CA Orléans, ch. com., 25 septembre 2025, n° 25/00111
ORLÉANS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/09/2025
Me Estelle GARNIER
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES
ARRÊT du : 25 SEPTEMBRE 2025
N° : 205 - 25
N° RG 25/00111
N° Portalis DBVN-V-B7I-HEKS
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de BLOIS en date du 18 Novembre 2024
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265306827071634
Monsieur [M] [B]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me Amaury DUMAS-MARZE, membre de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
La S.A.S. [9]
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me Amaury DUMAS-MARZE, membre de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: -/-
La S.E.L.A.R.L. [J] - [16]
Prise en la personne de Maître [H] [J], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [13]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat Me Alexis DEVAUCHELLE, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL d'ORLEANS
Palais de Justice
[Adresse 5]
[Localité 6]
En la personne de Madame Christine TEIXIDO, Avocat Général
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 10 Décembre 2024
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 05 Juin 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 26 JUIN 2025, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en charge du rapport, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 805 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats,
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 25 SEPTEMBRE 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS [13] a été créée en 1986 pour exercer une activité de négoce de vêtements à destination de la grande distribution, en France et à l'étranger.
Elle est la société mère d'un groupe de quatre sociétés nées d'entreprises familiales qui exerçaient elles aussi une activité de négoce de vêtements': la société [24], la société [19], la société [17] et la société [14] qui, toutes les quatre, ont leur siège social à [Localité 11].
La société [13] est présidée par la SAS [9], société holding détenue et présidée par M. [M] [B].
Directeur général des quatre sociétés filles, M. [B] assurait la direction de toutes les sociétés du groupe qu'il a créé en 2014 avec l'aide de deux fonds d'investissement': le fonds majoritaire [15] et le fonds [22].
Alors que les sociétés du groupe exerçaient auparavant leur activité selon un modèle traditionnel de ventes fermes, M. [B] a conduit à compter de 2014 des opérations de restructuration qui ont consisté à concentrer la logistique du groupe sur un site unique, à [Localité 20] (37), à réduire les effectifs de moitié et à mettre en 'uvre un nouveau modèle de commercialisation, basé sur des ventes conditionnelles.
Cette nouvelle orientation, qui a été progressive jusqu'à devenir, en 2018-2019, l'unique modèle de fonctionnement, permettait aux clients d'acheter des marchandises en ayant la possibilité, en fin de saison, de retourner les invendus en échange d'avoirs.
Ce modèle économique, plus rentable pour les clients de la grande distribution qui l'ont plébiscité, a eu pour effet de reporter sur les sociétés du groupe le risque d'invendu et d'épuiser en conséquence très rapidement leur trésorerie.
Après avoir vainement recherché le soutien de ses partenaires bancaires, le groupe a sollicité successivement, à compter de 2017, diverses mesures préventives (mandats ad hoc et conciliations) qui n'ont pas permis que son nouveau modèle économique lui permette de retrouver une rentabilité puisque le résultat de l'exercice clos au 31 octobre 2017 de la société [13] présentait un déficit de 127'030 euros, déficit qui s'est élevé à plus de 2,7 millions d'euros en 2018, et cela sans que les commissaires aux comptes aient accepté de certifier les comptes.
Les commissaires ayant initié une procédure d'alerte le 24 avril 2019 en constatant que la situation au 31 octobre 2018 s'était fortement dégradée depuis la clôture précédente et que la situation leur apparaissait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, M. [B] leur a répondu par courrier du 13 mai 2019 qu'il ne partageait pas leur vision et que l'exercice 2019 serait bénéficiaire selon ses prévisions.
M. [B] a finalement déclaré la cessation des paiements de la société [13] et de ses quatre filles le 5 septembre 2019 et par jugements du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce de Tours a ouvert à l'égard de chacune de ces sociétés des procédures de redressement judiciaire, en fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 31 août 2019, en désignant Maître [H] [P] en qualité d'administrateur et la SELARL [J]-[16], en la personne de Maître [H] [J], en qualité de mandataire judiciaire.
L'administrateur judiciaire a remis dès le 6 octobre 2019 le bilan économique et social et le rapport de diagnostic prévus aux articles L. 623-1 et L. 631-15 du code du commerce en alertant sur la situation fortement obérée des sociétés du groupe, qui n'avaient plus de trésorerie disponible ni d'activité, plus de stocks valorisables et dont la quasi-totalité des salariés avaient été licenciés courant août 2019, en préconisant dès alors la réalisation d'un audit pour déterminer les responsabilités dans la défaillance du groupe et la constitution d'un passif, selon ses termes, «'abyssal'», puis en concluant qu'il se trouvait dans ces circonstances contraint de solliciter la conversion des procédures de redressement en liquidations judiciaires.
Par jugements du 10 octobre 2019, le tribunal de commerce a converti les redressements judiciaires de la société [13] et des quatre sociétés filles en liquidations judiciaires et désigné la SELARL [J]-[16], en la personne de Maître [H] [J], liquidateur judiciaire.
Assigné en intervention forcée dans une instance engagée contre la société [13] préalablement à l'ouverture de la procédure collective par son factor, la [8], qui réclamait des documents comptables qu'elle estimait devoir lui être remis en exécution du contrat d'affacturage et qui avait par ailleurs déclaré une créance de plus de 5 millions d'euros (ramenée à un peu plus de 1,2 million d'euros après compensation), le liquidateur judiciciaire de la société [13] a obtenu du juge-commissaire, selon ordonnance du 30 octobre 2019, la désignation d'un technicien chargé, notamment, d'identifier les éléments comptables réclamés par le factor et de s'assurer de leur exhaustivité comme de leur véracité.
Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de la société [13] pour un prix de 50'000 euros.
M. [C], le technicien expert-comptable désigné en octobre 2019, a rendu son rapport le 18 février 2020 en relevant un certain nombre d'anomalies qui ont conduit le juge-commissaire à le désigner de nouveau, selon ordonnance du 17 septembre 2020, en lui confiant cette fois, en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, une mission d'audit destinée à éclairer les organes de la procédure sur la situation comptable et financière de la société [13], les évènements ayant conduit à sa défaillance et sur tous les éléments permettant de déterminer la date de cessation des paiements ainsi que d'apprécier les responsabilités éventuellement encourues.
Mécontents que le même technicien ait été désigné sans que M. [B] ait préalablement été entendu et que ce technicien ait déposé un pré-rapport en période estivale sans tenir compte de leurs observations, M. [B] et la société [9] ont fait assigner M. [C] ainsi que la SELARL [J] [16] en responsabilité devant le tribunal judiciaire de Paris en septembre 2021, aux fins d'obtenir la
condamnation solidaire du technicien et du liquidateur judiciaire à leur payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers qu'ils estiment avoir subis, ainsi qu'à les garantir d'éventuelles condamnations financières qui pourraient être prononcées à leur encontre en étant notamment fondées, directement ou indirectement, sur une remise en cause de la date de cessation des paiements du groupe [13].
M. [B] et la société [9] indiquent avoir également déposé plainte, le 30 décembre 2022, contre le liquidateur judiciaire pour escroquerie, contre le juge-commissaire pour prise illégale d'intérêts et contre le technicien, M. [C], pour recel de prise illégale d'intérêts.
M. [B] et la société [9], qui indiquent sans en justifier que l'action en responsabilité aurait été plaidée devant le tribunal judiciaire de Paris le 21 novembre 2024, ne communiquent pas la teneur du délibéré et ne fournissent aucune indication non plus sur le sort des plaintes qu'ils déclarent avoir déposées.
En tous cas, M. [C], le technicien, a déposé son rapport au juge-commissaire le 21 février 2022 et, en exposant qu'il résultait notamment de ce rapport que l'activité de la société [13] et de ses filiales était chroniquement déficitaire et irrémédiablement compromise avant l'ouverture de leurs procédures collectives, que la comptabilité n'était pas sincère et régulière et que, face à une telle situation, M. [B] s'était employé à détourner les actifs du groupe en organisant son désengagement et celui de ses associés au détriment de la société et de ses créanciers, Maître [J], ès qualités, a fait assigner M. [B] et la société [9] devant le tribunal de commerce de Tours par actes du 12 septembre 2022, aux fins de les entendre solidairement condamner à lui verser, ès qualités, l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société [13], soit la somme de 25'270'573,33 euros à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient être admises avant la clôture de la procédure, d'entendre prononcer à l'encontre de M. [B] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 15 ans ou, subsidiairement, une interdiction de gérer de même durée, puis de les entendre solidairement condamner au paiement d'une indemnité de 15'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur requête du président du tribunal de commerce de Tours, la première présidente de cette cour a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Blois qui, par jugement du 18 novembre 2024, a':
Oui Mme la procureure en ses réquisitions,
Vu les articles L. 651-2, L. 653-1 2èmement, L. 653-4 4èmement et L. 653-5 6èmement,
In limine litis,
- jugé bien-fondée l'action menée par le liquidateur de la société [13] à l'encontre de la société [9] et M. [B],
A titre liminaire,
- dit que la date de cessation des paiements a été dé'nitivement 'xée au 31 août 2019 et ne peut être remise en cause dans le cadre de la présente instance,
- dit parfaitement valables les rapports établis par M. [C], expert judiciaire, dans le cadre de la présente instance et produit par le liquidateur judiciaire de la société [13],
- débouté la société [9] et M. [B] de leur demande de désigner un nouvel expert pour établir un contre-rapport contradictoire entre les parties,
- débouté la société [9] et M. [B] de la demande de réalisation d'un contre rapport qui devra être produit avant les plaidoiries,
A titre principal,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de la société [13], la somme de 22'448'472,66'euros ((26'695'025,52'€ - (5'397'760,39'€ -1'151'207,53'€)) correspondant à l'insuf'sance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure,
- prononcé à l'encontre de M. [B], une faillite personnelle emportant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,
- fixé la durée de la mesure à 15 ans,
- débouté la société [9] et M. [B] de leurs autres demandes,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à payer la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es qualités de liquidateur de la société [13] à la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- passé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
M. [B] et la société [9] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 10 décembre 2024, en indiquant que leur appel tend à l'annulation, à tout le moins à l'infirmation de la décision en cause, et en critiquant expressément tous les chefs de son dispositif.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 20 mai 2025, reprenant les prétentions formulées au dispositif de leurs premières écritures, M. [B] et la société [9] demandent à la cour de':
Vu l'article 16 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 631-8, L. 651-2 et L. 653-4 du code de commerce,
- déclarer M. [B] et la société [9] recevables et bien fondés en leur appel, et y faire droit.
In limine litis,
- annuler en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Blois le 18 novembre 2024 rendu en violation du principe du contradictoire,
Au fond et à tout le moins,
- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
- jugé bien-fondée l'action menée par le liquidateur de la société [13] à l'encontre de la société [9] et M. [B],
A titre liminaire,
- dit que la date de cessation des paiements a été dé'nitivement 'xée au 31 août 2019 et ne `peut être remise en cause dans le cadre de la présente instance,
- dit parfaitement valables les rapports établis par M. [C], expert judiciaire, dans le cadre de la présente instance et produit par le liquidateur judiciaire de la société [13],
- débouté la société [9] et M. [B] de leur demande de désigner un nouvel expert pour établir un contre-rapport contradictoire entre les parties,
- débouté la société [9] et M. [B] de la demande de réalisation d'un contre rapport qui devra être produit avant les plaidoiries,
A titre principal,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de lasociété [13], la somme de 22'448.472,66 euros ((26'695'025,52 € - (5'397'760,39 € -1'151'207,53'€)) correspondant à l'insuf'sance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure,
- prononcé à l'encontre de M. [B], une faillite personnelle emportant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,
- fixé la durée de la mesure à 15 ans,
- débouté la société [9] et M. [B] de leurs autres demandes,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à payer la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de la société [13] à la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- passé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Statuant à nouveau':
A titre principal,
- décider :
- qu'il n'est pas démontré que M. [M] Cohen et la société [9] ont commis une quelconque faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [13],
- que la preuve d'un lien de causalité entre les fautes de gestion alléguées et l'insuffisance d'actif de la société [13] telle que présentée n'est pas démontrée,
- que la date de cessation des paiements de la société [13] est définitivement fixée au 31 août 2019 de telle sorte que le jugement critiqué ne pouvait, dans ces conditions, mettre à la charge de la société [9] et de M. [M] [B] une insuffisance d'actif qui matériellement et juridiquement était antérieure au 31 août 2019, date à laquelle la société [13] était par ailleurs en procédure de conciliation,
- que le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve de ses allégations, prétentions et demandes,
- que le montant de l'insuffisance d'actif est erroné,
- que les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer sollicitées à l'encontre de M. [M] Cohen ne sont pas justifiées, ni fondées,
Par conséquent,
- débouter le liquidateur judiciaire de la société [13] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
- ramener le montant de la sanction à proportion des facultés contributives des concluants,
- limiter les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer sollicitées à l'encontre de M. [M] Cohen à ses seuls mandats sociaux à l'exclusion de son statut d'auto-entrepreneur,
En tout état de cause,
- débouter le liquidateur judiciaire de la société [13] ainsi que le parquet général de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes,
- condamner la SELARL [J]-[16] prise en la personne de Maître [H] [J] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [13] au paiement de la somme de 10'000 euros «'chacun'» à M. [M] Cohen et à la société [9] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, distraits au profit de Maître Estelle Garnier, avocat sur son affirmation de droit.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 mai 2025, le ministère public demande à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de [M] [B] pour une durée de 15 ans «'assortie d'une et une interdiction de gérer de même durée'»
- réduire le quantum de la somme due au titre de l'indemnité pour insuffisance d'actif,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 juin 2025, pour l'affaire être plaidée le 26 juin suivant et mise en délibéré à ce jour sans que la SELARL [J]-[16], qui a constitué avocat ès qualités le 13 janvier 2025, ait conclu.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande d'annulation du jugement déféré :
Au soutien de leur demande d'annulation du jugement déféré, les appelants font valoir que le principe de contradiction n'a pas été respecté en ce que les réquisitions du ministère public n'ont pas été portées à leur connaissance avant l'audience et que, alors que le procureur de la République «'plaide'» en dernier et ne leur semble pas s'en être rapporté à justice, ils n'ont pas été mis en mesure de répondre, que ce soit à l'audience ou par une note en délibéré.
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En l'espèce, le ministère public n'était pas à l'initiative de la saisine du tribunal aux fins de sanctions, personnelles et professionnelles, contre les anciens dirigeants de la société [13]. Le ministère public n'était dès lors pas partie principale, mais partie jointe à l'instance en sanction engagée par le liquidateur judiciaire.
Le ministère public est en effet partie jointe, ainsi qu'il est dit à l'article 424 du code de procédure civile, lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication et l'article 425 prévoit en son paragraphe 2° que le ministère public doit avoir communication des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux et des procédures de faillite personnelle ou relatives aux interdictions prévues par l'article L. 653-8 du code du commerce.
Selon l'article 431 du même code, le ministère public n'est tenu d'assister à l'audience que dans les cas où il est partie principale, dans ceux où il représente autrui ou lorsque sa présence est rendue obligatoire par la loi.
Dans tous les autres cas, il peut faire connaître son avis à la juridiction soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mise à la disposition des parties, soit oralement à l'audience.
Au cas particulier, le procureur de la République de Blois, partie jointe qui avait le choix de faire connaître son avis par conclusions écrites mises à disposition des parties, ou oralement à l'audience, n'a pas transmis de conclusions écrites mais a fait connaître son avis oralement à l'audience, comme l'indiquent les appelants.
Le ministère public a eu la parole en dernier, et cela conformément à l'article 443 qui prévoit expressément à son alinéa 1er que le ministère public, partie jointe, a le dernier la parole.
Les appelants ne peuvent en déduire qu'il aurait été porté atteinte à leurs droits en ce qu'ils n'auraient pas été mis en mesure de répondre à l'avis oral du ministère public alors qu'ils ont été en capacité, à l'audience, de répliquer aux réquisitions orales du ministère public ou de solliciter un renvoi et qu'il leur a en outre été permis, en application de l'article 445 du code de procédure civile, d'adresser au tribunal, après la clôture des débats, une note en délibéré pour répondre aux arguments développés par le ministère public.
Dès lors qu'ils ne justifient ni même n'allèguent avoir sollicité des premiers juges un renvoi qui leur aurait été refusé ou avoir adressé au tribunal une note en délibéré qui n'aurait pas été prise en considération, les appelants échouent à établir que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté à leur endroit, ce qui est assurément inexact.
La demande d'annulation du jugement sera en conséquence rejetée.
Sur le fond :
Il résulte de l'article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et que la cour ne fait droit aux prétentions de l'appelant que dans la mesure où elle les estime régulières, recevables et bien fondées, étant précisé que par application de l'article 954, dernier alinéa, du même code, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement entrepris et que la cour doit statuer sur les prétentions de première instance de l'intimé lorsque celles-ci ont été accueillies par le premier juge, puisqu'elle en est saisie par l'effet dévolutif de l'appel.
I - Sur les fautes de gestion
La cour observe à titre liminaire que M. [C] est intervenu, non pas en qualité d'expert désigné par le tribunal, mais en tant que technicien désigné par le juge-commissaire en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, que son rapport communiqué par le ministère public à hauteur d'appel a été soumis à la discussion contradictoire des parties et que les appelants ne demandent à la cour, ni d'écarter ce rapport, dont ils ne discutent plus la validité, ni de désigner un autre technicien.
Etant si besoin rappelé que ni la désignation d'un mandataire ad hoc, ni celle d'un conciliateur, ne prive le dirigeant de la société débitrice de l'exercice de ses pouvoirs ou ne le dispense de ses obligations, les appelants, auxquels ni les premiers juges, ni le ministère public, n'imputent à faute une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements de la société [13], font valoir sans emport que les procédures amiables qui se sont succédées à compter de 2017 seraient exclusives de responsabilité en ce qu'il serait «'matériellement et juridiquement impossible de mettre à leur charge un passif antérieur à la date de cessation des paiements du 31 août 2019'», ce qui est inexact.
- sur la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière
Les dispositions des articles L. 123-12 à L. 123-72 et R. 123-172 à R. 123-209 du code de commerce obligent les commerçants, personnes physiques et personnes morales, à la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre, d'un livre d'inventaire et de comptes annuels.
La société [9] et son dirigeant, M. [B], ne contestent pas que la société [13] était soumise à ces régles et ne contestent pas non plus avoir modifié les modalités de comptabilisation des titres de participation détenus par la société [13] dans les comptes de l'exercice 2017.
Ce changement de méthode comptable intervenu au 31 octobre 2017 n'a pu faire l'objet d'observations idoines de la part des commissaires aux comptes qui, ainsi qu'ils l'indiquent dans leur rapport du 27 avril 2018, ont été dans l'impossibilité de certifier les comptes de l'exercice 2017, faute d'avoir pu collecter les éléments nécessaires à fonder leur opinion, notamment «'les éléments sous-tendant la valorisation des titres de participation'».
Ce changement de méthode a entraîné, sur l'exercice 2017, un profit de 678'709 euros par reprise d'une partie de la provision antérieure.
Si le ministère public ne démontre pas le caractère fictif de ce profit, ce qui ne ressort pas davantage des motifs du jugement entrepris, il est en tous cas certain que cette nouvelle méthode, appliquée à l'exercice 2018, aurait dû conduire à l'inscription d'une provision complémentaire, et que cela n'a pas été fait.
Il apparaît en effet qu'en appliquant sur l'exercice 2018 la méthode de valorisation des participations que la société [13] avait elle-même exposée en annexe de ses comptes annuels de l'exercice 2017, la valorisation de ses participations dans ses quatre filiales ([23], [19], [17] et [14]) ressortait alors à 9'301'058 euros.
Les titres détenus par [13] étant inscrits à l'actif pour 17'088'387'euros, la provision pour dépréciation aurait dû s'élever à 7'787'329 euros, de sorte qu'une provision complémentaire de 2'613'194 euros aurait dû être enregistrée, ce qui n'a pas été fait et a conduit à minimiser d'autant les pertes de l'exercice.
Les dirigeants de la société [13] ont en outre établi une comptabilité qui n'était pas le reflet du modèle économique progressivement mis en 'uvre par M. [B] et devenu exclusif en 2018-2019.
Le modèle économique présenté comme ayant été imaginé par M. [B], dont il est aisé de comprendre qu'il a été plébiscité par la grande distribution, reposait sur un système de ventes conditionnelles -les clients qui achetaient les vêtements avaient la possibilité, en fin de saison, de retourner les invendus en échange d'avoirs.
Puisque ce modèle avait pour effet de faire supporter à la société [13] le risque d'invendus, ce risque de perte de marge devait être comptablement provisionné, ce qui n'a pas été fait. Comme l'indique le technicien commis par le juge-commissaire, le fait qu'à compter de 2018, «'le chiffre d'affaires était majoritairement réalisé de façon conditionnelle, impliquait le principe de retour de marchandises après la saison. Il en résultait qu'une partie de la marge dégagée sur la vente de la collection hiver avant le 31 octobre, date de clôture de l'exercice, serait annulée pendant l'exercice suivant. Le résultat de l'exercice qui a enregistré le produit devait donc être comptablement réduit pour respecter le principe comptable de prudence'».
Ce principe de prudence, qui résulte du simple bon sens, n'a pas été respecté, car procédant comme elle l'a fait, en établissant une comptabilité décorrélée de son modèle économique, la société [13] a réussi à se constituer une trésorerie artificielle en affacturant auprès de la [8] des créances clients sans prise en considération des avoirs qu'étaient contractuellement en droit d'exiger ces clients à la suite des retours de marchandises invendues.
Le technicien a relevé d'autres manquements aux règles comptables sur lesquels les appelants n'offrent aucune explication pertinente non plus.
Le technicien a par exemple relevé que M. [B], qui était le dirigeant de la société [9], pas celui de la société [13], a bénéficié de la mise à disposition d'un véhicule automobile de la société [13] et n'a pas hésité à se faire rembourser par ladite société des frais de toute sorte (frais de déplacements, hôtels et même contraventions routières) représentant a minima, sur les quatre exercices réalisés sous sa direction, 417'085,76 euros.
Le technicien a également signalé de nombreux flux financiers entre la société [13] et ses quatre filles, ou entre la société [13] et la holding [9] que les dirigeants de la société [13] n'ont pu justifier par aucune convention idoine.
En établissant ainsi une comptabilité qui n'était ni régulière, ni sincère, qui ne donnait en conséquence pas une image fidèle de la situation de la société, mais qui améliorait artificiellement celle-ci, les dirigeants de la société [13] ont assurément commis une grave faute de gestion.
Le rapport des commissaires aux comptes en date du 27 avril 2018 sur les comptes annuels de la société [13] clôturés au 31 octobre 2017 révèle que la sincérité des comptes de la société [13] n'était de toute façon pas la préoccupation de ses dirigeants, qui n'ont pas même daigné transmettre les documents qui leur avaient été réclamés.
Pour expliquer l'impossibilité de certification des comptes, les commissaires indiquent en effet ce qui suit':
«'Nous sommes dans l'impossibilité de certifier que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français, réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice [car] nous n'avons pas été en mesure de collecter les éléments suffisants et appropriés pour fonder une opinion d'audit sur ces comptes ['].
Alors que l'hypothèse de continuité d'exploitation a été retenue par la direction de la société sur la base de critères nécessaires et cumulatifs, aucun des éléments d'appréciation ne nous a été transmis à ce jour nous permettant de nous assurer de la réalisation de tout ou partie de [ces] critères ['].
La société n'a pas procédé à l'envoi des courriers de circularisation des avocats leur demandant notamment de nous informer des procès et litiges en cours ou éventuels. Nous ne sommes donc pas en mesure de nous assurer que toutes les provisions nécessaires ont été constituées au passif du bilan.
A ce jour la société n'a pas procédé à l'envoi des courriers de circularisation des banques. Nous ne sommes donc pas en mesure de nous assurer que tous les comptes de banques sont inclus dans les états financiers et que le montant des disponibilités enregistrées à l'actif du bilan est exact. Il ne nous a pas été communiqué tous les éléments sous-tendant la valorisation des titres d'exploitation...'».
Si dans ces circonstances, les commissaires aux comptes ont fait montre d'une particulière bienveillance, au regard des obligations qui sont les leurs, en ne déclenchant pas dès 2018 une procédure d'alerte, cette situation n'exonère nullement de leur responsabilité les dirigeants de la société [13] qui, grâce à ces artifices comptables et à la naïveté bienveillante des acteurs de la prévention, ont entretenu l'opacité pour retarder aussi longtemps qu'il leur a été possible l'ouverture d'une procédure collective, dans leur intérêt et au détriment des créanciers.
- sur la poursuite abusive d'une activité structurellement déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale
Il est constant que depuis que M. [B] en a pris la direction via sa holding [9], la société [13] a été chroniquement déficitaire.
Hormis en 2016, le résultat d'exploitation a toujours été négatif et le résultat net, lui, a toujours été négatif (perte de 359'401 euros en 2015, de 724'332'euros en 2016, de 127'030 euros en 2017, puis de 2'739'375 euros en 2018).
A compter de 2016, la société [13] a connu une dégradation constante de son chiffres d'affaires, mais également de sa marge, passée de 22,3'% en 2016 à 20,5'% en 2017 et seulement 5'% en 2018 tandis que, sur la même période, les charges externes de la société ont augmenté, à raison, notamment, d'une augmentation très substantielle des prestations versées à la société [9], sur laquelle les appelants ne s'expliquent pas.
En dépit de résultats qui suffisaient à révéler que le modèle de commercialisation conditionnelle imaginé par M. [B] était économiquement intenable, puisque, alors même que les pertes de marges n'avaient pas été provisionnées, le résultat net de la société était négatif, les dirigeants de la société [13] ont entrepris, durant l'exercice de 2018, d'achever ce qui se révèle avoir été une opération de «'siphonnage'».
Dans les comptes de l'exercice 2018, qui sont les comptes clos au 31 octobre 2018 qui ont conduit les commissaires aux comptes à déclencher le 24 avril 2019 la procédure d'alerte, les capitaux propres de la société [13] étaient négatifs à hauteur de 821'902 euros et les pertes s'élevaient à 2'739'375 euros.
Pour poursuivre «'coûte que coûte'» l'activité de la société, ses dirigeants avaient déjà fait supporter à la société [13], sur l'exercice 2018, des charges financières et bancaires de 419'103 euros qui ont représenté 7,2'% de son chiffre d'affaires, soit plus que sa marge qui s'élevait à seulement 5'% de ce chiffre d'affaires.
Pour mettre en 'uvre une pratique systématique du contentieux destinée à décourager les créanciers sociaux et améliorer artificiellement les comptes de la société en absence de provision corrélative, ils avaient également fait supporter à la société, sur les exercices 2017 et 2018, des honoraires d'avocats de 486'689,56'euros qui représentaient quant à eux 7,5'% du chiffre d'affaires, soit là encore davantage que la marge commerciale de la société.
Dans le même temps, la société [13] ne réglait ni ses charges fiscales, ni ses charges sociales et alors que les commissaires aux comptes avaient justifié le déclenchement de la procédure d'alerte par une baisse significative du chiffre d'affaires, des retards notables dans le règlement des dettes fiscales et sociales, le non-respect des échéanciers mis en place avec l'administration et l'URSSAF, la multiplication des dettes fournisseurs et les retards de règlement, c'est avec une audace singulière que pour expliquer, en l'absence de convention de trésorerie, des flux financiers constatés entre la société [13] et la société [9], les conseils de cette dernière ont cru pouvoir expliquer au technicien commis par le juge-commissaire que la société [13] «'avait tout intérêt à protéger sa trésorerie de créanciers indélicats en laissant ses comptes bancaires proches de zéro pour éviter des saisies conservatoires abusives'».
Alors que la trésorerie de la société [13] était continuellement négative sur les exercices 2017 et 2018 et que le déficit de trésorerie avait atteint 5'945'000'euros en février 2019, l'analyse du technicien commis par le juge-commissaire a conforté les craintes exprimées par l'administrateur judiciaire à l'ouverture de la procédure collective et démontre, non pas que les dirigeants de la société [13] se seraient seulement entêtés dans leur erreur, ce qui aurait déjà constitué une faute de gestion, mais qu'ils ont sciemment faire perdurer l'activité de la société [13] aussi longtemps qu'ils l'ont pu, dans leur intérêt propre et celui de leurs actionnaires, au détriment des créanciers.
Alors que la société [9] avait déjà fait augmenter la rémunération de sa présidence à chaque exercice pendant que le déficit de la société [13] se creusait, passant d'une rémunération de 1,7'% du chiffre d'affaires à une rémunération de 3,5'% du chiffre d'affaires, il résulte des derniers comptes que la société [9] s'est fait rémunérer par la société [13] jusqu'au 31 août 2019, date de la cessation des paiements.
Les premiers juges ont en outre relevé à raison que pendant la période suspecte, c'est-dire entre le 31 août 2019, date de cessation des paiements et le 10 septembre 2019, date d'ouverture de la procédure collective, ce alors que dans son courrier du 13 mai 2019 adressé aux commissaires aux comptes en réponse au déclenchement de la procédure d'alerte, M. [B] assurait que selon lui les résultats de la société [13] étaient «'très encourageants'», la société [9] a continué à se faire rembourser par la société [13] une partie de ses apports en compte courant, puisque quatre retraits ont été comptabilisés pour un total de 126'500 euros et, dans le même temps, les dirigeants de la société [13], qui avaient déjà remboursé au fond d'investissement [15] une partie de ses apports (162'185,72 euros) le 23 mai 2019, ont remboursé en sus à cet actionnaire, le 31 août puis le 5 septembre 2019, une somme complémentaire de 359'679,92 euros.
Pour procéder à ces derniers remboursements en période suspecte, M. [B] n'a pas hésité à céder les stocks de la société, le 31 août 2019, à un prix très nettement inférieur à leur valorisation dans les comptes, ce cinq jours seulement avant de procéder à la déclaration de cessation des paiements qui a conduit à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire dans laquelle l'administrateur judiciaire désigné a immédiatement constaté que la société était exsangue, qu'il n'y avait aucune alternative à la liquidation judiciaire et que celle-ci lui semblait avoir été organisée bien en amont.
L'ensemble de ces éléments démontre sans doute possible qu'au détriment manifeste des créanciers, les dirigeants de la société [13] ont poursuivi une activité continûment déficitaire et ainsi aggravé le passif social dans leur intérêt et dans celui de l'actionnaire majoritaire, ce qui constitue là encore une faute de gestion d'une particulière gravité.
II- Sur la demande de sanction pécuniaire contre la société [9] et M. [B]
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 applicable en l'espèce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il résulte de ces dispositions que la responsabilité du dirigeant suppose la réunion de trois conditions': 1° l'existence d'une insuffisance d'actif, 2° une ou plusieurs fautes de gestion, exclusives de simples négligences, 3° un lien de causalité entre la faute et l'insuffisance d'actif constatée.
Les fautes de gestion qui ont été précédemment caractérisées sont particulièrement lourdes et révèlent, par leur nature, leur nombre et leur persistance, une intention exclusive de la simple négligence, étant rappelé que pour leurrer les créanciers et les partenaires de la société [13] aussi longtemps qu'il lui a été possible, M. [B] a fait fi des demandes de communication des commissaires aux comptes.
Il reste dès lors à vérifier, pour pouvoir retenir la responsabilité des appelants, la réunion des deux autres conditions, étant observé que la société [9] et M. [B] ne contestent pas leur qualité de dirigeants de la société [13], laquelle ne fait aucun doute puisqu'il résulte de la combinaison des articles L. 227-7, L. 651-1 et L. 651-2 que lorsque la personne morale mise en liquidation est une société par actions simplifiée dirigée par une personne morale, telle la SAS [13] présidée par la SAS [9], la responsabilité pour insuffisance d'actif prévue au dernier texte précité est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit ou de fait, mais aussi par le représentant légal de cette dernière en l'absence d'obligation légale ou d'obligation statutaire, non alléguée, de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d'une SAS (v. par ex. Com. 13 décembre 2023, n° 21-14.579).
- sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance de l'actif, évalué au jour de l'ouverture de la procédure puisque seules les dettes nées avant le jugement d'ouverture doivent être prises en considération pour la détermination de l'insuffisance d'actif, est la différence entre l'actif réalisé et le passif admis.
Le passif admis, tel qu'il résulte de l'état des créances actualisé au 15 mars 2023 produit par le ministère public, s'élève à 25'381'824,67 euros, dont 83'868,83 euros à titre super privilégié, 4'368'546 euros à titre privilégié et 20'929 058,30 euros à titre chirographaire.
Alors que sur l'état du passif actualisé au 15 mars 2023 produit par le ministère public en pièce 16, il apparaît que par ordonnance du 8 mars 2022, le juge-commissaire a admis la créance contestée de [18] à hauteur de 1'151'207,53 euros, soit dans les termes de la décision rendue le 7 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Paris saisi de la contestation, la créance du factor figure néanmoins en page 32 de l'état des créances actualisé à hauteur de la somme de 5'397'760,39 euros qui correspond à la somme à laquelle cette créance avait été déclarée.
En l'absence d'explications du liquidateur, les premiers juges ont ramené à raison la créance du factor au montant auquel elle a été admise par le juge-commissaire, soit à la somme de 1'151'207,53 euros, mais ont commis une erreur, dans le calcul de l'insuffisance d'actif, en déduisant le montant de la créance ainsi rectifiée, non pas du passif admis (25'381'824,67 euros), mais du passif déclaré (26'625'156,83 euros).
Le montant du passif admis doit dès lors être ramené, après réparation de cette erreur des premiers juges, à 21'135'271,80'euros [25'381'824,67 - ( 5'397'760,39 - 1'151'207,53)].
En faisant valoir, comme devant les premiers juges, que selon le rapport de M. [C], technicien désigné par le juge-commissaire en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, le passif consolidé déclaré pour 24'937'432 euros s'élève finalement à 14'532'274, les appelants soutiennent qu'il convient de réduire le montant de l'insuffisance d'actif de la différence entre le passif consolidé déclaré et le passif consolidé ainsi retraité.
Le ministère public rétorque que la contestation des appelants est sans objet, en indiquant, sans autre explication, que «'le montant de l'insuffisance d'actif a été fixé à plus de 22'000'000 euros à la date de cessation des paiements du 31 août 2019'».
Dès lors qu'il ne résulte d'aucune des productions du ministère public que les dirigeants de la société [13], qui le contestent, auraient été associés à la vérification du passif ou que l'état des créances déposé au greffe aurait fait l'objet d'une insertion publiée au Bodacc, aucune autorité de chose jugée ne peut être opposée aux appelants et il ne peut s'inférer des conclusions du liquidateur produites en pièce 17, sans les pièces qui auraient le cas échéant permis de le démontrer, que M. [B] aurait effectivement signé le 9 septembre 2020 l'état des créances qui lui avait été adressé.
Dans ces circonstances, la cour, qui constate que dans son rapport déposé le 21 février 2022, le technicien commis par le juge-commissaire a effectivement indiqué que le passif consolidé produit à hauteur de 24'937'432 euros devait être ramené à 14'532'274 euros, ne peut que ramener le montant du passif admis à 10'730'113,80 euros [21'135'271,80 - (24'937'432-14'532'274)].
Encore que les appelants ne l'évoquent pas, les premiers juges ont omis de déduire du passif admis le montant de l'actif réalisé pour procéder au calcul de l'insuffisance d'actif.
Les actifs ayant été réalisés pour 121'396,91 euros, hors les frais de réalisation qui ne doivent pas être pris en considération (v. par ex. Com. 23 octobre 2024, n° 23-15.365), il peut être retenu, sans doute possible, au regard de l'ensemble de ces éléments, que l'insuffisance d'actif s'élève, a minima, à 10'608'716,90'euros (10'730'113,80 - 121'396,91, hors les créances contestées, dont ni le liquidateur ni le ministère public n'établit que certaines d'entre elles auraient été admises par le juge-commissaire à l'issue des instances engagées à cet effet par certains créanciers.
- sur le lien de causalité entre les fautes de gestion retenues contre les dirigeants et l'insuffisance d'actif constatée
Par leur gravité et par leur nombre, les fautes de gestion que M. [B] et sa holding [9] ont commises pour soutenir artificiellement la société [13], en épuisant sa trésorerie, en masquant sa situation financière par des artifices comptables, en multipliant les actions contentieuses contre les créanciers, en ne communiquant pas aux commissaires aux comptes les éléments indispensables à l'accomplissement de leur mission, en faisant supporter par la société des dépenses qui ne lui incombaient pas ou encore en cédant ses principaux actifs au seul profit des actionnaires quelques jours seulement avant l'ouverture de la procédure collective, ont assurément contribué à l'insuffisance d'actif constatée.
- sur le quantum de la condamnation
Si aucune enquête patrimoniale n'apparaît avoir été réalisée en préalable de l'action en comblement de passif pour agir au mieux des intérêts des créanciers en vérifiant la solvabilité des dirigeants de la société [13], ce que la cour ne peut que regretter, les appelants affirment sans sérieux, de leur côté, avoir justifié de leurs modestes facultés contributives.
Les éléments comptables produits par la société [9] qui, au mépris de ses obligations réglementaires, n'a jamais déposé ses comptes au greffe, ne peuvent être examinés qu'avec circonspection au regard de la manière dont M. [B] a montré être capable de tenir la comptabilité des sociétés qu'il dirige.
Concernant sa situation financière personnelle, M. [B] produit des éléments épars qui ne sauraient suffire à éclairer la cour.
Alors que l'instruction de cette affaire a été clôturée au début du mois de juin 2025, la cour ne peut manquer de s'interroger sur les raisons qui ont conduit M. [B] à justifier de ses revenus de l'année 2023 en produisant son avis de situation déclaration de juin 2024 plutôt que son avis d'imposition de la même année.
M. [B], dont la cour observe que l'adresse parisienne qu'il a renseignée dans sa déclaration d'appel n'est pas celle qui est fournie aux services fiscaux, située à [Localité 4] (37), ne peut prétendre justifier de la position de ses comptes bancaires en produisant un simple courriel d'un préposé de l'agence [10] de [Localité 21] daté de juillet 2024, ce alors même qu'à la même époque, il déclarait utiliser pour payer ses impôts un compte bancaire ouvert en les livres de la banque [12].
C'est sans davantage de sérieux que M. [B] offre d'établir qu'il ne détiendrait aucun bien immobilier en produisant une capture d'écran de sa situation déclarative extraite de son espace particulier du site impots.gouv.
En l'absence du moindre relevé émanant du service de la publicité foncière, il est impossible pour la cour de retenir que M. [B] ne serait propriétaire d'aucun immeuble.
La cour ignore pareillement tout du patrimoine mobilier de M. [B], lequel n'assure d'ailleurs nullement ne détenir aucune part de sociétés civiles, immobilières ou non, ou de sociétés commerciales autres que sa société holding [9].
Dans ces circonstances, puisque l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif tend à reconstituer le gage collectif des créanciers, rien ne justifie en l'espèce de prononcer une sanction d'un montant qui ne serait pas l'équivalent du dommage subi par les créanciers.
La société [9] et M. [B] seront en conséquence condamnés à supporter l'insuffisance d'actif de la société [13] à hauteur de 10'000'000'euros, par infirmation du jugement entrepris, et ce avec solidarité en application de l'article L. 227-7 du code du commerce.
III- Sur la demande de sanction professionnelle à l'encontre de M. [B]
Il ne résulte des motifs du jugement entrepris ou des moyens développés dans les conclusions du ministère public la preuve contre M. [B] d'aucune faute autre que celles qui ont été précédemment retenues contre ce dernier et la société [9] qui présidait la société [13].
Les deux fautes qui ont été précédemment retenues, à savoir la tenue d'une comptabilité manifestement irrégulière et non sincère d'une part, la poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, d'autre part, autorisent à prononcer à l'encontre de M. [B], en tant que représentant légal de la société holding qui dirigeait la SAS [13], la sanction de faillite personnelle et la sanction d'interdiction de gérer prévues par les articles L. 653-1, L. 653-4, 4°, L. 653-5, 6° et L. 653-8 du code du commerce.
Ainsi qu'il est dit à l'article L. 653-2, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
La sanction d'interdiction de gérer emporte, ainsi qu'il est dit à l'article L. 653-8, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, étant si besoin rappelé que lorsque la juridiction qui prononce une telle sanction ne précise rien, toutes les activités prévues par ce texte sont concernées par l'interdiction prononcée (v. par ex. Com. 11 février 2014, n° 12-21.069).
L'interdiction de gérer est en quelque sorte un diminutif de la faillite personnelle, en ce qu'elle peut être limitée à certaines activités économiques et en ce qu'elle ne permet pas aux créanciers de recouvrer leur droit de poursuite individuelle après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif.
Cette «'sanction atténuée'», qui peut être substituée à la faillite personnelle dans tous les cas et qui est parfois seule encourue, ne peut être prononcée en complément de la sanction de la faillite personnelle, comme le réclame le ministère public, sans au demeurant former appel incident du jugement déféré qui a prononcé contre M. [B] une sanction de faillite personnelle.
Par leur gravité, leur nature, leur persistance et les circonstances de leur commission, les fautes retenues contre M. [B] ont de lourdes répercussions sur les créanciers de la société [13], mais également sur la collectivité qui va devoir supporter, directement ou indirectement, les conséquences du non-respect par l'intéressé des obligations fiscales et sociales de la société qu'il dirigeait.
Les dommages causés par M. [B] doivent être mis en perspective avec la situation de ce dernier qui, durant les cinq petites années qu'aura seulement duré sa direction, a réussi, via la holding [9] dont il détenait 90'% des actions, à rendre exsangue la société [13] et ses quatre filiales dont il assurait la direction, d'une manière qui révèle qu'il n'a eu d'autre dessein que de tirer, directement ou indirectement via sa holding, un profit maximum du groupe de sociétés dont il avait fait l'acquisition via sa holding, en siphonnant jusqu'à la dernière heure les actifs de la société [13], dans son intérêt personnel ou celui du principal actionnaire, le fonds d'investissement [15], cela après avoir multiplié les mesures de prévention comme des écrans de fumée et en s'abstenant de fournir aux commissaires aux comptes des informations essentielles à leur mission, dans le souci de la plus grande opacité.
Au regard de ces éléments, l'intérêt général commande d'écarter M. [B] de la vie des affaires en prononçant contre lui, par confirmation du jugement entrepris, la plus forte des sanctions, c'est-à-dire une faillite personnelle, laquelle emporte interdiction d'exercer en la qualité d'auto-entrepreneur -statut qui ne dispense, ni de compétence, ni de droiture.
En application de l'article L. 653-11 du code du commerce, la sanction de faillite personnelle peut être prononcée pour une durée maximale de quinze ans.
En considération de l'âge de M. [B], né en janvier 1966, il apparaît disproportionné de prononcer une sanction de quinze années.
Par infirmation du jugement entrepris, la durée de la faillite personnelle de M. [B] sera dès lors ramenée à dix ans.
IV- Sur les demandes accessoires
Il n'y a pas lieu de revenir sur le sort des dépens et des frais irrépétibles de première instance, sur lequel il a été justement statué par les premiers juges.
La société [9] et M. [B], qui succombent à hauteur d'appel au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devront supporter in solidum les dépens de l'instance d'appel et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] Floek, ès qualités, la somme de 22'448 472,66 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure et en ce qu'elle a fixé à 15 ans la durée de la mesure de faillite personnelle prononcée contre M. [B],
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés':
Constate que l'insuffisance d'actif établi de la société [13] s'élève à la somme de 10'608'716,90'euros,
Condamne solidairement la société [9] et M. [M] [B] à payer à la SELARL [J] [16], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [13], la somme de 10'000'000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif de la société [13],
Fixe à 10 ans la durée de la sanction de faillite personnelle prononcée contre M. [M] [B] et précise en tant que de besoin que cette sanction emporte interdiction d'exercer en la qualité d'auto-entrepreneur,
Rejette en conséquence la demande de M. [M] [B] tendant à être autorisé à exercer une activité économique sous le statut d'auto-entrepreneur,
Confirme la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées,
Y ajoutant,
Déboute la société [9] et M. [B] de leur demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [M] [B] et la société [9] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu d'accorder à Maître Estelle Garnier le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/09/2025
Me Estelle GARNIER
la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES
ARRÊT du : 25 SEPTEMBRE 2025
N° : 205 - 25
N° RG 25/00111
N° Portalis DBVN-V-B7I-HEKS
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de BLOIS en date du 18 Novembre 2024
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265306827071634
Monsieur [M] [B]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me Amaury DUMAS-MARZE, membre de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
La S.A.S. [9]
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d'ORLEANS
et pour avocat plaidant Me Amaury DUMAS-MARZE, membre de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
D'UNE PART
INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: -/-
La S.E.L.A.R.L. [J] - [16]
Prise en la personne de Maître [H] [J], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [13]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat Me Alexis DEVAUCHELLE, membre de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL d'ORLEANS
Palais de Justice
[Adresse 5]
[Localité 6]
En la personne de Madame Christine TEIXIDO, Avocat Général
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 10 Décembre 2024
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 05 Juin 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du JEUDI 26 JUIN 2025, à 14 heures, Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en charge du rapport, et Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 805 et 907 du code de procédure civile.
Après délibéré au cours duquel Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, et Monsieur Damien DESFORGES, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :
Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Monsieur Damien DESFORGES, Conseiller,
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats,
Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors du prononcé,
ARRÊT :
Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le JEUDI 25 SEPTEMBRE 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS [13] a été créée en 1986 pour exercer une activité de négoce de vêtements à destination de la grande distribution, en France et à l'étranger.
Elle est la société mère d'un groupe de quatre sociétés nées d'entreprises familiales qui exerçaient elles aussi une activité de négoce de vêtements': la société [24], la société [19], la société [17] et la société [14] qui, toutes les quatre, ont leur siège social à [Localité 11].
La société [13] est présidée par la SAS [9], société holding détenue et présidée par M. [M] [B].
Directeur général des quatre sociétés filles, M. [B] assurait la direction de toutes les sociétés du groupe qu'il a créé en 2014 avec l'aide de deux fonds d'investissement': le fonds majoritaire [15] et le fonds [22].
Alors que les sociétés du groupe exerçaient auparavant leur activité selon un modèle traditionnel de ventes fermes, M. [B] a conduit à compter de 2014 des opérations de restructuration qui ont consisté à concentrer la logistique du groupe sur un site unique, à [Localité 20] (37), à réduire les effectifs de moitié et à mettre en 'uvre un nouveau modèle de commercialisation, basé sur des ventes conditionnelles.
Cette nouvelle orientation, qui a été progressive jusqu'à devenir, en 2018-2019, l'unique modèle de fonctionnement, permettait aux clients d'acheter des marchandises en ayant la possibilité, en fin de saison, de retourner les invendus en échange d'avoirs.
Ce modèle économique, plus rentable pour les clients de la grande distribution qui l'ont plébiscité, a eu pour effet de reporter sur les sociétés du groupe le risque d'invendu et d'épuiser en conséquence très rapidement leur trésorerie.
Après avoir vainement recherché le soutien de ses partenaires bancaires, le groupe a sollicité successivement, à compter de 2017, diverses mesures préventives (mandats ad hoc et conciliations) qui n'ont pas permis que son nouveau modèle économique lui permette de retrouver une rentabilité puisque le résultat de l'exercice clos au 31 octobre 2017 de la société [13] présentait un déficit de 127'030 euros, déficit qui s'est élevé à plus de 2,7 millions d'euros en 2018, et cela sans que les commissaires aux comptes aient accepté de certifier les comptes.
Les commissaires ayant initié une procédure d'alerte le 24 avril 2019 en constatant que la situation au 31 octobre 2018 s'était fortement dégradée depuis la clôture précédente et que la situation leur apparaissait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, M. [B] leur a répondu par courrier du 13 mai 2019 qu'il ne partageait pas leur vision et que l'exercice 2019 serait bénéficiaire selon ses prévisions.
M. [B] a finalement déclaré la cessation des paiements de la société [13] et de ses quatre filles le 5 septembre 2019 et par jugements du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce de Tours a ouvert à l'égard de chacune de ces sociétés des procédures de redressement judiciaire, en fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 31 août 2019, en désignant Maître [H] [P] en qualité d'administrateur et la SELARL [J]-[16], en la personne de Maître [H] [J], en qualité de mandataire judiciaire.
L'administrateur judiciaire a remis dès le 6 octobre 2019 le bilan économique et social et le rapport de diagnostic prévus aux articles L. 623-1 et L. 631-15 du code du commerce en alertant sur la situation fortement obérée des sociétés du groupe, qui n'avaient plus de trésorerie disponible ni d'activité, plus de stocks valorisables et dont la quasi-totalité des salariés avaient été licenciés courant août 2019, en préconisant dès alors la réalisation d'un audit pour déterminer les responsabilités dans la défaillance du groupe et la constitution d'un passif, selon ses termes, «'abyssal'», puis en concluant qu'il se trouvait dans ces circonstances contraint de solliciter la conversion des procédures de redressement en liquidations judiciaires.
Par jugements du 10 octobre 2019, le tribunal de commerce a converti les redressements judiciaires de la société [13] et des quatre sociétés filles en liquidations judiciaires et désigné la SELARL [J]-[16], en la personne de Maître [H] [J], liquidateur judiciaire.
Assigné en intervention forcée dans une instance engagée contre la société [13] préalablement à l'ouverture de la procédure collective par son factor, la [8], qui réclamait des documents comptables qu'elle estimait devoir lui être remis en exécution du contrat d'affacturage et qui avait par ailleurs déclaré une créance de plus de 5 millions d'euros (ramenée à un peu plus de 1,2 million d'euros après compensation), le liquidateur judiciciaire de la société [13] a obtenu du juge-commissaire, selon ordonnance du 30 octobre 2019, la désignation d'un technicien chargé, notamment, d'identifier les éléments comptables réclamés par le factor et de s'assurer de leur exhaustivité comme de leur véracité.
Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de la société [13] pour un prix de 50'000 euros.
M. [C], le technicien expert-comptable désigné en octobre 2019, a rendu son rapport le 18 février 2020 en relevant un certain nombre d'anomalies qui ont conduit le juge-commissaire à le désigner de nouveau, selon ordonnance du 17 septembre 2020, en lui confiant cette fois, en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, une mission d'audit destinée à éclairer les organes de la procédure sur la situation comptable et financière de la société [13], les évènements ayant conduit à sa défaillance et sur tous les éléments permettant de déterminer la date de cessation des paiements ainsi que d'apprécier les responsabilités éventuellement encourues.
Mécontents que le même technicien ait été désigné sans que M. [B] ait préalablement été entendu et que ce technicien ait déposé un pré-rapport en période estivale sans tenir compte de leurs observations, M. [B] et la société [9] ont fait assigner M. [C] ainsi que la SELARL [J] [16] en responsabilité devant le tribunal judiciaire de Paris en septembre 2021, aux fins d'obtenir la
condamnation solidaire du technicien et du liquidateur judiciaire à leur payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers qu'ils estiment avoir subis, ainsi qu'à les garantir d'éventuelles condamnations financières qui pourraient être prononcées à leur encontre en étant notamment fondées, directement ou indirectement, sur une remise en cause de la date de cessation des paiements du groupe [13].
M. [B] et la société [9] indiquent avoir également déposé plainte, le 30 décembre 2022, contre le liquidateur judiciaire pour escroquerie, contre le juge-commissaire pour prise illégale d'intérêts et contre le technicien, M. [C], pour recel de prise illégale d'intérêts.
M. [B] et la société [9], qui indiquent sans en justifier que l'action en responsabilité aurait été plaidée devant le tribunal judiciaire de Paris le 21 novembre 2024, ne communiquent pas la teneur du délibéré et ne fournissent aucune indication non plus sur le sort des plaintes qu'ils déclarent avoir déposées.
En tous cas, M. [C], le technicien, a déposé son rapport au juge-commissaire le 21 février 2022 et, en exposant qu'il résultait notamment de ce rapport que l'activité de la société [13] et de ses filiales était chroniquement déficitaire et irrémédiablement compromise avant l'ouverture de leurs procédures collectives, que la comptabilité n'était pas sincère et régulière et que, face à une telle situation, M. [B] s'était employé à détourner les actifs du groupe en organisant son désengagement et celui de ses associés au détriment de la société et de ses créanciers, Maître [J], ès qualités, a fait assigner M. [B] et la société [9] devant le tribunal de commerce de Tours par actes du 12 septembre 2022, aux fins de les entendre solidairement condamner à lui verser, ès qualités, l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société [13], soit la somme de 25'270'573,33 euros à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient être admises avant la clôture de la procédure, d'entendre prononcer à l'encontre de M. [B] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 15 ans ou, subsidiairement, une interdiction de gérer de même durée, puis de les entendre solidairement condamner au paiement d'une indemnité de 15'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur requête du président du tribunal de commerce de Tours, la première présidente de cette cour a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Blois qui, par jugement du 18 novembre 2024, a':
Oui Mme la procureure en ses réquisitions,
Vu les articles L. 651-2, L. 653-1 2èmement, L. 653-4 4èmement et L. 653-5 6èmement,
In limine litis,
- jugé bien-fondée l'action menée par le liquidateur de la société [13] à l'encontre de la société [9] et M. [B],
A titre liminaire,
- dit que la date de cessation des paiements a été dé'nitivement 'xée au 31 août 2019 et ne peut être remise en cause dans le cadre de la présente instance,
- dit parfaitement valables les rapports établis par M. [C], expert judiciaire, dans le cadre de la présente instance et produit par le liquidateur judiciaire de la société [13],
- débouté la société [9] et M. [B] de leur demande de désigner un nouvel expert pour établir un contre-rapport contradictoire entre les parties,
- débouté la société [9] et M. [B] de la demande de réalisation d'un contre rapport qui devra être produit avant les plaidoiries,
A titre principal,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de la société [13], la somme de 22'448'472,66'euros ((26'695'025,52'€ - (5'397'760,39'€ -1'151'207,53'€)) correspondant à l'insuf'sance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure,
- prononcé à l'encontre de M. [B], une faillite personnelle emportant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,
- fixé la durée de la mesure à 15 ans,
- débouté la société [9] et M. [B] de leurs autres demandes,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à payer la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es qualités de liquidateur de la société [13] à la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- passé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
M. [B] et la société [9] ont relevé appel de cette décision par déclaration du 10 décembre 2024, en indiquant que leur appel tend à l'annulation, à tout le moins à l'infirmation de la décision en cause, et en critiquant expressément tous les chefs de son dispositif.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 20 mai 2025, reprenant les prétentions formulées au dispositif de leurs premières écritures, M. [B] et la société [9] demandent à la cour de':
Vu l'article 16 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 631-8, L. 651-2 et L. 653-4 du code de commerce,
- déclarer M. [B] et la société [9] recevables et bien fondés en leur appel, et y faire droit.
In limine litis,
- annuler en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Blois le 18 novembre 2024 rendu en violation du principe du contradictoire,
Au fond et à tout le moins,
- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
- jugé bien-fondée l'action menée par le liquidateur de la société [13] à l'encontre de la société [9] et M. [B],
A titre liminaire,
- dit que la date de cessation des paiements a été dé'nitivement 'xée au 31 août 2019 et ne `peut être remise en cause dans le cadre de la présente instance,
- dit parfaitement valables les rapports établis par M. [C], expert judiciaire, dans le cadre de la présente instance et produit par le liquidateur judiciaire de la société [13],
- débouté la société [9] et M. [B] de leur demande de désigner un nouvel expert pour établir un contre-rapport contradictoire entre les parties,
- débouté la société [9] et M. [B] de la demande de réalisation d'un contre rapport qui devra être produit avant les plaidoiries,
A titre principal,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de lasociété [13], la somme de 22'448.472,66 euros ((26'695'025,52 € - (5'397'760,39 € -1'151'207,53'€)) correspondant à l'insuf'sance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure,
- prononcé à l'encontre de M. [B], une faillite personnelle emportant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,
- fixé la durée de la mesure à 15 ans,
- débouté la société [9] et M. [B] de leurs autres demandes,
- condamné solidairement la société [9] et M. [B] à payer la SELARL [J] [16], prise en la personne de Me [J], es-qualité de liquidateur de la société [13] à la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- passé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Statuant à nouveau':
A titre principal,
- décider :
- qu'il n'est pas démontré que M. [M] Cohen et la société [9] ont commis une quelconque faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [13],
- que la preuve d'un lien de causalité entre les fautes de gestion alléguées et l'insuffisance d'actif de la société [13] telle que présentée n'est pas démontrée,
- que la date de cessation des paiements de la société [13] est définitivement fixée au 31 août 2019 de telle sorte que le jugement critiqué ne pouvait, dans ces conditions, mettre à la charge de la société [9] et de M. [M] [B] une insuffisance d'actif qui matériellement et juridiquement était antérieure au 31 août 2019, date à laquelle la société [13] était par ailleurs en procédure de conciliation,
- que le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve de ses allégations, prétentions et demandes,
- que le montant de l'insuffisance d'actif est erroné,
- que les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer sollicitées à l'encontre de M. [M] Cohen ne sont pas justifiées, ni fondées,
Par conséquent,
- débouter le liquidateur judiciaire de la société [13] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
- ramener le montant de la sanction à proportion des facultés contributives des concluants,
- limiter les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer sollicitées à l'encontre de M. [M] Cohen à ses seuls mandats sociaux à l'exclusion de son statut d'auto-entrepreneur,
En tout état de cause,
- débouter le liquidateur judiciaire de la société [13] ainsi que le parquet général de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes,
- condamner la SELARL [J]-[16] prise en la personne de Maître [H] [J] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [13] au paiement de la somme de 10'000 euros «'chacun'» à M. [M] Cohen et à la société [9] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel, distraits au profit de Maître Estelle Garnier, avocat sur son affirmation de droit.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 mai 2025, le ministère public demande à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de [M] [B] pour une durée de 15 ans «'assortie d'une et une interdiction de gérer de même durée'»
- réduire le quantum de la somme due au titre de l'indemnité pour insuffisance d'actif,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 juin 2025, pour l'affaire être plaidée le 26 juin suivant et mise en délibéré à ce jour sans que la SELARL [J]-[16], qui a constitué avocat ès qualités le 13 janvier 2025, ait conclu.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande d'annulation du jugement déféré :
Au soutien de leur demande d'annulation du jugement déféré, les appelants font valoir que le principe de contradiction n'a pas été respecté en ce que les réquisitions du ministère public n'ont pas été portées à leur connaissance avant l'audience et que, alors que le procureur de la République «'plaide'» en dernier et ne leur semble pas s'en être rapporté à justice, ils n'ont pas été mis en mesure de répondre, que ce soit à l'audience ou par une note en délibéré.
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En l'espèce, le ministère public n'était pas à l'initiative de la saisine du tribunal aux fins de sanctions, personnelles et professionnelles, contre les anciens dirigeants de la société [13]. Le ministère public n'était dès lors pas partie principale, mais partie jointe à l'instance en sanction engagée par le liquidateur judiciaire.
Le ministère public est en effet partie jointe, ainsi qu'il est dit à l'article 424 du code de procédure civile, lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication et l'article 425 prévoit en son paragraphe 2° que le ministère public doit avoir communication des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux et des procédures de faillite personnelle ou relatives aux interdictions prévues par l'article L. 653-8 du code du commerce.
Selon l'article 431 du même code, le ministère public n'est tenu d'assister à l'audience que dans les cas où il est partie principale, dans ceux où il représente autrui ou lorsque sa présence est rendue obligatoire par la loi.
Dans tous les autres cas, il peut faire connaître son avis à la juridiction soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mise à la disposition des parties, soit oralement à l'audience.
Au cas particulier, le procureur de la République de Blois, partie jointe qui avait le choix de faire connaître son avis par conclusions écrites mises à disposition des parties, ou oralement à l'audience, n'a pas transmis de conclusions écrites mais a fait connaître son avis oralement à l'audience, comme l'indiquent les appelants.
Le ministère public a eu la parole en dernier, et cela conformément à l'article 443 qui prévoit expressément à son alinéa 1er que le ministère public, partie jointe, a le dernier la parole.
Les appelants ne peuvent en déduire qu'il aurait été porté atteinte à leurs droits en ce qu'ils n'auraient pas été mis en mesure de répondre à l'avis oral du ministère public alors qu'ils ont été en capacité, à l'audience, de répliquer aux réquisitions orales du ministère public ou de solliciter un renvoi et qu'il leur a en outre été permis, en application de l'article 445 du code de procédure civile, d'adresser au tribunal, après la clôture des débats, une note en délibéré pour répondre aux arguments développés par le ministère public.
Dès lors qu'ils ne justifient ni même n'allèguent avoir sollicité des premiers juges un renvoi qui leur aurait été refusé ou avoir adressé au tribunal une note en délibéré qui n'aurait pas été prise en considération, les appelants échouent à établir que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté à leur endroit, ce qui est assurément inexact.
La demande d'annulation du jugement sera en conséquence rejetée.
Sur le fond :
Il résulte de l'article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et que la cour ne fait droit aux prétentions de l'appelant que dans la mesure où elle les estime régulières, recevables et bien fondées, étant précisé que par application de l'article 954, dernier alinéa, du même code, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement entrepris et que la cour doit statuer sur les prétentions de première instance de l'intimé lorsque celles-ci ont été accueillies par le premier juge, puisqu'elle en est saisie par l'effet dévolutif de l'appel.
I - Sur les fautes de gestion
La cour observe à titre liminaire que M. [C] est intervenu, non pas en qualité d'expert désigné par le tribunal, mais en tant que technicien désigné par le juge-commissaire en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, que son rapport communiqué par le ministère public à hauteur d'appel a été soumis à la discussion contradictoire des parties et que les appelants ne demandent à la cour, ni d'écarter ce rapport, dont ils ne discutent plus la validité, ni de désigner un autre technicien.
Etant si besoin rappelé que ni la désignation d'un mandataire ad hoc, ni celle d'un conciliateur, ne prive le dirigeant de la société débitrice de l'exercice de ses pouvoirs ou ne le dispense de ses obligations, les appelants, auxquels ni les premiers juges, ni le ministère public, n'imputent à faute une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements de la société [13], font valoir sans emport que les procédures amiables qui se sont succédées à compter de 2017 seraient exclusives de responsabilité en ce qu'il serait «'matériellement et juridiquement impossible de mettre à leur charge un passif antérieur à la date de cessation des paiements du 31 août 2019'», ce qui est inexact.
- sur la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière
Les dispositions des articles L. 123-12 à L. 123-72 et R. 123-172 à R. 123-209 du code de commerce obligent les commerçants, personnes physiques et personnes morales, à la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal, d'un grand livre, d'un livre d'inventaire et de comptes annuels.
La société [9] et son dirigeant, M. [B], ne contestent pas que la société [13] était soumise à ces régles et ne contestent pas non plus avoir modifié les modalités de comptabilisation des titres de participation détenus par la société [13] dans les comptes de l'exercice 2017.
Ce changement de méthode comptable intervenu au 31 octobre 2017 n'a pu faire l'objet d'observations idoines de la part des commissaires aux comptes qui, ainsi qu'ils l'indiquent dans leur rapport du 27 avril 2018, ont été dans l'impossibilité de certifier les comptes de l'exercice 2017, faute d'avoir pu collecter les éléments nécessaires à fonder leur opinion, notamment «'les éléments sous-tendant la valorisation des titres de participation'».
Ce changement de méthode a entraîné, sur l'exercice 2017, un profit de 678'709 euros par reprise d'une partie de la provision antérieure.
Si le ministère public ne démontre pas le caractère fictif de ce profit, ce qui ne ressort pas davantage des motifs du jugement entrepris, il est en tous cas certain que cette nouvelle méthode, appliquée à l'exercice 2018, aurait dû conduire à l'inscription d'une provision complémentaire, et que cela n'a pas été fait.
Il apparaît en effet qu'en appliquant sur l'exercice 2018 la méthode de valorisation des participations que la société [13] avait elle-même exposée en annexe de ses comptes annuels de l'exercice 2017, la valorisation de ses participations dans ses quatre filiales ([23], [19], [17] et [14]) ressortait alors à 9'301'058 euros.
Les titres détenus par [13] étant inscrits à l'actif pour 17'088'387'euros, la provision pour dépréciation aurait dû s'élever à 7'787'329 euros, de sorte qu'une provision complémentaire de 2'613'194 euros aurait dû être enregistrée, ce qui n'a pas été fait et a conduit à minimiser d'autant les pertes de l'exercice.
Les dirigeants de la société [13] ont en outre établi une comptabilité qui n'était pas le reflet du modèle économique progressivement mis en 'uvre par M. [B] et devenu exclusif en 2018-2019.
Le modèle économique présenté comme ayant été imaginé par M. [B], dont il est aisé de comprendre qu'il a été plébiscité par la grande distribution, reposait sur un système de ventes conditionnelles -les clients qui achetaient les vêtements avaient la possibilité, en fin de saison, de retourner les invendus en échange d'avoirs.
Puisque ce modèle avait pour effet de faire supporter à la société [13] le risque d'invendus, ce risque de perte de marge devait être comptablement provisionné, ce qui n'a pas été fait. Comme l'indique le technicien commis par le juge-commissaire, le fait qu'à compter de 2018, «'le chiffre d'affaires était majoritairement réalisé de façon conditionnelle, impliquait le principe de retour de marchandises après la saison. Il en résultait qu'une partie de la marge dégagée sur la vente de la collection hiver avant le 31 octobre, date de clôture de l'exercice, serait annulée pendant l'exercice suivant. Le résultat de l'exercice qui a enregistré le produit devait donc être comptablement réduit pour respecter le principe comptable de prudence'».
Ce principe de prudence, qui résulte du simple bon sens, n'a pas été respecté, car procédant comme elle l'a fait, en établissant une comptabilité décorrélée de son modèle économique, la société [13] a réussi à se constituer une trésorerie artificielle en affacturant auprès de la [8] des créances clients sans prise en considération des avoirs qu'étaient contractuellement en droit d'exiger ces clients à la suite des retours de marchandises invendues.
Le technicien a relevé d'autres manquements aux règles comptables sur lesquels les appelants n'offrent aucune explication pertinente non plus.
Le technicien a par exemple relevé que M. [B], qui était le dirigeant de la société [9], pas celui de la société [13], a bénéficié de la mise à disposition d'un véhicule automobile de la société [13] et n'a pas hésité à se faire rembourser par ladite société des frais de toute sorte (frais de déplacements, hôtels et même contraventions routières) représentant a minima, sur les quatre exercices réalisés sous sa direction, 417'085,76 euros.
Le technicien a également signalé de nombreux flux financiers entre la société [13] et ses quatre filles, ou entre la société [13] et la holding [9] que les dirigeants de la société [13] n'ont pu justifier par aucune convention idoine.
En établissant ainsi une comptabilité qui n'était ni régulière, ni sincère, qui ne donnait en conséquence pas une image fidèle de la situation de la société, mais qui améliorait artificiellement celle-ci, les dirigeants de la société [13] ont assurément commis une grave faute de gestion.
Le rapport des commissaires aux comptes en date du 27 avril 2018 sur les comptes annuels de la société [13] clôturés au 31 octobre 2017 révèle que la sincérité des comptes de la société [13] n'était de toute façon pas la préoccupation de ses dirigeants, qui n'ont pas même daigné transmettre les documents qui leur avaient été réclamés.
Pour expliquer l'impossibilité de certification des comptes, les commissaires indiquent en effet ce qui suit':
«'Nous sommes dans l'impossibilité de certifier que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français, réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice [car] nous n'avons pas été en mesure de collecter les éléments suffisants et appropriés pour fonder une opinion d'audit sur ces comptes ['].
Alors que l'hypothèse de continuité d'exploitation a été retenue par la direction de la société sur la base de critères nécessaires et cumulatifs, aucun des éléments d'appréciation ne nous a été transmis à ce jour nous permettant de nous assurer de la réalisation de tout ou partie de [ces] critères ['].
La société n'a pas procédé à l'envoi des courriers de circularisation des avocats leur demandant notamment de nous informer des procès et litiges en cours ou éventuels. Nous ne sommes donc pas en mesure de nous assurer que toutes les provisions nécessaires ont été constituées au passif du bilan.
A ce jour la société n'a pas procédé à l'envoi des courriers de circularisation des banques. Nous ne sommes donc pas en mesure de nous assurer que tous les comptes de banques sont inclus dans les états financiers et que le montant des disponibilités enregistrées à l'actif du bilan est exact. Il ne nous a pas été communiqué tous les éléments sous-tendant la valorisation des titres d'exploitation...'».
Si dans ces circonstances, les commissaires aux comptes ont fait montre d'une particulière bienveillance, au regard des obligations qui sont les leurs, en ne déclenchant pas dès 2018 une procédure d'alerte, cette situation n'exonère nullement de leur responsabilité les dirigeants de la société [13] qui, grâce à ces artifices comptables et à la naïveté bienveillante des acteurs de la prévention, ont entretenu l'opacité pour retarder aussi longtemps qu'il leur a été possible l'ouverture d'une procédure collective, dans leur intérêt et au détriment des créanciers.
- sur la poursuite abusive d'une activité structurellement déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale
Il est constant que depuis que M. [B] en a pris la direction via sa holding [9], la société [13] a été chroniquement déficitaire.
Hormis en 2016, le résultat d'exploitation a toujours été négatif et le résultat net, lui, a toujours été négatif (perte de 359'401 euros en 2015, de 724'332'euros en 2016, de 127'030 euros en 2017, puis de 2'739'375 euros en 2018).
A compter de 2016, la société [13] a connu une dégradation constante de son chiffres d'affaires, mais également de sa marge, passée de 22,3'% en 2016 à 20,5'% en 2017 et seulement 5'% en 2018 tandis que, sur la même période, les charges externes de la société ont augmenté, à raison, notamment, d'une augmentation très substantielle des prestations versées à la société [9], sur laquelle les appelants ne s'expliquent pas.
En dépit de résultats qui suffisaient à révéler que le modèle de commercialisation conditionnelle imaginé par M. [B] était économiquement intenable, puisque, alors même que les pertes de marges n'avaient pas été provisionnées, le résultat net de la société était négatif, les dirigeants de la société [13] ont entrepris, durant l'exercice de 2018, d'achever ce qui se révèle avoir été une opération de «'siphonnage'».
Dans les comptes de l'exercice 2018, qui sont les comptes clos au 31 octobre 2018 qui ont conduit les commissaires aux comptes à déclencher le 24 avril 2019 la procédure d'alerte, les capitaux propres de la société [13] étaient négatifs à hauteur de 821'902 euros et les pertes s'élevaient à 2'739'375 euros.
Pour poursuivre «'coûte que coûte'» l'activité de la société, ses dirigeants avaient déjà fait supporter à la société [13], sur l'exercice 2018, des charges financières et bancaires de 419'103 euros qui ont représenté 7,2'% de son chiffre d'affaires, soit plus que sa marge qui s'élevait à seulement 5'% de ce chiffre d'affaires.
Pour mettre en 'uvre une pratique systématique du contentieux destinée à décourager les créanciers sociaux et améliorer artificiellement les comptes de la société en absence de provision corrélative, ils avaient également fait supporter à la société, sur les exercices 2017 et 2018, des honoraires d'avocats de 486'689,56'euros qui représentaient quant à eux 7,5'% du chiffre d'affaires, soit là encore davantage que la marge commerciale de la société.
Dans le même temps, la société [13] ne réglait ni ses charges fiscales, ni ses charges sociales et alors que les commissaires aux comptes avaient justifié le déclenchement de la procédure d'alerte par une baisse significative du chiffre d'affaires, des retards notables dans le règlement des dettes fiscales et sociales, le non-respect des échéanciers mis en place avec l'administration et l'URSSAF, la multiplication des dettes fournisseurs et les retards de règlement, c'est avec une audace singulière que pour expliquer, en l'absence de convention de trésorerie, des flux financiers constatés entre la société [13] et la société [9], les conseils de cette dernière ont cru pouvoir expliquer au technicien commis par le juge-commissaire que la société [13] «'avait tout intérêt à protéger sa trésorerie de créanciers indélicats en laissant ses comptes bancaires proches de zéro pour éviter des saisies conservatoires abusives'».
Alors que la trésorerie de la société [13] était continuellement négative sur les exercices 2017 et 2018 et que le déficit de trésorerie avait atteint 5'945'000'euros en février 2019, l'analyse du technicien commis par le juge-commissaire a conforté les craintes exprimées par l'administrateur judiciaire à l'ouverture de la procédure collective et démontre, non pas que les dirigeants de la société [13] se seraient seulement entêtés dans leur erreur, ce qui aurait déjà constitué une faute de gestion, mais qu'ils ont sciemment faire perdurer l'activité de la société [13] aussi longtemps qu'ils l'ont pu, dans leur intérêt propre et celui de leurs actionnaires, au détriment des créanciers.
Alors que la société [9] avait déjà fait augmenter la rémunération de sa présidence à chaque exercice pendant que le déficit de la société [13] se creusait, passant d'une rémunération de 1,7'% du chiffre d'affaires à une rémunération de 3,5'% du chiffre d'affaires, il résulte des derniers comptes que la société [9] s'est fait rémunérer par la société [13] jusqu'au 31 août 2019, date de la cessation des paiements.
Les premiers juges ont en outre relevé à raison que pendant la période suspecte, c'est-dire entre le 31 août 2019, date de cessation des paiements et le 10 septembre 2019, date d'ouverture de la procédure collective, ce alors que dans son courrier du 13 mai 2019 adressé aux commissaires aux comptes en réponse au déclenchement de la procédure d'alerte, M. [B] assurait que selon lui les résultats de la société [13] étaient «'très encourageants'», la société [9] a continué à se faire rembourser par la société [13] une partie de ses apports en compte courant, puisque quatre retraits ont été comptabilisés pour un total de 126'500 euros et, dans le même temps, les dirigeants de la société [13], qui avaient déjà remboursé au fond d'investissement [15] une partie de ses apports (162'185,72 euros) le 23 mai 2019, ont remboursé en sus à cet actionnaire, le 31 août puis le 5 septembre 2019, une somme complémentaire de 359'679,92 euros.
Pour procéder à ces derniers remboursements en période suspecte, M. [B] n'a pas hésité à céder les stocks de la société, le 31 août 2019, à un prix très nettement inférieur à leur valorisation dans les comptes, ce cinq jours seulement avant de procéder à la déclaration de cessation des paiements qui a conduit à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire dans laquelle l'administrateur judiciaire désigné a immédiatement constaté que la société était exsangue, qu'il n'y avait aucune alternative à la liquidation judiciaire et que celle-ci lui semblait avoir été organisée bien en amont.
L'ensemble de ces éléments démontre sans doute possible qu'au détriment manifeste des créanciers, les dirigeants de la société [13] ont poursuivi une activité continûment déficitaire et ainsi aggravé le passif social dans leur intérêt et dans celui de l'actionnaire majoritaire, ce qui constitue là encore une faute de gestion d'une particulière gravité.
II- Sur la demande de sanction pécuniaire contre la société [9] et M. [B]
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 applicable en l'espèce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il résulte de ces dispositions que la responsabilité du dirigeant suppose la réunion de trois conditions': 1° l'existence d'une insuffisance d'actif, 2° une ou plusieurs fautes de gestion, exclusives de simples négligences, 3° un lien de causalité entre la faute et l'insuffisance d'actif constatée.
Les fautes de gestion qui ont été précédemment caractérisées sont particulièrement lourdes et révèlent, par leur nature, leur nombre et leur persistance, une intention exclusive de la simple négligence, étant rappelé que pour leurrer les créanciers et les partenaires de la société [13] aussi longtemps qu'il lui a été possible, M. [B] a fait fi des demandes de communication des commissaires aux comptes.
Il reste dès lors à vérifier, pour pouvoir retenir la responsabilité des appelants, la réunion des deux autres conditions, étant observé que la société [9] et M. [B] ne contestent pas leur qualité de dirigeants de la société [13], laquelle ne fait aucun doute puisqu'il résulte de la combinaison des articles L. 227-7, L. 651-1 et L. 651-2 que lorsque la personne morale mise en liquidation est une société par actions simplifiée dirigée par une personne morale, telle la SAS [13] présidée par la SAS [9], la responsabilité pour insuffisance d'actif prévue au dernier texte précité est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit ou de fait, mais aussi par le représentant légal de cette dernière en l'absence d'obligation légale ou d'obligation statutaire, non alléguée, de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d'une SAS (v. par ex. Com. 13 décembre 2023, n° 21-14.579).
- sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance de l'actif, évalué au jour de l'ouverture de la procédure puisque seules les dettes nées avant le jugement d'ouverture doivent être prises en considération pour la détermination de l'insuffisance d'actif, est la différence entre l'actif réalisé et le passif admis.
Le passif admis, tel qu'il résulte de l'état des créances actualisé au 15 mars 2023 produit par le ministère public, s'élève à 25'381'824,67 euros, dont 83'868,83 euros à titre super privilégié, 4'368'546 euros à titre privilégié et 20'929 058,30 euros à titre chirographaire.
Alors que sur l'état du passif actualisé au 15 mars 2023 produit par le ministère public en pièce 16, il apparaît que par ordonnance du 8 mars 2022, le juge-commissaire a admis la créance contestée de [18] à hauteur de 1'151'207,53 euros, soit dans les termes de la décision rendue le 7 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Paris saisi de la contestation, la créance du factor figure néanmoins en page 32 de l'état des créances actualisé à hauteur de la somme de 5'397'760,39 euros qui correspond à la somme à laquelle cette créance avait été déclarée.
En l'absence d'explications du liquidateur, les premiers juges ont ramené à raison la créance du factor au montant auquel elle a été admise par le juge-commissaire, soit à la somme de 1'151'207,53 euros, mais ont commis une erreur, dans le calcul de l'insuffisance d'actif, en déduisant le montant de la créance ainsi rectifiée, non pas du passif admis (25'381'824,67 euros), mais du passif déclaré (26'625'156,83 euros).
Le montant du passif admis doit dès lors être ramené, après réparation de cette erreur des premiers juges, à 21'135'271,80'euros [25'381'824,67 - ( 5'397'760,39 - 1'151'207,53)].
En faisant valoir, comme devant les premiers juges, que selon le rapport de M. [C], technicien désigné par le juge-commissaire en application de l'article L. 621-9 du code du commerce, le passif consolidé déclaré pour 24'937'432 euros s'élève finalement à 14'532'274, les appelants soutiennent qu'il convient de réduire le montant de l'insuffisance d'actif de la différence entre le passif consolidé déclaré et le passif consolidé ainsi retraité.
Le ministère public rétorque que la contestation des appelants est sans objet, en indiquant, sans autre explication, que «'le montant de l'insuffisance d'actif a été fixé à plus de 22'000'000 euros à la date de cessation des paiements du 31 août 2019'».
Dès lors qu'il ne résulte d'aucune des productions du ministère public que les dirigeants de la société [13], qui le contestent, auraient été associés à la vérification du passif ou que l'état des créances déposé au greffe aurait fait l'objet d'une insertion publiée au Bodacc, aucune autorité de chose jugée ne peut être opposée aux appelants et il ne peut s'inférer des conclusions du liquidateur produites en pièce 17, sans les pièces qui auraient le cas échéant permis de le démontrer, que M. [B] aurait effectivement signé le 9 septembre 2020 l'état des créances qui lui avait été adressé.
Dans ces circonstances, la cour, qui constate que dans son rapport déposé le 21 février 2022, le technicien commis par le juge-commissaire a effectivement indiqué que le passif consolidé produit à hauteur de 24'937'432 euros devait être ramené à 14'532'274 euros, ne peut que ramener le montant du passif admis à 10'730'113,80 euros [21'135'271,80 - (24'937'432-14'532'274)].
Encore que les appelants ne l'évoquent pas, les premiers juges ont omis de déduire du passif admis le montant de l'actif réalisé pour procéder au calcul de l'insuffisance d'actif.
Les actifs ayant été réalisés pour 121'396,91 euros, hors les frais de réalisation qui ne doivent pas être pris en considération (v. par ex. Com. 23 octobre 2024, n° 23-15.365), il peut être retenu, sans doute possible, au regard de l'ensemble de ces éléments, que l'insuffisance d'actif s'élève, a minima, à 10'608'716,90'euros (10'730'113,80 - 121'396,91, hors les créances contestées, dont ni le liquidateur ni le ministère public n'établit que certaines d'entre elles auraient été admises par le juge-commissaire à l'issue des instances engagées à cet effet par certains créanciers.
- sur le lien de causalité entre les fautes de gestion retenues contre les dirigeants et l'insuffisance d'actif constatée
Par leur gravité et par leur nombre, les fautes de gestion que M. [B] et sa holding [9] ont commises pour soutenir artificiellement la société [13], en épuisant sa trésorerie, en masquant sa situation financière par des artifices comptables, en multipliant les actions contentieuses contre les créanciers, en ne communiquant pas aux commissaires aux comptes les éléments indispensables à l'accomplissement de leur mission, en faisant supporter par la société des dépenses qui ne lui incombaient pas ou encore en cédant ses principaux actifs au seul profit des actionnaires quelques jours seulement avant l'ouverture de la procédure collective, ont assurément contribué à l'insuffisance d'actif constatée.
- sur le quantum de la condamnation
Si aucune enquête patrimoniale n'apparaît avoir été réalisée en préalable de l'action en comblement de passif pour agir au mieux des intérêts des créanciers en vérifiant la solvabilité des dirigeants de la société [13], ce que la cour ne peut que regretter, les appelants affirment sans sérieux, de leur côté, avoir justifié de leurs modestes facultés contributives.
Les éléments comptables produits par la société [9] qui, au mépris de ses obligations réglementaires, n'a jamais déposé ses comptes au greffe, ne peuvent être examinés qu'avec circonspection au regard de la manière dont M. [B] a montré être capable de tenir la comptabilité des sociétés qu'il dirige.
Concernant sa situation financière personnelle, M. [B] produit des éléments épars qui ne sauraient suffire à éclairer la cour.
Alors que l'instruction de cette affaire a été clôturée au début du mois de juin 2025, la cour ne peut manquer de s'interroger sur les raisons qui ont conduit M. [B] à justifier de ses revenus de l'année 2023 en produisant son avis de situation déclaration de juin 2024 plutôt que son avis d'imposition de la même année.
M. [B], dont la cour observe que l'adresse parisienne qu'il a renseignée dans sa déclaration d'appel n'est pas celle qui est fournie aux services fiscaux, située à [Localité 4] (37), ne peut prétendre justifier de la position de ses comptes bancaires en produisant un simple courriel d'un préposé de l'agence [10] de [Localité 21] daté de juillet 2024, ce alors même qu'à la même époque, il déclarait utiliser pour payer ses impôts un compte bancaire ouvert en les livres de la banque [12].
C'est sans davantage de sérieux que M. [B] offre d'établir qu'il ne détiendrait aucun bien immobilier en produisant une capture d'écran de sa situation déclarative extraite de son espace particulier du site impots.gouv.
En l'absence du moindre relevé émanant du service de la publicité foncière, il est impossible pour la cour de retenir que M. [B] ne serait propriétaire d'aucun immeuble.
La cour ignore pareillement tout du patrimoine mobilier de M. [B], lequel n'assure d'ailleurs nullement ne détenir aucune part de sociétés civiles, immobilières ou non, ou de sociétés commerciales autres que sa société holding [9].
Dans ces circonstances, puisque l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif tend à reconstituer le gage collectif des créanciers, rien ne justifie en l'espèce de prononcer une sanction d'un montant qui ne serait pas l'équivalent du dommage subi par les créanciers.
La société [9] et M. [B] seront en conséquence condamnés à supporter l'insuffisance d'actif de la société [13] à hauteur de 10'000'000'euros, par infirmation du jugement entrepris, et ce avec solidarité en application de l'article L. 227-7 du code du commerce.
III- Sur la demande de sanction professionnelle à l'encontre de M. [B]
Il ne résulte des motifs du jugement entrepris ou des moyens développés dans les conclusions du ministère public la preuve contre M. [B] d'aucune faute autre que celles qui ont été précédemment retenues contre ce dernier et la société [9] qui présidait la société [13].
Les deux fautes qui ont été précédemment retenues, à savoir la tenue d'une comptabilité manifestement irrégulière et non sincère d'une part, la poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, d'autre part, autorisent à prononcer à l'encontre de M. [B], en tant que représentant légal de la société holding qui dirigeait la SAS [13], la sanction de faillite personnelle et la sanction d'interdiction de gérer prévues par les articles L. 653-1, L. 653-4, 4°, L. 653-5, 6° et L. 653-8 du code du commerce.
Ainsi qu'il est dit à l'article L. 653-2, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
La sanction d'interdiction de gérer emporte, ainsi qu'il est dit à l'article L. 653-8, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, étant si besoin rappelé que lorsque la juridiction qui prononce une telle sanction ne précise rien, toutes les activités prévues par ce texte sont concernées par l'interdiction prononcée (v. par ex. Com. 11 février 2014, n° 12-21.069).
L'interdiction de gérer est en quelque sorte un diminutif de la faillite personnelle, en ce qu'elle peut être limitée à certaines activités économiques et en ce qu'elle ne permet pas aux créanciers de recouvrer leur droit de poursuite individuelle après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif.
Cette «'sanction atténuée'», qui peut être substituée à la faillite personnelle dans tous les cas et qui est parfois seule encourue, ne peut être prononcée en complément de la sanction de la faillite personnelle, comme le réclame le ministère public, sans au demeurant former appel incident du jugement déféré qui a prononcé contre M. [B] une sanction de faillite personnelle.
Par leur gravité, leur nature, leur persistance et les circonstances de leur commission, les fautes retenues contre M. [B] ont de lourdes répercussions sur les créanciers de la société [13], mais également sur la collectivité qui va devoir supporter, directement ou indirectement, les conséquences du non-respect par l'intéressé des obligations fiscales et sociales de la société qu'il dirigeait.
Les dommages causés par M. [B] doivent être mis en perspective avec la situation de ce dernier qui, durant les cinq petites années qu'aura seulement duré sa direction, a réussi, via la holding [9] dont il détenait 90'% des actions, à rendre exsangue la société [13] et ses quatre filiales dont il assurait la direction, d'une manière qui révèle qu'il n'a eu d'autre dessein que de tirer, directement ou indirectement via sa holding, un profit maximum du groupe de sociétés dont il avait fait l'acquisition via sa holding, en siphonnant jusqu'à la dernière heure les actifs de la société [13], dans son intérêt personnel ou celui du principal actionnaire, le fonds d'investissement [15], cela après avoir multiplié les mesures de prévention comme des écrans de fumée et en s'abstenant de fournir aux commissaires aux comptes des informations essentielles à leur mission, dans le souci de la plus grande opacité.
Au regard de ces éléments, l'intérêt général commande d'écarter M. [B] de la vie des affaires en prononçant contre lui, par confirmation du jugement entrepris, la plus forte des sanctions, c'est-à-dire une faillite personnelle, laquelle emporte interdiction d'exercer en la qualité d'auto-entrepreneur -statut qui ne dispense, ni de compétence, ni de droiture.
En application de l'article L. 653-11 du code du commerce, la sanction de faillite personnelle peut être prononcée pour une durée maximale de quinze ans.
En considération de l'âge de M. [B], né en janvier 1966, il apparaît disproportionné de prononcer une sanction de quinze années.
Par infirmation du jugement entrepris, la durée de la faillite personnelle de M. [B] sera dès lors ramenée à dix ans.
IV- Sur les demandes accessoires
Il n'y a pas lieu de revenir sur le sort des dépens et des frais irrépétibles de première instance, sur lequel il a été justement statué par les premiers juges.
La société [9] et M. [B], qui succombent à hauteur d'appel au sens de l'article 696 du code de procédure civile, devront supporter in solidum les dépens de l'instance d'appel et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné solidairement la société [9] et M. [B] à verser à la SELARL [J] Floek, ès qualités, la somme de 22'448 472,66 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la société [13], à parfaire du montant des créances contestées qui pourraient se voir admises avant la clôture de la procédure et en ce qu'elle a fixé à 15 ans la durée de la mesure de faillite personnelle prononcée contre M. [B],
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés':
Constate que l'insuffisance d'actif établi de la société [13] s'élève à la somme de 10'608'716,90'euros,
Condamne solidairement la société [9] et M. [M] [B] à payer à la SELARL [J] [16], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [13], la somme de 10'000'000 euros à titre de contribution à l'insuffisance d'actif de la société [13],
Fixe à 10 ans la durée de la sanction de faillite personnelle prononcée contre M. [M] [B] et précise en tant que de besoin que cette sanction emporte interdiction d'exercer en la qualité d'auto-entrepreneur,
Rejette en conséquence la demande de M. [M] [B] tendant à être autorisé à exercer une activité économique sous le statut d'auto-entrepreneur,
Confirme la décision pour le surplus de ses dispositions critiquées,
Y ajoutant,
Déboute la société [9] et M. [B] de leur demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [M] [B] et la société [9] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu d'accorder à Maître Estelle Garnier le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT