T] [L] ou de pressions exercées par ce dernier.
1-2 Sur le fondement de l'article 464 du code civil
L'article 464 du code civil dispose que les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du concontractant à l'époque où les actes ont été passés.
Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée.
En l'espèce, la conclusion de la convention du 1er octobre 2019, dont il est recherché l'annulation, n'est pas un acte accompli par Mme [W]. Il s'agit d'un acte accompli par la société Sam représentée par Mme [W].
De la même manière, l'éventuel préjudice subi du fait de la conclusion de cette convention n'est pas le préjudice de Mme [W] mais le préjudice de la société Sam.
L'article 464 du code de procédure civile ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce.
Au demeurant, il résulte de l'examen des éléments de preuve produits aux débats, que la preuve de l'inaptitude de Mme [W] à défendre ses intérêts ou ceux de la société Sam au moment de la conclusion de la convention du 1er octobre 2019 n'est pas apportée.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a prononcé la nullité de la convention de compensations de créances réciproques et d'abandon de créances conclue le 1er octobre 2019 entre la société Sam et M. [T] [L] et, statuant à nouveau, de débouter la société Sam de sa demande.
2- Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences
En application de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au présent litige compte tenu de la date du bail, et de l'article L. 145-41 du code de commerce, un bail commercial peut prévoir la résiliation de plein droit du bail en cas de non-paiement du loyer convenu, cette clause, qui doit être expresse, ne produisant effet qu'un mois après un commandement, qui doit mentionner ce délai à peine de nullité, demeuré infructueux.
En l'espèce, la société Sam a fait délivrer à M. [T] [L] un commandement de payer la somme en principal de 106.593,83 euros, correspondant à sa dette locative arrêtée au 31 juillet 2019, par acte du 29 août 2019.
Par l'effet de la convention du 1er octobre 2019, cette dette s'est trouvée éteinte.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à la date du 29 septembre 2019, dit que M. [T] [L] était déchu de tout titre d'occupation depuis le 29 septembre 2019, ordonné l'expulsion de M. [T] [L] des locaux à défaut de départ volontaire de sa part et condamné celui-ci au paiement d'une indemnité d'occupation. Il convient, statuant à nouveau, de débouter la société Sam de sa demande tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail du 10 janvier 2000 et de ses demandes subséquentes.
3- Sur la demande de paiement de la dette locative
Par l'effet de la convention du 1er octobre 2019, la dette locative de M. [T] [L] est éteinte pour la période allant jusqu'au 31 août 2019.
M. [T] [L] ayant quitté les lieux et remis les clés le 30 septembre 2024, il est redevable des loyers et charges du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2024.
Il résulte des décomptes produits aux débats par la société Sam que le montant mensuel du loyer et des charges réclamé par la bailleresse à son locataire est de 1.855,29 euros TTC. Ce montant n'est pas contesté par M. [T] [L].
La somme due par M. [T] [L] au titre des loyers et charges pour la période courant du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2024 est donc de 113.172,69 euros TTC, soit 1.855,29 euros x 61 mois.
Il résulte des décomptes produits aux débats par la société Sam que sur la même période, M. [T] [L] a réglé les sommes suivantes :
- 1.855, 29 euros en juillet 2020;
- 31.539,93 euros en 2021;
- 16.697,61 euros du 1er janvier 2022 au 30 septembre 2022;
- 16.705,61 euros en 2023;
- 22.254,72 euros en 2024 jusqu'au 30 septembre 2024.
La société Sam ne produit pas de décompte pour le dernier trimestre 2022, étant observé qu'il résulte des pièces produites aux débats que la société Sam a changé de gestionnaire à cette époque.
M. [T] [L] apporte la preuve qu'il a réglé la somme de 5.565,87 euros au titre du dernier trimestre 2022.
M. [T] [L] apporte en outre la preuve d'avoir effectué un réglement supplémentaire de 18.552,90 euros en juin 2020 par la production de la copie d'un chèque de ce montant à l'ordre de la société Sam et la preuve du débit de ce même chèque sur son compte bancaire.
Du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2024, M. [T] [L] a donc réglé à la société Sam, à titre de loyers et de charges, la somme totale de 113.171,93 euros.
M. [T] [L] reste donc redevable envers la société Sam de la somme de 0,76 euros TTC, soit 113.172,69 euros - 113.171,93 euros.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné M. [T] [L] à payer à la société Sam la somme de 110.908,84 euros au titre des loyers et charges dus au 1er octobre 2022 et, statuant à nouveau, de condamner M. [T] [L] à payer à la société Sam la somme de 0,76 euros TTC au titre des loyers et charges selon décompte arrêté au 30 septembre 2024.
4- Sur la demande de dommages et intérêts de la société Sam
Il n'est pas apporté la preuve de ce que M. [T] [L] aurait exercé des pressions ou une contrainte sur Mme [W]. Il n'est pas non plus apporté la preuve qu'il aurait abusé d'un état de dépendance ou de faiblesse de celle-ci.
Par ailleurs, dès lors que la société Sam a abandonné sa créance de loyers arrêtée au 31 août 2019 et que M. [T] [L] est à jour du paiement des loyers postérieurs, il ne saurait lui être reproché un manquement à son obligation de payer son loyer.
En outre, étant rappelé que le préjudice de la société Sam ne se confond pas avec le préjudice de Mme [W] et que la société Sam étaient propriétaires d'autres locaux donnés à bail à d'autres locataires, la cour relève que la société Sam ne justifie ni du préjudice moral ni du préjudice financier qu'elle soutient avoir subis, se contentant de procéder par voie d'affirmation.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Sam de sa demande de dommages et intérêts.
5- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Compte-tenu de l'infirmation du jugement de première instance, la société Sam est la partie succombante.
En conséquence et, en application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné M. [T] [L] aux dépens et, statuant à nouveau, de condamner la société Sam aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux de première instance et d'appel au profit de Maître Olivier Wagnon et distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Claire Daubrey conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, l'équité commande d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné M. [T] [L] à payer à la société Sam la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, de condamner la société Sam à payer à M. [T] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 28 août 2023 en ce qu'il a débouté la société Sam de sa demande de dommages et intérêts ;
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 28 août 2023 en ses autres dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société Sam de sa demande de nullité de la convention de compensations de créances réciproques et d'abandon de créances du 1er octobre 2019 conclue entre la société Sam et M. [T] [L] ;
Déboute la société Sam de sa demande tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail du 10 janvier 2020 et de ses demandes subséquentes d'expulsion et de condamnation de M. [T] [L] au paiement d'une indemnité d'occupation ;
Condamne M. [T] [L] à payer à la société Sam la somme de 0,76 euros TTC au titre des loyers et charges selon décompte arrêté au 30 septembre 2024 ;
Condamne la société Sam aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Olivier Wagnon pour ceux de première instance et d'appel et de Maître Claire Daubrey pour ceux uniquement d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Sam à payer à M. [T] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.