CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 25 septembre 2025, n° 24/04320
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[I]
C/
Association FONDATION SAVART MOUZET
copie exécutoire
le 25 septembre 2025
à
Me MARRAS
Me FABING
CBO/IL/CB
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
*************************************************************
N° RG 24/04320 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JGXM
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 24 SEPTEMBRE 2024 (référence dossier N° RG 23/00063)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [N] [I]
né le 11 Mai 1962 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté, concluant et plaidant par Me Giuseppina MARRAS de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau D'AMIENS
ET :
INTIMEE
Association FONDATION SAVART MOUZET
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
DEBATS :
A l'audience publique du 26 juin 2025, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 25 septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 25 septembre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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* *
DECISION :
M. [I], né le 11 mai 1962, a été embauché à compter du 30 juin 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par l'association Fondation Savart Mouzet ci-après dénommée l'association ou l'employeur, en qualité d'agent technique chauffeur.
L'association Fondation Savart Mouzet emploie plus de 10 salariés.
La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.
Le 7 juillet 2022, M. [I] s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 8 juillet 2022, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 20 juillet 2022.
Le 25 juillet 2022, il a été licencié pour faute grave, par lettre ainsi libellée :
« Monsieur,
Nous vous avons convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement le mercredi 20 juillet 2022 à 10H00 à l'ESAT « [Adresse 7] » auquel vous vous êtes présenté seul et au cours duquel vous avez été reçu par Monsieur [D] [V], Directeur de l'ESAT « [Adresse 7] » concernant des faits qui vous sont reprochés dans le cadre de l'exercice de vos fonctions.
Nous vous avons rappelé les faits qui vous sont reprochés et qui devaient être abordés avec vous.
Ceux-ci concernent :
Votre oubli d'une adulte du CAJ « L'Horizon » de [Localité 6] âgée de 59 ans, présentant une déficience intellectuelle sévère, dans un véhicule transport en commun que vous avez garé et stationné pour la nuit dans le garage du FOA « Des Prés Verts'» situé au [Adresse 4] le 6 juillet 2022 à 18H15. Vous aviez la charge en qualité d'agent technique/chauffeur l'adulte du CAJ, comme depuis de nombreuses années pour le transport entre l'établissement et son domicile familial, et pour ce jour-là entre 16H45 (heure du départ du transport de l'ESAT) et 17H50 (heure approximative de dépose de cette adulte à son domicile familial où elle vit avec sa mère de 78 ans).
La non désinfection du véhicule transport en commun concerné par l'incident avec le matériel adéquat (compresseur), véhicule qu'il vous incombe de désinfecter systématiquement après chaque transport comme le précise le protocole sanitaire mis en place pour le COVID-19 à l'ESAT et au FOA/CAJ, ceci, depuis le début de la pandémie en 2020.
Alerté par la mère de l'usager au FOA appelant l'équipe éducative du FOA/CAJ vers 19H10 sur l'absence de sa fille à son domicile, l'équipe éducative vous a contacté immédiatement afin de savoir où se trouvait l'adulte qui vous a été confié à 16H45 au départ de l'ESAT.
Vous avez confirmé que vous ne l'aviez pas déposée à son domicile et demandé à l'éducatrice de se rendre au garage fermé du FOA pour vérifier de sa présence dans le véhicule.
Effectivement, l'usager était toujours à la même place (avant dernier siège) avec son gilet et sa casquette, une fenêtre du véhicule étant ouverte, la température extérieure était de 25 degrés tout de même et certainement supérieure dans le véhicule.
Elle est restée enfermée dans le véhicule garé dans le garage fermé, environ 1 heure. Pour explications, vous avez justifié le fait d'avoir transporté les dernières fois lors de vos transports et en dernières semaines courant juin, une stagiaire (en fait une jeune travailleuse handicapée nouvellement admise à l'ESAT) et que celle-ci était déposée en dernier parmi tous les adultes.
Pour vous, cette travailleuse n'étant pas présente ce jour-là, et sur la base de « ce repère », vous aviez donc terminé votre transport après avoir déposé le dernier travailleur de l'ESAT.
Vous dites également vous être retourné dans le véhicule.
Vous dites avoir regardé dans le rétroviseur et n'avoir rien constaté.
De ce fait, vous êtes rentré au FOA pensant que votre travail était terminé et qu'aucun adulte n'était présent dans le véhicule pour vous.
Vous évoquez également qu'après avoir déposé le dernier adulte présent dans votre véhicule, vous ressentez de décompresser à ce moment-là et que pour vous, le travail est terminé.
Arrivé au FOA, vous avez garé le véhicule dans le garage, avait rempli le carnet de bord dans le véhicule et avait échangé à la suite avec votre collègue chauffeur du FOA.
Vous déclarez avoir senti une mauvaise odeur dans le véhicule (peut-être la recharge de climatisation qui venait d'être remise par le garage ' d'après-vous) et vous avez décidé de laisser une(des) fenêtres ouvertes pour l'odeur et de surcroit, de ne pas désinfecter de ce fait le véhicule comme vous deviez le faire.
Vous en auriez échangé avec le collègue chauffeur du FOA pour lui dire que vous ne désinfectez pas.
Vous avez fermé le garage et vous avez quitté le lieu de travail à la suite.
Comme échangé avec vous, la situation de la stagiaire à laquelle vous faites référence, nouvelle admise T.H à l'ESAT s'est faite et ne se faisait plus depuis le 1er juillet 2022 ; c'était bien une « situation provisoire» (comme il en arrive régulièrement à l'ESAT dans les transports et ce, depuis votre arrivée en 2008 avec le transport de stagiaires, des essais T.H ... ). Cette situation a d'ailleurs évolué avec le lieu de résidence de cette nouvelle adulte qui n'est donc plus dans ce transport.
En réponse à cet élément avancé, cela ne vient en rien perturber la tournée transport que vous faisiez car pour rappel, l'usager du CAJ qui a été victime de votre négligence est déposée dans la tournée, traditionnellement, en dernière position parmi tous les adultes à son domicile.
Dans le cas présent, vous avez déposé l'avant dernier travailleur (comme habituellement) mais ce jour-là, sans vous rappeler de l'usager du CAJ.
Vous l'avez complètement omis.
C'est un fonctionnement que vous connaissez depuis longtemps, et votre argument n'est pas recevable.
De plus, nous vous avons rappelé en entretien, que vous faites monter individuellement dans votre véhicule chaque adulte avant votre départ de l'ESAT. Tous les adultes passent devant vous car les travailleurs handicapés de l'ESAT reçoivent un nouveau masque et ont les mains désinfectées par vos soins.
L'usager du CAJ est donc passée forcément devant vous en montant dans votre véhicule.
Vous avez d'ailleurs reconnu ce fait durant notre entretien et avoir bien vu l'adulte du CAJ.
Dans le protocole de travail des chauffeurs, il est clairement rappelé que vous vous devez de vous assurer également que tous les adultes sont ceinturés convenablement et prêts au départ en ayant une vigilance scrupuleuse sur tous les adultes. Elle ne pouvait donc échapper à votre surveillance avant le départ.
Vous indiquez en entretien également avoir regardé dans le véhicule (en vous retournant et au rétroviseur) après la descente de votre véhicule du dernier travailleur handicapé de l'ESAT et donc dernier transporté ce jour-là pour vous.
Comme il vous l'a été dit dans notre échange, force est de constater que votre observation de savoir si aucune personne n'était dans le véhicule n'a pas été suffisante ou même faite.
Nous pouvons en douter.
Dans tous les cas, votre vérification dans le véhicule avant votre retour vers le FOA n'a pas été suffisante et réalisée correctement.
De plus, pour rappel, vous avez eu le temps lors du retour trajet de [Localité 5] au FOA de [Localité 6] avec l'adulte présente dans votre véhicule (environ 20/25 minutes de trajet, mais aussi pendant le temps de vous garer, le temps de remplir vos papiers dans le véhicule etc.) de vous en rendre compte.
Or, vous n'avez rien vu, ni entendu durant tout ce temps avant de quitter le véhicule et le garage du FOA.
Vous déclarez concernant l'usager du CAJ dans votre véhicule : elle dormait peut-être.
Vous n'en savez rien, vous ne l'avez pas vu, et personne ne pourra l'affirmer.
Arrivé au FOA, vous décidez de laisser la(les) fenêtre(s) ouverte(s) du véhicule et de ne pas désinfecter celui-ci sur votre propre décision, en raison de la mauvaise odeur à l'intérieur.
Interrogé par M. [X], le Directeur du FOA/CAJ, votre collègue chauffeur du FOA/CAJ n'a aucun souvenir de cela et a attesté simplement échanger oralement quelques minutes avec vous et ne pas savoir si vous avez désinfecté votre véhicule. En tous cas, il ne vous a pas vu faire, ni entendu le faire (bruit du compresseur).
Interrogée par M. [X], le Directeur du FOA/CAJ, une autre collègue éducatrice sportive du FOA/CAJ, qui était en train de faire pratiquer du vélo à des résidents du FOA juste à proximité du garage (quelques mètres) atteste également ne pas savoir si vous l'avez fait. Elle ne vous a pas vu faire et elle n'a rien entendu non plus (bruit du compresseur).
Or, si vous l'aviez fait, il est incontestable, comme échangé lors de notre entretien, à supposer que vous montiez bien dans le transport pour pulvériser le produit désinfectant, que vous auriez vu à ce moment-là l'adulte du CAJ assise sur son siège.
Concernant le fait d'en avoir échangé sur la non-désinfection du véhicule à votre collègue (bien que lui ne s'en souvienne pas), peu importe. En effet, l'argument n'est pas recevable car il vous a été rappelé et vous le savez, durant notre échange, que ce type d'initiative et de décision relève uniquement du rôle et du champ de la hiérarchie d'accepter ou pas une modification d'un protocole sanitaire mis en place et à respecter scrupuleusement par rapport au COVID-19.
Or, là, comme vous le savez, M. [X], le directeur du FOA/CAJ était présent dans l'établissement jusque 19H. Vous le connaissez, vous connaissez sa disponibilité et savez l'alerter au besoin depuis des années. Or, ce soir-là, fait supplémentaire, vous n'avez pas ramené votre pochette chauffeur (papiers/clef du véhicule) dans le bureau éducatif du FOA/CAJ comme il se doit et l'avait confié à votre collègue chauffeur du FOA/CAJ pour qu'il le fasse à votre place.
Vous n'êtes pas rentré dans le FOA et avait récupéré votre voiture pour partir aussitôt.
Nous constatons bien que cet événement d'odeur dans ce véhicule et sa non-désinfection pour le COVID 19 n'a fait l'objet pour vous ni d'un caractère d'urgence, ni de demande à faire auprès de votre hiérarchie pour autorisation, comme il se doit.
Ce qui est aussi un comportement inadmissible et anormal et là encore relève d'un comportement non professionnel.
Enfin, vous avez évoqué un phénomène de « décompression » que vous ressentez à la descente du dernier adulte du véhicule.
Là encore, nous ne pouvons que contredire cette argumentation car votre travail se termine comme le prévoit les horaires à 18H 15, après la désinfection, la fermeture du véhicule et du garage et le dépôt par vos soins, de votre pochette chauffeur au bureau éducatif du FOA/CAJ, comme il se doit.
Enfin, comme vous le savez, la mère de l'intéressée a clairement exprimé avoir eu peur que sa fille soit enlevée devant son domicile et a très mal vécu votre négligence dans le travail qui est clairement inacceptable dans le cadre de votre fonction. De la colère et des pleurs ont été exprimés au téléphone auprès du Directeur du FOA/CAJ, Monsieur [V] et Madame a demandé si le chauffeur allait être reçu par la Direction pour cet événement qu'elle qualifie de très grave.
A la suite de vos arguments et de notre entretien, nous ne pouvons que constater que vous avez fait preuve d'une faute grave aux règles élémentaires de vigilance et de prise en charge des personnes vulnérables qui vous sont confiées.
Compte- tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le non-respect de votre obligation de sécurité liée à votre poste d'agent technique/chauffeur., votre maintien au sein de la fondation est impossible.
Nous vous notifions votre licenciement pour faute grave qui prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date d'envoi de la présente, soit le 25 juillet 2022, sans indemnité de préavis ni de licenciement. ['] ».
Contestant la légitimité et la régularité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon, par requête enregistrée au greffe le 17 mai 2023.
Par jugement du 24 septembre 2024, le conseil a :
- prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 5 décembre 2023;
- jugé le licenciement régulier en sa forme ;
- jugé que M. [I] avait commis deux fautes graves et qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral ;
- jugé le licenciement pour faute grave, notifié le 25 juillet 2022 à M. [I] fondé ;
- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. [I] aux entiers dépens de l'instance ;
- condamné M. [I] à payer à l'association Fondation Savart Mouzet la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [I], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 janvier 2025, demande à la cour de :
réformer le jugement en ce qu'il :
- a prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 5 décembre 2023;
- a jugé le licenciement régulier en sa forme ;
- a jugé qu'il avait commis deux fautes graves et qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral ;
- a jugé son licenciement pour faute grave, notifié le 25 juillet 2022 fondé ;
- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;
- l'a condamné aux entiers dépens de l'instance ;
- l'a condamné à payer à l'association Fondation Savart Mouzet la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
juger qu'il a été victime de harcèlement moral, ou à tout le moins de discrimination lié à son état de santé ;
condamner l'association Fondation Savart Mouzet à lui payer les sommes suivantes :
- 26 695,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 7 690,04 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 3 954,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 395,49 euros à titre de congés payés afférents ;
- 1 020,38 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire outre 102 euros de congés payés afférents ;
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral et de la discrimination ;
Y ajoutant ,
condamner l'association Fondation Savart Mouzet à lui payer les sommes suivantes :
- 1 944 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l'article 700 2° du code de procédure civile, sous réserve qu'il renonce à la perception de la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
- les entiers dépens ;
- les intérêts au taux légal à compter du licenciement pour les indemnités de rupture et de la date de la décision à intervenir pour le surplus ;
L'association Fondation Savart Mouzet, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 février 2025, demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
y ajoutant, condamner M. [I] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros à valoir sur les frais et honoraires à hauteur d'appel non compris dans lesdits dépens en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS
1/Sur l'exécution du contrat de travail
1-1 Sur le harcèlement moral
M. [I] argue avoir été victime de harcèlement moral exposant que l'employeur lui a imposé la réalisation de tâches contrevenant aux restrictions de la médecine du travail, qu'il ne devait utiliser ni la débrousailleuse ni la tronçonneuse, limiter au maximum la tondeuse tractée pouvant utiliser la tondeuse autotractée, que la fondation ne lui a pas fourni la matériel permettant la réalisation des travaux de jardinage alors qu'il avait dénoncé ses conditions de travail et que les travaux demandés n'avaient aucun caractère d'urgence.
La fondation objecte que le salarié ne produit pas d'élément précis et daté et circonstancié se contentant de vagues accusations, que le seul événement invoqué relatif à l'utilisation d'une tondeuse à main plutôt qu'autoportée n'est pas daté, que son utilisation n'était pas interdite mais limitée, que le salarié faisait état de conditions de travail agréables auprès de la médecine du travail. Elle expose produire des témoignages prouvant qu'elle respectait les restrictions médicales alors que jusqu'au licenciement M. [I] n'avait jamais émis de plainte sur ses conditions de travail sachant que les travaux difficiles étaient confiés à ses collègues et disposait de matériel spécifique pour les chargements et déchargements.
Sur ce,
Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.
Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [I] produit aux débats des photographies de matériel d'entretien d'espaces verts pris avec un appareil localisant le lieu de prises de vues à l'adresse du siège de l'établissement au sein duquel il travaillait. Cependant ces photos n'établissent pas le fait invoqué à savoir que la fondation lui aurait imposé la réalisation de tâches contrevenant aux restrictions de la médecine du travail.
Faute d'élément matériellement établi c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral.
1-2 Sur la discrimination
M. [I] soutient avoir été victime de discrimination au regard de son état de santé en lui confiant des tâches médicalement contre-indiquées, qu'il souffre de l'épaule droite depuis 2008 et le port de charges et la manutention d'outils tractés lui sont médicalement contre-indiqués.
La fondation conteste toute discrimination sans développer d'argumentaire spécifique.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [I] argue d'une discrimination à raison de son état de santé. Il ne verse pas de pièces hormis les photographies qui n'établissent pas un fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008. La cour confirmera le débouté de la demande de M. [I] au titre de la discrimination.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
2-1 Sur le licenciement
Sur la compétence du signataire de la lettre de licenciement
M. [I] conteste la qualité du signataire de la lettre de licenciement soutenant que la délégation de pouvoirs consentie par le président de la fondation au directeur général ne concerne ni le pouvoir disciplinaire ni le pouvoir de licencier.
La fondation fait valoir que les statuts n'accordent aucune compétence ou attribution au conseil d'administration ou au bureau et que le règlement intérieur permet au président de déléguer tout ou partie de ses fonctions, ce qu'il a fait en déléguant l'ensemble des obligations résultant des relations employeur-salariés au directeur général qui avait toute compétence pour procéder à un licenciement.
Sur ce,
En l'absence de disposition statutaire contraire attribuant cette compétence à un autre organe, il entre dans les attributions du président d'une association de mettre en oeuvre la procédure de licenciement (et donc de signer la lettre de licenciement).
Lorsque, selon les statuts de l'association, le président recrute, nomme, licencie et assure la gestion et le pouvoir disciplinaire du personnel salarié de l'association mais peut déléguer ses pouvoirs à un administrateur ou à un directeur général avec l'accord du conseil d'administration.
En l'espèce l'article 8 des statuts de la fondation Savart prévoient que ' le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile. Il ordonne les dépenses. Il peut donner délégation dans des conditions qui sont fixées par le règlement intérieur'.
Le règlement intérieur du 30 juillet 1998 prévoit en son article 9 que le président peut déléguer toute ou partie de ses fonctions.
Le 29 avril 2014 le président de la fondation a consenti au directeur général une délégation de pouvoirs qui ' assume en tant que représentant permanent du président, l'ensemble des obligations découlant des relations employeur-salariés, sur les plans législatif, règlementaire et conventionnel'.
Cette délégation couvre nécessairement l'ensemble du pouvoir disciplinaire de l'employeur ; il s'en déduit que M. [C] [G], directeur général avait le pouvoir de signer la lettre de licenciement. Ce moyen sera rejeté par confirmation du jugement.
Sur la faute grave invoquée
Sur le fond la fondation relate que M. [I] n'avait pas pris la peine de vérifier que son véhicule était vide avant de le remiser, qu'il n'avait pas procéder à la désinfection contrairement au protocole du 6 juillet 2020 qui a été largement diffusé notamment lors de réunions. Elle ajoute que si la passagère ne s'est pas inquiétée du fait de son handicap, sa famille s'est inquiétée, que le salarié ne prouve pas la réalité d'une odeur incommodante pour justifier de l'absence de désinfection, qu'il n'a pas sollicité d'autorisation de ne pas désinfecter.
Le salarié conteste la faute grave reprochée, soutenant que l'employeur ne produit pas la procédure exigée pour la prise en charge des passagers, qu'il n'est pas établi qu'une telle procédure lui ait été communiquée ; que le protocole de nettoyage du car date du 6 juillet 2020 et qu'il n'est pas plus démontré qu'il en ait eu connaissance, d'autant que les faits reprochés datent de 2022 soit après l'épidémie de covid 19, que la fiche de poste versée par la fondation n'est pas signée alors qu'il avait toujours donné satisfaction depuis 16 ans. Il fait valoir avoir été très choqué par cet oubli qui n'était pas intentionnel, que la passagère n'a pas été perturbée par la situation, qu'il n'était que le chauffeur et pas l'accompagnateur, qu'un tel accompagnement avait été mis en place mais a cessé le 1er juillet 2022 sans qu'il en soit informé.
Sur ce,
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L. 1234-1 du même code, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Elle résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
Le doute doit profiter au salarié.
L'employeur reproche au salarié d'avoir :
- oublié une adulte présentant une déficience intellectuelle sévère dont il assurait le transport en car qu'il a garé et stationné pour la nuit dans le garage sans s'assurer que le véhicule était vide;
- de ne pas avoir désinfecté le véhicule de transport en commun concerné par l'incident avec le matériel adéquat (compresseur) alors que cette opération lui incombe systématiquement après chaque transport comme le précise le protocole sanitaire mis en place pour le COVID-19 à l'ESAT et au FOA/CAJ, ceci, depuis le début de la pandémie en 2020.
Sur le premier grief
La fondation verse aux débats le témoignage de Mme [S], éducatrice spécialisée présente à l'établissement le jour du fait reproché au salarié qui relate qu'entre 18h45 et 19h elle a reçu l'appel téléphonique de la mère de Madame [Z] qui s'inquiétait de ne pas voir sa fille rentrée comme d'habitude avec la tournée de transport, que ses collègues ont confirmé qu'elle était bien montée dans le car à la fin des activités et ont indiqué que [N] était le chauffeur. Elle précise qu'elle l'a appelé et qu'il était étonné et inquiet sans avoir souvenir de l'avoir déposé à son domicile ; qu'elle s'est rendue immédiatement au garage où elle a trouvé la personne handicapée qui a été ramenée à l'établissement où elle a appelé sa mère pour la rassurer.
Le salarié ne conteste pas cet oubli puisque dans un courrier du 13 janvier 2023 adressé à la mère de la personne oubliée il lui présentait ses excuses.
Cependant ni le contrat de travail ni la fiche de poste qui n'est d'ailleurs pas signée par le salarié, ne mentionne que l'une de ces tâches est l'accompagnement des personnes transportées. Au contraire le poste de chauffeur consiste à conduire un véhicule et à l'entretenir.
Sur le second grief
M. [V] directeur d'établissement témoigne que le 6 juillet 2022 M. [I] n'avait pas demandé l'autorisation de ne pas procéder à la désinfection du car alors qu'il a été présent jusqu'à 19 heures et que son véhicule garé sur le parking était visible attestant sa présence.
L'employeur avait mis en place un protocole de sortie de confinement après le 14 mai 2020 qui prévoyait une désinfection des cars après ramassage transport matin et soir. I1 est aussi produit à la procédure une note du 14 mai 2020 par laquelle l'employeur explicitait le mode opératoire pour la désinfection des véhicules de transport en commun.
Si le salarié prétend ne pas avoir eu communication de ces documents, il ne conteste pas avoir eu connaissance de cette procédure puisque la fiche d'évènement indésirable rédigée par le directeur de l'ESAT [Adresse 7] indique que M. [I] avait indiqué à la cadre éducatif le lendemain de l'incident qu'il n'avait pas désinfecté le bus car il sentait mauvais et qu'il avait laissé une ou des fenêtres ouvertes avant de partir, ce dont il se déduit qu'il savait qu'il devait nettoyer le bus.
Ce second fait est établi.
Le fait d'avoir omis de désinfecter ne constitue pas un grief suffisamment grave pour fonder un licenciement d'autant plus pour faute grave alors que M. [I] est salarié depuis 16 ans et n'avait jamais fait l'objet d'une quelconque mesure disciplinaire.
La cour, par infirmation du jugement, jugera désormais que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse.
2-2 Sur les demandes indemnitaires
M. [I] sollicite la condamnation de la fondation à lui verser une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis et les congés payés afférents, le salaire pendant la période de mise à pied conservatoire et des dommages et intérêts correspondant au plafond du barème d'indemnisation.
La fondation s'oppose à toute indemnisation soutenant que la notion de préjudice nécessaire a été abandonnée et que le salarié ne rapporte pas la preuve d'un préjudice issu du licenciement.
Sur ce,
La rupture étant illégitime le salarié peut revendiquer le paiement d'une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis et les congés payés afférents, le salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, dont les montants ne sont pas spécifiquement contestés dont les montants seront repris au dispositif de la présente décision. La cour fera droit à ces demandes par infirmation du jugement.
Le salarié est fondé à réclamer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Compte-tenu de la date de rupture du contrat de travail sont applicables les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017. Pour une ancienneté de 16 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire.
Compte-tenu de son ancienneté de 16 années pleines, de son âge à la date de la rupture pour être né le 11 mai1962, du salaire mensuel moyen brut, des conditions de la rupture, de l'absence d'élément précis sur sa situation postérieurement au licenciement, la cour dispose des éléments permettant de fixer l'indemnité à même de réparer de façon adéquate son préjudice à la somme de 21 500 euros, à laquelle l'employeur sera condamné.
2-3 Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance seront infirmées.
Succombant, la fondation Savart sera condamnée à verser à M. [I] en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 2° du code de procédure civile une somme que l'équité commande de fixer à 1944 euros pour l'ensemble de la procédure.
La fondation Savart sera condamnée aux entiers dépens de l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 24 septembre 2024 sauf en ce qu'il a :
- dit que M. [I] n'a pas été victime de harcèlement moral
- débouté M. [I] de sa demande indemnitaire en réparation du harcèlement moral
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que M. [I] n'a pas été victime de discrimination et le déboute de toute indemnisation à titre,
Dit que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la fondation Savart à verser à M. [I] les sommes suivantes :
- 3954,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 395,49 euros de congés payés afférents ;
- 7690,04 euros au titre de de licenciement ;
- 21 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la fondation Savart à verser à M. [I] la somme de 1944 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 2° du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,
Condamne la fondation Savart aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
N°
[I]
C/
Association FONDATION SAVART MOUZET
copie exécutoire
le 25 septembre 2025
à
Me MARRAS
Me FABING
CBO/IL/CB
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
*************************************************************
N° RG 24/04320 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JGXM
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 24 SEPTEMBRE 2024 (référence dossier N° RG 23/00063)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [N] [I]
né le 11 Mai 1962 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté, concluant et plaidant par Me Giuseppina MARRAS de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau D'AMIENS
ET :
INTIMEE
Association FONDATION SAVART MOUZET
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
DEBATS :
A l'audience publique du 26 juin 2025, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 25 septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 25 septembre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
M. [I], né le 11 mai 1962, a été embauché à compter du 30 juin 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par l'association Fondation Savart Mouzet ci-après dénommée l'association ou l'employeur, en qualité d'agent technique chauffeur.
L'association Fondation Savart Mouzet emploie plus de 10 salariés.
La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.
Le 7 juillet 2022, M. [I] s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 8 juillet 2022, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 20 juillet 2022.
Le 25 juillet 2022, il a été licencié pour faute grave, par lettre ainsi libellée :
« Monsieur,
Nous vous avons convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement le mercredi 20 juillet 2022 à 10H00 à l'ESAT « [Adresse 7] » auquel vous vous êtes présenté seul et au cours duquel vous avez été reçu par Monsieur [D] [V], Directeur de l'ESAT « [Adresse 7] » concernant des faits qui vous sont reprochés dans le cadre de l'exercice de vos fonctions.
Nous vous avons rappelé les faits qui vous sont reprochés et qui devaient être abordés avec vous.
Ceux-ci concernent :
Votre oubli d'une adulte du CAJ « L'Horizon » de [Localité 6] âgée de 59 ans, présentant une déficience intellectuelle sévère, dans un véhicule transport en commun que vous avez garé et stationné pour la nuit dans le garage du FOA « Des Prés Verts'» situé au [Adresse 4] le 6 juillet 2022 à 18H15. Vous aviez la charge en qualité d'agent technique/chauffeur l'adulte du CAJ, comme depuis de nombreuses années pour le transport entre l'établissement et son domicile familial, et pour ce jour-là entre 16H45 (heure du départ du transport de l'ESAT) et 17H50 (heure approximative de dépose de cette adulte à son domicile familial où elle vit avec sa mère de 78 ans).
La non désinfection du véhicule transport en commun concerné par l'incident avec le matériel adéquat (compresseur), véhicule qu'il vous incombe de désinfecter systématiquement après chaque transport comme le précise le protocole sanitaire mis en place pour le COVID-19 à l'ESAT et au FOA/CAJ, ceci, depuis le début de la pandémie en 2020.
Alerté par la mère de l'usager au FOA appelant l'équipe éducative du FOA/CAJ vers 19H10 sur l'absence de sa fille à son domicile, l'équipe éducative vous a contacté immédiatement afin de savoir où se trouvait l'adulte qui vous a été confié à 16H45 au départ de l'ESAT.
Vous avez confirmé que vous ne l'aviez pas déposée à son domicile et demandé à l'éducatrice de se rendre au garage fermé du FOA pour vérifier de sa présence dans le véhicule.
Effectivement, l'usager était toujours à la même place (avant dernier siège) avec son gilet et sa casquette, une fenêtre du véhicule étant ouverte, la température extérieure était de 25 degrés tout de même et certainement supérieure dans le véhicule.
Elle est restée enfermée dans le véhicule garé dans le garage fermé, environ 1 heure. Pour explications, vous avez justifié le fait d'avoir transporté les dernières fois lors de vos transports et en dernières semaines courant juin, une stagiaire (en fait une jeune travailleuse handicapée nouvellement admise à l'ESAT) et que celle-ci était déposée en dernier parmi tous les adultes.
Pour vous, cette travailleuse n'étant pas présente ce jour-là, et sur la base de « ce repère », vous aviez donc terminé votre transport après avoir déposé le dernier travailleur de l'ESAT.
Vous dites également vous être retourné dans le véhicule.
Vous dites avoir regardé dans le rétroviseur et n'avoir rien constaté.
De ce fait, vous êtes rentré au FOA pensant que votre travail était terminé et qu'aucun adulte n'était présent dans le véhicule pour vous.
Vous évoquez également qu'après avoir déposé le dernier adulte présent dans votre véhicule, vous ressentez de décompresser à ce moment-là et que pour vous, le travail est terminé.
Arrivé au FOA, vous avez garé le véhicule dans le garage, avait rempli le carnet de bord dans le véhicule et avait échangé à la suite avec votre collègue chauffeur du FOA.
Vous déclarez avoir senti une mauvaise odeur dans le véhicule (peut-être la recharge de climatisation qui venait d'être remise par le garage ' d'après-vous) et vous avez décidé de laisser une(des) fenêtres ouvertes pour l'odeur et de surcroit, de ne pas désinfecter de ce fait le véhicule comme vous deviez le faire.
Vous en auriez échangé avec le collègue chauffeur du FOA pour lui dire que vous ne désinfectez pas.
Vous avez fermé le garage et vous avez quitté le lieu de travail à la suite.
Comme échangé avec vous, la situation de la stagiaire à laquelle vous faites référence, nouvelle admise T.H à l'ESAT s'est faite et ne se faisait plus depuis le 1er juillet 2022 ; c'était bien une « situation provisoire» (comme il en arrive régulièrement à l'ESAT dans les transports et ce, depuis votre arrivée en 2008 avec le transport de stagiaires, des essais T.H ... ). Cette situation a d'ailleurs évolué avec le lieu de résidence de cette nouvelle adulte qui n'est donc plus dans ce transport.
En réponse à cet élément avancé, cela ne vient en rien perturber la tournée transport que vous faisiez car pour rappel, l'usager du CAJ qui a été victime de votre négligence est déposée dans la tournée, traditionnellement, en dernière position parmi tous les adultes à son domicile.
Dans le cas présent, vous avez déposé l'avant dernier travailleur (comme habituellement) mais ce jour-là, sans vous rappeler de l'usager du CAJ.
Vous l'avez complètement omis.
C'est un fonctionnement que vous connaissez depuis longtemps, et votre argument n'est pas recevable.
De plus, nous vous avons rappelé en entretien, que vous faites monter individuellement dans votre véhicule chaque adulte avant votre départ de l'ESAT. Tous les adultes passent devant vous car les travailleurs handicapés de l'ESAT reçoivent un nouveau masque et ont les mains désinfectées par vos soins.
L'usager du CAJ est donc passée forcément devant vous en montant dans votre véhicule.
Vous avez d'ailleurs reconnu ce fait durant notre entretien et avoir bien vu l'adulte du CAJ.
Dans le protocole de travail des chauffeurs, il est clairement rappelé que vous vous devez de vous assurer également que tous les adultes sont ceinturés convenablement et prêts au départ en ayant une vigilance scrupuleuse sur tous les adultes. Elle ne pouvait donc échapper à votre surveillance avant le départ.
Vous indiquez en entretien également avoir regardé dans le véhicule (en vous retournant et au rétroviseur) après la descente de votre véhicule du dernier travailleur handicapé de l'ESAT et donc dernier transporté ce jour-là pour vous.
Comme il vous l'a été dit dans notre échange, force est de constater que votre observation de savoir si aucune personne n'était dans le véhicule n'a pas été suffisante ou même faite.
Nous pouvons en douter.
Dans tous les cas, votre vérification dans le véhicule avant votre retour vers le FOA n'a pas été suffisante et réalisée correctement.
De plus, pour rappel, vous avez eu le temps lors du retour trajet de [Localité 5] au FOA de [Localité 6] avec l'adulte présente dans votre véhicule (environ 20/25 minutes de trajet, mais aussi pendant le temps de vous garer, le temps de remplir vos papiers dans le véhicule etc.) de vous en rendre compte.
Or, vous n'avez rien vu, ni entendu durant tout ce temps avant de quitter le véhicule et le garage du FOA.
Vous déclarez concernant l'usager du CAJ dans votre véhicule : elle dormait peut-être.
Vous n'en savez rien, vous ne l'avez pas vu, et personne ne pourra l'affirmer.
Arrivé au FOA, vous décidez de laisser la(les) fenêtre(s) ouverte(s) du véhicule et de ne pas désinfecter celui-ci sur votre propre décision, en raison de la mauvaise odeur à l'intérieur.
Interrogé par M. [X], le Directeur du FOA/CAJ, votre collègue chauffeur du FOA/CAJ n'a aucun souvenir de cela et a attesté simplement échanger oralement quelques minutes avec vous et ne pas savoir si vous avez désinfecté votre véhicule. En tous cas, il ne vous a pas vu faire, ni entendu le faire (bruit du compresseur).
Interrogée par M. [X], le Directeur du FOA/CAJ, une autre collègue éducatrice sportive du FOA/CAJ, qui était en train de faire pratiquer du vélo à des résidents du FOA juste à proximité du garage (quelques mètres) atteste également ne pas savoir si vous l'avez fait. Elle ne vous a pas vu faire et elle n'a rien entendu non plus (bruit du compresseur).
Or, si vous l'aviez fait, il est incontestable, comme échangé lors de notre entretien, à supposer que vous montiez bien dans le transport pour pulvériser le produit désinfectant, que vous auriez vu à ce moment-là l'adulte du CAJ assise sur son siège.
Concernant le fait d'en avoir échangé sur la non-désinfection du véhicule à votre collègue (bien que lui ne s'en souvienne pas), peu importe. En effet, l'argument n'est pas recevable car il vous a été rappelé et vous le savez, durant notre échange, que ce type d'initiative et de décision relève uniquement du rôle et du champ de la hiérarchie d'accepter ou pas une modification d'un protocole sanitaire mis en place et à respecter scrupuleusement par rapport au COVID-19.
Or, là, comme vous le savez, M. [X], le directeur du FOA/CAJ était présent dans l'établissement jusque 19H. Vous le connaissez, vous connaissez sa disponibilité et savez l'alerter au besoin depuis des années. Or, ce soir-là, fait supplémentaire, vous n'avez pas ramené votre pochette chauffeur (papiers/clef du véhicule) dans le bureau éducatif du FOA/CAJ comme il se doit et l'avait confié à votre collègue chauffeur du FOA/CAJ pour qu'il le fasse à votre place.
Vous n'êtes pas rentré dans le FOA et avait récupéré votre voiture pour partir aussitôt.
Nous constatons bien que cet événement d'odeur dans ce véhicule et sa non-désinfection pour le COVID 19 n'a fait l'objet pour vous ni d'un caractère d'urgence, ni de demande à faire auprès de votre hiérarchie pour autorisation, comme il se doit.
Ce qui est aussi un comportement inadmissible et anormal et là encore relève d'un comportement non professionnel.
Enfin, vous avez évoqué un phénomène de « décompression » que vous ressentez à la descente du dernier adulte du véhicule.
Là encore, nous ne pouvons que contredire cette argumentation car votre travail se termine comme le prévoit les horaires à 18H 15, après la désinfection, la fermeture du véhicule et du garage et le dépôt par vos soins, de votre pochette chauffeur au bureau éducatif du FOA/CAJ, comme il se doit.
Enfin, comme vous le savez, la mère de l'intéressée a clairement exprimé avoir eu peur que sa fille soit enlevée devant son domicile et a très mal vécu votre négligence dans le travail qui est clairement inacceptable dans le cadre de votre fonction. De la colère et des pleurs ont été exprimés au téléphone auprès du Directeur du FOA/CAJ, Monsieur [V] et Madame a demandé si le chauffeur allait être reçu par la Direction pour cet événement qu'elle qualifie de très grave.
A la suite de vos arguments et de notre entretien, nous ne pouvons que constater que vous avez fait preuve d'une faute grave aux règles élémentaires de vigilance et de prise en charge des personnes vulnérables qui vous sont confiées.
Compte- tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le non-respect de votre obligation de sécurité liée à votre poste d'agent technique/chauffeur., votre maintien au sein de la fondation est impossible.
Nous vous notifions votre licenciement pour faute grave qui prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date d'envoi de la présente, soit le 25 juillet 2022, sans indemnité de préavis ni de licenciement. ['] ».
Contestant la légitimité et la régularité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon, par requête enregistrée au greffe le 17 mai 2023.
Par jugement du 24 septembre 2024, le conseil a :
- prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 5 décembre 2023;
- jugé le licenciement régulier en sa forme ;
- jugé que M. [I] avait commis deux fautes graves et qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral ;
- jugé le licenciement pour faute grave, notifié le 25 juillet 2022 à M. [I] fondé ;
- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. [I] aux entiers dépens de l'instance ;
- condamné M. [I] à payer à l'association Fondation Savart Mouzet la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [I], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 janvier 2025, demande à la cour de :
réformer le jugement en ce qu'il :
- a prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 5 décembre 2023;
- a jugé le licenciement régulier en sa forme ;
- a jugé qu'il avait commis deux fautes graves et qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral ;
- a jugé son licenciement pour faute grave, notifié le 25 juillet 2022 fondé ;
- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;
- l'a condamné aux entiers dépens de l'instance ;
- l'a condamné à payer à l'association Fondation Savart Mouzet la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
juger qu'il a été victime de harcèlement moral, ou à tout le moins de discrimination lié à son état de santé ;
condamner l'association Fondation Savart Mouzet à lui payer les sommes suivantes :
- 26 695,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 7 690,04 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 3 954,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 395,49 euros à titre de congés payés afférents ;
- 1 020,38 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire outre 102 euros de congés payés afférents ;
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral et de la discrimination ;
Y ajoutant ,
condamner l'association Fondation Savart Mouzet à lui payer les sommes suivantes :
- 1 944 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l'article 700 2° du code de procédure civile, sous réserve qu'il renonce à la perception de la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
- les entiers dépens ;
- les intérêts au taux légal à compter du licenciement pour les indemnités de rupture et de la date de la décision à intervenir pour le surplus ;
L'association Fondation Savart Mouzet, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 février 2025, demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
y ajoutant, condamner M. [I] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros à valoir sur les frais et honoraires à hauteur d'appel non compris dans lesdits dépens en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS
1/Sur l'exécution du contrat de travail
1-1 Sur le harcèlement moral
M. [I] argue avoir été victime de harcèlement moral exposant que l'employeur lui a imposé la réalisation de tâches contrevenant aux restrictions de la médecine du travail, qu'il ne devait utiliser ni la débrousailleuse ni la tronçonneuse, limiter au maximum la tondeuse tractée pouvant utiliser la tondeuse autotractée, que la fondation ne lui a pas fourni la matériel permettant la réalisation des travaux de jardinage alors qu'il avait dénoncé ses conditions de travail et que les travaux demandés n'avaient aucun caractère d'urgence.
La fondation objecte que le salarié ne produit pas d'élément précis et daté et circonstancié se contentant de vagues accusations, que le seul événement invoqué relatif à l'utilisation d'une tondeuse à main plutôt qu'autoportée n'est pas daté, que son utilisation n'était pas interdite mais limitée, que le salarié faisait état de conditions de travail agréables auprès de la médecine du travail. Elle expose produire des témoignages prouvant qu'elle respectait les restrictions médicales alors que jusqu'au licenciement M. [I] n'avait jamais émis de plainte sur ses conditions de travail sachant que les travaux difficiles étaient confiés à ses collègues et disposait de matériel spécifique pour les chargements et déchargements.
Sur ce,
Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.
Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [I] produit aux débats des photographies de matériel d'entretien d'espaces verts pris avec un appareil localisant le lieu de prises de vues à l'adresse du siège de l'établissement au sein duquel il travaillait. Cependant ces photos n'établissent pas le fait invoqué à savoir que la fondation lui aurait imposé la réalisation de tâches contrevenant aux restrictions de la médecine du travail.
Faute d'élément matériellement établi c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral.
1-2 Sur la discrimination
M. [I] soutient avoir été victime de discrimination au regard de son état de santé en lui confiant des tâches médicalement contre-indiquées, qu'il souffre de l'épaule droite depuis 2008 et le port de charges et la manutention d'outils tractés lui sont médicalement contre-indiqués.
La fondation conteste toute discrimination sans développer d'argumentaire spécifique.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [I] argue d'une discrimination à raison de son état de santé. Il ne verse pas de pièces hormis les photographies qui n'établissent pas un fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008. La cour confirmera le débouté de la demande de M. [I] au titre de la discrimination.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
2-1 Sur le licenciement
Sur la compétence du signataire de la lettre de licenciement
M. [I] conteste la qualité du signataire de la lettre de licenciement soutenant que la délégation de pouvoirs consentie par le président de la fondation au directeur général ne concerne ni le pouvoir disciplinaire ni le pouvoir de licencier.
La fondation fait valoir que les statuts n'accordent aucune compétence ou attribution au conseil d'administration ou au bureau et que le règlement intérieur permet au président de déléguer tout ou partie de ses fonctions, ce qu'il a fait en déléguant l'ensemble des obligations résultant des relations employeur-salariés au directeur général qui avait toute compétence pour procéder à un licenciement.
Sur ce,
En l'absence de disposition statutaire contraire attribuant cette compétence à un autre organe, il entre dans les attributions du président d'une association de mettre en oeuvre la procédure de licenciement (et donc de signer la lettre de licenciement).
Lorsque, selon les statuts de l'association, le président recrute, nomme, licencie et assure la gestion et le pouvoir disciplinaire du personnel salarié de l'association mais peut déléguer ses pouvoirs à un administrateur ou à un directeur général avec l'accord du conseil d'administration.
En l'espèce l'article 8 des statuts de la fondation Savart prévoient que ' le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile. Il ordonne les dépenses. Il peut donner délégation dans des conditions qui sont fixées par le règlement intérieur'.
Le règlement intérieur du 30 juillet 1998 prévoit en son article 9 que le président peut déléguer toute ou partie de ses fonctions.
Le 29 avril 2014 le président de la fondation a consenti au directeur général une délégation de pouvoirs qui ' assume en tant que représentant permanent du président, l'ensemble des obligations découlant des relations employeur-salariés, sur les plans législatif, règlementaire et conventionnel'.
Cette délégation couvre nécessairement l'ensemble du pouvoir disciplinaire de l'employeur ; il s'en déduit que M. [C] [G], directeur général avait le pouvoir de signer la lettre de licenciement. Ce moyen sera rejeté par confirmation du jugement.
Sur la faute grave invoquée
Sur le fond la fondation relate que M. [I] n'avait pas pris la peine de vérifier que son véhicule était vide avant de le remiser, qu'il n'avait pas procéder à la désinfection contrairement au protocole du 6 juillet 2020 qui a été largement diffusé notamment lors de réunions. Elle ajoute que si la passagère ne s'est pas inquiétée du fait de son handicap, sa famille s'est inquiétée, que le salarié ne prouve pas la réalité d'une odeur incommodante pour justifier de l'absence de désinfection, qu'il n'a pas sollicité d'autorisation de ne pas désinfecter.
Le salarié conteste la faute grave reprochée, soutenant que l'employeur ne produit pas la procédure exigée pour la prise en charge des passagers, qu'il n'est pas établi qu'une telle procédure lui ait été communiquée ; que le protocole de nettoyage du car date du 6 juillet 2020 et qu'il n'est pas plus démontré qu'il en ait eu connaissance, d'autant que les faits reprochés datent de 2022 soit après l'épidémie de covid 19, que la fiche de poste versée par la fondation n'est pas signée alors qu'il avait toujours donné satisfaction depuis 16 ans. Il fait valoir avoir été très choqué par cet oubli qui n'était pas intentionnel, que la passagère n'a pas été perturbée par la situation, qu'il n'était que le chauffeur et pas l'accompagnateur, qu'un tel accompagnement avait été mis en place mais a cessé le 1er juillet 2022 sans qu'il en soit informé.
Sur ce,
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L. 1234-1 du même code, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Elle résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
Le doute doit profiter au salarié.
L'employeur reproche au salarié d'avoir :
- oublié une adulte présentant une déficience intellectuelle sévère dont il assurait le transport en car qu'il a garé et stationné pour la nuit dans le garage sans s'assurer que le véhicule était vide;
- de ne pas avoir désinfecté le véhicule de transport en commun concerné par l'incident avec le matériel adéquat (compresseur) alors que cette opération lui incombe systématiquement après chaque transport comme le précise le protocole sanitaire mis en place pour le COVID-19 à l'ESAT et au FOA/CAJ, ceci, depuis le début de la pandémie en 2020.
Sur le premier grief
La fondation verse aux débats le témoignage de Mme [S], éducatrice spécialisée présente à l'établissement le jour du fait reproché au salarié qui relate qu'entre 18h45 et 19h elle a reçu l'appel téléphonique de la mère de Madame [Z] qui s'inquiétait de ne pas voir sa fille rentrée comme d'habitude avec la tournée de transport, que ses collègues ont confirmé qu'elle était bien montée dans le car à la fin des activités et ont indiqué que [N] était le chauffeur. Elle précise qu'elle l'a appelé et qu'il était étonné et inquiet sans avoir souvenir de l'avoir déposé à son domicile ; qu'elle s'est rendue immédiatement au garage où elle a trouvé la personne handicapée qui a été ramenée à l'établissement où elle a appelé sa mère pour la rassurer.
Le salarié ne conteste pas cet oubli puisque dans un courrier du 13 janvier 2023 adressé à la mère de la personne oubliée il lui présentait ses excuses.
Cependant ni le contrat de travail ni la fiche de poste qui n'est d'ailleurs pas signée par le salarié, ne mentionne que l'une de ces tâches est l'accompagnement des personnes transportées. Au contraire le poste de chauffeur consiste à conduire un véhicule et à l'entretenir.
Sur le second grief
M. [V] directeur d'établissement témoigne que le 6 juillet 2022 M. [I] n'avait pas demandé l'autorisation de ne pas procéder à la désinfection du car alors qu'il a été présent jusqu'à 19 heures et que son véhicule garé sur le parking était visible attestant sa présence.
L'employeur avait mis en place un protocole de sortie de confinement après le 14 mai 2020 qui prévoyait une désinfection des cars après ramassage transport matin et soir. I1 est aussi produit à la procédure une note du 14 mai 2020 par laquelle l'employeur explicitait le mode opératoire pour la désinfection des véhicules de transport en commun.
Si le salarié prétend ne pas avoir eu communication de ces documents, il ne conteste pas avoir eu connaissance de cette procédure puisque la fiche d'évènement indésirable rédigée par le directeur de l'ESAT [Adresse 7] indique que M. [I] avait indiqué à la cadre éducatif le lendemain de l'incident qu'il n'avait pas désinfecté le bus car il sentait mauvais et qu'il avait laissé une ou des fenêtres ouvertes avant de partir, ce dont il se déduit qu'il savait qu'il devait nettoyer le bus.
Ce second fait est établi.
Le fait d'avoir omis de désinfecter ne constitue pas un grief suffisamment grave pour fonder un licenciement d'autant plus pour faute grave alors que M. [I] est salarié depuis 16 ans et n'avait jamais fait l'objet d'une quelconque mesure disciplinaire.
La cour, par infirmation du jugement, jugera désormais que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse.
2-2 Sur les demandes indemnitaires
M. [I] sollicite la condamnation de la fondation à lui verser une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis et les congés payés afférents, le salaire pendant la période de mise à pied conservatoire et des dommages et intérêts correspondant au plafond du barème d'indemnisation.
La fondation s'oppose à toute indemnisation soutenant que la notion de préjudice nécessaire a été abandonnée et que le salarié ne rapporte pas la preuve d'un préjudice issu du licenciement.
Sur ce,
La rupture étant illégitime le salarié peut revendiquer le paiement d'une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis et les congés payés afférents, le salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, dont les montants ne sont pas spécifiquement contestés dont les montants seront repris au dispositif de la présente décision. La cour fera droit à ces demandes par infirmation du jugement.
Le salarié est fondé à réclamer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Compte-tenu de la date de rupture du contrat de travail sont applicables les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017. Pour une ancienneté de 16 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire.
Compte-tenu de son ancienneté de 16 années pleines, de son âge à la date de la rupture pour être né le 11 mai1962, du salaire mensuel moyen brut, des conditions de la rupture, de l'absence d'élément précis sur sa situation postérieurement au licenciement, la cour dispose des éléments permettant de fixer l'indemnité à même de réparer de façon adéquate son préjudice à la somme de 21 500 euros, à laquelle l'employeur sera condamné.
2-3 Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance seront infirmées.
Succombant, la fondation Savart sera condamnée à verser à M. [I] en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 2° du code de procédure civile une somme que l'équité commande de fixer à 1944 euros pour l'ensemble de la procédure.
La fondation Savart sera condamnée aux entiers dépens de l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 24 septembre 2024 sauf en ce qu'il a :
- dit que M. [I] n'a pas été victime de harcèlement moral
- débouté M. [I] de sa demande indemnitaire en réparation du harcèlement moral
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que M. [I] n'a pas été victime de discrimination et le déboute de toute indemnisation à titre,
Dit que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la fondation Savart à verser à M. [I] les sommes suivantes :
- 3954,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 395,49 euros de congés payés afférents ;
- 7690,04 euros au titre de de licenciement ;
- 21 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la fondation Savart à verser à M. [I] la somme de 1944 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 2° du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,
Condamne la fondation Savart aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.