CA Bordeaux, 4e ch. com., 24 septembre 2025, n° 23/05237
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/05237 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NQPW
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET
c/
Monsieur [O] [Y]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 novembre 2023 (R.G. 2021L01774) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 novembre 2023
APPELANTE :
S.C.P. [10], ès-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [7] selon jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux en date du 22 août 2018, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]
Représentée par Maître Benjamin BLANC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [O] [Y], né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 4] (46), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2025 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame MASSON chargé du rapport et devant Monsieur FRANCO
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société à responsabilité limitée [6] (ci-après MTE), a été immatriculée le 22 avril 1992 au Registre du commerce et des sociétés de Bordeaux.
Cette société exerçait une activité de transport rapide et stockage de marchandises, transport express long et internationaux.
Par acte authentique du 15 février 2008, la société à responsabilité limitée [5], société holding détenue à hauteur de 60% par Monsieur [O] [Y] et à hauteur de 40% par la société [11], a acquis 100 % du capital social de la société [9].
M. [Y] a été désigné en qualité de gérant de la société [9].
Par jugement du 15 avril 2009, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [9] et a désigné la société [10] en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de sauvegarde de neuf années a été adopté suivant jugement du 19 mai 2010.
Par jugement du 26 février 2014, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de sauvegarde, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, a fixé au 17 février 2014 la date de cessation des paiements et a désigné la Selarl [12] en qualité d'administrateur judiciaire avec pouvoir d'assistance et la société [10] en qualité de mandataire judiciaire.
Un plan de continuation sur une durée de neuf années a été arrêté par le tribunal de commerce de Bordeaux par jugement du 29 juillet 2015.
Le 14 août 2018, la société [9] a déposé une déclaration de cessation des paiements.
Par jugement du 22 août 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de continuation, a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [9] et désigné la société [10] en qualité de liquidateur judiciaire.
2. Par acte extrajudiciaire du 10 août 2021, la société [10] es qualités a assigné M. [Y] aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 609 373,48 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et que soit prononcée une sanction de faillite personnelle pour une durée fixée par le tribunal.
Par jugement rendu le 06 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] à payer à M. [Y] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] aux dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 21 novembre 2023, la société [10] es qualités a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant M. [Y].
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 février 2024, la société [10] es qualités demande à la cour de :
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce
Vu les articles L. 653-1 et suivants du code de commerce
- déclarer la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [7], recevable et bien-fondée en son appel ;
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 6 novembre 2023 sous le n° RG 2021L01774 dont appel en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- dire et juger que M. [Y] a commis des fautes de gestion permettant d'engager sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;
- condamner M. [Y] au paiement de la somme de 609 373,48 euros à la société [10] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [7] ;
- condamner M. [Y] à la sanction de faillite personnelle pour une durée fixée par le tribunal ;
- dire n'y avoir lieu d'écarter l'exécution de la décision provisoire à intervenir ;
- condamner M. [Y] à verser à la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [7] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [Y] aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais tarifés de l'huissier significateur au titre de l'article 10 du décret de 2001.
4. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2024, Monsieur [O] [Y] demande à la cour de :
Vu les articles L.651-2 et L.653-2 du code de commerce,
Vu les articles 9 et 700 du code de procédure civile,
- recevoir M. [Y] en ses écritures et l'y déclarer bien-fondé ;
en conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 6 novembre 2023 en ce qu'il a débouté purement et simplement la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- condamner la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] au paiement d'une somme de 5.000 euros supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
5. Par avis du 24 mars 2025, le ministère public s'en rapporte sur la recevabilité de l'appel et indique être favorable à la confirmation du jugement en tous points, sauf production à l'audience de documents démontrant que les fautes sont bien caractérisées.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
6. Au visa de l'article L651-2 du code de commerce, la société [10] es qualités soutient que la responsabilité de M. [Y], gérant de la société [9], est engagée en ce qu'il a commis des fautes de gestion postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [9] du 29 juillet 2015 ; que l'intimé a poursuivi une activité déficitaire, a fait remonter des capitaux vers sa holding malgré les difficultés financières, a poursuivi son activité au moyen d'une société tierce et a aggravé son passif.
L'appelante fait valoir que ces fautes de gestion ont directement contribué à l'insuffisance d'actif de la société [9], de sorte que la responsabilité du gérant de celle-ci est engagée.
7. M. [Y] répond qu'il est de principe que la faute du dirigeant doit être antérieure à l'ouverture de la procédure collective et qu'aucune faute de gestion antérieure au 29 juillet 2015 ne peut lui être reprochée, le liquidateur fondant son action sur des éléments tirés de la procédure de redressement judiciaire.
A titre subsidiaire, l'intimé fait valoir qu'aucune faute de gestion ne peut lui être reprochée et qu'en outre, le passif social et fiscal de la société [9] n'a pas été aggravé mais au contraire a été largement minoré au cours du plan de continuation.
M. [Y] soutient qu'il n'est pas démontré un lien de causalité entre les fautes alléguées et l'insuffisance d'actif et indique que le passif de la société a diminué de 1 511 475 euros à 713 483 euros entre l'ouverture de la procédure de redressement et l'ouverture de la liquidation.
Sur ce,
8. L'article L.651-2 du code de commerce, dans sa rédaction ici applicable, dispose :
« Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté.
L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.»
Il est constant en droit que ni le jugement ouvrant le redressement judiciaire ni celui qui arrête le plan de redressement n'exonèrent le dirigeant social de sa responsabilité et que les fautes de gestion commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire, comme pendant l'exécution du plan, peuvent être prises en considération pour fonder l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'elles sont antérieures au jugement de liquidation judiciaire et que le dirigeant a assuré seul la direction de sa société.
9. C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu qu'il y avait lieu de prendre en compte la période antérieure au 22 août 2018 pour examiner les éventuelles fautes de gestion de M. [Y].
10. Il doit être relevé que M. [Y] a été assisté d'un administrateur judiciaire entre le 26 février 2014 et le 29 juillet 2015, ce dernier ayant été ensuite désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan ; que la société [10] est elle-même intervenue le 15 avril 2009 en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde puis, à compter du 20 mai 2010, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde, puis le 26 février 2014 en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire.
11. Il résulte des éléments produits aux débats et en particulier des observations de l'administrateur judiciaire dans son rapport déposé le 9 janvier 2015 et de celles du juge commissaire dans son rapport déposé en vue de l'audience du 15 mai 2023, que les mesures de restructuration, justifiées, ont été validées par les organes de la procédure et que le plan de redressement a permis le paiement des deux premiers pactes ainsi que la diminution du passif social et fiscal ; que, ainsi que le relève le premier juge, l'examen des éléments comptables des exercices 2015/2016 et 2016/2017 de la société [9] met en évidence le fait que la société holding [5] a renforcé le montant de son compte courant d'associés à hauteur de 50.000 euros, que des cessions d'actifs sont intervenues, qu'un résultat exceptionnel de 143.702 euros a été dégagé, réduisant la perte nette à -11.974 euros contre -3 60.567 euros l'année précédente ; que le bilan arrêté au 30 juin 2017 a reflété la mise en 'uvre des mesures de restauration du résultat avec une trésorerie légèrement positive.
C'est donc par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le tribunal de commerce a retenu que, nonobstant l'activité faiblement déséquilibrée entérinée par les organes de la procédure dans la perspective de l'adoption du plan de redressement, n'était pas caractérisée la poursuite d'une activité déficitaire abusive dans l'intérêt personnel du dirigeant ; que les résultats reflétaient au contraire une période intermédiaire de restructuration de l'entreprise par des cessions de véhicules et le recours à la sous-traitance aux fins d'apurer le passif.
De plus, le tribunal de commerce a relevé à juste titre que, dans le projet de plan de redressement, vérifié et validé par l'expert-comptable et les organes de la procédure, figuraient au compte de résultat les prestations de service de la société holding [5], notamment de direction générale et commerciale et la comptabilité générale, ce pour un montant annuel de 92.000 euros ; qu'à la suite de l'adoption du plan de redressement, la rémunération annuelle de M. [Y] avait été réduite
par rapport au prévisionnel du plan, passant de 54.000 euros à 27.000 euros, ce qui avait contribué à la diminution du passif.
Enfin, le premier juge a justement rappelé que M. [Y] a avait, conformément à l'exécution du plan de redressement validé par les organes de la procédure, recouru à la sous-traitance d'une partie de son activité compte tenu des licenciements pour motif économique intervenus pendant la période d'observation, de sorte que cette externalisation d'une activité moins rentable ne peut être qualifiée de poursuite d'activité par une société tierce dans la mesure où elle s'inscrivait dans le plan de redressement.
12. Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société [10] es qualités contre M. [Y] ainsi qu'en ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
13. La demande de l'appelante relative au prononcé de l'exécution provisoire est sans objet, le présent arrêt n'étant pas susceptible d'un recours suspensif.
14. La société [10] es qualités sera condamnée à payer les dépens de l'appel et à verser à M. [Y] une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 6 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], à payer à Monsieur [O] [Y] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], à payer les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/05237 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NQPW
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET
c/
Monsieur [O] [Y]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 novembre 2023 (R.G. 2021L01774) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 novembre 2023
APPELANTE :
S.C.P. [10], ès-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [7] selon jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux en date du 22 août 2018, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]
Représentée par Maître Benjamin BLANC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [O] [Y], né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 4] (46), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2025 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame MASSON chargé du rapport et devant Monsieur FRANCO
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société à responsabilité limitée [6] (ci-après MTE), a été immatriculée le 22 avril 1992 au Registre du commerce et des sociétés de Bordeaux.
Cette société exerçait une activité de transport rapide et stockage de marchandises, transport express long et internationaux.
Par acte authentique du 15 février 2008, la société à responsabilité limitée [5], société holding détenue à hauteur de 60% par Monsieur [O] [Y] et à hauteur de 40% par la société [11], a acquis 100 % du capital social de la société [9].
M. [Y] a été désigné en qualité de gérant de la société [9].
Par jugement du 15 avril 2009, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [9] et a désigné la société [10] en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de sauvegarde de neuf années a été adopté suivant jugement du 19 mai 2010.
Par jugement du 26 février 2014, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de sauvegarde, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, a fixé au 17 février 2014 la date de cessation des paiements et a désigné la Selarl [12] en qualité d'administrateur judiciaire avec pouvoir d'assistance et la société [10] en qualité de mandataire judiciaire.
Un plan de continuation sur une durée de neuf années a été arrêté par le tribunal de commerce de Bordeaux par jugement du 29 juillet 2015.
Le 14 août 2018, la société [9] a déposé une déclaration de cessation des paiements.
Par jugement du 22 août 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de continuation, a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [9] et désigné la société [10] en qualité de liquidateur judiciaire.
2. Par acte extrajudiciaire du 10 août 2021, la société [10] es qualités a assigné M. [Y] aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 609 373,48 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et que soit prononcée une sanction de faillite personnelle pour une durée fixée par le tribunal.
Par jugement rendu le 06 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] à payer à M. [Y] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société [10] en sa qualité de liquidateur de la société [8] aux dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 21 novembre 2023, la société [10] es qualités a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant M. [Y].
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 février 2024, la société [10] es qualités demande à la cour de :
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce
Vu les articles L. 653-1 et suivants du code de commerce
- déclarer la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [7], recevable et bien-fondée en son appel ;
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 6 novembre 2023 sous le n° RG 2021L01774 dont appel en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- dire et juger que M. [Y] a commis des fautes de gestion permettant d'engager sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;
- condamner M. [Y] au paiement de la somme de 609 373,48 euros à la société [10] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [7] ;
- condamner M. [Y] à la sanction de faillite personnelle pour une durée fixée par le tribunal ;
- dire n'y avoir lieu d'écarter l'exécution de la décision provisoire à intervenir ;
- condamner M. [Y] à verser à la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [7] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [Y] aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais tarifés de l'huissier significateur au titre de l'article 10 du décret de 2001.
4. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2024, Monsieur [O] [Y] demande à la cour de :
Vu les articles L.651-2 et L.653-2 du code de commerce,
Vu les articles 9 et 700 du code de procédure civile,
- recevoir M. [Y] en ses écritures et l'y déclarer bien-fondé ;
en conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 6 novembre 2023 en ce qu'il a débouté purement et simplement la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- condamner la société [10] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] au paiement d'une somme de 5.000 euros supplémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
5. Par avis du 24 mars 2025, le ministère public s'en rapporte sur la recevabilité de l'appel et indique être favorable à la confirmation du jugement en tous points, sauf production à l'audience de documents démontrant que les fautes sont bien caractérisées.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
6. Au visa de l'article L651-2 du code de commerce, la société [10] es qualités soutient que la responsabilité de M. [Y], gérant de la société [9], est engagée en ce qu'il a commis des fautes de gestion postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [9] du 29 juillet 2015 ; que l'intimé a poursuivi une activité déficitaire, a fait remonter des capitaux vers sa holding malgré les difficultés financières, a poursuivi son activité au moyen d'une société tierce et a aggravé son passif.
L'appelante fait valoir que ces fautes de gestion ont directement contribué à l'insuffisance d'actif de la société [9], de sorte que la responsabilité du gérant de celle-ci est engagée.
7. M. [Y] répond qu'il est de principe que la faute du dirigeant doit être antérieure à l'ouverture de la procédure collective et qu'aucune faute de gestion antérieure au 29 juillet 2015 ne peut lui être reprochée, le liquidateur fondant son action sur des éléments tirés de la procédure de redressement judiciaire.
A titre subsidiaire, l'intimé fait valoir qu'aucune faute de gestion ne peut lui être reprochée et qu'en outre, le passif social et fiscal de la société [9] n'a pas été aggravé mais au contraire a été largement minoré au cours du plan de continuation.
M. [Y] soutient qu'il n'est pas démontré un lien de causalité entre les fautes alléguées et l'insuffisance d'actif et indique que le passif de la société a diminué de 1 511 475 euros à 713 483 euros entre l'ouverture de la procédure de redressement et l'ouverture de la liquidation.
Sur ce,
8. L'article L.651-2 du code de commerce, dans sa rédaction ici applicable, dispose :
« Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté.
L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.»
Il est constant en droit que ni le jugement ouvrant le redressement judiciaire ni celui qui arrête le plan de redressement n'exonèrent le dirigeant social de sa responsabilité et que les fautes de gestion commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire, comme pendant l'exécution du plan, peuvent être prises en considération pour fonder l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'elles sont antérieures au jugement de liquidation judiciaire et que le dirigeant a assuré seul la direction de sa société.
9. C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu qu'il y avait lieu de prendre en compte la période antérieure au 22 août 2018 pour examiner les éventuelles fautes de gestion de M. [Y].
10. Il doit être relevé que M. [Y] a été assisté d'un administrateur judiciaire entre le 26 février 2014 et le 29 juillet 2015, ce dernier ayant été ensuite désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan ; que la société [10] est elle-même intervenue le 15 avril 2009 en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde puis, à compter du 20 mai 2010, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde, puis le 26 février 2014 en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire.
11. Il résulte des éléments produits aux débats et en particulier des observations de l'administrateur judiciaire dans son rapport déposé le 9 janvier 2015 et de celles du juge commissaire dans son rapport déposé en vue de l'audience du 15 mai 2023, que les mesures de restructuration, justifiées, ont été validées par les organes de la procédure et que le plan de redressement a permis le paiement des deux premiers pactes ainsi que la diminution du passif social et fiscal ; que, ainsi que le relève le premier juge, l'examen des éléments comptables des exercices 2015/2016 et 2016/2017 de la société [9] met en évidence le fait que la société holding [5] a renforcé le montant de son compte courant d'associés à hauteur de 50.000 euros, que des cessions d'actifs sont intervenues, qu'un résultat exceptionnel de 143.702 euros a été dégagé, réduisant la perte nette à -11.974 euros contre -3 60.567 euros l'année précédente ; que le bilan arrêté au 30 juin 2017 a reflété la mise en 'uvre des mesures de restauration du résultat avec une trésorerie légèrement positive.
C'est donc par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le tribunal de commerce a retenu que, nonobstant l'activité faiblement déséquilibrée entérinée par les organes de la procédure dans la perspective de l'adoption du plan de redressement, n'était pas caractérisée la poursuite d'une activité déficitaire abusive dans l'intérêt personnel du dirigeant ; que les résultats reflétaient au contraire une période intermédiaire de restructuration de l'entreprise par des cessions de véhicules et le recours à la sous-traitance aux fins d'apurer le passif.
De plus, le tribunal de commerce a relevé à juste titre que, dans le projet de plan de redressement, vérifié et validé par l'expert-comptable et les organes de la procédure, figuraient au compte de résultat les prestations de service de la société holding [5], notamment de direction générale et commerciale et la comptabilité générale, ce pour un montant annuel de 92.000 euros ; qu'à la suite de l'adoption du plan de redressement, la rémunération annuelle de M. [Y] avait été réduite
par rapport au prévisionnel du plan, passant de 54.000 euros à 27.000 euros, ce qui avait contribué à la diminution du passif.
Enfin, le premier juge a justement rappelé que M. [Y] a avait, conformément à l'exécution du plan de redressement validé par les organes de la procédure, recouru à la sous-traitance d'une partie de son activité compte tenu des licenciements pour motif économique intervenus pendant la période d'observation, de sorte que cette externalisation d'une activité moins rentable ne peut être qualifiée de poursuite d'activité par une société tierce dans la mesure où elle s'inscrivait dans le plan de redressement.
12. Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société [10] es qualités contre M. [Y] ainsi qu'en ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
13. La demande de l'appelante relative au prononcé de l'exécution provisoire est sans objet, le présent arrêt n'étant pas susceptible d'un recours suspensif.
14. La société [10] es qualités sera condamnée à payer les dépens de l'appel et à verser à M. [Y] une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 6 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], à payer à Monsieur [O] [Y] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société [10], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [6], à payer les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président