CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 24 septembre 2025, n° 23/02829
TOULOUSE
Arrêt
Autre
24/09/2025
ARRÊT N° 25/ 353
N° RG 23/02829
N° Portalis DBVI-V-B7H-PT5X
MD - SC
Décision déférée du 11 Mai 2023
TJ de [Localité 12] - 22/01274
V. TAVERNIER
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 24/09/2025
à
Me Nicolas DALMAYRAC
Me Nicolas MATHE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTS
Madame [Z] [C] épouse [O]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Monsieur [P] [O]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentés par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représentés par Me Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON (plaidant)
INTIMEES
S.A. ADOMOS
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Nicolas MATHE de la SELARL LCM AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représentée par Me Denis DELCOURT POUDENX de la SELEURL DDP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
SCCV CHATEAU MADRON
[Adresse 1]
[Localité 3]
Sans avocat constitué
PARTIES INTERVENANTES FORCEES
S.C.P. [H] BOUTON, représentée par Maître [F] [H]
en qualité d'administrateur judiciaire de la société ADOMOS
[Adresse 4]
[Localité 7]
Sans avocat constitué
S.E.L.A.R.L. ARGOS, représentée par Maître [M] [L]
en qualité de mandataire judiciaire de la société ADOMOS
[Adresse 2]
[Localité 9]
Sans avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 mai 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
A.M ROBERT, conseillère
N. ASSELAIN, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- PAR DEFAUT
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société civile de construction vente (Sccv) Chateau Madron a été créée en vue de la réalisation d'une promotion immobilière sur [Adresse 13] sous le nom de [Adresse 11], s'agissant d'une résidence étudiante éligible aux dispositifs fiscaux dits 'Scellier'.
La commercialisation de cette opération a été réalisée par diverses sociétés ou conseillers indépendants, dont la Sa Adomos, laquelle exerce notamment une activité de transactions sur immeubles et commercialisation d'opérations immobilières.
Le 23 novembre 2010, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont conclu un contrat préliminaire de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un studio de cette résidence, sans emplacement de parking, pour le prix de 106 218 euros.
Par acte authentique du 11 mars 2011, M. et Mme [O] ont procédé à l'achat définitif d'un appartement de type T1, achat dont le financement a été assuré par la souscription d'un emprunt auprès du Crédit foncier de France à hauteur de 111 529 euros.
Le bien a été livré le 4 juillet 2012 et le premier locataire est entré dans les lieux en septembre 2012.
Ce bien a été estimé le 29 septembre 2021 par l'agence Adl immobilier, pour une valeur comprise entre 63 700 et 65 520 euros.
-:-:-:-:-
Par actes d'huissier des 15 et 16 mars 2022, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la Sccv Chateau Madron et la société Adomos aux fins de condamnation à les indemniser des préjudices subis.
Par conclusions d'incident, la société Adomos a soulevé l'irrecevabilité de l'action de M. et Mme [O] pour cause de prescription.
-:-:-:-:-
Par ordonnance du 11 mai 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse a :
- déclaré irrecevable car prescrite l'action en dommages et intérêts de M. [P] et Mme [Z] [O] à l'encontre de la société Adomos et de la société Chateau Madron et fondée tant sur un manquement contractuel que sur l'existence d'un dol, à l'exception, sur le fondement du dol des demandes portant sur les loyers et les taxes d'habitation des cinq dernières années,
- renvoyé le présent dossier à l'audience de mise en état électronique du 14 septembre 2023 à 8h30 et fait injonction à M. [P] et Mme [Z] [O] de conclure au fond,
- réservé les frais irrépétibles et les dépens.
-:-:-:-:-
Par déclaration du 1er août 2023, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable car prescrite leur action en dommages et intérêts à l'encontre de la société Adomos et de la société Chateau Madron et fondée tant sur un manquement contractuel que sur l'existence d'un dol.
Par jugement du 13 juin 2024, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Adomos et désigné en qualité d'administrateur chargé d'une mission d'assistance la Scp [H] Bouton (Solve) prise en la personne de Maître [F] [H] et en qualité de mandataire judiciaire la société Argos prise en la personne de Maître [M] [L].
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 24 mai 2025, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 9, 122, 700 et 789 du code de procédure civile, 1144 et 2224 du code civil de:
- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 mai 2023,
- infirmer l'ordonnance critiquée, en ce qu'elle a jugé leurs demandes irrecevables comme prescrites,
- infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle les a condamnés à payer les dépens,
Statuant de nouveau,
- juger qu'ils n'ont été en mesure de découvrir leurs préjudices que le 29 septembre 2021, date à laquelle ils ont été informés de la perte de valeur de leur bien, ou au plus tard, le 2 juillet 2021, date de la fin de leur obligation,
- juger recevable comme non prescrite leur action en responsabilité,
- débouter la société Adomos et la Sccv Chateau Madron de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamner la Sccv Chateau Madron à leur payer la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance,
- fixer leur créance au titre des frais irrépétibles au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Adomos à la somme de 3.000 € et celle des entiers dépens de l'instance.
À l'appui de leurs prétentions, les appelant soutiennent que :
- en matière de dol et, en vertu de l'article 1144 du code civil, le délai de prescription de l'action en nullité a pour point de départ le jour de découverte de l'erreur, et la date à laquelle la victime a eu connaissance de son préjudice,
- en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, la charge de la preuve doit être supportée par celui qui invoque la prescription de l'action,
- en cas de manquement à l'obligation d'information et de conseil, le point de départ du délai de prescription de l'action est le jour où s'est manifesté le dommage, qui ne peut résulter que de faits susceptibles de révéler à l'acquéreur l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat,
- la Cour de cassation a fixé le point de départ du délai de prescription à compter de la fin du dispositif Scellier,
- la valeur de revente promise par le professionnel lors de la simulation ne peut se vérifier qu'à l'issue du dispositif fiscal, intervenu 9 ans après l'acquisition, et le délai de prescription de l'action ne commence à courir qu'à l'issue de cette période,
- il ne peut être fait reproche aux acquéreurs de ne pas s'être renseignés eux-mêmes avant la vente,
- le devoir de vigilance de l'acquéreur s'apprécie au regard de sa qualité de profane, a fortiori lorsqu'il a été démarché par un commercial se présentant comme un spécialiste en gestion de patrimoine,
- même en disposant d'une information complète quant au prix moyen du mètre carré, à l'achat comme à la revente, l'acquéreur ne pouvait raisonnablement pas prévoir la possibilité d'une moins-value de près de la moitié du prix de cession promis,
- lors de la vente, le prix payé au mètre carré n'avait rien d'anormal,
- la perte de valeur à la revente n'a jamais été annoncée ni envisagée lors du montage de l'opération alors que le commercialisateur était débiteur d'une telle information,
- c'est seulement à la fin du dispositif Scellier, date à laquelle l'investisseur entreprend des démarches en vue de la mise en vente de son appartement que ce dernier est en mesure de déceler son préjudice,
- le produit vendu à l'époque n'était pas une simple acquisition immobilière mais bien un investissement défiscalisant sur plusieurs années,
- il n'y a aucune corrélation entre la souscription d'un contrat d'assurance loyers impayés et la conscience du risque de faire une moins-value importante à l'issue du plan d'investissement mis en place par le professionnel,
- la simulation financière revêt une valeur contractuelle et caractérise un comportement dolosif de son auteur.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 30 mai 2024, la société Adomos, intimée, demandait à la cour, au visa des articles 2224 et suivants du code civil, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 mai 2023,
En conséquence,
- condamner M. et Mme [O] à payer à la société Adomos la somme de 6000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner enfin au paiement des entiers dépens.
À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :
- les fautes reprochées à la société Adomos pour manquement à son obligation d'information et de conseil pour surestimation de la valeur vénale du bien immobilier sont antérieures à la date d'acquisition du bien et le préjudice allégué consiste en une perte de chance de ne pas contracter l'investissement qui se manifeste dès la signature du contrat de vente, qui constitue le point de départ ultime de la prescription,
- les acquéreurs ne démontrent pas qu'ils étaient dans l'impossibilité de se renseigner sur la valeur des biens au moment de la cession,
- ils avaient dès lors connaissance de la nature spéculative de l'opération et de l'évolution du marché immobilier et pouvaient comparer le prix de vente avec celui du marché,
- les acquéreurs allèguent un défaut de rentabilité survenu depuis 2012 en raison de l'écart entre le montant des loyers perçus et inférieurs aux prévisions, et le paiement annuel des charges et de la taxe d'habitation,
- cet écart aurait dû les inciter dès 2012 à se renseigner sur la valeur de leur bien, ce qui était aisé à faire,
- la notion de perte à la revente ne peut être dissociée de celle du prix d'achat, puisqu'elle se mesure à l'aune du prix d'achat et de revente,
- le prix de revente résulte de l'état du marché lors de la remise en vente et du moment choisi par l'acquéreur pour cette remise en vente,
- le prix de revente est soumis à un aléa qui caractérise l'acte d'investissement entrepris par les acquéreurs,
- l'éventuel défaut de rentabilité, constaté à la revente, ne pourrait être imputé à l'agent immobilier qu'à l'aune d'une évaluation du prix lors de l'achat.
La déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier à la Sccv Chateau Madron, intimée, le 14 septembre 2023, selon les formalités prévues à l'article 658 du code de procédure civile. Cette partie n'a pas constitué avocat.
Par acte d'huissier du 23 septembre 2024, la Selarl Argos, prise en la personne de Maître [M] [L] en qualité de mandataire judiciaire de la société Adomos, a été assignée en intervention forcée, par remise à personne habilitée. La Selarl Argos n'a pas constitué avocat.
Par acte d'huissier du 23 septembre 2024, la Scp [H] Bouton, prise en la personne de Maître [F] [H], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Adomos, a été assignée en intervention forcée, par remise à personne habilitée. La Scp [H] Bouton n'a pas constitué avocat.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité de l'action en responsabilité dirigée contre la Sccv Chateau Madron et la société Adomos :
1. En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort de l'assignation figurant au dossier de première instance que M. et Mme [O] ont sollicité devant le premier juge l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société Adomos pour manquement à ses obligations d'information et de conseil et manoeuvres dolosives les ayant convaincus de souscrire une opération risquée et non rentable, ainsi que celle de la Sccv Chateau Madron qui aurait mandaté la société Adomos en lui confiant une mission de commercialisation des lots et serait responsable des fautes commises par elle.
Ils fondent leur action sur l'article 1382 ancien du code civil et l'article L.121-23 ancien du code de la consommation selon lequel les opérations de démarchage doivent faire l'objet d'un contrat remis au client qui doit comporter à peine de nullité plusieurs mentions, dont la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens et services proposés.
Ils soutiennent que la société Adomos a sciemment présenté de manière flatteuse un investissement dont la rentabilité était douteuse, ne les a pas informés de tous les tenants et aboutissants de l'opération, dont le fait que le prix de vente englobait en réalité tous les frais de vente et ne pourrait pas être compensé lors de la revente, ni ne les a mis en garde contre le risque de perte à la revente lié aux ventes concomitantes à venir à l'issue de l'opération de défiscalisation. Ils soutiennent enfin qu'elle a commis des manoeuvres afin de les tromper sur la valeur du bien tant lors de la vente initiale que lors d'une éventuelle revente.
Ils allèguent avoir subi un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, lui-même composé des préjudices suivants :
- la différence entre le prix de vente du bien et sa valeur actuelle ainsi que la plus-value promise qui n'a pas eu lieu,
- un préjudice tenant à la perception de loyers moindres que ceux annoncés dans la simulation de 2012 à 2020,
- un préjudice tenant au paiement de fonds supplémentaires relatifs aux charges et taxes foncières de 2012 à 2020,
outre un préjudice moral.
Il ne peut être statué, au stade de l'analyse de la recevabilité de l'action, sur l'obligation d'information relativement à la valeur du bien vendu qui pèserait sur le vendeur ou sur l'existence d'un devoir de l'acquéreur de s'informer sur la valeur réelle du bien en vente, ni sur le caractère certain ou seulement éventuel du préjudice allégué par le demandeur, l'étude de ces points relevant de l'analyse du bien-fondé de l'action, et de l'existence d'une faute et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué.
2. S'agissant d'une action en responsabilité civile, le délai de prescription commence à courir au jour où le demandeur a eu connaissance du dommage dont il se prétend victime et devant s'entendre comme comprenant tous les éléments propres à en demander la réparation à savoir également le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur (Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527).
Le régime de défiscalisation dit 'Scellier', issu de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et figurant à l'article 199 septvicies du code général des impôts permet d'opérer une réduction d'impôt sur le revenu calculée sur le prix de revient du logement. Son taux est de 8 à 25 % selon le type de logement et l'année d'acquisition ou de construction, et son bénéfice est conditionné à la location du logement nu pendant au moins neuf années.
Il en résulte que les variables fondamentales dans le cadre de ce mécanisme d'optimisation fiscale sont d'une part le prix d'acquisition du bien immobilier, qui détermine le montant de la réduction d'impôt sur le revenu, et la mise en location qui, à la fois, conditionne le bénéfice de la réduction d'impôt mais également complète le gain fiscal réalisé par l'acquéreur afin, notamment, de financer le remboursement du crédit immobilier souscrit pour le paiement du prix d'acquisition.
Au regard des circonstances de la cause, et compte tenu de la nature de l'opération à laquelle les intimés ont prêté leur concours, à savoir une opération dont l'opportunité ne s'apprécie que sur le long terme, il convient, pour fixer le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre les promoteur et le commercialisateur, de rechercher la date à laquelle les acquéreurs ont pu avoir, concrètement, connaissance du préjudice allégué.
En l'espèce, selon acte authentique du 11 mars 2011, M. et Mme [O] ont acquis de la société Sccv Chateau Madron, promoteur-vendeur, après contrat de réservation, en l'état futur d'achèvement, un appartement de type T1 destiné à la location en vue d'une défiscalisation selon la loi Scellier, sans apport personnel, le prix d'acquisition étant intégralement financé par prêt bancaire.
Cette opération d'acquisition est intervenue dans le cadre d'une vente « acte en mains», après intervention de la société Adomos, sur la base tant d'une plaquette de présentation élaborée par le promoteur-vendeur que sur la base d'une étude personnalisée chiffrant les potentiels revenus locatifs, les gains fiscaux, l'épargne constituée, et l'évolution de la valeur du bien au cours du processus de défiscalisation, ainsi que les résultats positifs potentiels de l'investissement.
M. et Mme [O] se prévalent devant la cour d'un avis de valeur de leur bien réalisé le 29 septembre 2021, qui fait état d'une baisse de 38%.
Or, tel que cela ressort de la simulation produite aux débats, l'acquisition immobilière est considérée comme un placement idéal, mêlé à un objectif de défiscalisation, certes, mais constituant un des motifs de réalisation de l'investissement. En effet, au-delà de la recherche de bénéfices fiscaux, l'acquéreur qui opte pour un dispositif fiscal fondé sur une acquisition immobilière se constitue un patrimoine immobilier source de revenus constitués par des loyers.
S'agissant d'un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, compte tenu de la surévaluation de l'estimation du prix de revente du bien et des loyers ainsi que de la sous-estimation des charges réelles engendrées par ledit bien, le dommage lié aux manquements potentiels des intervenants est né au jour de la vente. Néanmoins celui-ci n'est révélé à l'acquéreur que postérieurement, lors de la survenance d'évènements significatifs lui permettant de prendre conscience de la rentabilité réelle de l'opération.
En l'absence de possibilité de revente du bien avant l'issue du processus de défiscalisation, sauf à perdre le bénéfice du dispositif fiscal, la date à laquelle M. et Mme [O] disposaient de toutes les informations leur permettant d'agir en intégrant le prix de revente se situe donc au terme de l'engagement de location, soit 9 ans à compter de la première mise en location. Il est constant qu'en l'espèce celle-ci est intervenue en septembre 2012, après une livraison du bien en juillet 2012, de sorte que le point de départ du délai de prescription de leur action doit être fixé en septembre 2021.
Au regard des assignations délivrées par actes des 15 et 16 mars 2022 à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la société Adomos, l'action n'est pas prescrite.
L'ordonnance rendue le 11 mai 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse sera en conséquence infirmée.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
3. L'ordonnance dont appel sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
Il conviendra de fixer au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Adomos la somme équivalente aux dépens de l'incident de première instance et d'appel, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par M. et Mme [O].
La société Adomos sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par mise à disposition, par défaut et en dernier ressort,
Infirme, en toutes ses dispositions dévolues à la cour, l'ordonnance rendue le 11 mai 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en responsabilité formée par M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la société Adomos.
Fixe au passif de la procédure collective de la Sa Adomos la somme équivalente aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel, ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O].
Déboute la société Adomos de sa demande sur le même fondement.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
.
ARRÊT N° 25/ 353
N° RG 23/02829
N° Portalis DBVI-V-B7H-PT5X
MD - SC
Décision déférée du 11 Mai 2023
TJ de [Localité 12] - 22/01274
V. TAVERNIER
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 24/09/2025
à
Me Nicolas DALMAYRAC
Me Nicolas MATHE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTS
Madame [Z] [C] épouse [O]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Monsieur [P] [O]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentés par Me Nicolas DALMAYRAC de la SCP CAMILLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représentés par Me Ghislaine BETTON de la SARL PIVOINE SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON (plaidant)
INTIMEES
S.A. ADOMOS
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Nicolas MATHE de la SELARL LCM AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
Représentée par Me Denis DELCOURT POUDENX de la SELEURL DDP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
SCCV CHATEAU MADRON
[Adresse 1]
[Localité 3]
Sans avocat constitué
PARTIES INTERVENANTES FORCEES
S.C.P. [H] BOUTON, représentée par Maître [F] [H]
en qualité d'administrateur judiciaire de la société ADOMOS
[Adresse 4]
[Localité 7]
Sans avocat constitué
S.E.L.A.R.L. ARGOS, représentée par Maître [M] [L]
en qualité de mandataire judiciaire de la société ADOMOS
[Adresse 2]
[Localité 9]
Sans avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 mai 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
A.M ROBERT, conseillère
N. ASSELAIN, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- PAR DEFAUT
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société civile de construction vente (Sccv) Chateau Madron a été créée en vue de la réalisation d'une promotion immobilière sur [Adresse 13] sous le nom de [Adresse 11], s'agissant d'une résidence étudiante éligible aux dispositifs fiscaux dits 'Scellier'.
La commercialisation de cette opération a été réalisée par diverses sociétés ou conseillers indépendants, dont la Sa Adomos, laquelle exerce notamment une activité de transactions sur immeubles et commercialisation d'opérations immobilières.
Le 23 novembre 2010, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont conclu un contrat préliminaire de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un studio de cette résidence, sans emplacement de parking, pour le prix de 106 218 euros.
Par acte authentique du 11 mars 2011, M. et Mme [O] ont procédé à l'achat définitif d'un appartement de type T1, achat dont le financement a été assuré par la souscription d'un emprunt auprès du Crédit foncier de France à hauteur de 111 529 euros.
Le bien a été livré le 4 juillet 2012 et le premier locataire est entré dans les lieux en septembre 2012.
Ce bien a été estimé le 29 septembre 2021 par l'agence Adl immobilier, pour une valeur comprise entre 63 700 et 65 520 euros.
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Par actes d'huissier des 15 et 16 mars 2022, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Toulouse la Sccv Chateau Madron et la société Adomos aux fins de condamnation à les indemniser des préjudices subis.
Par conclusions d'incident, la société Adomos a soulevé l'irrecevabilité de l'action de M. et Mme [O] pour cause de prescription.
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Par ordonnance du 11 mai 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse a :
- déclaré irrecevable car prescrite l'action en dommages et intérêts de M. [P] et Mme [Z] [O] à l'encontre de la société Adomos et de la société Chateau Madron et fondée tant sur un manquement contractuel que sur l'existence d'un dol, à l'exception, sur le fondement du dol des demandes portant sur les loyers et les taxes d'habitation des cinq dernières années,
- renvoyé le présent dossier à l'audience de mise en état électronique du 14 septembre 2023 à 8h30 et fait injonction à M. [P] et Mme [Z] [O] de conclure au fond,
- réservé les frais irrépétibles et les dépens.
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Par déclaration du 1er août 2023, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] ont relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable car prescrite leur action en dommages et intérêts à l'encontre de la société Adomos et de la société Chateau Madron et fondée tant sur un manquement contractuel que sur l'existence d'un dol.
Par jugement du 13 juin 2024, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Adomos et désigné en qualité d'administrateur chargé d'une mission d'assistance la Scp [H] Bouton (Solve) prise en la personne de Maître [F] [H] et en qualité de mandataire judiciaire la société Argos prise en la personne de Maître [M] [L].
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 24 mai 2025, M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 9, 122, 700 et 789 du code de procédure civile, 1144 et 2224 du code civil de:
- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 mai 2023,
- infirmer l'ordonnance critiquée, en ce qu'elle a jugé leurs demandes irrecevables comme prescrites,
- infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle les a condamnés à payer les dépens,
Statuant de nouveau,
- juger qu'ils n'ont été en mesure de découvrir leurs préjudices que le 29 septembre 2021, date à laquelle ils ont été informés de la perte de valeur de leur bien, ou au plus tard, le 2 juillet 2021, date de la fin de leur obligation,
- juger recevable comme non prescrite leur action en responsabilité,
- débouter la société Adomos et la Sccv Chateau Madron de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamner la Sccv Chateau Madron à leur payer la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance,
- fixer leur créance au titre des frais irrépétibles au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Adomos à la somme de 3.000 € et celle des entiers dépens de l'instance.
À l'appui de leurs prétentions, les appelant soutiennent que :
- en matière de dol et, en vertu de l'article 1144 du code civil, le délai de prescription de l'action en nullité a pour point de départ le jour de découverte de l'erreur, et la date à laquelle la victime a eu connaissance de son préjudice,
- en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, la charge de la preuve doit être supportée par celui qui invoque la prescription de l'action,
- en cas de manquement à l'obligation d'information et de conseil, le point de départ du délai de prescription de l'action est le jour où s'est manifesté le dommage, qui ne peut résulter que de faits susceptibles de révéler à l'acquéreur l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat,
- la Cour de cassation a fixé le point de départ du délai de prescription à compter de la fin du dispositif Scellier,
- la valeur de revente promise par le professionnel lors de la simulation ne peut se vérifier qu'à l'issue du dispositif fiscal, intervenu 9 ans après l'acquisition, et le délai de prescription de l'action ne commence à courir qu'à l'issue de cette période,
- il ne peut être fait reproche aux acquéreurs de ne pas s'être renseignés eux-mêmes avant la vente,
- le devoir de vigilance de l'acquéreur s'apprécie au regard de sa qualité de profane, a fortiori lorsqu'il a été démarché par un commercial se présentant comme un spécialiste en gestion de patrimoine,
- même en disposant d'une information complète quant au prix moyen du mètre carré, à l'achat comme à la revente, l'acquéreur ne pouvait raisonnablement pas prévoir la possibilité d'une moins-value de près de la moitié du prix de cession promis,
- lors de la vente, le prix payé au mètre carré n'avait rien d'anormal,
- la perte de valeur à la revente n'a jamais été annoncée ni envisagée lors du montage de l'opération alors que le commercialisateur était débiteur d'une telle information,
- c'est seulement à la fin du dispositif Scellier, date à laquelle l'investisseur entreprend des démarches en vue de la mise en vente de son appartement que ce dernier est en mesure de déceler son préjudice,
- le produit vendu à l'époque n'était pas une simple acquisition immobilière mais bien un investissement défiscalisant sur plusieurs années,
- il n'y a aucune corrélation entre la souscription d'un contrat d'assurance loyers impayés et la conscience du risque de faire une moins-value importante à l'issue du plan d'investissement mis en place par le professionnel,
- la simulation financière revêt une valeur contractuelle et caractérise un comportement dolosif de son auteur.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 30 mai 2024, la société Adomos, intimée, demandait à la cour, au visa des articles 2224 et suivants du code civil, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 mai 2023,
En conséquence,
- condamner M. et Mme [O] à payer à la société Adomos la somme de 6000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner enfin au paiement des entiers dépens.
À l'appui de ses prétentions, l'intimée soutient que :
- les fautes reprochées à la société Adomos pour manquement à son obligation d'information et de conseil pour surestimation de la valeur vénale du bien immobilier sont antérieures à la date d'acquisition du bien et le préjudice allégué consiste en une perte de chance de ne pas contracter l'investissement qui se manifeste dès la signature du contrat de vente, qui constitue le point de départ ultime de la prescription,
- les acquéreurs ne démontrent pas qu'ils étaient dans l'impossibilité de se renseigner sur la valeur des biens au moment de la cession,
- ils avaient dès lors connaissance de la nature spéculative de l'opération et de l'évolution du marché immobilier et pouvaient comparer le prix de vente avec celui du marché,
- les acquéreurs allèguent un défaut de rentabilité survenu depuis 2012 en raison de l'écart entre le montant des loyers perçus et inférieurs aux prévisions, et le paiement annuel des charges et de la taxe d'habitation,
- cet écart aurait dû les inciter dès 2012 à se renseigner sur la valeur de leur bien, ce qui était aisé à faire,
- la notion de perte à la revente ne peut être dissociée de celle du prix d'achat, puisqu'elle se mesure à l'aune du prix d'achat et de revente,
- le prix de revente résulte de l'état du marché lors de la remise en vente et du moment choisi par l'acquéreur pour cette remise en vente,
- le prix de revente est soumis à un aléa qui caractérise l'acte d'investissement entrepris par les acquéreurs,
- l'éventuel défaut de rentabilité, constaté à la revente, ne pourrait être imputé à l'agent immobilier qu'à l'aune d'une évaluation du prix lors de l'achat.
La déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier à la Sccv Chateau Madron, intimée, le 14 septembre 2023, selon les formalités prévues à l'article 658 du code de procédure civile. Cette partie n'a pas constitué avocat.
Par acte d'huissier du 23 septembre 2024, la Selarl Argos, prise en la personne de Maître [M] [L] en qualité de mandataire judiciaire de la société Adomos, a été assignée en intervention forcée, par remise à personne habilitée. La Selarl Argos n'a pas constitué avocat.
Par acte d'huissier du 23 septembre 2024, la Scp [H] Bouton, prise en la personne de Maître [F] [H], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Adomos, a été assignée en intervention forcée, par remise à personne habilitée. La Scp [H] Bouton n'a pas constitué avocat.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité de l'action en responsabilité dirigée contre la Sccv Chateau Madron et la société Adomos :
1. En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort de l'assignation figurant au dossier de première instance que M. et Mme [O] ont sollicité devant le premier juge l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société Adomos pour manquement à ses obligations d'information et de conseil et manoeuvres dolosives les ayant convaincus de souscrire une opération risquée et non rentable, ainsi que celle de la Sccv Chateau Madron qui aurait mandaté la société Adomos en lui confiant une mission de commercialisation des lots et serait responsable des fautes commises par elle.
Ils fondent leur action sur l'article 1382 ancien du code civil et l'article L.121-23 ancien du code de la consommation selon lequel les opérations de démarchage doivent faire l'objet d'un contrat remis au client qui doit comporter à peine de nullité plusieurs mentions, dont la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens et services proposés.
Ils soutiennent que la société Adomos a sciemment présenté de manière flatteuse un investissement dont la rentabilité était douteuse, ne les a pas informés de tous les tenants et aboutissants de l'opération, dont le fait que le prix de vente englobait en réalité tous les frais de vente et ne pourrait pas être compensé lors de la revente, ni ne les a mis en garde contre le risque de perte à la revente lié aux ventes concomitantes à venir à l'issue de l'opération de défiscalisation. Ils soutiennent enfin qu'elle a commis des manoeuvres afin de les tromper sur la valeur du bien tant lors de la vente initiale que lors d'une éventuelle revente.
Ils allèguent avoir subi un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, lui-même composé des préjudices suivants :
- la différence entre le prix de vente du bien et sa valeur actuelle ainsi que la plus-value promise qui n'a pas eu lieu,
- un préjudice tenant à la perception de loyers moindres que ceux annoncés dans la simulation de 2012 à 2020,
- un préjudice tenant au paiement de fonds supplémentaires relatifs aux charges et taxes foncières de 2012 à 2020,
outre un préjudice moral.
Il ne peut être statué, au stade de l'analyse de la recevabilité de l'action, sur l'obligation d'information relativement à la valeur du bien vendu qui pèserait sur le vendeur ou sur l'existence d'un devoir de l'acquéreur de s'informer sur la valeur réelle du bien en vente, ni sur le caractère certain ou seulement éventuel du préjudice allégué par le demandeur, l'étude de ces points relevant de l'analyse du bien-fondé de l'action, et de l'existence d'une faute et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué.
2. S'agissant d'une action en responsabilité civile, le délai de prescription commence à courir au jour où le demandeur a eu connaissance du dommage dont il se prétend victime et devant s'entendre comme comprenant tous les éléments propres à en demander la réparation à savoir également le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur (Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527).
Le régime de défiscalisation dit 'Scellier', issu de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et figurant à l'article 199 septvicies du code général des impôts permet d'opérer une réduction d'impôt sur le revenu calculée sur le prix de revient du logement. Son taux est de 8 à 25 % selon le type de logement et l'année d'acquisition ou de construction, et son bénéfice est conditionné à la location du logement nu pendant au moins neuf années.
Il en résulte que les variables fondamentales dans le cadre de ce mécanisme d'optimisation fiscale sont d'une part le prix d'acquisition du bien immobilier, qui détermine le montant de la réduction d'impôt sur le revenu, et la mise en location qui, à la fois, conditionne le bénéfice de la réduction d'impôt mais également complète le gain fiscal réalisé par l'acquéreur afin, notamment, de financer le remboursement du crédit immobilier souscrit pour le paiement du prix d'acquisition.
Au regard des circonstances de la cause, et compte tenu de la nature de l'opération à laquelle les intimés ont prêté leur concours, à savoir une opération dont l'opportunité ne s'apprécie que sur le long terme, il convient, pour fixer le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre les promoteur et le commercialisateur, de rechercher la date à laquelle les acquéreurs ont pu avoir, concrètement, connaissance du préjudice allégué.
En l'espèce, selon acte authentique du 11 mars 2011, M. et Mme [O] ont acquis de la société Sccv Chateau Madron, promoteur-vendeur, après contrat de réservation, en l'état futur d'achèvement, un appartement de type T1 destiné à la location en vue d'une défiscalisation selon la loi Scellier, sans apport personnel, le prix d'acquisition étant intégralement financé par prêt bancaire.
Cette opération d'acquisition est intervenue dans le cadre d'une vente « acte en mains», après intervention de la société Adomos, sur la base tant d'une plaquette de présentation élaborée par le promoteur-vendeur que sur la base d'une étude personnalisée chiffrant les potentiels revenus locatifs, les gains fiscaux, l'épargne constituée, et l'évolution de la valeur du bien au cours du processus de défiscalisation, ainsi que les résultats positifs potentiels de l'investissement.
M. et Mme [O] se prévalent devant la cour d'un avis de valeur de leur bien réalisé le 29 septembre 2021, qui fait état d'une baisse de 38%.
Or, tel que cela ressort de la simulation produite aux débats, l'acquisition immobilière est considérée comme un placement idéal, mêlé à un objectif de défiscalisation, certes, mais constituant un des motifs de réalisation de l'investissement. En effet, au-delà de la recherche de bénéfices fiscaux, l'acquéreur qui opte pour un dispositif fiscal fondé sur une acquisition immobilière se constitue un patrimoine immobilier source de revenus constitués par des loyers.
S'agissant d'un préjudice de perte de chance de faire un investissement plus rentable, compte tenu de la surévaluation de l'estimation du prix de revente du bien et des loyers ainsi que de la sous-estimation des charges réelles engendrées par ledit bien, le dommage lié aux manquements potentiels des intervenants est né au jour de la vente. Néanmoins celui-ci n'est révélé à l'acquéreur que postérieurement, lors de la survenance d'évènements significatifs lui permettant de prendre conscience de la rentabilité réelle de l'opération.
En l'absence de possibilité de revente du bien avant l'issue du processus de défiscalisation, sauf à perdre le bénéfice du dispositif fiscal, la date à laquelle M. et Mme [O] disposaient de toutes les informations leur permettant d'agir en intégrant le prix de revente se situe donc au terme de l'engagement de location, soit 9 ans à compter de la première mise en location. Il est constant qu'en l'espèce celle-ci est intervenue en septembre 2012, après une livraison du bien en juillet 2012, de sorte que le point de départ du délai de prescription de leur action doit être fixé en septembre 2021.
Au regard des assignations délivrées par actes des 15 et 16 mars 2022 à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la société Adomos, l'action n'est pas prescrite.
L'ordonnance rendue le 11 mai 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse sera en conséquence infirmée.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
3. L'ordonnance dont appel sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
Il conviendra de fixer au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Adomos la somme équivalente aux dépens de l'incident de première instance et d'appel, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par M. et Mme [O].
La société Adomos sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par mise à disposition, par défaut et en dernier ressort,
Infirme, en toutes ses dispositions dévolues à la cour, l'ordonnance rendue le 11 mai 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en responsabilité formée par M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O] à l'encontre de la Sccv Chateau Madron et la société Adomos.
Fixe au passif de la procédure collective de la Sa Adomos la somme équivalente aux dépens de l'incident de première instance et aux dépens d'appel, ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par M. [P] [O] et Mme [Z] [C] épouse [O].
Déboute la société Adomos de sa demande sur le même fondement.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
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