CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 24 septembre 2025, n° 23/02799
TOULOUSE
Arrêt
Autre
24/09/2025
ARRÊT N° 25/ 333
N° RG 23/02799
N° Portalis DBVI-V-B7H-PTZR
MD - SC
Décision déférée du 06 Juillet 2023
TJ de [Localité 8] - 22/01209
V. TAVERNIER
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 24/09/2025
à
Me Nicolas DALMAYRAC
Me Sandra HEIL-NUEZ
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Madame [N] [P] épouse [M]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Monsieur [G] [M]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentés par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représenté par Me Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON (plaidant)
INTIMEES
SCCV CHATEAU MADRON
[Adresse 1]
[Localité 2]
Sans avocat constitué
S.A.S. FORCE DISTRIBUTION
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sandra HEIL-NUEZ, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 mai 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
A.M ROBERT, conseillère
N. ASSELAIN, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- PAR DEFAUT
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société civile de construction vente (Sccv) Chateau Madron a été créée en vue de la réalisation d'une promotion immobilière sur [Adresse 9] sous le nom de [Adresse 7], s'agissant d'une résidence étudiante éligible aux dispositifs fiscaux dits 'Scellier'.
La commercialisation de cette opération a été réalisée par diverses sociétés ou conseillers indépendants, dont la société Force distribution, laquelle exerce notamment une activité d'agent immobilier, de conseil en produits financiers et de gestion de patrimoine.
Le 12 septembre 2011, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] ont conclu un contrat préliminaire de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un appartement T1 de cette résidence, sans emplacement de parking, pour le prix de 126 145 euros.
Par acte authentique du 20 décembre 2011, M. et Mme [M] ont procédé à l'achat définitif de ce bien, achat dont le financement a été assuré par la souscription d'un emprunt auprès de la Caisse d'épargne à hauteur de 126 145 euros.
Le bien a été livré le 6 juillet 2012, et le premier locataire est entré dans les lieux le 8 octobre 2012.
Ce bien a été estimé le 29 septembre 2021 par l'agence Adl immobilier entre 67 249 et 69 069 euros net vendeur.
-:-:-:-:-
Par actes d'huissier du 16 mars 2022, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution aux fins de condamnation à les indemniser des préjudices subis.
Par conclusions d'incident, la Sas Force distribution a soulevé l'irrecevabilité de l'action de M. et Mme [M] pour cause de prescription.
-:-:-:-:-
Par ordonnance du 6 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse a :
- reçu la société Force distribution en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- déclaré irrecevable M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] en leurs demandes formées à l'encontre de la société Force distribution et de la société Chateau Madron,
- constaté que l'action de M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] est devenue sans objet,
- condamné M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] aux entiers dépens de l'incident,
- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
-:-:-:-:-
Par déclaration du 31 juillet 2023, M. [G] [M] et [N] [P] épouse [M] ont relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- reçu la société Force distribution en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- les a déclarés irrecevables en leurs demandes formées à l'encontre de la société Force distribution et de la société Chateau Madron,
- constaté que leur action est devenue sans objet,
- les a condamnés aux entiers dépens de l'incident.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 16 janvier 2024, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 9, 122, 700 et 789 du code de procédure civile, 1144 et 2224 du code civil de :
- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 6 juillet 2023,
- infirmer l'ordonnance critiquée, en ce qu'elle a jugé leurs demandes irrecevables comme prescrites,
- infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle les a condamnés à payer les dépens,
Statuant de nouveau,
- juger qu'ils n'ont été en mesure de découvrir leurs préjudices que le 29 septembre 2021, date à laquelle ils ont été informés de la perte de valeur de leur bien, ou au plus tôt, le 6 juillet 2021, date de la fin de leur obligation locative,
- juger recevable comme non prescrite leur action en responsabilité,
- débouter la société Force distribution et la Sccv Chateau Madron de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamner in solidum la société Force distribution et la Sccv Chateau Madron à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'instance.
À l'appui de leurs prétentions, les appelants soutiennent que :
- en matière de dol et, en vertu de l'article 1144 du code civil, le délai de prescription de l'action en nullité a pour point de départ le jour de découverte de l'erreur, et la date à laquelle la victime a eu connaissance de son préjudice,
- en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, la charge de la preuve doit être supportée par celui qui invoque la prescription de l'action,
- en cas de manquement à l'obligation d'information et de conseil, le point de départ du délai de prescription de l'action est le jour où s'est manifesté le dommage, qui ne peut résulter que de faits susceptibles de révéler à l'acquéreur l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat,
- la Cour de cassation a fixé le point de départ du délai de prescription à compter de la fin du dispositif Scellier,
- la valeur de revente promise par le professionnel lors de la simulation ne peut se vérifier qu'à l'issue du dispositif fiscal, intervenu 9 ans après l'acquisition, et le délai de prescription de l'action ne commence à courir qu'à l'issue de cette période,
- il ne peut être fait reproche aux acquéreurs de ne pas s'être renseignés eux-mêmes avant la vente,
- le devoir de vigilance de l'acquéreur s'apprécie au regard de sa qualité de profane, a fortiori lorsqu'il a été démarché par un commercial se présentant comme un spécialiste en gestion de patrimoine,
- même en disposant d'une information complète quant au prix moyen du mètre carré, à l'achat comme à la revente, les acquéreurs ne pouvaient raisonnablement pas prévoir la possibilité d'une moins-value de près de la moitié du prix de cession promis,
- lors de la vente, le prix payé au mètre carré n'avait rien d'anormal,
- la perte de valeur à la revente n'a jamais été annoncée ni envisagée lors du montage de l'opération alors que le commercialisateur était débiteur d'une telle information,
- c'est seulement à la fin du dispositif Scellier, date à laquelle les investisseurs entreprennent des démarches en vue de la mise en vente de leur appartement que ces derniers sont en mesure de déceler son préjudice,
- le produit vendu à l'époque n'était pas une simple acquisition immobilière mais bien un investissement défiscalisant sur plusieurs années,
- il n'y a aucune corrélation entre la souscription d'un contrat d'assurance loyers impayés et la conscience du risque de faire une moins-value importante à l'issue du plan d'investissement mis en place par le professionnel,
- la simulation financière revêt une valeur contractuelle et caractérise un comportement dolosif de son auteur.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 17 février 2025, la Sas Force distribution, intimée, demande à la cour, au visa de l'article 2224 du code civil, de:
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2023,
- débouter ainsi M. et Mme [M] de l'intégralité de leurs demandes,
- 'dire et juger' que les demandes de M. et Mme [M] sont irrecevables comme prescrites,
- les condamner à payer à la société Force distribution la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la présente instance.
À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :
- les acquéreurs développent dans leur assignation des griefs sur la base du dol non repris dans les demandes et le dispositif ni dans les bases juridiques visées,
- M. et Mme [M] recherchent la responsabilité délictuelle de la société Force distribution, intervenue à l'opération en qualité de commercialisateur du programme et avant la vente,
- seul l'article 2224 du code civil a vocation à s'appliquer en matière de demandes de dommages et intérêts,
- le point de départ du délai de prescription doit être fixé au plus tard au jour de la conclusion du contrat de vente, leur préjudice consistant en une perte de chance d'investir différemment,
- l'absence de conseil ou d'information est antérieure à l'acte de vente donc le point de départ de la prescription ne peut être postérieur à cette date,
- le dommage, s'il existe, se manifeste nécessairement au jour de la conclusion du contrat,
- c'est à cette date que les investisseurs ont connu, ou auraient dû connaitre le marché immobilier, faire les recherches quant à la valeur du bien à l'achat, et l'adéquation entre cette valeur et le prix d'acquisition,
- le délai de prescription de l'action fondée sur le défaut d'information et de conseil a pour point de départ la conclusion du contrat de vente, les acquéreurs disposant d'un délai de rétractation pour faire le point sur l'économie générale de l'opération et les risques encourus,
- les acquéreurs doivent démontrer qu'ils n'avaient pas connaissance du dommage qu'ils invoquent au moment de la vente,
- l'opération doit être considérée comme un tout et il n'est pas possible d'extraire le délai de défiscalisation pour demander le report du point de départ de la prescription,
- il n'y a pas lieu de laisser le point de départ de l'action à la disposition des acquéreurs,
- le point de départ du délai de prescription ne peut être reporté au jour d'une simple évaluation du bien immobilier, au regard de l'instabilité juridique que cela engendre et de ce qu'une simple estimation constitue une évaluation hypothétique puisque le bien n'est pas vendu,
- l'estimation est subjective d'un agent immobilier à l'autre,
- une simple estimation ne peut être la base d'un préjudice certain, clair et chiffré,
- sans préjudice certain, il ne peut y avoir de point de départ de la prescription,
- une simple évaluation ne peut caractériser un préjudice pour les acquéreurs,
- le point de départ ne peut être reporté à l'échéance du délai imposé pour le bénéfice de la défiscalisation, dès lors qu'à l'échéance des 9 ans, le bien est toujours la propriété des acquéreurs, il peut être mis en location ou pas, vendu ou pas,
- la défiscalisation n'impose pas une revente à l'échéance des 9 ans, et une revente avant 9 ans n'est pas interdite,
- en ce qui concerne les risques généraux inhérents à l'opération, le point de départ de la prescription se situe au plus tard à la date de conclusion du contrat de vente,
- le devoir de vigilance oblige les acquéreurs, même profanes, à faire preuve d'une certaine curiosité au moment de la vente,
- il n'y a pas eu de risque en l'espèce : il n'y a pas eu de période de vacance locative significative et les acquéreurs ont pleinement bénéficié des avantages fiscaux liés à l'achat,
- les acquéreurs disposaient d'un dossier complet et de toutes les informations nécessaires relatives au bien immobilier et à l'opération, le point de départ doit donc être fixé à la date de l'acte de vente,
- aucune contestation n'est émise quant au prix du bien à l'achat ni au bénéfice de la défiscalisation,
- il n'a pas été promis aux acquéreurs que la valeur du bien augmenterait nécessairement qu'il y aurait une plus-value en cas de revente,
- la simulation n'est pas contractuelle, ainsi que le rappelle une stipulation sur le document lui-même,
- la prescription pour le montant des loyers court à partir de 2013, date à laquelle les acheteurs se seraient rendu compte d'une éventuelle perte de loyer et surévaluation des charges,
- les jurisprudences récentes produites par les acheteurs ne sont pas applicables au cas d'espèce en ce qu'elles concernaient une résidence de tourisme, ou une demande de nullité pour dol,
- pour appliquer la solution récente de la Cour de cassation, il faut que le dommage invoqué par les acquéreurs aient été imprévisible et inconnu lors de la vente, les acquéreurs doivent avancer un fait, concret et établi, un préjudice concrètement établi, pas une hypothèse, le risque doit s'être réalisé, et démontrer qu'une rentabilité était prévue lors de la vente or le chiffrage du prix à la revente n'est écrit nulle part.
La déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier à la Sccv Chateau Madron, intimée, le 18 septembre 2023, selon les formalités prévues à l'article 658 du code de procédure civile. Cette partie n'a pas constitué avocat.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité de l'action en responsabilité dirigée contre la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution :
1. En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort de l'assignation figurant au dossier de première instance que M. et Mme [M] ont sollicité devant le premier juge l'engagement de la responsabilité délictuelle de la Sas Force distribution pour manquement à ses obligations d'information et de conseil et manoeuvres dolosives les ayant convaincu de souscrire une opération risquée et non rentable, ainsi que celle de la Sccv Chateau Madron qui aurait mandaté la Sas Force distribution en lui confiant une mission de commercialisation des lots et serait responsable des fautes commises par elle.
Ils fondent leur action sur l'article 1382 ancien du code civil et l'article L.121-23 ancien du code de la consommation selon lequel les opérations de démarchage doivent faire l'objet d'un contrat remis au client qui doit comporter à peine de nullité plusieurs mentions, dont la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens et services proposés.
Ils soutiennent que la société Force distribution a sciemment présenté de manière flatteuse un investissement dont la rentabilité était douteuse, ne les a pas informés de tous les tenants et aboutissants de l'opération, dont le fait que le prix de vente englobait en réalité tous les frais de vente et ne pourrait pas être compensé lors de la revente, ni ne les a mis en garde contre le risque de perte à la revente lié aux ventes concomitantes à venir à l'issue de l'opération de défiscalisation. Ils soutiennent enfin qu'elle a commis des manoeuvres afin de les tromper sur la valeur du bien tant lors de la vente initiale que lors d'une éventuelle revente.
Ils allèguent avoir subi un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, lui-même composé des préjudices suivants :
- la différence entre le prix de vente du bien et sa valeur actuelle ainsi que la plus-value promise qui n'a pas eu lieu,
- un préjudice tenant à la perception de loyers moindres que ceux annoncés dans la simulation de 2012 à 2020,
- un préjudice tenant au paiement de fonds supplémentaires relatifs aux charges et taxes foncières de 2012 à 2020,
outre un préjudice moral.
Il ne peut être statué, au stade de l'analyse de la recevabilité de l'action, sur l'obligation d'information relativement à la valeur du bien vendu qui pèserait sur le vendeur ou sur l'existence d'un devoir des acquéreurs de s'informer sur la valeur réelle du bien en vente, ni sur le caractère certain ou seulement éventuel du préjudice allégué par les demandeurs, l'étude de ces points relevant de l'analyse du bien-fondé de l'action, et de l'existence d'une faute et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué.
2. S'agissant d'une action en responsabilité civile, le délai de prescription commence à courir au jour où les demandeurs ont eu connaissance du dommage dont ils se prétendent victime et devant s'entendre comme comprenant tous les éléments propres à en demander la réparation à savoir également le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur (Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527).
Le régime de défiscalisation dit 'Scellier', issu de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et figurant à l'article 199 septvicies du code général des impôts permet d'opérer une réduction d'impôt sur le revenu calculée sur le prix de revient du logement. Son taux est de 8 à 25 % selon le type de logement et l'année d'acquisition ou de construction, et son bénéfice est conditionné à la location du logement nu pendant au moins neuf années.
Il en résulte que les variables fondamentales dans le cadre de ce mécanisme d'optimisation fiscale sont d'une part le prix d'acquisition du bien immobilier, qui détermine le montant de la réduction d'impôt sur le revenu, et la mise en location qui, à la fois, conditionne le bénéfice de la réduction d'impôt mais également complète le gain fiscal réalisé par les acquéreurs afin, notamment, de financer le remboursement du crédit immobilier souscrit pour le paiement du prix d'acquisition.
Au regard des circonstances de la cause, et compte tenu de la nature de l'opération à laquelle les intimés ont prêté leur concours, à savoir une opération dont l'opportunité ne s'apprécie que sur le long terme, il convient, pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité dirigée contre les promoteur et le commercialisateur, de rechercher la date à laquelle les acquéreurs ont pu avoir, concrètement, connaissance du préjudice allégué.
En l'espèce, selon acte authentique du 20 décembre 2011, M. et Mme [M] ont acquis de la société Sccv Chateau Madron, promoteur-vendeur, après contrat de réservation, en l'état futur d'achèvement, un appartement de type T1 destiné à la location en vue d'une défiscalisation selon la loi Scellier, sans apport personnel, le prix d'acquisition étant intégralement financé par prêt bancaire.
Cette opération d'acquisition est intervenue dans le cadre d'une vente « acte en mains», après intervention de la Sas Force distribution, sur la base tant d'une plaquette de présentation élaborée par le promoteur-vendeur que sur la base d'une étude personnalisée chiffrant les potentiels revenus locatifs, les gains fiscaux, l'épargne constituée, et l'évolution de la valeur du bien au cours du processus de défiscalisation, ainsi que les résultats positifs potentiels de l'investissement.
M. et Mme [M] se prévalent devant la cour d'un avis de valeur de leur bien réalisé 29 septembre 2021 qui fait état d'une baisse de 44 % par rapport au prix d'acquisition.
Or, tel que cela ressort de la simulation produite aux débats, l'acquisition immobilière est considérée comme un placement idéal, mêlé à un objectif de défiscalisation, certes, mais constituant un des motifs de réalisation de l'investissement. En effet, au-delà de la recherche de bénéfices fiscaux, les acquéreurs qui optent pour un dispositif fiscal fondé sur une acquisition immobilière se constituent un patrimoine immobilier source de revenus constitués par des loyers.
S'agissant d'un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, compte tenu de la surévaluation de l'estimation du prix de revente du bien et des loyers ainsi que de la sous-estimation des charges réelles engendrées par ledit bien, le dommage lié aux manquements potentiels des intervenants est né au jour de la vente. Néanmoins celui-ci n'est révélé aux acquéreurs que postérieurement, lors de la survenance d'évènements significatifs leur permettant de prendre conscience de la rentabilité réelle de l'opération.
En l'absence de possibilité de revente des biens avant l'issue du processus de défiscalisation, sauf à perdre le bénéfice du dispositif fiscal, la date à laquelle M. et Mme [M] disposaient de toutes les informations leur permettant d'agir en intégrant le prix de revente se situe donc au terme de l'engagement de location, soit 9 ans à compter de la première mise en location. Il est constant qu'en l'espèce celle-ci est intervenue le 8 octobre 2012, après une livraison du bien en juillet 2012, de sorte que le point de départ du délai de prescription de leur action doit être fixé le 8 octobre 2021.
Au regard des assignations délivrées par actes des 16 mars 2022 à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution, l'action n'est pas prescrite.
L'ordonnance rendue le 6 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse sera en conséquence infirmée.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
3. L'ordonnance dont appel sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
La Sas Force distribution ayant soulevé à tort la prescription sera condamnée aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel.
La Sas Force distribution sera également condamnée à payer à M. et Mme [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la Sas Force distribution déboutée de sa demande sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par mise à disposition, par défaut et en dernier ressort,
Infirme, en toutes ses dispositions dévolues à la cour, l'ordonnance rendue le 6 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en responsabilité formée par M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution.
Condamne la Sas Force distribution aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel.
Condamne la Sas Force distribution à payer à M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la Sas Force distribution de sa demande sur le même fondement.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
.
ARRÊT N° 25/ 333
N° RG 23/02799
N° Portalis DBVI-V-B7H-PTZR
MD - SC
Décision déférée du 06 Juillet 2023
TJ de [Localité 8] - 22/01209
V. TAVERNIER
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 24/09/2025
à
Me Nicolas DALMAYRAC
Me Sandra HEIL-NUEZ
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANT
Madame [N] [P] épouse [M]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Monsieur [G] [M]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentés par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représenté par Me Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON (plaidant)
INTIMEES
SCCV CHATEAU MADRON
[Adresse 1]
[Localité 2]
Sans avocat constitué
S.A.S. FORCE DISTRIBUTION
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sandra HEIL-NUEZ, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 mai 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
A.M ROBERT, conseillère
N. ASSELAIN, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- PAR DEFAUT
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société civile de construction vente (Sccv) Chateau Madron a été créée en vue de la réalisation d'une promotion immobilière sur [Adresse 9] sous le nom de [Adresse 7], s'agissant d'une résidence étudiante éligible aux dispositifs fiscaux dits 'Scellier'.
La commercialisation de cette opération a été réalisée par diverses sociétés ou conseillers indépendants, dont la société Force distribution, laquelle exerce notamment une activité d'agent immobilier, de conseil en produits financiers et de gestion de patrimoine.
Le 12 septembre 2011, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] ont conclu un contrat préliminaire de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un appartement T1 de cette résidence, sans emplacement de parking, pour le prix de 126 145 euros.
Par acte authentique du 20 décembre 2011, M. et Mme [M] ont procédé à l'achat définitif de ce bien, achat dont le financement a été assuré par la souscription d'un emprunt auprès de la Caisse d'épargne à hauteur de 126 145 euros.
Le bien a été livré le 6 juillet 2012, et le premier locataire est entré dans les lieux le 8 octobre 2012.
Ce bien a été estimé le 29 septembre 2021 par l'agence Adl immobilier entre 67 249 et 69 069 euros net vendeur.
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Par actes d'huissier du 16 mars 2022, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution aux fins de condamnation à les indemniser des préjudices subis.
Par conclusions d'incident, la Sas Force distribution a soulevé l'irrecevabilité de l'action de M. et Mme [M] pour cause de prescription.
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Par ordonnance du 6 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse a :
- reçu la société Force distribution en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- déclaré irrecevable M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] en leurs demandes formées à l'encontre de la société Force distribution et de la société Chateau Madron,
- constaté que l'action de M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] est devenue sans objet,
- condamné M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] aux entiers dépens de l'incident,
- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
-:-:-:-:-
Par déclaration du 31 juillet 2023, M. [G] [M] et [N] [P] épouse [M] ont relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- reçu la société Force distribution en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- les a déclarés irrecevables en leurs demandes formées à l'encontre de la société Force distribution et de la société Chateau Madron,
- constaté que leur action est devenue sans objet,
- les a condamnés aux entiers dépens de l'incident.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 16 janvier 2024, M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 9, 122, 700 et 789 du code de procédure civile, 1144 et 2224 du code civil de :
- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 6 juillet 2023,
- infirmer l'ordonnance critiquée, en ce qu'elle a jugé leurs demandes irrecevables comme prescrites,
- infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle les a condamnés à payer les dépens,
Statuant de nouveau,
- juger qu'ils n'ont été en mesure de découvrir leurs préjudices que le 29 septembre 2021, date à laquelle ils ont été informés de la perte de valeur de leur bien, ou au plus tôt, le 6 juillet 2021, date de la fin de leur obligation locative,
- juger recevable comme non prescrite leur action en responsabilité,
- débouter la société Force distribution et la Sccv Chateau Madron de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamner in solidum la société Force distribution et la Sccv Chateau Madron à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'instance.
À l'appui de leurs prétentions, les appelants soutiennent que :
- en matière de dol et, en vertu de l'article 1144 du code civil, le délai de prescription de l'action en nullité a pour point de départ le jour de découverte de l'erreur, et la date à laquelle la victime a eu connaissance de son préjudice,
- en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, la charge de la preuve doit être supportée par celui qui invoque la prescription de l'action,
- en cas de manquement à l'obligation d'information et de conseil, le point de départ du délai de prescription de l'action est le jour où s'est manifesté le dommage, qui ne peut résulter que de faits susceptibles de révéler à l'acquéreur l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat,
- la Cour de cassation a fixé le point de départ du délai de prescription à compter de la fin du dispositif Scellier,
- la valeur de revente promise par le professionnel lors de la simulation ne peut se vérifier qu'à l'issue du dispositif fiscal, intervenu 9 ans après l'acquisition, et le délai de prescription de l'action ne commence à courir qu'à l'issue de cette période,
- il ne peut être fait reproche aux acquéreurs de ne pas s'être renseignés eux-mêmes avant la vente,
- le devoir de vigilance de l'acquéreur s'apprécie au regard de sa qualité de profane, a fortiori lorsqu'il a été démarché par un commercial se présentant comme un spécialiste en gestion de patrimoine,
- même en disposant d'une information complète quant au prix moyen du mètre carré, à l'achat comme à la revente, les acquéreurs ne pouvaient raisonnablement pas prévoir la possibilité d'une moins-value de près de la moitié du prix de cession promis,
- lors de la vente, le prix payé au mètre carré n'avait rien d'anormal,
- la perte de valeur à la revente n'a jamais été annoncée ni envisagée lors du montage de l'opération alors que le commercialisateur était débiteur d'une telle information,
- c'est seulement à la fin du dispositif Scellier, date à laquelle les investisseurs entreprennent des démarches en vue de la mise en vente de leur appartement que ces derniers sont en mesure de déceler son préjudice,
- le produit vendu à l'époque n'était pas une simple acquisition immobilière mais bien un investissement défiscalisant sur plusieurs années,
- il n'y a aucune corrélation entre la souscription d'un contrat d'assurance loyers impayés et la conscience du risque de faire une moins-value importante à l'issue du plan d'investissement mis en place par le professionnel,
- la simulation financière revêt une valeur contractuelle et caractérise un comportement dolosif de son auteur.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 17 février 2025, la Sas Force distribution, intimée, demande à la cour, au visa de l'article 2224 du code civil, de:
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2023,
- débouter ainsi M. et Mme [M] de l'intégralité de leurs demandes,
- 'dire et juger' que les demandes de M. et Mme [M] sont irrecevables comme prescrites,
- les condamner à payer à la société Force distribution la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la présente instance.
À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :
- les acquéreurs développent dans leur assignation des griefs sur la base du dol non repris dans les demandes et le dispositif ni dans les bases juridiques visées,
- M. et Mme [M] recherchent la responsabilité délictuelle de la société Force distribution, intervenue à l'opération en qualité de commercialisateur du programme et avant la vente,
- seul l'article 2224 du code civil a vocation à s'appliquer en matière de demandes de dommages et intérêts,
- le point de départ du délai de prescription doit être fixé au plus tard au jour de la conclusion du contrat de vente, leur préjudice consistant en une perte de chance d'investir différemment,
- l'absence de conseil ou d'information est antérieure à l'acte de vente donc le point de départ de la prescription ne peut être postérieur à cette date,
- le dommage, s'il existe, se manifeste nécessairement au jour de la conclusion du contrat,
- c'est à cette date que les investisseurs ont connu, ou auraient dû connaitre le marché immobilier, faire les recherches quant à la valeur du bien à l'achat, et l'adéquation entre cette valeur et le prix d'acquisition,
- le délai de prescription de l'action fondée sur le défaut d'information et de conseil a pour point de départ la conclusion du contrat de vente, les acquéreurs disposant d'un délai de rétractation pour faire le point sur l'économie générale de l'opération et les risques encourus,
- les acquéreurs doivent démontrer qu'ils n'avaient pas connaissance du dommage qu'ils invoquent au moment de la vente,
- l'opération doit être considérée comme un tout et il n'est pas possible d'extraire le délai de défiscalisation pour demander le report du point de départ de la prescription,
- il n'y a pas lieu de laisser le point de départ de l'action à la disposition des acquéreurs,
- le point de départ du délai de prescription ne peut être reporté au jour d'une simple évaluation du bien immobilier, au regard de l'instabilité juridique que cela engendre et de ce qu'une simple estimation constitue une évaluation hypothétique puisque le bien n'est pas vendu,
- l'estimation est subjective d'un agent immobilier à l'autre,
- une simple estimation ne peut être la base d'un préjudice certain, clair et chiffré,
- sans préjudice certain, il ne peut y avoir de point de départ de la prescription,
- une simple évaluation ne peut caractériser un préjudice pour les acquéreurs,
- le point de départ ne peut être reporté à l'échéance du délai imposé pour le bénéfice de la défiscalisation, dès lors qu'à l'échéance des 9 ans, le bien est toujours la propriété des acquéreurs, il peut être mis en location ou pas, vendu ou pas,
- la défiscalisation n'impose pas une revente à l'échéance des 9 ans, et une revente avant 9 ans n'est pas interdite,
- en ce qui concerne les risques généraux inhérents à l'opération, le point de départ de la prescription se situe au plus tard à la date de conclusion du contrat de vente,
- le devoir de vigilance oblige les acquéreurs, même profanes, à faire preuve d'une certaine curiosité au moment de la vente,
- il n'y a pas eu de risque en l'espèce : il n'y a pas eu de période de vacance locative significative et les acquéreurs ont pleinement bénéficié des avantages fiscaux liés à l'achat,
- les acquéreurs disposaient d'un dossier complet et de toutes les informations nécessaires relatives au bien immobilier et à l'opération, le point de départ doit donc être fixé à la date de l'acte de vente,
- aucune contestation n'est émise quant au prix du bien à l'achat ni au bénéfice de la défiscalisation,
- il n'a pas été promis aux acquéreurs que la valeur du bien augmenterait nécessairement qu'il y aurait une plus-value en cas de revente,
- la simulation n'est pas contractuelle, ainsi que le rappelle une stipulation sur le document lui-même,
- la prescription pour le montant des loyers court à partir de 2013, date à laquelle les acheteurs se seraient rendu compte d'une éventuelle perte de loyer et surévaluation des charges,
- les jurisprudences récentes produites par les acheteurs ne sont pas applicables au cas d'espèce en ce qu'elles concernaient une résidence de tourisme, ou une demande de nullité pour dol,
- pour appliquer la solution récente de la Cour de cassation, il faut que le dommage invoqué par les acquéreurs aient été imprévisible et inconnu lors de la vente, les acquéreurs doivent avancer un fait, concret et établi, un préjudice concrètement établi, pas une hypothèse, le risque doit s'être réalisé, et démontrer qu'une rentabilité était prévue lors de la vente or le chiffrage du prix à la revente n'est écrit nulle part.
La déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier à la Sccv Chateau Madron, intimée, le 18 septembre 2023, selon les formalités prévues à l'article 658 du code de procédure civile. Cette partie n'a pas constitué avocat.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité de l'action en responsabilité dirigée contre la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution :
1. En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort de l'assignation figurant au dossier de première instance que M. et Mme [M] ont sollicité devant le premier juge l'engagement de la responsabilité délictuelle de la Sas Force distribution pour manquement à ses obligations d'information et de conseil et manoeuvres dolosives les ayant convaincu de souscrire une opération risquée et non rentable, ainsi que celle de la Sccv Chateau Madron qui aurait mandaté la Sas Force distribution en lui confiant une mission de commercialisation des lots et serait responsable des fautes commises par elle.
Ils fondent leur action sur l'article 1382 ancien du code civil et l'article L.121-23 ancien du code de la consommation selon lequel les opérations de démarchage doivent faire l'objet d'un contrat remis au client qui doit comporter à peine de nullité plusieurs mentions, dont la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens et services proposés.
Ils soutiennent que la société Force distribution a sciemment présenté de manière flatteuse un investissement dont la rentabilité était douteuse, ne les a pas informés de tous les tenants et aboutissants de l'opération, dont le fait que le prix de vente englobait en réalité tous les frais de vente et ne pourrait pas être compensé lors de la revente, ni ne les a mis en garde contre le risque de perte à la revente lié aux ventes concomitantes à venir à l'issue de l'opération de défiscalisation. Ils soutiennent enfin qu'elle a commis des manoeuvres afin de les tromper sur la valeur du bien tant lors de la vente initiale que lors d'une éventuelle revente.
Ils allèguent avoir subi un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, lui-même composé des préjudices suivants :
- la différence entre le prix de vente du bien et sa valeur actuelle ainsi que la plus-value promise qui n'a pas eu lieu,
- un préjudice tenant à la perception de loyers moindres que ceux annoncés dans la simulation de 2012 à 2020,
- un préjudice tenant au paiement de fonds supplémentaires relatifs aux charges et taxes foncières de 2012 à 2020,
outre un préjudice moral.
Il ne peut être statué, au stade de l'analyse de la recevabilité de l'action, sur l'obligation d'information relativement à la valeur du bien vendu qui pèserait sur le vendeur ou sur l'existence d'un devoir des acquéreurs de s'informer sur la valeur réelle du bien en vente, ni sur le caractère certain ou seulement éventuel du préjudice allégué par les demandeurs, l'étude de ces points relevant de l'analyse du bien-fondé de l'action, et de l'existence d'une faute et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué.
2. S'agissant d'une action en responsabilité civile, le délai de prescription commence à courir au jour où les demandeurs ont eu connaissance du dommage dont ils se prétendent victime et devant s'entendre comme comprenant tous les éléments propres à en demander la réparation à savoir également le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur (Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527).
Le régime de défiscalisation dit 'Scellier', issu de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et figurant à l'article 199 septvicies du code général des impôts permet d'opérer une réduction d'impôt sur le revenu calculée sur le prix de revient du logement. Son taux est de 8 à 25 % selon le type de logement et l'année d'acquisition ou de construction, et son bénéfice est conditionné à la location du logement nu pendant au moins neuf années.
Il en résulte que les variables fondamentales dans le cadre de ce mécanisme d'optimisation fiscale sont d'une part le prix d'acquisition du bien immobilier, qui détermine le montant de la réduction d'impôt sur le revenu, et la mise en location qui, à la fois, conditionne le bénéfice de la réduction d'impôt mais également complète le gain fiscal réalisé par les acquéreurs afin, notamment, de financer le remboursement du crédit immobilier souscrit pour le paiement du prix d'acquisition.
Au regard des circonstances de la cause, et compte tenu de la nature de l'opération à laquelle les intimés ont prêté leur concours, à savoir une opération dont l'opportunité ne s'apprécie que sur le long terme, il convient, pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité dirigée contre les promoteur et le commercialisateur, de rechercher la date à laquelle les acquéreurs ont pu avoir, concrètement, connaissance du préjudice allégué.
En l'espèce, selon acte authentique du 20 décembre 2011, M. et Mme [M] ont acquis de la société Sccv Chateau Madron, promoteur-vendeur, après contrat de réservation, en l'état futur d'achèvement, un appartement de type T1 destiné à la location en vue d'une défiscalisation selon la loi Scellier, sans apport personnel, le prix d'acquisition étant intégralement financé par prêt bancaire.
Cette opération d'acquisition est intervenue dans le cadre d'une vente « acte en mains», après intervention de la Sas Force distribution, sur la base tant d'une plaquette de présentation élaborée par le promoteur-vendeur que sur la base d'une étude personnalisée chiffrant les potentiels revenus locatifs, les gains fiscaux, l'épargne constituée, et l'évolution de la valeur du bien au cours du processus de défiscalisation, ainsi que les résultats positifs potentiels de l'investissement.
M. et Mme [M] se prévalent devant la cour d'un avis de valeur de leur bien réalisé 29 septembre 2021 qui fait état d'une baisse de 44 % par rapport au prix d'acquisition.
Or, tel que cela ressort de la simulation produite aux débats, l'acquisition immobilière est considérée comme un placement idéal, mêlé à un objectif de défiscalisation, certes, mais constituant un des motifs de réalisation de l'investissement. En effet, au-delà de la recherche de bénéfices fiscaux, les acquéreurs qui optent pour un dispositif fiscal fondé sur une acquisition immobilière se constituent un patrimoine immobilier source de revenus constitués par des loyers.
S'agissant d'un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, compte tenu de la surévaluation de l'estimation du prix de revente du bien et des loyers ainsi que de la sous-estimation des charges réelles engendrées par ledit bien, le dommage lié aux manquements potentiels des intervenants est né au jour de la vente. Néanmoins celui-ci n'est révélé aux acquéreurs que postérieurement, lors de la survenance d'évènements significatifs leur permettant de prendre conscience de la rentabilité réelle de l'opération.
En l'absence de possibilité de revente des biens avant l'issue du processus de défiscalisation, sauf à perdre le bénéfice du dispositif fiscal, la date à laquelle M. et Mme [M] disposaient de toutes les informations leur permettant d'agir en intégrant le prix de revente se situe donc au terme de l'engagement de location, soit 9 ans à compter de la première mise en location. Il est constant qu'en l'espèce celle-ci est intervenue le 8 octobre 2012, après une livraison du bien en juillet 2012, de sorte que le point de départ du délai de prescription de leur action doit être fixé le 8 octobre 2021.
Au regard des assignations délivrées par actes des 16 mars 2022 à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution, l'action n'est pas prescrite.
L'ordonnance rendue le 6 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse sera en conséquence infirmée.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
3. L'ordonnance dont appel sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
La Sas Force distribution ayant soulevé à tort la prescription sera condamnée aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel.
La Sas Force distribution sera également condamnée à payer à M. et Mme [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la Sas Force distribution déboutée de sa demande sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par mise à disposition, par défaut et en dernier ressort,
Infirme, en toutes ses dispositions dévolues à la cour, l'ordonnance rendue le 6 juillet 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en responsabilité formée par M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la Sas Force distribution.
Condamne la Sas Force distribution aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel.
Condamne la Sas Force distribution à payer à M. [G] [M] et Mme [N] [P] épouse [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la Sas Force distribution de sa demande sur le même fondement.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
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