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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 26 septembre 2025, n° 25/00073

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/00073

26 septembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/00073 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKRSE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Novembre 2024 -Président du TJ de [Localité 9] - RG n° 24 / 52639

APPELANTE

S.A.R.L. THE HARMONIST, RCS de [Localité 9] sous le n°522 821 230, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Et ayant pour avocat plaidant Maître Philippe SIMONOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B293

INTIMÉE

S.N.C. 36G5, RCS de [Localité 9] sous le n°851 071 035, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Et ayant pour avocat plaidant Maître Nicolas BOYTCHEV, avocat au barreau de PARIS, toque : L031

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juillet 2025, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Catherine GAFFINEL, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Florence LAGEMI, Président,

Marie-Catherine GAFFINEL, Conseiller

Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Lydia BEZZOU

ARRÊT :

- Contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence LAGEMI, Président de chambre et par Catherine CHARLES, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Le 15 juillet 2019, la société 36G5 a acquis des locaux commerciaux situés [Adresse 5]), constitués d'une part, d'une boutique et d'une dépendance sur rue et, d'autre part, d'un pavillon sur cour. Ces locaux étaient donnés en location à la société The Harmonist, venant aux droits de précédents preneurs en vertu de deux baux distincts initialement conclus le 10 décembre 1985, ayant fait l'objet de plusieurs renouvellements.

Par actes extrajudiciaires du 29 septembre 2021, la société 36G5 a donné congé à la société The Harmonist avec refus de renouvellement des baux et effet au 31 mars 2022 et lui a offert de régler une indemnité d'éviction.

A l'expiration des baux survenue le 31 mars 2022, la société The Harmonist s'est maintenue dans les lieux.

La société 36G5 a engagé une procédure en référé afin d'obtenir la désignation d'un expert pour évaluer le montant de l'indemnité d'éviction due à la société locataire et celui de l'indemnité d'occupation due par cette dernière, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 2 mars 2022, puis, par acte du 13 novembre 2023, a saisi le tribunal judiciaire de Paris en fixation de ces indemnités.

Invoquant le refus de la société The Harmonist de s'acquitter des sommes correspondant à la révision de l'indemnité d'occupation après indexation et à la refacturation des taxes foncières, la société 36G5 lui a adressé deux lettres de relance en date du 11 janvier 2024, pour les sommes demeurées impayées, soit 7.825,24 euros au titre du bail du pavillon et 13.638,33 euros au titre du bail de la boutique, puis une mise en demeure en date du 18 janvier 2024.

Par actes du 25 janvier 2024, la société 36G5 a fait délivrer à la société The Harmonist deux commandements de payer visant la clause résolutoire pour les sommes susvisées en principal au titre des arriérés locatifs au 5 janvier 2024, puis, par acte du 4 avril 2024, l'a assignée devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans chacun des baux, expulsion, et condamnation au paiement d'une provision sur les loyers impayés et indemnités d'occupation.

Par ordonnance du 26 novembre 2024, le premier juge a :

dit la société 36G5 recevable en ses demandes ;

constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans les deux baux du 10 décembre 1985, au 26 février 2024 ;

ordonné l'expulsion de la société The Harmonist et celle de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 3] [Localité 1] et décrits dans les deux baux du 10 décembre 1985 ;

condamné la société The Harmonist à payer à la société 36G5 :

- la somme de 8.774,49 euros à valoir sur l'arriéré locatif pour le bail portant sur le pavillon, avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2024 ;

- la somme de 15.190,37 euros à valoir sur l'arriéré locatif pour le bail portant sur la boutique, avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2024 ;

- une indemnité d'occupation égale à la somme de 129,69 euros hors taxes, par jour, outre les provisions pour charges, charges, accessoires, taxes et TVA au taux en vigueur, à compter du 26 février 2024 et jusqu'à la libération des lieux, pour le bail portant sur le pavillon ;

- une indemnité d'occupation égale à la somme de 243,39 euros hors taxes, par jour, outre les provisions pour charges, charges, accessoires, taxes et TVA au taux en vigueur, à compter du 26 février 2024 et jusqu'à la libération des lieux, pour le bail portant sur la boutique ;

dit que les dépôts de garantie d'un montant respectif de 44.418,69 euros et de 23.668,69 euros resteront acquis à la société 36G5 ;

dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

condamné la société The Harmonist aux dépens, ainsi qu'à payer à la société 36G5 la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 11 décembre 2024, la société The Harmonist a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 juin 2025, la société The Harmonist demande à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dont elle a relevé appel;

En conséquence,

déclarer nulle et non avenue l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant,

déclarer que le juge des référés aurait dû se déclarer incompétent ;

annuler les commandements de payer visant la clause résolutoire et donc la procédure visant à constater 'la clause résolutoire' des baux ;

annuler les indexations opérées depuis les congés avec offre d'indemnités d'éviction, soit depuis le 31 mars 2022 ;

condamner la société 36G5 à lui rembourser les sommes suivantes au titre des indexations indues :

18.601,08 euros HC (6.466,08 euros pour le local et 12.135 euros pour la boutique), au titre de la 1ère indexation, pour la période du 4ème trimestre 2022 au 3ème trimestre 2023 inclus, soit avant la saisine de la cour d'appel,

29.441,03 euros HC au titre de la 2ème indexation, pour la période du 4ème trimestre 2023 au 3ème trimestre 2024 inclus, soit pendant la saisine de la cour (10.645,38 euros d'indemnités d'occupation indexées depuis le 4ème trimestre 2023 pour l'année 2024 et 18.795,65 euros d'indexations opérées depuis le 4ème trimestre 2023 ordonnées par l'ordonnance déférée,

11.417,24 euros HC, au titre de la 3ème indexation, concernant l'indemnité d'occupation indexée du 4ème trimestre 2024 (3.968,85 euros HC pour le local et 7.448,39 euros HC pour la boutique), depuis la procédure d'appel,

11.417,24 euros HC, au titre de l'indemnité d'occupation indexée du 1er trimestre 2025 (3.968,85 euros HC pour le local et 7.448,39 euros HC pour la boutique).

condamner la société 36G5 à lui rembourser les sommes suivantes au titre des frais et article 700 du code de procédure civile :

' 846,24 euros au titre des frais déboursés auprès du mandataire du bailleur,

'145,68 euros au titre des frais déboursés à tort pour s'opposer aux commandements de payer visant la clause résolutoire délivrés par le bailleur pour le local et la boutique,

' 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile réglés au mandataire du bailleur ;

débouter la société 36G5 de ses demandes d'expulsion dès lors que la clause résolutoire n'a pas joué ;

ordonner sa réintégration dans les lieux, l'expulsion opérée à la demande du bailleur étant prématurée et abusive ;

constater et ordonner qu'elle réglera ses indemnités d'occupation sur l'ancienne base du loyer avant l'expiration du bail commercial, en attendant la détermination par le tribunal du montant de l'indemnité d'occupation devant être fixée à la valeur locative et le versement par le bailleur de l'indemnité d'éviction ;

débouter la société 36G5 de son appel incident comme étant infondé ;

En tout état de cause:

condamner la société 36G5 à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 10 juin 2025, la société 36G5 demande à la cour de :

à titre liminaire :

déclarer irrecevable la demande de la société The Harmonist visant à voir ordonner sa réintégration dans les lieux dès lors que cette demande relève de la compétence exclusive du juge de l'exécution ;

débouter la société The Harmonist de ses demandes à ce titre ;

Sur la confirmation partielle de l'ordonnance entreprise

juger mal fondés l'appel et les demandes de la société The Harmonist ;

confirmer partiellement l'ordonnance en ce qu'elle a :

' dit ses demandes recevables ;

' constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans les deux baux du 10 décembre 1985, au 26 février 2024 ;

' ordonné l'expulsion de la société The Harmonist et celle de tout occupant de son chef des lieuxsitués [Adresse 3] [Localité 1] ;

' condamné la société The Harmonist à lui payer :

- la somme 8.774,49 euros à valoir sur l'arriéré locatif pour le bail portant sur le pavillon, avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2024,

- la somme de 15.190,37 euros à valoir sur l'arriéré locatif pour le bail portant sur la boutique, avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2024,

- une indemnité d'occupation égale à la somme de 129,69 euros hors taxes, par jour, outre les provisions pour charges, charges, accessoires, taxes et TVA au taux en vigueur, à compter du 26 février 2024 et jusqu'à la libération des lieux, pour le bail portant sur le pavillon,

- une indemnité d'occupation égale à la somme de 243,39 euros hors taxes, par jour, outre les provisions pour charges, charges, accessoires, taxes et TVA au taux en vigueur, à compter du 26 février 2024 et jusqu'à la libération des lieux, pour le bail portant sur la boutique,

' dit que les dépôts de garantie d'un montant respectif de 44.418,69 euros et de 23.668,69 euros lui resteront acquis ;

' condamné la société The Harmonist aux dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

juger que les demandes de la société The Harmonist aux fins d'annulation des commandements et des indexations se heurtent à une contestation sérieuse et ne pourront prospérer ;

débouter la société The Harmonist de ses demandes à ce titre ;

débouter la société The Harmonist de son appel et de l'intégralité de ses demandes;

Sur l'infirmation partielle de l'ordonnance

infirmer partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

Statuant à nouveau,

ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meuble que la cour désignera ou dans tels autres lieux à son choix aux frais et risques de la société The Harmonist, et ce, en garantie de toutes sommes qui pourront être dues ;

Y ajoutant et en tout état de cause,

débouter la société The Harmonist de son appel et de l'intégralité de ses demandes;

condamner la société The Harmonist à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 11 juin 2025.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Il sera relevé que les moyens développés par la société The Harmonist ne tendent qu'à l'infirmation de l'ordonnance entreprise, aucune cause de nullité de cette décision n'étant soulevée. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à annulation de l'ordonnance déférée.

Sur l'acquisition des effets des clauses résolutoires et leurs conséquences ainsi que sur les provisions à valoir sur les indemnités d'occupation

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Au cas présent, la société 36G5 a fait délivrer à la société The Harmonist, le 25 janvier 2024, deux commandements de payer pour les sommes en principal de 7.825,24 euros au titre du bail relatif au pavillon et de 13.638,33 euros au titre du bail relatif à la boutique. Il n'est pas contesté que ces sommes correspondent à la partie révisée de l'indemnité d'occupation et du dépôt de garantie après indexation en application d'une révision automatique telle que prévue au bail et à la refacturation de la taxe foncière.

Il est constant que dans le délai d'un mois imparti par les commandements de payer, la société appelante ne s'est pas acquittée de ces sommes.

Pour s'opposer aux effets des commandements de payer, la société The Harmonist invoque plusieurs moyens.

Elle soulève la nullité des commandements de payer en ce que ces actes visent un arriéré de loyer et non d'indemnité d'occupation.

Elle conteste en outre les sommes appelées, qui résultent de l'application de la clause d'indexation prévue dans chaque bail, pourtant inapplicable en raison des congés délivrés et de l'expiration des baux, précisant s'être toujours acquittée des indemnités d'occupation dues sur la base de l'ancien loyer. Elle rappelle qu'en application de l'article L.145-28 du code de commerce, elle dispose d'un droit au maintien dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction ne lui a pas été réglée et que si elle reste tenue de payer une indemnité d'occupation, celle-ci doit être fixée, en application de ce texte et de l'article L.145-33 compris dans la section 6 à laquelle il renvoie, à la valeur locative, excluant ainsi l'indexation du loyer de base.

Elle conteste encore la compétence du juge des référés pour statuer, estimant que seul le juge du fond peut évaluer l'indemnité d'occupation, lequel peut appliquer un abattement pour précarité d'au moins 10 % en considérant que l'occupant, simplement maintenu dans les lieux, ne jouit pas des mêmes prérogatives que le locataire bénéficiant d'un bail renouvelé. Elle rappelle que dans la procédure au fond, la société 36G5 a demandé au tribunal de fixer l'indemnité d'occupation et qu'elle pouvait, dans le cadre de cette procédure, solliciter une provision à valoir sur l'indemnité d'occupation.

Enfin, elle indique que les conditions prévues dans chaque bail ne prévoient ni de clause d'indexation applicable à l'indemnité d'occupation ni de clause résolutoire applicable pour défaut de paiement partiel de cette indemnité.

Il sera rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'annuler un commandement de payer, mais qu'il lui appartient, en présence d'une irrégularité manifeste de cet acte, de retenir l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle à ses effets.

Les commandements de payer litigieux font état d'un arriéré de loyers et de charges et impartissent expressément à la société appelante un délai d'un mois pour s'acquitter 'des loyers et charges impayés'.

Or, il est constant que les baux ayant pris fin le 31 mars 2022, par l'effet des congés délivrés le 29 septembre 2021, ces commandements sont affectés d'une irrégularité dès lors qu'aucun loyer n'est dû depuis le 1er avril 2022, la société The Harmonist n'étant redevable que d'une indemnité d'occupation. Les commandements ne font pas état d'une telle indemnité et visent, de surcroît, les clauses résolutoires du bail qui ne concernent que le défaut de paiement des loyers ou des accessoires et ne visent pas le non-paiement ou le paiement partiel de l'indemnité d'occupation.

Par ailleurs, selon l'article L.145-28, alinéa 1, du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

L'article L.145-33 dudit code, insérée dans la section 6 intitulée 'du loyer', dispose que 'le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1. Les caractéristiques du local considéré ;

2. La destination des lieux ;

3. Les obligations respectives des parties ;

4. Les facteurs locaux de commercialité ;

5. Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments'.

Ainsi, lorsque le bailleur délivre congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, comme tel est le cas en l'espèce, le preneur dispose d'un droit au maintien dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction n'est pas réglée et reste tenu au paiement d'une indemnité d'occupation statutaire, soit soumise au statut des baux commerciaux et régie par les textes susvisés.

Il résulte du premier de ces textes que l'indemnité d'occupation statutaire, doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative déterminée selon les critères du second au rang desquels ne figure pas l'indexation.

Il s'en déduit que le bailleur ne pouvait délivrer un commandement de payer pour réclamer à la société The Harmonist une indemnité d'occupation révisée après application d'une indexation, voire le remboursement de la taxe foncière, accessoire du loyer lequel n'était plus dû depuis l'expiration des baux.

Enfin, il apparaît que le juge des référés n'était pas compétent pour statuer sur une demande de provision à valoir que les indemnités d'occupation dès lors qu'il résulte des pièces produites par la société The Harmonist que lors de la saisine du juge des référés, le 4 avril 2024, la société 36G5 avait saisi le tribunal par une assignation délivrée le 13 novembre 2023 aux fins, notamment, de fixation et paiement d'une indemnité d'occupation et qu'un juge de la mise en état avait été désigné, cette désignation étant intervenue le 7 février 2024 ainsi qu'il résulte des conclusions déposées en première instance par l'appelante (pièce n° 25).

Pour ces motifs, l'action en référé engagée par le bailleur aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans chacun des baux se heurte à une contestation éminemment sérieuse de sorte que l'ordonnance entreprise doit être infirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation des deux baux, ordonné l'expulsion de l'appelante, prononcé sa condamnation au paiement, par provision, des sommes visées aux commandements de payer et de deux indemnités d'occupation, à compter du 26 février 2024, dans les conditions des baux.

L'ordonnance sera encore infirmée en ce qu'elle a dit acquis au bailleur le montant des dépôts de garantie, une telle disposition étant injustifiée au regard des motifs qui précèdent.

Sur l'appel incident de la société 36G5

La société 36G5 demande que soit infirmée l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes et sollicite que soit ordonné le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meuble que la cour désignera en garantie des sommes qui pourraient lui être dues.

Mais, s'il est exact que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes, il n'apparaît pas, à la lecture des motifs de l'ordonnance, qu'il ait statué sur les meubles laissés dans les lieux, qui est une conséquence de l'acquisition de la clause résolutoire et de l'expulsion et dont le sort est, en tout état de cause, régi par les dispositions des articles L.433-1 et suivants, et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution sans qu'il soit nécessaire de statuer spécifiquement de ce chef.

Il en résulte que la demande ainsi formée par la société 36G5 ne caractérise pas un appel incident et qu'elle est sans objet au regard des motifs qui précèdent.

Sur la demande de réintégration de la société The Harmonist dans les locaux commerciaux

La société The Harmonist demande que sa réintégration dans les lieux, dont elle a été expulsée le 2 juin 2025, soit ordonnée.

La société 36G5 en se fondant sur les dispositions de l'article L.213-6, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire, soulève l'irrecevabilité de cette demande, qui, selon elle, relèverait de la compétence exclusive du juge de l'exécution dès lors qu'elle a trait à l'exécution d'un titre exécutoire (l'ordonnance entreprise).

Cet article dispose que le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

Ce texte ne vise que les difficultés d'exécution des titres exécutoires et ne saurait être applicable aux effets de l'exécution aux risques et périls du créancier d'une ordonnance exécutoire par provision infirmée en appel, comme tel est le cas en l'espèce.

Ainsi, en ayant poursuivi l'exécution de l'ordonnance de référé sans attendre l'issue de la procédure d'appel alors qu'elle n'ignorait pas que l'affaire devait être plaidée à l'audience du 4 juillet 2025, soit un mois après l'expulsion, et qu'une décision devait être prochainement rendue, la société 36G5 a pris le risque de supporter les conséquences d'une infirmation de ladite ordonnance.

La réintégration dans les locaux, alors que la société The Harmonist dispose d'un droit au maintien dans les lieux, est une conséquence de l'infirmation de l'ordonnance entreprise et sera donc ordonnée.

Sur les demandes de remboursement des sommes réglées au titre de l'ordonnance entreprise

La société The Harmonist sollicite la condamnation de la société 36G5 à lui rembourser les sommes suivantes au titre des indexations indues et des frais qu'elle a supportés :

18.601,08 euros HC (6.466,08 euros pour le local et 12.135 euros pour la boutique) au titre de la 1ère indexation, pour la période du 4ème trimestre 2022 au 3ème trimestre 2023 inclus, avant la saisine de la cour ;

29.441,03 euros HC au titre de la 2ème indexation, pour la période du 4ème trimestre 2023 au 3ème trimestre 2024 inclus, soit pendant la saisine de la cour d'appel (10.645,38 euros d'indemnités d'occupation indexées depuis le 4ème trimestre 2023 pour l'année 2024 et 18.795,65 euros d'indexations opérées depuis le 4ème trimestre 2023 ordonnées par l'ordonnance déférée ;

11.417,24 euros HC, au titre de la 3ème indexation, concernant l'indemnité d'occupation indexée du 4ème trimestre 2024 (3.968,85 euros HC pour le local et 7.448,39 euros HC pour la boutique), depuis la procédure d'appel ;

11.417,24 euros HC, au titre de l'indemnité d'occupation indexée du 1er trimestre 2025 (3.968,85 euros HC pour le local et 7.448,39 euros HC pour la boutique) ;

846,24 euros au titre des frais déboursés auprès du mandataire du bailleur ;

145,68 euros au titre des frais déboursés à tort pour s'opposer aux commandements de payer visant la clause résolutoire délivrés par le bailleur pour le local et la boutique,

1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile réglés au mandataire du bailleur.

Il apparaît des motifs des conclusions qu'il est réclamé le remboursement des sommes mises à la charge de la société The Harmonist par l'ordonnance entreprise au titre des arriérés d'indemnités d'occupation, des intérêts de retard sur celles-ci, des indexations accordées sur les indemnités d'occupation courantes, des frais et indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mais l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de cette décision, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation à l'encontre de la société 36G5. En outre, les frais que l'appelante a exposés (145,68 euros) pour s'opposer aux effets des commandements de payer seront pris en compte dans l'indemnité qui lui sera allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le paiement des indemnités d'occupation

La société The Harmonist demande qu'il lui soit ordonné de régler les indemnités d'occupation sur l'ancienne base de loyer avant l'expiration des baux commerciaux, en attendant la détermination par le tribunal du montant de l'indemnité d'occupation, devant être fixée à la valeur locative et le versement par le bailleur de l'indemnité d'éviction.

Il n'y a cependant pas lieu de statuer sur cette demande, qui ne relève pas de la compétence de la cour, statuant avec les pouvoirs du juge des référés, dès lors qu'une instance au fond est en cours et qu'un juge de la mise en état a été préalablement saisi dans celle-ci.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant en ses prétentions, la société 36G5 supportera les dépens de première instance et d'appel.

Ayant contraint la société The Harmonist à exposer des frais irrépétibles, la société 36G5 sera tenue de lui régler la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'ordonnance étant infirmée en ses dispositions portant sur l'application de ce texte.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société 36G5 tendant à l'acquisition des clauses résolutoires stipulées dans les baux ayant lié les parties et leurs conséquences et au paiement d'une provision à valoir sur les indemnités d'occupation dues par la société The Harmonist du fait de son droit au maintien dans les lieux ;

Déclare recevable la demande de la société The Harmonist tendant à sa réintégration dans les lieux ;

Ordonne en conséquence la réintégration de la société The Harmonist dans les locaux commerciaux situés [Adresse 4]), constitués d'une part, d'une boutique et d'une dépendance sur rue et, d'autre part, d'un pavillon sur cour tels que décrits dans les baux ;

Dit n'y avoir lieu de statuer sur les demandes de la société The Harmonist de remboursement des sommes réglées en exécution de l'ordonnance infirmée ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société The Harmonist portant sur le montant des indemnités d'occupation dues ;

Condamne la société 36G5 aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société The Harmonist la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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