CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 24 septembre 2025, n° 24/19706
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2025
(n° , 16 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/19706 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKNL4
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 2ème section- RG n° 23/16291
APPELANT
Monsieur [T] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Audric DUPUIS, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
Société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA SOCIEDAD ANONIMA, société de droit espagnol immatriculée au registre du commerce de Vizcaya sous le numéro 000008526, EUID : ES48001.000008526, Tomo 2.083, Folio 1, Hoja BI-17-A
[Adresse 6]
[Localité 3] (Espagne)
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Maxence BILLIAUD du cabinet DELOITTE société d'avocats, avocat au barreau des Hauts-de-Seine
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 novembre 2024, M. [T] [E] a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 6 novembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - ce dernier ayant été saisi par voie d'assignation en date du 24 octobre 2023 délivrée à la requête de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria - a déclaré M. [E] irrecevable en ses demandes, pour cause de prescription.
***
La procédure d'appel a été clôturée le 13 mai 2015.
Les parties ont conclu par écritures séparées, d'une part sur la recevabilité des conclusions d'intimé et d'appel incident, et d'autre part sur le fond.
Chronologiquement les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2025, qui constituent sur le fond ses uniques écritures, l'appelant M. [E]
présente en ces termes ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I BIS',
Vu le Réglement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II',
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu l'ordonnance rendue par le JME de [Localité 5] le 3 octobre (sic) 2024,
Vu la jurisprudence francaise et européenne,
Il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
INFIRMER l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :
Dit M. [T] [E] irrecevable dans ses demandes dirigées à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
Condamné M. [T] [E] aux dépens de l'incident ;
Condamné M. [T] [E] à payer à la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
DECLARER le droit francais comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Monsieur [E] à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
RECEVOIR les demandes de Monsieur [E] à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
CONDAMNER la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 12 mai 2025, qui constituent sur le fond ses uniques écritures, incluant appel incident, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria
présente en ces termes ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement Rome II n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles,
Vu le Réglement Bruxelles 1 Bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu les articles 42, 56, 74, 75, 114, 700, 789 et 791 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1968 et 1902 du code civil espagnol,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence francaise et européenne citée et les pièces versées au débat,
Vu l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris, en date du 6 novembre 2024.
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
' CONFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce que le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a :
- DIT M. [T] [E] irrecevable dans ses demandes dirigées à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ;
- CONDAMNE M. [T] [E] aux dépens de l'incident ;
- CONDAMNE M. [T] [E] à payer à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' DECLARER recevable et bien fondée Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA en son appel incident de l'ordonnance rendue le 06 novembre 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris ;
Y faisant droit,
INFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce que le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a :
'''
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ;''''
Et statuant à nouveau,
DECLARER le Tribunal judiciaire de Paris territorialement incompétent pour connaitre du présent litige opposant M. [T] [E] à Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA, lequel relève du tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne) ;
En conséquence :
RENVOYER M. [T] [E] à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne).
En tout état de cause :
DEBOUTER M. [T] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER Monsieur [T] [E] à payer à Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la présente instance ;
CONDAMNER Monsieur [T] [E] aux entiers dépens de la présente instance.'
Au dispositif de ses conclusions aux fins d'irrecevabilité des conclusions adverses incluant appel incident du 12 mai 2025, communiquées par voie électronique le 3 juin 2025, l'appelant M. [E]
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 15 et 16 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence française,
Vu les pièces de la cause,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER irrecevables les conclusions d'intimé pour défaut de communication en temps utile ;
CONDAMNER la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 6 juin 2025, l'intimé, en réponse aux écritures adverses tendant à l'irrecevabilité des conclusions du 12 mai 2025,
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 15, 16, 700, 906-2 et 915-4 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER recevables les conclusions d'intimée et d'appel incident signifiées le 12 mai 2025 par BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA dans le cadre de la présente instance ;
En conséquence :
DEBOUTER Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
En tout état de cause :
CONDAMNER Monsieur [E] à verser à BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur [E] aux entiers dépens de l'instance.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
I - SUR LA RECEVABILITE DES CONCLUSIONS DE L'INTIME
* L'appelant, M. [E] à l'appui de sa demande d'irrecevabilité des conclusions adverses pour cause de tardiveté invoque les dispositions de l'article 15 du code de procédure civile selon lequel : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense'. Il ajoute que selon l'article 16 du code de procédure civile : 'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations'. Le principe du contradictoire est l'un des principes fondamentaux en matière de procédure civile. Chaque partie à un litige doit avoir la possibilité de connaitre et de discuter les arguments et les pièces adverses. Ainsi, les écritures doivent être déposées en temps utile afin de permettre à la partie adverse de prendre connaissance de celles-ci et de pouvoir y répondre.
En l'espèce, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a communiqué ses conclusions d'intimé le 12 mai 2025 à 18h22 en formant un appel incident. La clôture a été prononcée le lendemain, 13 mai 2025. La production des écritures et des pièces par la banque espagnole, à la veille de la clôture, et même seulement quelques heures avant celle-ci, n'a pas permis à M. [E] de pouvoir répondre aux nouveaux arguments soulevés par la partie adverse. La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria connaissait pourtant depuis plusieurs mois la date de la clôture. Dès lors, l'attitude de la banque espagnole est déloyale, elle n'a pas respecté le principe du contradictoire, et la cour dira ses écritures et pièces produites irrecevables.
* L'intimé, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria en réponse fait valoir qu'en droit, l'article 906-2 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que : 'L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué'.
L'article 915-4 du code de procédure civile ajoute : 'Les délais prévus au premier alinéa de l'article 906-1, à l'article 906-2, au troisième alinéa de l'article 902 et à l'article 908 sont augmentés :
- d'un mois, lorsque la demande est portée soit devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, pour les parties qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélémy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie ou dans les Terres australes et antarctiques françaises, soit devant une juridiction qui a son siège en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou dans les îles Wallis et Futuna, pour les parties qui ne demeurent pas dans cette collectivité ;
- de deux mois si l'appelant demeure à l'étranger.
Les délais prescrits aux intimés et intervenants forcés par les articles 906-2,909 et 910 sont augmentés dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités'.
En l'espèce, le demandeur a notifié ses 'Conclusions d'appelant n°1' le 17 janvier 2025. Or, en application des textes susvisés, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria qui est une société demeurant à l'étranger (Espagne) disposait d'un délai de cinq mois à compter du 17 janvier 2025 pour remettre ses conclusions d'intimée au greffe et former appel incident, soit jusqu'au 16 juin 2025. Pourtant, la clôture de l'instruction a été prononcée le 13 mai 2025, soit plus d'un mois avant l'expiration du délai spécialement prévu par le code de procédure civile. La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a été contrainte de s'adapter au calendrier fixé par la Cour d'appel de Paris et a régularisé des conclusions d'intimée et d'appel incident dès le 12 mai, soit avant la date de l'ordonnance de clôture et dans le délai légal dont elle bénéficie en sa qualité de société étrangère. Dans ces conditions, il ne peut être valablement reproché à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria de ne pas s'être conformée aux délais pourtant plus courts que ceux dont elle disposait de droit.
En tout état de cause, la jurisprudence a eu l'occasion de déclarer recevables des conclusions prétendument tardives dès lors que la partie qui s'en prévaut manque de diligence en s'abstenant de solliciter le rabat de l'ordonnance de clôture ' Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 février 1976 - n°74-12638 : 'Mais attendu qu'il n'est justifié ni par l'arrêt déféré ni par les conclusions de [S], ès qualités, que celui-ci ait usé de la faculté que lui donnait l'article 50 du décret du 9 septembre 1971, alors en vigueur, de demander que l'ordonnance de clôture fut révoquée afin d'organiser sa défense ; Que le moyen n'est pas fondé' ' Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 janvier 1985 - n° 83-13249 : 'Attendu, ensuite, que M. X... n'est pas recevable à reprocher à la cour d'appel d'avoir tenu compte de conclusions déposées antérieurement à l'ordonnance de clôture mais notifiées le jour même de celle-ci, dès lors qu'il ne justifie pas avoir usé de la faculté qui lui était offerte par l'article 784 du nouveau code de procédure civile de demander la révocation de cette ordonnance s'il estimait n'être pas en mesure d'organiser sa défense'. Enfin, le demandeur cite lui-même dans ses conclusions un arrêt de la Cour de cassation qui, par la réciproque, considère également que l'irrecevabilité des conclusions prétendument tardives ne saurait être justifiée que si la partie qui se prétend lésée a formulé une demande de révocation de l'ordonnance de clôture : Cour de cassation, Chambre civile 2e, 8 octobre 1986 - n° 84-17.724 : 'Le juge devant en toutes circonstances faire observer le principe de la contradiction, cassation de l'arrêt qui retient les conclusions signifiées la veille de l'ordonnance de clôture sans s'assurer que la partie adverse qui demandait la révocation de ladite ordonnance avait été à même de discuter utilement des conclusions'.
Or en l'espèce le demandeur n'a pas formulé de demande de révocation de l'ordonnance de clôture et n'a pas non plus sollicité un report de clôture à réception des conclusions notifiées par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria avant la clôture du 13 mai 2025. Au contraire, le demandeur a attendu le 3 juin 2025, soit trois semaines après ladite clôture et moins de dix jours avant la date d'audience de plaidoiries pour soulever l'irrecevabilité des conclusions de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria. Il convient d'ajouter que le demandeur qui semble vouloir compléter ses conclusions d'appelant ne joint pas de nouvelles écritures au fond pour justifier des arguments qu'il entend soulever en réponse aux conclusions prises par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria avant la clôture. Il incombe au demandeur invoquant le non-respect du contradictoire de se montrer diligent, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
Par conséquent, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de bien vouloir déclarer recevables les conclusions d'intimée et d'appel incident signifiées le 12 mai 2025 par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria dans le cadre de la présente instance.
Sur ce,
S'agissant d'une procédure conduite selon les règles de l'article 906 du code de procédure civile, les parties disposent de délais plus courts que ceux qui leur échoient dans la procédure ordinaire.
À cet égard, il convient de noter que la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria en application des dispositions combinées des articles 906-2 alinéa 2 et 915-4 du code de procédure civile, dont elle rappelle les termes, pour déposer ses conclusions et former appel incident disposait d'un délai de quatre mois (deux mois + deux mois) et non de cinq comme indiqué par elle par erreur dans ses conclusions du 6 juin 2025. Il n'en demeure pas moins qu'en notifiant ses conclusions le 12 mai 2025 elle a respecté le délai légal de quatre mois applicable au cas présent, courant à compter de la notification des conclusions de l'appelant du 17 janvier et expirant le 17 mai 2025.
En toute hypothèse, quand bien même la société intimée Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a conclu à la veille de la clôture, prononcée le 13 mai 2025, l'appelant M. [E] disposait d'un temps suffisant pour répliquer sur le fond, quant aux prétentions adverses contenues dans son appel incident, d'ici à l'audience de plaidoirie d'ores et déjà fixée au 12 juin 2025, à condition de solliciter sans délai le report ou le rabat de l'ordonnance de clôture, ce dont il s'est abstenu.
Dans ces circonstances, il n'existe aucune violation de la contradiction, et par suite il y a lieu de déclarer recevables les conclusions de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria communiquées par voie éléctronique le 12 mai 2025.
II - SUR LE MERITE DES DEMANDES
1 - Pensant faire un placement dans des livrets d'épargne sécurisés avec capital et intérêts importants par l'intermédiaire de la société Vivalto Vie, M. [T] [E] a effectué un virement de 29 600 euros le 2 février 2022 depuis son compte ouvert dans les livres de la société La Banque postale, à destination d'un compte bancaire tenu par l'établissement de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria domicilié à [Localité 3] en Espagne, dont le titulaire est la société 'Dofin Management SL'. Dans la mesure où son compte n'a été crédité que d'une somme de 284,16 euros, le 15 février 2022, et où il n'a pu obtenir la restitution de ses fonds, s'estimant victime de faits pénalement répréhensibles M. [E] a déposé une plainte auprès du commissariat de police d'[Localité 4] le 29 avril 2022.
2 - Par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception l'une et l'autre datées du 28 mars 2023, le conseil de M. [E] a reproché à la société La Banque Postale et à la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria d'avoir à divers égards manqué de vigilance à l'occasion de l'exécution des ordres de virement, et a mis en demeure la société La Banque Postale d'avoir à rembourser à M. [E], sous quinzaine, la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement ; il agissait de même à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria.
Ses démarches auprès des deux établissements bancaires n'ont eu aucun retour favorable.
3 - C'est dans ce contexte que par actes de commissaire de justice des 10 et 24 octobre 2023, M. [E] a fait assigner les sociétés La Banque postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA devant le tribunal judiciaire de Paris, aux visas des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849 et n°2018/843, et des articles 1104, 1112-1, 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, pour lui demander de :
À titre principal :
- Juger que les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
- Juger que les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria sont responsables des préjudices subis par M. [E].
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
À titre subsidiaire :
- Juger que la société La Banque Postale a manqué à son devoir général de vigilance.
- Juger que la société La Banque Postale est responsable des préjudices subis par M. [E].
- Condamner la société La Banque Postale à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
À titre infiniment subsidiaire :
- Juger que la société La Banque Postale n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de M. [E].
- Juger que la société La Banque Postale est responsable des préjudices subis par M. [E].
- Condamner la société La Banque Postale à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
4 - La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria saisissant d'incident le juge de la mise en état, aux termes de ses dernières conclusions d'incident datées du 21 mai 2024, aux visas du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit 'Bruxelles 1 Bis ", des articles 42, 56, 74, 75, 114,700, 789 et 791 du code de procédure civile, et des articles 1968 et 1902 du code civil espagnol, lui demandait de :
'In limine litis :
- Constater que la loi espagnole est applicable à l'action en responsabilité intentée à l'encontre de BBVA ;
- Constater la prescription de l'action du demandeur ;
En conséquence :
- Déclarer prescrite l'action du demandeur ;
- Débouter le demandeur de l'ensemble de ses demandes en ce inclus sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
In limine litis :
- Déclarer le tribunal judiciaire de Paris territorialement incompétent pour connaître du présent litige opposant le demandeur à BBVA, lequel relève du tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne) ;
En conséquence :
- Renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne).
- Débouter le demandeur de l'ensemble de ses demandes en ce inclus sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En tout état de cause :
- Condamner le demandeur à payer à BBVA la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au remboursement intégral des frais de traduction ;
- Condamner le demandeur aux entiers dépens de la présente instance ;
- Prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir.'
Elle soutenait tout d'abord la prescription de l'action du demandeur régie par la loi espagnole, seule applicable au litige, à l'exclusion du droit français, en application de l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II'. Elle faisait ainsi valoir que les actions en responsabilité extracontractuelle engagées à l'encontre d'une banque espagnole se prescrivent par un an conformément aux dispositions des articles 1902 et 1968 du code civil espagnol. Elle exposait qu'au cas particulier, M. [E] a nécessairement eu connaissance du préjudice résultant de l'escroquerie au moment de son dépôt de plainte auprès des services de police le 29 avril 2022 et qu'il s'est écoulé plus d'une année avant qu'il ne fasse délivrer l'assignation le 24 octobre 2023.
En second lieu, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris au regard des dispositions tant générales que spéciales du règlement dit 'Bruxelles I Bis', exposant que dans le rapport l'opposant au demandeur, les éléments de rattachement du litige sont situés en Espagne, puisqu'il est fait grief à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria d'avoir commis une faute dans ses obligations de vigilance au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ci-après le dispositif LCB-FT), s'agissant de l'ouverture du compte bancaire litigieux dans les livres de son établissement situé à [Localité 3] sur lequel a été créditée la somme litigieuse.
- Ainsi, aux termes de l'article 4.1 du règlement européen précité, les juridictions compétentes pour trancher un litige sont, par principe, celles de l'État-membre sur le territoire duquel se situe le domicile du défendeur qui doit être apprécié au regard de la loi interne du juge saisi. En l'espèce, en application de l'article 42 du code de procédure civile français, il convient de retenir le lieu du siège social de la personne morale défenderesse, soit en ce qui la concerne le lieu de son siège social situé à [Localité 3] en Espagne.
- L'application des dispositions de l'article 7.2 du même règlement, édictant des règles de compétence spéciale au regard de la matière relative à l'objet du litige, conduit à la même solution au regard de la jurisprudence française, notamment un arrêt du 14 février 2024 de la 1re chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 22-22.909) qui, dans des cas similaires à la présente espèce, considère que le lieu du fait dommageable est toujours situé au lieu où se trouve le compte de réception, soit l'établissement situé à l'étranger. Au cas présent, il convient de retenir le lieu de son siège social situé en Espagne où les montants des virements ont été crédités à l'exclusion de tout autre critère de rattachement dont le demandeur ne rapporte pas la preuve, notamment quant à un éventuel démarchage.
- La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait également que M. [E] ne saurait se prévaloir utilement de l'exception prévue à l'article 8.1 du règlement précité, et ainsi attraire toutes les défenderesses devant la juridiction du siège social ou du domicile de l'une d'elles, en l'espèce celui de la société La Banque Postale, faute de démontrer la réunion des trois conditions cumulatives exigées que sont l'existence d'un lien de connexité résultant d'une identité de situation de fait et de droit entre les parties, celle d'un risque de décisions inconciliables si elles venaient à être examinées par des juges différents, et enfin celle de la prévisibilité pour les défendeurs qu'ils risquent d'être attraits dans l'Etat-membre où au moins l'un d'entre eux à son domicile ou siège social. Plus particulièrement, à titre liminaire, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria entendait souligner le caractère non transposable à la cause, de l'arrêt d'espèce de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 17 février 2021 cité par le demandeur.
S'agissant de la condition tenant à une identité de situation de fait, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria faisait valoir que les faits reprochés aux défenderesses diffèrent en ce que la société La Banque Postale, qui est la banque émettrice des quatre virements litigieux, se voit reprocher un manquement à ses obligations de vigilance et de surveillance en matière d'exécution de mouvements de fonds en provenance du compte de son client ainsi qu'à son obligation d'information générale, tandis qu'elle-même, banque réceptrice, se voit reprocher un manquement à son obligation de vigilance issue de la réglementation anti-blanchiment espagnole, notamment en matière de vérification obligatoire lors de l'ouverture et durant le fonctionnement des comptes bancaires ouverts dans ses livres par les sociétés espagnoles bénéficiaires. Ainsi, les banques défenderesses, qui ne réalisent pas les mêmes diligences, agissent de manière indépendante et non concertée, et ne sont pas soumises aux mêmes obligations, ne sont donc pas dans une même situation de fait, ce qui écarte tout risque de voir prononcer des décisions inconciliables par des juridictions différentes qui ne se prononceront dès lors pas sur les mêmes faits.
Il y a également absence d'identité de situation de droit, et par conséquent absence d'inconciliabilité entre des décisions rendues séparément contre les défenderesses, à défaut d'identité de leurs relations avec le demandeur : la responsabilité de La Banque Postale est recherchée sur le terrain contractuel alors que celle de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria l'est sur le terrain délictuel ; les obligations prétendument non respectées ne sont pas de même nature, étant soumises à leurs législations nationales respectives, et doivent donc être appréciées à l'aune de celles-ci, soit le code monétaire et financier français en ce qui concerne La Banque Postale, et la loi espagnole s'agissant de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, étant à préciser que sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement des directives européennes qui ne sont pas d'application directe et qui ont fait l'objet de transpositions distinctes au plan national.
La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria concluait ainsi à une absence d'identité de faits, de fondements juridiques et de lois applicables ainsi que de questions communes appelant des solutions coordonnées, dont découle nécessairement une absence de risque de solutions inconciliables faute pour le demandeur d'établir les circonstances particulières justifiant de la connexité de ses demandes et de la nécessité de les juger ensemble.
Enfin, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait qu'elle ne peut se voir opposer le principe de prévisibilité d'être attraite devant une juridiction française au simple motif que l'un de ses clients a bénéficié de virements bancaires internationaux dès lors qu'elle n'a aucun lien contractuel avec le demandeur, qu'elle est une banque espagnole domiciliée sur son territoire national et soumise à la législation de celui-ci, qu'elle n'a aucune activité de banque de détail sur le territoire français, et que les sociétés bénéficiaires titulaires des comptes qui ont réceptionné les fonds sont également des sociétés de droit espagnol.
Elle concluait à la compétence des juridictions espagnoles conformément à l'esprit du règlement 'Bruxelles I Bis' dont elle rappelle que l'un des principaux objectifs en matière de règles de compétence, notamment en matière délictuelle, est de privilégier la compétence de la juridiction présentant le plus de proximité avec le litige.
Aux termes de ses dernières conclusions d'incident communiquées par voie éléectronique le 11 septembre 2024, au visa de l'article 8 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I Bis', des articles 42 et 46 du code de procédure civile, et de l'article 2224 du code civil, M. [E] demandait au juge de la mise en état de :
'Débouter la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens."
' M. [E] s'agissant de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris, concluait à la compétence des juridictions françaises en raison de l'option de compétence qui est offerte au demandeur en cas de pluralité de défendeurs par les articles 42 du code de procédure civile français et 8.1 du règlement 'Bruxelles I Bis', s'appuyant sur des arrêts de la Cour de cassation et de différentes cours d'appel dont celle de Paris qui ont retenu l'existence d'un lien de connexité entre des actions en responsabilité intentées à l'encontre de plusieurs établissements bancaires, en ce qu'elles s'inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, et la nécessité de les juger ensemble pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions. Au cas particulier, les défenderesses qui sont mises en cause sur un même fondement juridique, celui de textes nationaux transposant les directives européennes dites 'anti-blanchiment', ont toutes deux concouru à la réalisation de son préjudice en n'exerçant aucun contrôle ni aucune vigilance dans le contexte d'une escroquerie internationale diligentée depuis des Etats étrangers à destination des consommateurs français et plus généralement européens. Il estimait dès lors que le litige présente des éléments de fait et de droit qui sont nécessairement liés, que les demandes se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques et posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment quant à la réparation intégrale de son préjudice et ce, afin d'éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions.
Cette question de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris ne sera en définitive pas débattue par M. [E] en appel.
' Sur le droit applicable et la prescription, M. [E] soutenait que l'article 4.1 du règlement dit 'Rome II' qui doit être lu et interprété à la lumière du règlement 'Bruxelles I bis', consacre le principe de l'application de la loi du pays du domicile de la victime lorsque le préjudice financier se réalise directement sur le compte bancaire de cette dernière ouvert dans les livres d'une banque établie dans le pays de son domicile, lieu de matérialisation du dommage reconnu par des jurisprudences européennes et françaises convergentes. Le dommage subi par M. [E] s'est matérialisé dès l'exécution de l'ordre de virement réalisée par son établissement bancaire, la société La Banque Postale, par l'intermédiaire de laquelle il s'est dessaisi de ses fonds, à la suite de manoeuvres frauduleuses, au profit des auteurs de l'escroquerie. Ce n'est que subsidiairement que le lieu du fait dommageable peut être retenu, et cela uniquement à condition qu'il présente des liens manifestement plus étroits qui concourent à désigner la loi étrangère. En l'espèce tel n'est pas le cas, les fonds n'ayant fait que transiter vers le compte litigieux avant de sortir de l'Union européenne. Il entendait justifier dès lors l'applicabilité de la loi française au cas particulier, par les liens de rattachement que constituent sa nationalité française et son lieu de résidence situé en France, le fait que l'infraction a été commise par l'intermédiaire d'un site internet accessible en France, le fait que les contrats ont été signés à [Localité 5] et [Localité 4], l'exécution de l'ordre de virement par sa banque française dans les livres de laquelle le compte débité est ouvert, ainsi que son dépôt de plainte auprès des autorités françaises. M. [E] concluait dès lors à la recevabilité de son action qui a été introduite dans le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil.
5 - Sur ce,
1) Sur la compétence territoriale
Tout d'abord, il est à relever qu'il y a lieu de statuer sur la compétence en faisant application des seules dispositions du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que l'action est engagée contre la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, société ayant son siège social en Espagne, à l'exclusion des dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile.
Aux termes de son article 4, paragraphe premier (chapitre II, 'Compétence') qui constitue le texte de principe, sous réserve des autres dispositions dudit règlement les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
Aux termes de l'article suivant - article 5, paragraphe premier, même chapitre - les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections II à VII du présent chapitre II.
Aussi, par exception au principe posé par l'article 4, la compétence des juridictions françaises pour connaitre d'une action dirigée contre des personnes domiciliées à l'étranger peut être recherchée dans les conditions des articles 7 et 8 dudit réglement.
a) Sur l'application de l'article 7-2
L'article 7-2 du Réglement dispose : 'Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre (...) en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.'
Liminairement, il convient de rappeler que cette compétence dérogatoire à la compétence de principe du domicile du défendeur est d'interprétation stricte.
Aussi, il est de principe que la formulation selon laquelle 'le lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire', au sens de l'article 7 du règlement 'Bruxelles I Bis', s'entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, le demandeur disposant d'une option entre ces deux critères pour attraire en justice le défendeur.
Le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage allégué est celui du prétendu manquement de la banque à ses obligations professionnelles. En l'espèce, les comptes récepteurs des fonds ont été ouverts dans une banque établie en Espagne. Dès lors, le lieu de mise en oeuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d'un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l'ouverture des comptes, voire à l'occasion de son fonctionnement, est situé dans cet État membre.
Un préjudice purement financier qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur et qui résulte directement d'un acte illicite commis dans un autre État membre ne saurait, à lui seul, en l'absence de circonstances particulières, être qualifié de point de rattachement pertinent.
M. [E] ne justifie pas de circonstances particulières, mais en revanche, le litige présente de nombreux points de rattachement avec le domicile de la défenderesse en ce que celle-ci est une société de droit espagnol, soumise à la législation espagnole, à laquelle il est reproché des faits commis en Espagne, pays qui sera également le lieu d'exécution de la décision de condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
Aussi, étant donné la nature du préjudice allégué par M. [E] tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage sera celui de l'appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir le compte ouvert dans les livres de la société de droit étranger située dans l'État-membre précité.
Il y a lieu de considérer que les fonds ayant été virés sur un compte à l'étranger, le détournement allégué n'a pu advenir qu'ensuite et que la matérialisation du dommage ne s'est pas produite en France.
En conséquence, la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes dirigées contre la Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ne peut être retenue sur le fondement des dispositions de l'article 7 du règlement précité.
b) Sur l'application de l'article 8-1
Le juge de la mise en état a pédagogiquement et complètement, développé les motifs de sa décision, qui méritent entière approbation.
En effet, en vertu de l'article 8, point 1, du Règlement, sur lequel se fonde subsidiairement M. [E] soutenant la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de ses demandes dirigées à l'encontre de la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, s'il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l'article 4, paragraphe 1, de ce Règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Pour l'application de cet article, dont le critère de compétence est également d'interprétation stricte, l'appréciation de l'existence du lien de connexité et partant, du risque de décisions inconciliables en présence d'une même situation de fait et de droit, n'exige pas l'identité de fondements juridiques, dès lors qu'il était prévisible pour les défendeurs qu'ils risquaient de pouvoir être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'eux a son domicile.
En l'espèce, M. [E] a fait assigner en responsabilité la banque française La Banque Postale et la société étrangère Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, en ce qu'elles ont concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds qu'il croyait investir. Il invoque contre elles des manquements à leurs obligations de surveillance et de vigilance issues notamment de la directive n°2015/849/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
Sans préjuger de leur bienfondé, il appert de prime abord que ces demandes, qui se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment sur la matérialité et l'étendue du préjudice, l'analyse des causes du dommage et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.
Il doit être souligné que la banque étrangère, qui détient ou a détenu dans ses livres, des virements en provenance de France susceptible d'avoir un caractère frauduleux ne peut estimer raisonnablement imprévisible d'être attraite, de ce fait, devant les juridictions françaises. Bien au contraire, l'internationalisation croissante des relations bancaires via le développement de l'utilisation des moyens de communication électroniques ne peut que rendre insignifiante l'imprévisibilité pour un établissement bancaire, d'être poursuivi à l'étranger pour une opération à caractère international suspectée d'être frauduleuse à un moment ou à un autre de son déroulement.
Aussi, les actions en responsabilité intentées par M. [E] sont connexes en ce qu'elles s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, n° 11-26.022 ; 17 fév. 2021, n°19-17.345).
- Il y a identité de situation de fait en ce qu'à l'origine du préjudice dont se plaint M. [E] à savoir la perte des fonds investis ; il s'agit d'une seule et unique opération, soit le virement bancaire d'une même somme d'un compte vers un autre, et le fait que cette opération se déroule en deux temps - un ordre de virement traitée par la banque de départ, puis la réception par la banque étrangère teneur du compte du bénéficiaire - n'ôte rien au fait que ces deux étapes sont indissociables l'une de l'autre.
- Il y a identité de situation de droit en ce qu'il n'est pas discuté en l'espèce qu'un banquier, qu'il soit français ou espagnol, puisse voir sa responsabilité engagée à raison d'un manquement à un devoir de vigilance. Cette considération est suffisante en soi, peu important à cet égard que la règle de droit applicable en France/en Espagne, soit différente dans l'un et l'autre Etat, et que ne soient pas totalement identiques les conditions plus ou moins restrictives de la mise en jeu de cette responsabilité, la nature juridique de l'action exercée (délictuelle ou contractuelle), les chances de succès des demandes indemnitaires.
- Par ailleurs, le fait, mis en avant par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, que les actions exercées contre la banque française d'une part et contre la banque espagnole d'autre part, reposent sur des fondements juridiques différents, en réalité n'a pas pour conséquence nécessaire d'écarter tout risque de décisions inconciliables entre elles. En toutes hypothèses un tel risque existe, en particulier, dans le cas où l'un des juges retiendrait, pour des motifs de fait ou de droit, que la banque dont il a à juger du comportement ne serait responsable qu'à hauteur d'une certaine proportion du dommage, et où le juge de l'autre Etat, de son côté, retiendrait que la banque dont il est devant lui invoqué la responsabilité est tenue pour un quantum qui n'en fait pas le complément.
Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, les conditions posées par l'article 8-1 du Réglement sont bel et bien réunies et l'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce que le juge de la mise en état a dit le tribunal de Paris compétent pour connaitre des demandes formées par M. [E] à l'encontre de la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, déboutant cette dernière de son exception d'incompétence.
2) Sur la prescription
Pour déclarer prescrite l'action de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, le juge de la mise en état a retenu l'application de la loi espagnole aux faits de la cause.
À nouveau, en cause d'appel, développant la même argumentation que devant le juge de la mise en état, M. [E] à l'inverse conclut à l'application de la loi française, dont l'article 2224 du code civil prévoyant une prescription quinquennale, en sorte que le délai de prescription courant pour cinq ans à compter du 29 avril 2022, date du dépôt de plainte de M. [E], l'action introduite le 24 octobre 2023 n'est pas prescrite.
Pourtant, le juge de la mise en état a fait une exacte application de la règle de droit aux faits de la cause. En particulier :
- L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
- Comme l'a rappelé le juge de la mise en état, il lui appartient de déterminer la loi applicable pour statuer sur la fin de non recevoir.
- Pareillement, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
- En l'espèce, c'est à juste titre que la banque espagnole se fonde sur l'article 4 du règlement 'Rome II' qui dispose que 'Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent' pour faire valoir qu'au cas présent la loi espagnole est applicable, au détriment de la loi française.
- En l'occurrence, l'appropriation des fonds s'est produite en Espagne et la seule circonstance que les effets de cette appropriation ont été ressentis en France à raison de ce que les fonds investis l'ont été par l'intermédiaire d'un ordre de virement à partir de compte ouvert en France, en l'absence de tout autre élément pertinent de rattachement attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, est insuffisante à justifier l'application de cette dernière - la nationalité et la résidence de la victime n'y suffisant pas, pas plus que n'est pertinente la référence à des solutions jurisprudentielles européennes concernant une toute autre matière que les escroqueries par voie de virements bancaires internationaux.
Il y a donc lieu d'adopter les entiers motifs du premier juge, précis et circonstanciés, relativement à l'application de la loi espagnole à l'espèce.
Ensuite, les articles 1902 et 1968 du code civil espagnol, dont la teneur et le champ d'application en l'espèce ne sont pas discutés par M. [E], prévoient que le délai de prescription est d'un an à compter de la connaissance du préjudice. Au cas présent, le délai de prescription commencera donc à courir, au plus tard, le le 29 avril 2022, date à laquelle M. [E] a déposé plainte pour escroquerie. La prescription est en conséquence acquise depuis le 29 avril 2023. L'assignation datant du 20 octobre 2023, la demande formulée à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria doit donc être déclarée prescrite.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée, en ce que les demandes de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria ont été déclarées irrecevables pour être prescrites.
*****
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Au vu du sens de la présente décision, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et frais irréptibles de l'incident.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
DÉCLARE recevables les conclusions du 12 mai 2025 de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria ;
CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
DIT que M. [E] d'une part, et la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria d'autre part, supporteront leurs propres dépens et frais irrépétibles, relatifs à l'incident.
* * * * *
Le Greffier Le Président
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2025
(n° , 16 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/19706 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKNL4
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 2ème section- RG n° 23/16291
APPELANT
Monsieur [T] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Audric DUPUIS, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
Société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA SOCIEDAD ANONIMA, société de droit espagnol immatriculée au registre du commerce de Vizcaya sous le numéro 000008526, EUID : ES48001.000008526, Tomo 2.083, Folio 1, Hoja BI-17-A
[Adresse 6]
[Localité 3] (Espagne)
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Maxence BILLIAUD du cabinet DELOITTE société d'avocats, avocat au barreau des Hauts-de-Seine
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 novembre 2024, M. [T] [E] a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 6 novembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - ce dernier ayant été saisi par voie d'assignation en date du 24 octobre 2023 délivrée à la requête de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria - a déclaré M. [E] irrecevable en ses demandes, pour cause de prescription.
***
La procédure d'appel a été clôturée le 13 mai 2015.
Les parties ont conclu par écritures séparées, d'une part sur la recevabilité des conclusions d'intimé et d'appel incident, et d'autre part sur le fond.
Chronologiquement les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2025, qui constituent sur le fond ses uniques écritures, l'appelant M. [E]
présente en ces termes ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I BIS',
Vu le Réglement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II',
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu l'ordonnance rendue par le JME de [Localité 5] le 3 octobre (sic) 2024,
Vu la jurisprudence francaise et européenne,
Il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
INFIRMER l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :
Dit M. [T] [E] irrecevable dans ses demandes dirigées à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
Condamné M. [T] [E] aux dépens de l'incident ;
Condamné M. [T] [E] à payer à la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau :
DECLARER le droit francais comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Monsieur [E] à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
RECEVOIR les demandes de Monsieur [E] à l'encontre de la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA ;
CONDAMNER la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 12 mai 2025, qui constituent sur le fond ses uniques écritures, incluant appel incident, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria
présente en ces termes ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement Rome II n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles,
Vu le Réglement Bruxelles 1 Bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu les articles 42, 56, 74, 75, 114, 700, 789 et 791 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1968 et 1902 du code civil espagnol,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence francaise et européenne citée et les pièces versées au débat,
Vu l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris, en date du 6 novembre 2024.
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
' CONFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce que le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a :
- DIT M. [T] [E] irrecevable dans ses demandes dirigées à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ;
- CONDAMNE M. [T] [E] aux dépens de l'incident ;
- CONDAMNE M. [T] [E] à payer à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' DECLARER recevable et bien fondée Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA en son appel incident de l'ordonnance rendue le 06 novembre 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris ;
Y faisant droit,
INFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce que le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a :
'''
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ;''''
Et statuant à nouveau,
DECLARER le Tribunal judiciaire de Paris territorialement incompétent pour connaitre du présent litige opposant M. [T] [E] à Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA, lequel relève du tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne) ;
En conséquence :
RENVOYER M. [T] [E] à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne).
En tout état de cause :
DEBOUTER M. [T] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER Monsieur [T] [E] à payer à Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de la présente instance ;
CONDAMNER Monsieur [T] [E] aux entiers dépens de la présente instance.'
Au dispositif de ses conclusions aux fins d'irrecevabilité des conclusions adverses incluant appel incident du 12 mai 2025, communiquées par voie électronique le 3 juin 2025, l'appelant M. [E]
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 15 et 16 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence française,
Vu les pièces de la cause,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER irrecevables les conclusions d'intimé pour défaut de communication en temps utile ;
CONDAMNER la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 6 juin 2025, l'intimé, en réponse aux écritures adverses tendant à l'irrecevabilité des conclusions du 12 mai 2025,
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 15, 16, 700, 906-2 et 915-4 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER recevables les conclusions d'intimée et d'appel incident signifiées le 12 mai 2025 par BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA dans le cadre de la présente instance ;
En conséquence :
DEBOUTER Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
En tout état de cause :
CONDAMNER Monsieur [E] à verser à BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur [E] aux entiers dépens de l'instance.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
I - SUR LA RECEVABILITE DES CONCLUSIONS DE L'INTIME
* L'appelant, M. [E] à l'appui de sa demande d'irrecevabilité des conclusions adverses pour cause de tardiveté invoque les dispositions de l'article 15 du code de procédure civile selon lequel : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense'. Il ajoute que selon l'article 16 du code de procédure civile : 'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations'. Le principe du contradictoire est l'un des principes fondamentaux en matière de procédure civile. Chaque partie à un litige doit avoir la possibilité de connaitre et de discuter les arguments et les pièces adverses. Ainsi, les écritures doivent être déposées en temps utile afin de permettre à la partie adverse de prendre connaissance de celles-ci et de pouvoir y répondre.
En l'espèce, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a communiqué ses conclusions d'intimé le 12 mai 2025 à 18h22 en formant un appel incident. La clôture a été prononcée le lendemain, 13 mai 2025. La production des écritures et des pièces par la banque espagnole, à la veille de la clôture, et même seulement quelques heures avant celle-ci, n'a pas permis à M. [E] de pouvoir répondre aux nouveaux arguments soulevés par la partie adverse. La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria connaissait pourtant depuis plusieurs mois la date de la clôture. Dès lors, l'attitude de la banque espagnole est déloyale, elle n'a pas respecté le principe du contradictoire, et la cour dira ses écritures et pièces produites irrecevables.
* L'intimé, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria en réponse fait valoir qu'en droit, l'article 906-2 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que : 'L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué'.
L'article 915-4 du code de procédure civile ajoute : 'Les délais prévus au premier alinéa de l'article 906-1, à l'article 906-2, au troisième alinéa de l'article 902 et à l'article 908 sont augmentés :
- d'un mois, lorsque la demande est portée soit devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, pour les parties qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélémy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie ou dans les Terres australes et antarctiques françaises, soit devant une juridiction qui a son siège en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou dans les îles Wallis et Futuna, pour les parties qui ne demeurent pas dans cette collectivité ;
- de deux mois si l'appelant demeure à l'étranger.
Les délais prescrits aux intimés et intervenants forcés par les articles 906-2,909 et 910 sont augmentés dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités'.
En l'espèce, le demandeur a notifié ses 'Conclusions d'appelant n°1' le 17 janvier 2025. Or, en application des textes susvisés, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria qui est une société demeurant à l'étranger (Espagne) disposait d'un délai de cinq mois à compter du 17 janvier 2025 pour remettre ses conclusions d'intimée au greffe et former appel incident, soit jusqu'au 16 juin 2025. Pourtant, la clôture de l'instruction a été prononcée le 13 mai 2025, soit plus d'un mois avant l'expiration du délai spécialement prévu par le code de procédure civile. La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a été contrainte de s'adapter au calendrier fixé par la Cour d'appel de Paris et a régularisé des conclusions d'intimée et d'appel incident dès le 12 mai, soit avant la date de l'ordonnance de clôture et dans le délai légal dont elle bénéficie en sa qualité de société étrangère. Dans ces conditions, il ne peut être valablement reproché à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria de ne pas s'être conformée aux délais pourtant plus courts que ceux dont elle disposait de droit.
En tout état de cause, la jurisprudence a eu l'occasion de déclarer recevables des conclusions prétendument tardives dès lors que la partie qui s'en prévaut manque de diligence en s'abstenant de solliciter le rabat de l'ordonnance de clôture ' Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 février 1976 - n°74-12638 : 'Mais attendu qu'il n'est justifié ni par l'arrêt déféré ni par les conclusions de [S], ès qualités, que celui-ci ait usé de la faculté que lui donnait l'article 50 du décret du 9 septembre 1971, alors en vigueur, de demander que l'ordonnance de clôture fut révoquée afin d'organiser sa défense ; Que le moyen n'est pas fondé' ' Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 janvier 1985 - n° 83-13249 : 'Attendu, ensuite, que M. X... n'est pas recevable à reprocher à la cour d'appel d'avoir tenu compte de conclusions déposées antérieurement à l'ordonnance de clôture mais notifiées le jour même de celle-ci, dès lors qu'il ne justifie pas avoir usé de la faculté qui lui était offerte par l'article 784 du nouveau code de procédure civile de demander la révocation de cette ordonnance s'il estimait n'être pas en mesure d'organiser sa défense'. Enfin, le demandeur cite lui-même dans ses conclusions un arrêt de la Cour de cassation qui, par la réciproque, considère également que l'irrecevabilité des conclusions prétendument tardives ne saurait être justifiée que si la partie qui se prétend lésée a formulé une demande de révocation de l'ordonnance de clôture : Cour de cassation, Chambre civile 2e, 8 octobre 1986 - n° 84-17.724 : 'Le juge devant en toutes circonstances faire observer le principe de la contradiction, cassation de l'arrêt qui retient les conclusions signifiées la veille de l'ordonnance de clôture sans s'assurer que la partie adverse qui demandait la révocation de ladite ordonnance avait été à même de discuter utilement des conclusions'.
Or en l'espèce le demandeur n'a pas formulé de demande de révocation de l'ordonnance de clôture et n'a pas non plus sollicité un report de clôture à réception des conclusions notifiées par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria avant la clôture du 13 mai 2025. Au contraire, le demandeur a attendu le 3 juin 2025, soit trois semaines après ladite clôture et moins de dix jours avant la date d'audience de plaidoiries pour soulever l'irrecevabilité des conclusions de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria. Il convient d'ajouter que le demandeur qui semble vouloir compléter ses conclusions d'appelant ne joint pas de nouvelles écritures au fond pour justifier des arguments qu'il entend soulever en réponse aux conclusions prises par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria avant la clôture. Il incombe au demandeur invoquant le non-respect du contradictoire de se montrer diligent, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
Par conséquent, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de bien vouloir déclarer recevables les conclusions d'intimée et d'appel incident signifiées le 12 mai 2025 par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria dans le cadre de la présente instance.
Sur ce,
S'agissant d'une procédure conduite selon les règles de l'article 906 du code de procédure civile, les parties disposent de délais plus courts que ceux qui leur échoient dans la procédure ordinaire.
À cet égard, il convient de noter que la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria en application des dispositions combinées des articles 906-2 alinéa 2 et 915-4 du code de procédure civile, dont elle rappelle les termes, pour déposer ses conclusions et former appel incident disposait d'un délai de quatre mois (deux mois + deux mois) et non de cinq comme indiqué par elle par erreur dans ses conclusions du 6 juin 2025. Il n'en demeure pas moins qu'en notifiant ses conclusions le 12 mai 2025 elle a respecté le délai légal de quatre mois applicable au cas présent, courant à compter de la notification des conclusions de l'appelant du 17 janvier et expirant le 17 mai 2025.
En toute hypothèse, quand bien même la société intimée Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria a conclu à la veille de la clôture, prononcée le 13 mai 2025, l'appelant M. [E] disposait d'un temps suffisant pour répliquer sur le fond, quant aux prétentions adverses contenues dans son appel incident, d'ici à l'audience de plaidoirie d'ores et déjà fixée au 12 juin 2025, à condition de solliciter sans délai le report ou le rabat de l'ordonnance de clôture, ce dont il s'est abstenu.
Dans ces circonstances, il n'existe aucune violation de la contradiction, et par suite il y a lieu de déclarer recevables les conclusions de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria communiquées par voie éléctronique le 12 mai 2025.
II - SUR LE MERITE DES DEMANDES
1 - Pensant faire un placement dans des livrets d'épargne sécurisés avec capital et intérêts importants par l'intermédiaire de la société Vivalto Vie, M. [T] [E] a effectué un virement de 29 600 euros le 2 février 2022 depuis son compte ouvert dans les livres de la société La Banque postale, à destination d'un compte bancaire tenu par l'établissement de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria domicilié à [Localité 3] en Espagne, dont le titulaire est la société 'Dofin Management SL'. Dans la mesure où son compte n'a été crédité que d'une somme de 284,16 euros, le 15 février 2022, et où il n'a pu obtenir la restitution de ses fonds, s'estimant victime de faits pénalement répréhensibles M. [E] a déposé une plainte auprès du commissariat de police d'[Localité 4] le 29 avril 2022.
2 - Par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception l'une et l'autre datées du 28 mars 2023, le conseil de M. [E] a reproché à la société La Banque Postale et à la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria d'avoir à divers égards manqué de vigilance à l'occasion de l'exécution des ordres de virement, et a mis en demeure la société La Banque Postale d'avoir à rembourser à M. [E], sous quinzaine, la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement ; il agissait de même à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria.
Ses démarches auprès des deux établissements bancaires n'ont eu aucun retour favorable.
3 - C'est dans ce contexte que par actes de commissaire de justice des 10 et 24 octobre 2023, M. [E] a fait assigner les sociétés La Banque postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA devant le tribunal judiciaire de Paris, aux visas des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849 et n°2018/843, et des articles 1104, 1112-1, 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, pour lui demander de :
À titre principal :
- Juger que les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
- Juger que les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria sont responsables des préjudices subis par M. [E].
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés La Banque Postale et Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
À titre subsidiaire :
- Juger que la société La Banque Postale a manqué à son devoir général de vigilance.
- Juger que la société La Banque Postale est responsable des préjudices subis par M. [E].
- Condamner la société La Banque Postale à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
À titre infiniment subsidiaire :
- Juger que la société La Banque Postale n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de M. [E].
- Juger que la société La Banque Postale est responsable des préjudices subis par M. [E].
- Condamner la société La Banque Postale à rembourser à M. [E] la somme de 29 315,84 euros, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 860 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société La Banque Postale à verser à M. [E] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.
4 - La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria saisissant d'incident le juge de la mise en état, aux termes de ses dernières conclusions d'incident datées du 21 mai 2024, aux visas du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit 'Bruxelles 1 Bis ", des articles 42, 56, 74, 75, 114,700, 789 et 791 du code de procédure civile, et des articles 1968 et 1902 du code civil espagnol, lui demandait de :
'In limine litis :
- Constater que la loi espagnole est applicable à l'action en responsabilité intentée à l'encontre de BBVA ;
- Constater la prescription de l'action du demandeur ;
En conséquence :
- Déclarer prescrite l'action du demandeur ;
- Débouter le demandeur de l'ensemble de ses demandes en ce inclus sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
In limine litis :
- Déclarer le tribunal judiciaire de Paris territorialement incompétent pour connaître du présent litige opposant le demandeur à BBVA, lequel relève du tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne) ;
En conséquence :
- Renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de [Localité 3] (Espagne).
- Débouter le demandeur de l'ensemble de ses demandes en ce inclus sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En tout état de cause :
- Condamner le demandeur à payer à BBVA la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au remboursement intégral des frais de traduction ;
- Condamner le demandeur aux entiers dépens de la présente instance ;
- Prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir.'
Elle soutenait tout d'abord la prescription de l'action du demandeur régie par la loi espagnole, seule applicable au litige, à l'exclusion du droit français, en application de l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II'. Elle faisait ainsi valoir que les actions en responsabilité extracontractuelle engagées à l'encontre d'une banque espagnole se prescrivent par un an conformément aux dispositions des articles 1902 et 1968 du code civil espagnol. Elle exposait qu'au cas particulier, M. [E] a nécessairement eu connaissance du préjudice résultant de l'escroquerie au moment de son dépôt de plainte auprès des services de police le 29 avril 2022 et qu'il s'est écoulé plus d'une année avant qu'il ne fasse délivrer l'assignation le 24 octobre 2023.
En second lieu, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris au regard des dispositions tant générales que spéciales du règlement dit 'Bruxelles I Bis', exposant que dans le rapport l'opposant au demandeur, les éléments de rattachement du litige sont situés en Espagne, puisqu'il est fait grief à la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria d'avoir commis une faute dans ses obligations de vigilance au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ci-après le dispositif LCB-FT), s'agissant de l'ouverture du compte bancaire litigieux dans les livres de son établissement situé à [Localité 3] sur lequel a été créditée la somme litigieuse.
- Ainsi, aux termes de l'article 4.1 du règlement européen précité, les juridictions compétentes pour trancher un litige sont, par principe, celles de l'État-membre sur le territoire duquel se situe le domicile du défendeur qui doit être apprécié au regard de la loi interne du juge saisi. En l'espèce, en application de l'article 42 du code de procédure civile français, il convient de retenir le lieu du siège social de la personne morale défenderesse, soit en ce qui la concerne le lieu de son siège social situé à [Localité 3] en Espagne.
- L'application des dispositions de l'article 7.2 du même règlement, édictant des règles de compétence spéciale au regard de la matière relative à l'objet du litige, conduit à la même solution au regard de la jurisprudence française, notamment un arrêt du 14 février 2024 de la 1re chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 22-22.909) qui, dans des cas similaires à la présente espèce, considère que le lieu du fait dommageable est toujours situé au lieu où se trouve le compte de réception, soit l'établissement situé à l'étranger. Au cas présent, il convient de retenir le lieu de son siège social situé en Espagne où les montants des virements ont été crédités à l'exclusion de tout autre critère de rattachement dont le demandeur ne rapporte pas la preuve, notamment quant à un éventuel démarchage.
- La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait également que M. [E] ne saurait se prévaloir utilement de l'exception prévue à l'article 8.1 du règlement précité, et ainsi attraire toutes les défenderesses devant la juridiction du siège social ou du domicile de l'une d'elles, en l'espèce celui de la société La Banque Postale, faute de démontrer la réunion des trois conditions cumulatives exigées que sont l'existence d'un lien de connexité résultant d'une identité de situation de fait et de droit entre les parties, celle d'un risque de décisions inconciliables si elles venaient à être examinées par des juges différents, et enfin celle de la prévisibilité pour les défendeurs qu'ils risquent d'être attraits dans l'Etat-membre où au moins l'un d'entre eux à son domicile ou siège social. Plus particulièrement, à titre liminaire, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria entendait souligner le caractère non transposable à la cause, de l'arrêt d'espèce de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 17 février 2021 cité par le demandeur.
S'agissant de la condition tenant à une identité de situation de fait, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria faisait valoir que les faits reprochés aux défenderesses diffèrent en ce que la société La Banque Postale, qui est la banque émettrice des quatre virements litigieux, se voit reprocher un manquement à ses obligations de vigilance et de surveillance en matière d'exécution de mouvements de fonds en provenance du compte de son client ainsi qu'à son obligation d'information générale, tandis qu'elle-même, banque réceptrice, se voit reprocher un manquement à son obligation de vigilance issue de la réglementation anti-blanchiment espagnole, notamment en matière de vérification obligatoire lors de l'ouverture et durant le fonctionnement des comptes bancaires ouverts dans ses livres par les sociétés espagnoles bénéficiaires. Ainsi, les banques défenderesses, qui ne réalisent pas les mêmes diligences, agissent de manière indépendante et non concertée, et ne sont pas soumises aux mêmes obligations, ne sont donc pas dans une même situation de fait, ce qui écarte tout risque de voir prononcer des décisions inconciliables par des juridictions différentes qui ne se prononceront dès lors pas sur les mêmes faits.
Il y a également absence d'identité de situation de droit, et par conséquent absence d'inconciliabilité entre des décisions rendues séparément contre les défenderesses, à défaut d'identité de leurs relations avec le demandeur : la responsabilité de La Banque Postale est recherchée sur le terrain contractuel alors que celle de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria l'est sur le terrain délictuel ; les obligations prétendument non respectées ne sont pas de même nature, étant soumises à leurs législations nationales respectives, et doivent donc être appréciées à l'aune de celles-ci, soit le code monétaire et financier français en ce qui concerne La Banque Postale, et la loi espagnole s'agissant de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, étant à préciser que sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement des directives européennes qui ne sont pas d'application directe et qui ont fait l'objet de transpositions distinctes au plan national.
La société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria concluait ainsi à une absence d'identité de faits, de fondements juridiques et de lois applicables ainsi que de questions communes appelant des solutions coordonnées, dont découle nécessairement une absence de risque de solutions inconciliables faute pour le demandeur d'établir les circonstances particulières justifiant de la connexité de ses demandes et de la nécessité de les juger ensemble.
Enfin, la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria soutenait qu'elle ne peut se voir opposer le principe de prévisibilité d'être attraite devant une juridiction française au simple motif que l'un de ses clients a bénéficié de virements bancaires internationaux dès lors qu'elle n'a aucun lien contractuel avec le demandeur, qu'elle est une banque espagnole domiciliée sur son territoire national et soumise à la législation de celui-ci, qu'elle n'a aucune activité de banque de détail sur le territoire français, et que les sociétés bénéficiaires titulaires des comptes qui ont réceptionné les fonds sont également des sociétés de droit espagnol.
Elle concluait à la compétence des juridictions espagnoles conformément à l'esprit du règlement 'Bruxelles I Bis' dont elle rappelle que l'un des principaux objectifs en matière de règles de compétence, notamment en matière délictuelle, est de privilégier la compétence de la juridiction présentant le plus de proximité avec le litige.
Aux termes de ses dernières conclusions d'incident communiquées par voie éléectronique le 11 septembre 2024, au visa de l'article 8 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I Bis', des articles 42 et 46 du code de procédure civile, et de l'article 2224 du code civil, M. [E] demandait au juge de la mise en état de :
'Débouter la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner la société BANCO [Localité 3] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. à verser à Monsieur [E] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens."
' M. [E] s'agissant de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris, concluait à la compétence des juridictions françaises en raison de l'option de compétence qui est offerte au demandeur en cas de pluralité de défendeurs par les articles 42 du code de procédure civile français et 8.1 du règlement 'Bruxelles I Bis', s'appuyant sur des arrêts de la Cour de cassation et de différentes cours d'appel dont celle de Paris qui ont retenu l'existence d'un lien de connexité entre des actions en responsabilité intentées à l'encontre de plusieurs établissements bancaires, en ce qu'elles s'inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, et la nécessité de les juger ensemble pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions. Au cas particulier, les défenderesses qui sont mises en cause sur un même fondement juridique, celui de textes nationaux transposant les directives européennes dites 'anti-blanchiment', ont toutes deux concouru à la réalisation de son préjudice en n'exerçant aucun contrôle ni aucune vigilance dans le contexte d'une escroquerie internationale diligentée depuis des Etats étrangers à destination des consommateurs français et plus généralement européens. Il estimait dès lors que le litige présente des éléments de fait et de droit qui sont nécessairement liés, que les demandes se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques et posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment quant à la réparation intégrale de son préjudice et ce, afin d'éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions.
Cette question de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris ne sera en définitive pas débattue par M. [E] en appel.
' Sur le droit applicable et la prescription, M. [E] soutenait que l'article 4.1 du règlement dit 'Rome II' qui doit être lu et interprété à la lumière du règlement 'Bruxelles I bis', consacre le principe de l'application de la loi du pays du domicile de la victime lorsque le préjudice financier se réalise directement sur le compte bancaire de cette dernière ouvert dans les livres d'une banque établie dans le pays de son domicile, lieu de matérialisation du dommage reconnu par des jurisprudences européennes et françaises convergentes. Le dommage subi par M. [E] s'est matérialisé dès l'exécution de l'ordre de virement réalisée par son établissement bancaire, la société La Banque Postale, par l'intermédiaire de laquelle il s'est dessaisi de ses fonds, à la suite de manoeuvres frauduleuses, au profit des auteurs de l'escroquerie. Ce n'est que subsidiairement que le lieu du fait dommageable peut être retenu, et cela uniquement à condition qu'il présente des liens manifestement plus étroits qui concourent à désigner la loi étrangère. En l'espèce tel n'est pas le cas, les fonds n'ayant fait que transiter vers le compte litigieux avant de sortir de l'Union européenne. Il entendait justifier dès lors l'applicabilité de la loi française au cas particulier, par les liens de rattachement que constituent sa nationalité française et son lieu de résidence situé en France, le fait que l'infraction a été commise par l'intermédiaire d'un site internet accessible en France, le fait que les contrats ont été signés à [Localité 5] et [Localité 4], l'exécution de l'ordre de virement par sa banque française dans les livres de laquelle le compte débité est ouvert, ainsi que son dépôt de plainte auprès des autorités françaises. M. [E] concluait dès lors à la recevabilité de son action qui a été introduite dans le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil.
5 - Sur ce,
1) Sur la compétence territoriale
Tout d'abord, il est à relever qu'il y a lieu de statuer sur la compétence en faisant application des seules dispositions du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que l'action est engagée contre la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, société ayant son siège social en Espagne, à l'exclusion des dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile.
Aux termes de son article 4, paragraphe premier (chapitre II, 'Compétence') qui constitue le texte de principe, sous réserve des autres dispositions dudit règlement les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
Aux termes de l'article suivant - article 5, paragraphe premier, même chapitre - les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections II à VII du présent chapitre II.
Aussi, par exception au principe posé par l'article 4, la compétence des juridictions françaises pour connaitre d'une action dirigée contre des personnes domiciliées à l'étranger peut être recherchée dans les conditions des articles 7 et 8 dudit réglement.
a) Sur l'application de l'article 7-2
L'article 7-2 du Réglement dispose : 'Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre (...) en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.'
Liminairement, il convient de rappeler que cette compétence dérogatoire à la compétence de principe du domicile du défendeur est d'interprétation stricte.
Aussi, il est de principe que la formulation selon laquelle 'le lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire', au sens de l'article 7 du règlement 'Bruxelles I Bis', s'entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, le demandeur disposant d'une option entre ces deux critères pour attraire en justice le défendeur.
Le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage allégué est celui du prétendu manquement de la banque à ses obligations professionnelles. En l'espèce, les comptes récepteurs des fonds ont été ouverts dans une banque établie en Espagne. Dès lors, le lieu de mise en oeuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d'un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l'ouverture des comptes, voire à l'occasion de son fonctionnement, est situé dans cet État membre.
Un préjudice purement financier qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur et qui résulte directement d'un acte illicite commis dans un autre État membre ne saurait, à lui seul, en l'absence de circonstances particulières, être qualifié de point de rattachement pertinent.
M. [E] ne justifie pas de circonstances particulières, mais en revanche, le litige présente de nombreux points de rattachement avec le domicile de la défenderesse en ce que celle-ci est une société de droit espagnol, soumise à la législation espagnole, à laquelle il est reproché des faits commis en Espagne, pays qui sera également le lieu d'exécution de la décision de condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
Aussi, étant donné la nature du préjudice allégué par M. [E] tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage sera celui de l'appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir le compte ouvert dans les livres de la société de droit étranger située dans l'État-membre précité.
Il y a lieu de considérer que les fonds ayant été virés sur un compte à l'étranger, le détournement allégué n'a pu advenir qu'ensuite et que la matérialisation du dommage ne s'est pas produite en France.
En conséquence, la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes dirigées contre la Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria SA ne peut être retenue sur le fondement des dispositions de l'article 7 du règlement précité.
b) Sur l'application de l'article 8-1
Le juge de la mise en état a pédagogiquement et complètement, développé les motifs de sa décision, qui méritent entière approbation.
En effet, en vertu de l'article 8, point 1, du Règlement, sur lequel se fonde subsidiairement M. [E] soutenant la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de ses demandes dirigées à l'encontre de la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, s'il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l'article 4, paragraphe 1, de ce Règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Pour l'application de cet article, dont le critère de compétence est également d'interprétation stricte, l'appréciation de l'existence du lien de connexité et partant, du risque de décisions inconciliables en présence d'une même situation de fait et de droit, n'exige pas l'identité de fondements juridiques, dès lors qu'il était prévisible pour les défendeurs qu'ils risquaient de pouvoir être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'eux a son domicile.
En l'espèce, M. [E] a fait assigner en responsabilité la banque française La Banque Postale et la société étrangère Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, en ce qu'elles ont concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds qu'il croyait investir. Il invoque contre elles des manquements à leurs obligations de surveillance et de vigilance issues notamment de la directive n°2015/849/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
Sans préjuger de leur bienfondé, il appert de prime abord que ces demandes, qui se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment sur la matérialité et l'étendue du préjudice, l'analyse des causes du dommage et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.
Il doit être souligné que la banque étrangère, qui détient ou a détenu dans ses livres, des virements en provenance de France susceptible d'avoir un caractère frauduleux ne peut estimer raisonnablement imprévisible d'être attraite, de ce fait, devant les juridictions françaises. Bien au contraire, l'internationalisation croissante des relations bancaires via le développement de l'utilisation des moyens de communication électroniques ne peut que rendre insignifiante l'imprévisibilité pour un établissement bancaire, d'être poursuivi à l'étranger pour une opération à caractère international suspectée d'être frauduleuse à un moment ou à un autre de son déroulement.
Aussi, les actions en responsabilité intentées par M. [E] sont connexes en ce qu'elles s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, n° 11-26.022 ; 17 fév. 2021, n°19-17.345).
- Il y a identité de situation de fait en ce qu'à l'origine du préjudice dont se plaint M. [E] à savoir la perte des fonds investis ; il s'agit d'une seule et unique opération, soit le virement bancaire d'une même somme d'un compte vers un autre, et le fait que cette opération se déroule en deux temps - un ordre de virement traitée par la banque de départ, puis la réception par la banque étrangère teneur du compte du bénéficiaire - n'ôte rien au fait que ces deux étapes sont indissociables l'une de l'autre.
- Il y a identité de situation de droit en ce qu'il n'est pas discuté en l'espèce qu'un banquier, qu'il soit français ou espagnol, puisse voir sa responsabilité engagée à raison d'un manquement à un devoir de vigilance. Cette considération est suffisante en soi, peu important à cet égard que la règle de droit applicable en France/en Espagne, soit différente dans l'un et l'autre Etat, et que ne soient pas totalement identiques les conditions plus ou moins restrictives de la mise en jeu de cette responsabilité, la nature juridique de l'action exercée (délictuelle ou contractuelle), les chances de succès des demandes indemnitaires.
- Par ailleurs, le fait, mis en avant par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, que les actions exercées contre la banque française d'une part et contre la banque espagnole d'autre part, reposent sur des fondements juridiques différents, en réalité n'a pas pour conséquence nécessaire d'écarter tout risque de décisions inconciliables entre elles. En toutes hypothèses un tel risque existe, en particulier, dans le cas où l'un des juges retiendrait, pour des motifs de fait ou de droit, que la banque dont il a à juger du comportement ne serait responsable qu'à hauteur d'une certaine proportion du dommage, et où le juge de l'autre Etat, de son côté, retiendrait que la banque dont il est devant lui invoqué la responsabilité est tenue pour un quantum qui n'en fait pas le complément.
Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, les conditions posées par l'article 8-1 du Réglement sont bel et bien réunies et l'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce que le juge de la mise en état a dit le tribunal de Paris compétent pour connaitre des demandes formées par M. [E] à l'encontre de la société de droit espagnol Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, déboutant cette dernière de son exception d'incompétence.
2) Sur la prescription
Pour déclarer prescrite l'action de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaya Argentaria, le juge de la mise en état a retenu l'application de la loi espagnole aux faits de la cause.
À nouveau, en cause d'appel, développant la même argumentation que devant le juge de la mise en état, M. [E] à l'inverse conclut à l'application de la loi française, dont l'article 2224 du code civil prévoyant une prescription quinquennale, en sorte que le délai de prescription courant pour cinq ans à compter du 29 avril 2022, date du dépôt de plainte de M. [E], l'action introduite le 24 octobre 2023 n'est pas prescrite.
Pourtant, le juge de la mise en état a fait une exacte application de la règle de droit aux faits de la cause. En particulier :
- L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
- Comme l'a rappelé le juge de la mise en état, il lui appartient de déterminer la loi applicable pour statuer sur la fin de non recevoir.
- Pareillement, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
- En l'espèce, c'est à juste titre que la banque espagnole se fonde sur l'article 4 du règlement 'Rome II' qui dispose que 'Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent' pour faire valoir qu'au cas présent la loi espagnole est applicable, au détriment de la loi française.
- En l'occurrence, l'appropriation des fonds s'est produite en Espagne et la seule circonstance que les effets de cette appropriation ont été ressentis en France à raison de ce que les fonds investis l'ont été par l'intermédiaire d'un ordre de virement à partir de compte ouvert en France, en l'absence de tout autre élément pertinent de rattachement attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, est insuffisante à justifier l'application de cette dernière - la nationalité et la résidence de la victime n'y suffisant pas, pas plus que n'est pertinente la référence à des solutions jurisprudentielles européennes concernant une toute autre matière que les escroqueries par voie de virements bancaires internationaux.
Il y a donc lieu d'adopter les entiers motifs du premier juge, précis et circonstanciés, relativement à l'application de la loi espagnole à l'espèce.
Ensuite, les articles 1902 et 1968 du code civil espagnol, dont la teneur et le champ d'application en l'espèce ne sont pas discutés par M. [E], prévoient que le délai de prescription est d'un an à compter de la connaissance du préjudice. Au cas présent, le délai de prescription commencera donc à courir, au plus tard, le le 29 avril 2022, date à laquelle M. [E] a déposé plainte pour escroquerie. La prescription est en conséquence acquise depuis le 29 avril 2023. L'assignation datant du 20 octobre 2023, la demande formulée à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria doit donc être déclarée prescrite.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée, en ce que les demandes de M. [E] à l'encontre de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria ont été déclarées irrecevables pour être prescrites.
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Sur les dépens et les frais irrépétibles
Au vu du sens de la présente décision, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et frais irréptibles de l'incident.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
DÉCLARE recevables les conclusions du 12 mai 2025 de la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria ;
CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
DIT que M. [E] d'une part, et la société Banco [Localité 3] Vizcaria Argentaria d'autre part, supporteront leurs propres dépens et frais irrépétibles, relatifs à l'incident.
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Le Greffier Le Président