CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 25 septembre 2025, n° 22/01617
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MC Immobilier (SARL)
Défendeur :
SCI L J L (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Bussière
Avocats :
Me Chaigneau, Me Teytaud, Me Malka
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 8 mars 2016, la société dénommée SCI L J L (ci-après la société LJL) a consenti à M. et Mme [N] un renouvellement de bail commercial portant sur les locaux suivants situés [Adresse 4] à Paris 11ème, pour une durée de neuf années commençant à courir rétroactivement le 1er janvier 2011, à destination de "tous commerces, à l'exception de ceux interdits par le règlement de copropriété » :
« - Lot n° 3 : une boutique située au rez-de-chaussée du [Adresse 3], à la suite un bureau et les water-closets particuliers avec escalier d'accès au rez-de-chaussée inférieur formant le lot n° 24 ;
- Lot n° 24 : au rez-de-chaussée inférieur au deuxième local commercial ayant accès direct sur la [Adresse 13] comprenant : deux ateliers et réserve avec escalier donnant accès au rez-de-chaussée supérieur (lot n° 3) ;
- Lot n° 37 : au sous-sol : une cave portant le n° 12 du plan des caves du règlement de copropriété, ces trois lots constituant l'intégralité de ladite location et formant au total les 689 tantièmes de la division des lots de copropriété. »
Selon acte sous seing privé du 13 janvier 2017 auquel est intervenue la société LJL en qualité de bailleur, M. et Mme [N] ont cédé leur droit au bail à la société MC Immobilier au prix de 205.000 euros.
Le 28 juin 2019, la société LJL a fait signifier à la société MC Immobilier un congé avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction, à effet du 31 décembre 2019.
Faisant valoir qu'elle s'était ultérieurement aperçue que sa locataire mettait les lieux loués à la disposition de sociétés tierces en violation des termes du bail, la société LJL a fait assigner la société MC Immobilier devant le tribunal de grande instance de Paris en résiliation judiciaire du bail commercial et à titre subsidiaire pour voir dire que la locataire ne peut prétendre à une indemnité d'éviction.
Par jugement du 13 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
débouté la société LJL de sa demande principale de résiliation judiciaire du bail du 8 mars 2016,
dit la société LJL fondée à dénier à la société MC Immobilier le droit au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-14 du code de commerce,
dit que la société MC Immobilier est occupante sans ni titre depuis le 1 janvier 2020 des locaux objet du bail susvisé situés [Adresse 4] à [Localité 12] ,
en conséquence, ordonné à la société MC Immobilier de libérer les lieux susvisés dans le délai de trois mois à compter de la signification de la décision,
dit qu'à défaut de départ volontaire, la société MC Immobilier pourra être expulsée à la requête de la société LJL, ainsi que tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier,
dit que le sort des meubles sera régi conformément aux articles L. 433-1 et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
débouté la société LJL de sa demande de prononcé d'une astreinte,
débouté la société LJL de sa demande de condamnation de la société MC Immobilier au paiement de 20.000 € de dommages et intérêts,
débouté la société MC Immobilier de ses demandes de condamnation de la société LJL au paiement d'une indemnité d'éviction de 445.000 € et de désignation d'un expert judiciaire,
condamné la société MC Immobilier à payer à la société LJL la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
condamné la société MC Immobilier aux dépens de l'instance,
ordonné l'exécution provisoire de la présente décision en toutes ses dispositions.
Par déclaration du 17 janvier 2022, la société MC Immobilier a interjeté appel du jugement en critiquant tous les chefs du dispositif à l'exception de ceux qui ont débouté la société LJL de ses demandes.
Conformément à l'exécution provisoire attachée au jugement querellé, qui lui avait été signifié par acte du 1er février 2022, la société MC Immobilier a restitué les locaux.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 mars 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions déposées le 14 octobre 2022, la société MC Immobilier demande à la cour de :
recevoir la société MC Immobilier en ses conclusions d'appel, la dire bien fondée, y faire droit,
réformer le jugement en ce qu'il a dit que la société LJL est fondée à dénier à la société MC Immobilier le droit au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-14 du code de commerce,
réformer le jugement en ce qu'il a dit que la société MC Immobilier est occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2020 des locaux objet du bail situés [Adresse 3],
réformer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société MC Immobilier de libérer les lieux susvisés dans le délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision,
réformer le jugement en ce qu'il a dit qu'à défaut de départ volontaire, la société MC Immobilier pourra être expulsée à la requête de la société LJL ainsi que tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier,
réformer le jugement en ce qu'il a dit que le sort des meubles sera régi conformément aux articles L. 433-1 et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société MC Immobilier de ses demandes de condamnation de la société LJL au paiement d'une indemnité d'éviction de 445.000 € et de désignation d'un expert judiciaire,
réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société MC Immobilier à payer à la société LJL la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société MC Immobilier aux dépens de l'instance,
débouter la société LJL de ses demandes formées par voie d'appel incident,
Et statuant à nouveau :
dire que la société MC Immobilier est en droit d'obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction consécutive au congé avec refus de renouvellement de son bail commercial,
dire que ce droit à indemnité d'éviction n'est pas remis en cause du fait de la restitution des lieux loués par la société MC Immobilier dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement du 13 décembre 2021,
fixer à la somme de 445.000 € l'indemnité d'éviction que la société LJL devra payer à la société MC Immobilier,
Dans l'hypothèse où la cour s'estimerait insuffisamment informée :
désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission de :
se faire communiquer tous documents et pièces utiles,
se rendre sur place [Adresse 5] dans les locaux ci-dessus plus amplement désignés,
visiter les locaux litigieux, les décrire, dresser le cas échéant la liste du personnel employé par le locataire,
rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de la situation et de l'état des locaux, tous éléments permettant de déterminer l'indemnité d'éviction dans le cas :
d'une perte de fonds : valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation afférents à la cession d'un fonds d'importance identique, de la réparation du trouble commercial,
de la possibilité d'un transfert de fonds sans perte conséquente de clientèle sur un emplacement de qualité équivalente et en tout état de cause le coût d'un tel transfert comprenant : acquisition d'un titre locatif ayant les mêmes avantages que l'ancien, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial.
dire que la provision à valoir sur les frais d'expertise devra être consignée par la société LJL,
condamner la société LJL à payer à la société MC Immobilier une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société LJL aux entiers dépens de la présente instance en application de l'article 696 du code de procédure civile et autoriser Maître Chaigneau, avocat au barreau de Paris, à procéder à leur recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du même code,
La société MC Immobilier fait valoir :
Sur l'absence de motif grave et légitime justifiant le refus de paiement d'une indemnité d'éviction,
- que le transfert de la jouissance du local loué à un tiers pour l'exercice d'une activité commerciale est insuffisant pour caractériser l'existence d'une sous-location ; que le tiers doit avoir payé un prix ou avoir fourni une contrepartie ; qu'il convient en outre de distinguer la sous-location de contrats voisins ;
- que la société MC Immobilier ne s'est jamais présentée comme un simple agent immobilier auprès de la bailleresse ; qu'elle est une société spécialisée en immobilier commercial qui propose notamment du 'conseil en stratégie de développement avec notamment des opérations de test de magasin clé en main' ; que les contrats conclus avec ses clients sont des contrats de prestation de services comportant éventuellement la mise à disposition ponctuelle des locaux litigieux, laquelle est réalisée conformément à la destination 'tous commerces' stipulée au bail ; qu'il s'en déduit que la fourniture de prestation de services est l'objet principal du contrat proposé par la société MC Immobilier et que si elle peut être assortie d'un droit d'accès aux locaux , ce droit ne s'accompagne pas d'une concession de la jouissance totale et exclusive des locaux au client ; que les contrats conclus par la société MC Immobilier avec ses clients ne sont donc pas des contrats de sous-location ;
- que la bailleresse était informée de ses activités, notamment de l'organisation d'opérations de test de magasin "clé en main", lorsqu'elle l'a agréée en qualité de cessionnaire du droit au bail des époux [N] ; qu'elle en a été informée à l'occasion des négociations relatives à la cession du droit au bail dans lesquelles elle a été impliquée à la faveur des négociations concomittantes relatives au renouvellement du bail, lors de la notification de la promesse de cession, lors de la signature de l'acte de cession à laquelle elle était présente ;
- que la bailleresse a en outre autorisé des travaux nécessaires à l'accessibilité des locaux loués dont la finalité était l'organisation d'évènements dans les locaux loués et mandaté la locataire pour la représenter à l'assemblée générale des copropriétaires du 9 mars 2017 lors de laquelle ces travaux ont été soumis au vote des copropriétaires ; que ces travaux coûteux, assumés par la locataire, ont profité à la bailleresse qui a reloué les locaux, après le départ de la société MC Immobilier, au quintuple du loyer dont la société MC Immobilier était redevable ;
- que la société MC Immobilier a adressé à la société LJL, par mail, son attestation d'assurance organisateur, le 19 juillet 2017 ;
- que la société MC Immobilier a invité la bailleresse pour l'évènement [L] organisé en septembre 2017 ;
Sur sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction,
- qu'elle a subi un préjudice du fait de la perte de son fonds de commerce et de sa clientèle ;
- que la restitution des locaux à la suite du jugement du 13 décembre 2021 est sans incidence sur le bien fondé de sa demande d'indemnisation ;
- que c'est une indemnité de remplacement qui lui est due dès lors que :
- le chiffre d'affaires d'une agence immobilière est réalisé par l'activité de transaction qui est liée à l'emplacement ;
- la société MC Immobilier avait développé un concept innovant de prestations de services en utilisant les locaux loués ;
- l'expertise de la société MC Immobilier s'est développée autour des locaux commerciaux situés dans un périmètre très proche des locaux loués ;
- la société LJL ne lui a pas proposé de locaux équivalents ;
- que la valeur du droit au bail qui s'élève à 335.000 € est supérieure à la valeur de son fonds de commerce ; qu'il lui est outre dû des indemnités accessoires pour un montant total de 110.000 € ;
Sur la demande de la société LJL de résiliation judiciaire du bail,
- qu'à hauteur d'appel, la société LJL demande la résiliation judiciaire du bail à compter du 6 décembre 2019 ;
- que la société LJL ne peut prétendre avoir découvert l'existence des prétendues sous-locations à compter de cette date ;
Sur la demande de la société LJL de dommages et intérêts,
- qu'aucune sous-location ne peut lui être reprochée ;
- que les dispositions de l'article L. 145-31 du code de commerce ne permettent pas à la société LJL de fonder une demande de dommages et intérêts ;
- que la société LJL ne produit aucun décompte pour justifier le montant de 20.000 € qu'elle réclame à titre de dommages et intérêts ;
- que le préjudice allégué par la société LJL au titre des déplacements et autres activités de surveillance des modalités d'occupation des locaux concerne ses représentants et non elle-même en qualité de personne morale.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 29 novembre 2024, la société LJL demande à la cour de :
A titre principal,
confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris et juger que les mises à disposition répétées des locaux loués par la société MC Immobilier au profit de tiers s'analysent en une sous-location irrégulière ou un prêt des locaux interdit et constituent un motif grave et légitime pour dénier à la société MC Immobilier le droit au paiement d'une indemnité d'éviction ;
confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a jugé la société LJL fondée à dénier à la société MC Immobilier le droit au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-14 du code de commerce ;
confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a jugé que la société MC Immobilier est occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2020 des locaux objets du bail situés [Adresse 4] à Paris 11ème et ordonné son expulsion desdits locaux ;
A titre subsidiaire,
infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a débouté la société LJL de sa demande de résiliation judiciaire du bail commercial du 8 mars 2016 ;
Statuant à nouveau,
prononcer la résiliation judicaire du bail commercial du 8 mars 2016 conclu entre les sociétés LJL et MC Immobilier aux torts exclusifs de la société MC Immobilier à compter du 6 décembre 2019 ;
Dans tous les cas,
infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a débouté la société LJL de sa demande de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
condamner la société MC Immobilier à verser à la société LJL la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamner la société MC Immobilier à payer à la société LJL la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société MC Immobilier aux entiers dépens.
La société LJL fait valoir :
Sur le refus de renouvellement sans indemnité d'éviction,
- que la jurisprudence reconnait au bailleur la faculté de rétracter son offre d'indemnité d'éviction en cas de motif grave et légitime ;
- que la jurisprudence considère que le fait pour la locataire d'avoir consenti une sous-location en contravention avec les dispositions légales ou les stipulations contractuelles constitue un motif grave et légitime justifiant le refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction ; que cette solution peut être étendue au prêt prohibé des locaux ;
- que le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction n'a pas à être précédé de la mise en demeure préalable prévue par l'article L. 145-17 du code de commerce, lorsque le manquement reproché au preneur n'est pas susceptible d'être réparé ou de cesser dans le délai d'un mois ;
- qu'en l'espèce, la société LJL n'était pas informée de ce que la locataire entendait mettre les locaux loués à la disposition de tiers ; que la société LJL s'est bornée à indiquer à la bailleresse qu'outre son activité d'agence immobilière et d'expertise, elle exerçait une activité de 'conseil en stratégie de développement avec notamment des opérations de test de magasin clé en mains', sans préciser que les tests de magasin clé en mains seraient réalisés dans les lieux loués ;
- que si elle a donné son accord aux travaux envisagés dans les locaux loués par la société MC Immobilier, il ne lui a jamais été précisé que ces travaux étaient destinés à permettre l'organisation d'évènements dans les locaux comme le soutient la locataire ;
- qu'elle n'a jamais été conviée aux évènements organisés par la locataire ;
- qu'elle a découvert l'attestation d'assurance dont se prévaut la société MC Immobilier dans le cadre de la première instance ;
- que le bail interdit expressément la sous-location et le prêt des locaux loués, même temporairement, à des tiers ;
- que la société MC Immobilier mettait les locaux à disposition de tiers afin de leur permettre d'y installer des boutiques éphémères ; qu'ainsi, elle sous-louait ou à tout le moins prêtait les locaux à des tiers ;
- que la société MC Immobilier n'a jamais sollicité l'autorisation de la bailleresse pour sous-louer ou prêter les locaux ni ne l'a appelée à concourir aux actes des différentes sous-locations, contrevant ainsi aux dispositions de l'article L. 145-31 du code de commerce ;
- que contrairement à ce que soutient la société MC Immobilier, la mise à disposition des locaux loués ne constitue pas un accessoire mais la prestation essentielle des contrats conclus avec ses clients ; que la société MC Immobilier procède même à un aveu judiciaire en écrivant dans le contrat conclu avec la société [L] SA que la société MC Immobilier 's'engage également à ne pas révéler à quiconque le fait que [L] va louer les espaces prévus au présent contrat avant le début de la mise à disposition' ;
- que la société MC Immobilier ne justifie pas avoir accompli les prestations autres que la mise à disposition des locaux dont elle se prévaut ; que la société MC Immobilier n'emploie aucun salarié et ne possède aucun matériel spécifique à mettre à la disposition de ses clients ; que la sécurité des locaux n'est pas assurée par la société MC Immobilier pendant les périodes de mise à disposition des locaux à ses clients ;
- que sur son site internet, la société MC Immobilier présente exclusivement les locaux qu'elle se propose de mettre à disposition sans jamais décrire la moindre prestation annexe ;
Sur l'indemnité d'éviction demandée par la société MC Immobilier,
- que la cour écartera le rapport d'expertise amiable versé aux débats par la société MC Immobilier dès lors qu'il n'est pas contradictoire ;
- que la société MC Immobilier fait preuve de mauvaise foi en soutenant qu'elle perd sa clientèle qui était liée à l'emplacement alors que la vitrine des locaux loués ne supportait aucune annonce de biens à vendre ou à louer ; que l'éviction de la locataire n'est pas de nature à entraîner la perte de son fonds de commerce, étant observé que la société MC Immobilier a exploité son fonds au domicile de son gérant pendant près de 10 ans ;
Sur la résiliation judiciaire du contrat de bail commercial,
- qu'en application de l'article 1184 ancien du code civil, la résolution judiciaire du bail peut être prononcée en cas de manquement du preneur à ses obligations contractuelles ;
- que la société LJL est fondée à solliciter la résiliation du bail à compter du 6 décembre 2019 dès lors que son assignation a été signifiée avant la fin du bail ;
- qu'en sous-louant, ou à tout le moins en prêtant, à plusieurs reprises les locaux en violation des clauses du bail , la société MC Immobilier a manqué gravement à ses obligations contractuelles;
Sur la demande de dommages et intérêts,
- que la société MC Immobilier a réalisé des gains en fraude des droits de la bailleresse ;
- qu'à compter de la découverte de la mise à disposition irrégulière des locaux à des tiers, la société MC Immobilier a été contrainte de multiplier les diligences et déplacements sur place afin de surveiller l'occupation faite des locaux par la société MC Immobilier.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
Sur la demande de la société MC Immobilier d'une indemnité d'éviction et la demande de la société LJL tendant à voir dire que la société MC Immobilier est privée du droit au paiement d'une indemnité d'éviction
En vertu de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail mais il doit alors, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
L'article L.145-17 du code de commerce prévoit que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'une indemnité d'éviction, s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. S'il s'agit de l'inexécution d'une obligation, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du 1° du I de l'article L. 145-17.
Par ailleurs, l'article L. 145-31 du code de commerce dispose que sauf stipulation contraire au bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite.
En cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte.
Lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location princiaple, le propriétaire a la faculté d'exiger une augmentation correspondante du loyer de la location princiaple.
Le bail d'origine du 2 mai 1985, auquel le bail renouvelé du 8 mars 2016 renvoie, stipule que le preneur s'interdit de 'sous-louer meublé ou non meublé, en totalité ou en partie' et de 'se substituer quelque personne que ce soit, ni prêter les lieux loués, même temporairement, à des tiers'.
En l'espèce, il est acquis que la société MC Immobilier a mis les locaux loués à la disposition de tiers dans le cadre de contrats qu'elle désigne comme des contrats de prestation de services.
C'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que le premier juge a retenu qu'il n'était pas démontré que la société LJL savait, avant la délivrance du congé avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction, par acte extrajudiciaire du 28 juin 2019, que sa locataire mettait les locaux loués à la disposition de tiers.
Il convient simplement de souligner et d'ajouter les points suivants.
La connaissance par la société LJL de l'activité de sa locataire, à savoir, selon les mentions de l'extrait Kbis de la société MC Immobilier, 'agent immobilier - transaction de biens estimations conseil en commercialisation au bénéfice de toute personne physique et de toutes entreprises sociétés ou personnes morales privées et publiques. Organisation d'évènements (sans production de spectacles vivants), de ventes privées, de ventes dans tous les domaines d'activité' ou, selon les statuts de la société MC Immobilier, ' l'activité réglementée d'agent immobilier incluant, sans caractère exhaustif , la transaction, l'administration de biens, l'estimation, le conseil en commercialisation, au bénéfice de toute personne physique et de toutes entreprises, sociétés ou personnes morales, privées et publiques, ainsi que l'acquisition, la propriété et la gestion de toutes valeurs mobilières ou immobilières et tout bien lui appartenant, l'organisation de tout évènements, expositions, manifestations, conférences showroom, ventes, ventes privées, dans tous les secteurs d'activité', n'implique pas nécessairement la connaissance par la bailleresse de l'intention de sa locataire de mettre les locaux loués à la disposition de tiers dans le cadre d'opérations de 'test de magasin clé en main'.
Il en est de même de la connaissance par la société LJL des travaux effectués par la société MC Immobilier dans les locaux loués, à savoir, modification des façades côté [Adresse 10] et [Adresse 13], accessibilité entre la boutique et l'arrière boutique côté [Adresse 10], agrandissement de la trémie d'escalier entre les lots n° 24 et n°3 et déplacement des toilettes dans le lot n° 24. En effet, ces travaux peuvent tout à fait s'expliquer par l'accueil du public dans une agence immobilère.
Quant à la transmission par la société MC Immobilier de son attestation d'assurance organisateur, même à la considérer effective, ce que conteste à raison la société LJL en l'absence de preuve de la réception du mail de transmission de cette attestation par sa destinataire, elle ne suffit pas à établir que la société LJL était informée de l'intention de sa locataire d'organiser des opérations de 'test de magasin clé en main' dans les locaux loués. En effet, la locataire transmet son attestation d'assurance sans attirer l'attention de sa bailleresse sur le contenu de celle-ci, laissant le soin à cette dernière de déduire de l'activité de l'assurée mentionnée dans cette attestation que sa locataire envisage d'organiser des évènements dans les locaux loués. En outre, l'organisation d'évènements dans les locaux loués n'implique pas nécessairement la sous-location ou le prêt des locaux, comme le reproche la société LJL à sa locataire.
En outre, il n'est produit aucune preuve de ce que la société MC Immobilier a convié la société LJL à l'un des évènements organisés dans les locaux loués.
C'est également par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que le premier juge s'est livré à une analyse du contrat de prestation de services conclu entre la société MC Immobilier et ses clients.
Il convient simplement de souligner les points suivants.
Le contrat de prestation de services conclu entre la société MC Immobilier et la société [L] SA, qui est le seul contrat produit aux débats, porte sur les 5 services suivants :
- réseaux sociaux - journalistes : préconisations de personnes qualifiées afin de communiquer autour de votre marque, de vos évènements (bureau de presse, journalistes / blogueurs / influenceurs) afin de vous orienter et élaborer des stratégies créatives, en articulant médias traditionnels, digitaux et sociaux ;
- support de publicité : conception et fabrication de différents supports de publicité, affiches, cartes de visites, flyers... ;
- mise à disposition d'espaces : recherche de lieu et mise à disposition notamment des locaux commerciaux situés [Adresse 2] ;
- assurance locative : MCI LAB a souscrit à une assurance 'organisateur d'évènement' ;
- internet/ wifi : accès très haut débit (fibre) et accès au wifi.
Dans ce contrat, la mise à disposition des locaux loués, qui est la seule prestation à faire l'objet de stipulations contractuelles détaillées dans un long article intitulé 'utilisation des locaux', constitue la prestation de service principale et les autres son accessoire. En effet, les autres prestations de service n'existent pas sans la mise à disposition des locaux.
Par ailleurs, il doit être relevé que les modalités contractuelles de la mise à disposition des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 12], opèrent transfert de la jouissance totale desdits locaux à la société [L] SA pendant la période de mise à disposition. En effet, le contrat stipule que le contrôle de l'accès et la surveillance du local sont assurés pendant toute l'occupation du local par la société [L] SA, sous son entière responsabilité et que la société MC Immobilier se réserve un simple droit de visite avec un délai de prévenance de 2 jours.
En outre, le contrat prévoit une rémunération au bénéfice de la société MC Immobilier, détaillée dans une annexe que la société MC Immobilier a choisi de ne pas verser aux débats.
En présence du transfert de la jouissance totale des locaux loués à la société [L] SA en contrepartie d'une rémunération, le contrat de prestation de services conclu entre la société MC Immobilier et la société [L] SA, dont l'objet principal est la mise à disposition des locaux, s'analyse en un contrat de sous-location.
Alors qu'il est acquis que la locataire a mis les locaux loués à la disposition de plusieurs autres sociétés tierces, la société MC Immobilier ne produit pas aux débats les contrats dans le cadre desquels ces mises à disposition sont intervenues.
Dans ces conditions et dès lors qu'il est établi que la société MC Immobilier proposait la mise à disposition des locaux loués sans lier nécessairement cette mise à disposition à l'exécution d'autres prestations de services, il doit être considéré que les contrats de prestation de services dans le cadre desquels les autres mises à dispositions des locaux sont intervenues s'analysent également en des contrats de sous-location.
Il convient d'ailleurs d'observer qu'à l'arrivée de l'huissier de justice ayant procédé aux constatations dans les locaux loués le 6 décembre 2019, seule une employée de la société Trade and Factory était présente, ce qui corrobore le transfert de la jouissance des locaux à ladite société dans le cadre de la mise à disposition des locaux par la société MC Immobilier.
A hauteur d'appel, la société MC Immobilier produit de nouvelles pièces, notamment un article du site 'fashion network' sur l'arrivée de la marque Rapha à [Localité 11], un compte-rendu d'une page synthétisant les réponses à un bref questionnaire de 174 clients ayant fréquenté les locaux loués pendant leur mise à disposition à la marque Rapha, une note non personnalisée rédigée en langue anglaise sur le droit français en matière de bail commercial à destination d'un client non identifié, une analyse du comportement des passants par rapport au contenu de la vitrine des locaux loués lors de leur mise à disposition de la société Trade and Factory, une attestation du directeur général de la société Gentleman Surfer ainsi qu'une liste de meubles qui n'appartiennent pas à la société MC Immobilier mais qui peuvent être utilisés par les clients de la société MC Immobilier dans les locaux dans le cadre d'un contrat conclu avec un 'partenaire', étant précisé que l'article 2 du contrat conclu entre la société MC Immobilier et la société [L] SA stipule que ' MC Immobilier s'assure du bon déroulement des évènements, du profesionnalisme des partenaires, assure les négociations avec eux mais ne contractera pas directement avec eux, le client restant l'unique contractant du contrat conclu avec les partenaires, le cas échéant. MC Immobilier ne pourra ainsi en aucun cas être tenu responsable des conséquences qui surviendraient dans le cadre des contrats conclus entre le client et les partenaires'.
D'une part, ces pièces ne sont pas la preuve du contenu des contrats de prestation de services conclus entre la société MC Immobilier et ses clients. Dans le cadre d'un débat loyal, elles ne se substituent pas à la communication des contrats en n'apportant qu'un éclairage parcellaire et partial sur les contrats litigieux.
D'autre part, il n'est pas apporté la preuve que la note rédigée en langue anglaise sur le droit français en matière de bail commercial constitue une prestation de service fourni à un client dans le cadre d'un contrat incluant la mise à disposition des locaux. La liste des meubles n'est pas non plus la preuve que les clients de la société MC Immobilier ont eu recours à son service de mise en relation avec des partenaires.
De dernière part, les prestations de services dont ces pièces apportent la preuve n'en demeurent pas moins des prestations accessoires à la mise à disposition des locaux.
Ainsi, ces pièces ne sont pas de nature à modifier l'analyse de la cour sur les contrats de prestation de services conclus entre la société MC Immobilier et ses clients.
C'est encore par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que le premier juge a retenu que ces sous-locations répétées, sans avoir obtenu l'accord préalable de la bailleresse et sans l'avoir appelée à concourir à chacun des actes de sous-location, constituent un motif grave et légitime privant la société MC Immobilier du droit au paiement d'une indemnité d'éviction, étant rappelé qu'il est constant que la mise en demeure préalable du locataire par le bailleur prévu à l'article L. 145-17 du code de commerce n'est pas requise lorsque le locataire a omis d'appeler le bailleur à concourir à l'acte de sous-location, ce manquement contractuel présentant un caractère irréversible.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a dit que la société LJL était fondée à denier à la société MC Immobilier le droit au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-14 du code de commerce et que la société MC Immobilier était occupante sans droit ni titre des locaux loués depuis le 1er janvier 2020 par l'effet du congé délivré par la bailleresse. Il convient également de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a ordonné l'expulsion de la société MC Immobilier des locaux loués.
Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la société LJL
Sans preuve ce que le loyer des sous-locations était supérieur au loyer de la location principale, la société LJL ne justifie ni de la réalité ni du montant du préjudice qu'elle allègue.
Par ailleurs, la société LJL soutient avoit été contrainte 'de démultiplier les diligences' sans toutefois préciser les diligences auxquelles elle a procédé ni même en justifier.
Quant aux déplacements sur place, il apparait que le préjudice subi est celui de ses représentants et non de la société MC Immobilier elle-même.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société LJL de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société MC Immobilier succombe tant en première instance qu'en appel.
En conséquence, en application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société MC Immobilier aux dépens de première instance et de la condamner aux dépens de la procédure d'appel.
En outre, l'équité commande de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société MC Immobilier à payer à la société MC Immobilier la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société MC Immobilier à payer à la société LJL une autre somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par cette dernière à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du 13 décembre 2021 du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société MC Immobilier aux dépens de la procédure d'appel, dont distraction au profit de Maître Chaigneau, avocat au barreau de Paris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société MC Immobilier à payer à la société SCI L J L la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par cette dernière à hauteur d'appel.