CA Grenoble, ch. com., 25 septembre 2025, n° 24/02294
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 24/02294 - N° Portalis DBVM-V-B7I-MJQ2
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL GUMUSCHIAN-ROGUET-BONZY
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 25 SEPTEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° RG 2023J00234)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 17 mai 2024
suivant déclaration d'appel du 19 juin 2024
APPELANTE :
La société NUMANS DAUPHINE SAVOIE (anciennement dénommée SAFIGEC DAUPHINE) SAVOIES, société à responsabilité limitée au capital de 410 416 €, inscrite au RCS de [Localité 7] sous le n° 402 447 726, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me David ROGUET de la SELARL GUMUSCHIAN-ROGUET-BONZY, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. [L] & ASSOCIES Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Maître [L], Commissaire à l'exécution du plan de la SAS ENERGIE PLUS, Société par Actions Simplifiée au capital social de 8.000€ inscrite au RCS de GRENOBLE sous le numéro 449 989 920, aux termes d'un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE le 20 février 2024
[Adresse 1]
[Localité 4] / FRANCE
S.A.S. ENERGIE PLUS au capital social de 8 000 euros, identifiée au SIREN sous le numéro 449 989 920 et immatriculé au Registre du commerce et des sociétés de GRENOBLE, agissant poursuite et diligences de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3] / FRANCE
représentées par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 juin 2025, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. La société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, et la société Energie Plus ont conclu le 22 mai 2019 un contrat de mission d'expertise comptable, incluant notamment la présentation des comptes annuels, l'archivage des données comptables, l'établissement des contrats de travail des salariés et des fiches de paies. Cette mission a pris effet à compter du 1er avril 2018.
2. Le 25 juillet 2022, la société Safigec Dauphiné Savoies a adressé à la société Energie Plus une mise en demeure de régulariser des honoraires non réglés pour 11.358,72 euros, rappelant que ses honoraires n'ont pas été réglés malgré de nombreuses relances. Elle a précisé suspendre ses missions, notamment l'établissement des fiches de paies, des comptes annuels, des déclarations fiscales et sociales. Cette lettre a en outre indiqué que ce n'est qu'après plusieurs relances qu'elle a pu obtenir les pièces manquantes et les justificatifs lui permettant d'établir les comptes annuels.
3. Le 25 novembre 2022, la cession du fonds de commerce appartenant à la société Energie Plus a été publiée au Bodacc. La société Safigec Dauphiné Savoies a en conséquence formé opposition au paiement du prix de la vente de ce fonds pour la somme de 11.358,72 euros le 28 novembre 2022.
4. Le 25 mai 2023, la société Energie Plus a assigné en référé la société Safigec Dauphiné Savoies afin de voir ordonner la mainlevée de cette opposition. Par ordonnance du 8 août 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a rejeté cette demande.
5. Par ordonnance du 9 juin 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à restituer à la société Energie Plus l'ensemble des documents qu'elle détient, et à produire l'intégralité des factures qu'elle a émises pendant la durée de la relation contractuelle.
6. La société Safigec Dauphiné Savoies a saisi le tribunal de commerce de Grenoble le 21 juillet 2023 afin d'obtenir le paiement de la somme de 11.358,72 euros.
7. Le 20 février 2024, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte concernant la société Energie Plus, laquelle se trouvait antérieurement bénéficier d'un plan de sauvegarde qui est ainsi résolu.
8. Par jugement du 17 mai 2024, le tribunal de commerce de Grenoble a rendu la décision suivante :
« - Déboute en principal la société la Sarl Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts.
- Condamne la société la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu.
- Ordonne la mainlevée de ladite opposition formée par la
Sarl Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
* Les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* Les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- Déboute la société Energie Plus de sa demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la somme de 1.500 euros à Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG2023R298.
- Liquide les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 701 du code de procédure civile.»
9. La société Safigec Dauphiné Savoies a interjeté appel de cette décision le 19 juin 2024, en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel, à l'exception de celle ayant débouté la société Energie Plus de sa demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive.
10. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 15 mai 2025.
Prétentions et moyens de la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) :
11. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 21 mars 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal la concluante de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné la concluante à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu ;
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la concluante le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause ;
- condamné la concluante à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- condamné la concluante à verser la somme de 1.500 euros à Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la concluante aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG2023R298 ;
- liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 701 du code de procédure civile.
12. Elle demande à la cour, statuant à nouveau :
- de fixer la créance détenue par la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) à l'encontre de la société Energie Plus à la somme de 11.358,72 euros correspondant aux factures impayées ;
- de juger que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 juillet 2022 ;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
- de débouter la société Energie Plus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- de condamner la société Energie Plus à payer à la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
13. L'appelante expose :
14. - concernant les sommes que la société Energie Plus lui doit, que le grand livre de la concluante fait apparaître un solde arrêté au 31 août 2021 de 8.965,92 euros, puisque la société Energie Plus ne versait que des acomptes mensuels partiels; que la concluante a déclaré sa créance au passif de la société Energie Plus le 10 avril 2024 et a appelé en cause le mandataire judiciaire; que sa demande tendant à la fixation de sa créance à 11.358,72 euros est ainsi bien fondée, alors que les intérêts doivent courir à compter de la mise en demeure du 25 juillet 2022 ;
15. - concernant la demande de mainlevée de l'opposition, que si la société Energie Plus a invoqué devant le tribunal une nullité de l'opposition au motif qu'elle a été faite par la société Numans Dauphiné Savoies immatriculée à Lyon et non par la société Safigec Dauphiné Savoies, il ne s'agit que d'une nullité de forme au sens de l'article 114 du code de procédure civile, justifiant la preuve d'un grief qui n'est pas rapportée alors qu'il ne s'agit pas d'une cause d'ordre public ;
16. - en outre, que selon l'article L141-14 du code de commerce, le créancier opposant n'a pas l'obligation de justifier d'un titre exécutoire, l'opposition constituant une mesure conservatoire (ainsi, Com 2 décembre 2020 n°18-14.272) ; que le tribunal n'a ainsi pu retenir que les pièces produites par la société Safigec Dauphiné Savoies ne permettent pas de prouver l'existence de sa créance et que l'opposition a été faite sans titre ni cause ;
17. - concernant la prétendue résistance abusive dont la société Safigec Dauphiné Savoies aurait fait preuve, en résiliant brutalement le contrat de mission et en retenant les pièces comptables de la société Energie Plus, que cette dernière n'a pas réglé les prestations à plusieurs reprises, alors qu'elle a été relancée à plusieurs occasions ; que le tribunal n'a pas relu les stipulations figurant dans la lettre de mission concernant les honoraires dus à l'expert-comptable, devant être réglés à leur date d'échéance à peine de suspension des travaux ou fin de la mission et de rétention des documents comptables ; que le contrat a prévu que toute contestation d'une facture doit être faite dès sa réception, et être motivée ;
18. -qu'en l'espèce, la société Energie Plus n'a jamais contesté les factures, et a attendu que la société Safigec Dauphiné Savoies cesse ses diligences et la mette en demeure pour finalement contester les factures impayées ; que le fait qu'elle ait dû saisir en urgence un autre expert-comptable résulte de sa carence ; qu'elle ne peut ainsi en faire supporter le coût à la société Safigec Dauphiné Savoies ;
19. - s'agissant de l'exercice du droit de rétention, qu'il est prévu par l'article 168 du décret du 30 mars 2012, et est justifié par le solde dû au 31 août 2021;
20. - qu'il en résulte que la concluante n'a pas fait preuve d'une résistance abusive et a exercé un droit prévu par la loi ;
21. - en outre, que la société Energie Plus n'a jamais transmis à la concluante des documents originaux, mais que des copies dématérialisées, alors que la concluante a communiqué au nouvel expert-comptable les documents le 6 septembre 2022, soit un jour après sa demande ; que le tribunal n'a ainsi pu dire que suite à l'ordonnance du 9 juin 2023, les documents ont été remis à la société Energie Plus les 16 juin et 31 juillet 2023, la première livraison étant incomplète, d'autant que celle-ci a apporté des ajouts à ses demandes au fil de courriels officiels ;
22. - concernant les dépenses supplémentaires que le tribunal a mis à la charge de la société Safigec Dauphiné Savoies au titre de frais d'expertise comptable exceptionnels, de frais de prorogation de dépôt des comptes, et l'amende fiscale, que la concluante n'a commis aucune faute, alors que c'est la société Energie Plus qui est fautive pour ne pas avoir réglé les prestations, et ainsi responsable de la désignation d'un nouvel expert-comptable, alors qu'elle devait légalement recourir à un expert-comptable, étant une société commerciale ; qu'elle disposait des documents nécessaires; que les frais résultant du report du dépôt des comptes annuels résultent de ses fautes ;
23. - concernant la demande de condamnation de la concluante pour procédure abusive, qu'il n'existe aucune preuve d'un acharnement, alors que la concluante n'a fait qu'exercer son droit d'agir et d'avoir accès à un double degré de juridiction.
Prétentions et moyens de la société Energie Plus et de la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire :
24. Selon leurs conclusions remises par voie électronique le 23 décembre 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, des articles L141-14, L141-15 et L141-16 du code de commerce, de l'article 32-1 du code de procédure civile, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser la somme de 1.500 euros à la société Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG 2023R298,
- débouté en principal la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de l'article 701 du code de procédure civile,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu,
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la société Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
' Les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
' Les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
' L'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros.
25. Les intimées demandent à la cour de :
- condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus les frais liés à la procédure de redressement judiciaire, dont à titre provisionnel la somme de 2.351, 25 euros HT ;
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Energie Plus de sa demande au titre de la résistance abusive ;
- statuant à nouveau, de condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à une amende civile d'un montant de 10.000 euros au titre de la procédure abusive de première instance et de 3.000 euros au titre de la procédure d'appel ;
- de débouter la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à verser la somme de 3.000 euros à la société Energie Plus et la somme de 3.000 euros à la Selarl [L] & Associés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant la cour d'appel, ainsi que les entiers dépens d'appel.
26. Les intimées soutiennent :
27. - concernant les demandes de l'appelante, que les factures en cause, émises entre le 31 mars 2021 et le 31 août 2022, figurant dans le tableau communiqué au séquestre, ont été payées, ainsi qu'il résulte du grand livre établi par la société Safigec Dauphiné Savoies, indiquant que 10.333 euros ont été payés entre le 31 mars 2021 et le 29 juillet 2022 ;
28. - que les sommes payées au titre des factures émises depuis le mois d'avril 2022 doivent être remboursées, puisque la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas établi les documents à partir de cette date, alors qu'elle les a facturés ; que les écritures concernées ont ainsi été comptabilisées par le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus pour établir le bilan au 31 mars 2023, ce qui a engendré une surfacturation; ainsi, que les factures pour un montant total de 2.860,80 euros n'étaient pas dues ;
29. - que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pu valablement émettre sa facture de 896,40 euros TTC le 31 août 2022 à titre d'acompte d'honoraires pour le mois d'août, puisqu'elle avait notifié le 25 juillet la suspension de l'ensemble de ses missions ;
30. - que c'est ainsi la somme totale de 4.757,20 euros qui ne correspond à aucune prestation ; que le tribunal a justement constaté que la société Energie Plus avait trop payé à hauteur de 3.731,48 euros entre avril et août 2022 ;
31. - concernant la mainlevée de l'opposition pratiquée par la société Safigec Dauphiné Savoies, que cette mesure a été pratiquée sans titre, et sans cause en raison du mal fondée des demandes du créancier ;
32. - subsidiairement, que l'opposition est nulle en la forme, puisqu'elle a été faite par la société Safigec Dauphiné Savoies immatriculée à Lyon, sans qu'il y ait eu élection de domicile dans le ressort du tribunal de commerce de Grenoble, lieu dans lequel est situé le fonds de commerce, contrairement aux dispositions de l'article L141-14 du code de commerce ;
33. - reconventionnellement, concernant la résiliation du contrat de mission, que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas préalablement avisé la société Energie Plus de prétendus arriérés de paiement ; que l'ordonnance de référé du 9 juin 2023, définitive, a ainsi constaté que la société Safigec Dauphiné Savoies a résilié le contrat sans mise en demeure, et sans avoir sollicité l'arbitrage du président de l'ordre des experts-comptables, et sans avoir notifié son intention de retenir les pièces comptables ; que le contrat étant stipulé reconductible tacitement chaque année, la société Energie Plus pensait qu'elle était à jour des honoraires ; que la lettre de mission a prévu une résiliation mais après envoi d'une mise en demeure par lettre recommandée restée sans effet ;
34. - que la société Energie Plus a ainsi été contrainte, dans l'urgence, de trouver un nouvel expert-comptable, lequel a accepté un travail inhabituel car contraint de reconstituer une comptabilité; que si des documents ont été transmis le 15 juin 2023, il ne s'agit que d'éléments incomplets ne permettant pas au nouvel expert-comptable de prendre la suite, ce dont il a fait part par courrier du 3 juillet 2023; qu'un second envoi de documents a également été incomplet ; qu'il en a résulté l'impossibilité d'établir et de déposer les comptes pour l'exercice clos au 31 mars 2022, avec la nécessité de déposer deux requêtes afin d'obtenir une prorogation du délai de dépôt de ces comptes ;
35. - que la société Energie Plus a subi ainsi un préjudice résultant de la facture du cabinet comptable [R] pour 3.888 euros TTC au titre de ses tâches exceptionnelles, du coût des deux requêtes adressées au tribunal pour obtenir une prorogation de la date de dépôt des comptes et des frais d'avocat, outre la pénalité de 1.200 euros infligée par l'administration fiscale pour non télétransmission des comptes ;
36. - que le refus de donner mainlevée de l'opposition et l'action engagée par la société Safigec Dauphiné Savoies ont empêché la société Energie Plus de régler l'échéance de son plan de sauvegarde, de sorte qu'elle a été placée en redressement judiciaire, ce qui a entraîné le paiement des honoraires fixes du mandataire judiciaire pour 2.351,25 euros HT ;
37. - que la société Safigec Dauphiné Savoies a agi abusivement, alors qu'elle ne pouvait ignorer la situation fragile de la société Energie Plus en raison de la tenue de sa comptabilité, ce qui a entraîné six procédures judiciaires, au regard d'une créance contestée de 11.358,72 euros, outre le risque de placer sa cliente en liquidation judiciaire, ce qui justifie le prononcé d'amendes civiles.
*****
38. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
1 ) Concernant la demande en paiement de l'appelante :
39. Selon le jugement déféré, l'examen des pièces fournies par l'appelante donne la situation suivante :
- Elle fournit une situation comptable et les factures concernées pour la période du 31 mai 2021 au 31 août 2022. Le total des factures produites donne un montant de 11.358,72 euros, soit la somme réclamée.
- Elle fournit également un extrait du grand livre sur une période plus longue que la situation comptable produite. Seules les factures de la période du 31 mars 2021 au 31 août 2022 sont produites. Toutes les factures antérieures à cette période ne sont pas produites.
- Le grand livre montre que sur la période incriminée du 31 mars 2021 au 31 août 2022, la société Energie Plus a payé 10.133 euros de prestation.
- L'ordonnance 2023R00125 du tribunal de commerce de Grenoble du 9 juin 2023 condamne la société Safigec Dauphiné Savoies à produire l'intégralité des factures qu'elle a émises pendant toute la durée de la relation avec la société Energie Plus. La société Safigec Dauphiné Savoies ne le fait pas dans la fourniture des pièces qu'elle verse au dossier.
- Dans la liste des factures fournies figure la prestation d'août 2022 qui n'a pas été effectuée puisque le contrat a été arrêté à l'initiative de la société Safigec Dauphiné Savoies le 25 juillet 2022. La facture d'août 2022 s'élève à 896,40 euros.
- Les factures émises entre avril 2022 et juillet 2022 correspondent à des prestations non effectuées. C'est le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus qui reprend les travaux que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas terminé pour les mener à leur terme. Deux demandes de prorogation du délai de réunion de l'assemblée générale chargée d'approuver les comptes sont nécessaires pour lui permettre de présenter ses travaux terminés.
40. Le tribunal a ainsi retenu que la société Safigec Dauphiné Savoies n'apporte pas la preuve du non-paiement de 11.358,72 euros sur la période du 31 mars 2021 au 31 août 2022. Au contraire, les documents produits montrent que 10.133 euros ont été payés. De plus, parmi la liste de factures fournies, les prestations d'avril à août ne sont pas effectuées, forçant le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus à reprendre les travaux. La facture d'août 2022 pour un montant de 896,40 euros TTC concerne une période où la société Safigec Dauphiné Savoies n'assure plus le service à la société Energie Plus puisqu'elle a arrêté le contrat le 25 juillet 2022. Les factures émises d'avril à juillet concernent des factures dont les prestations n'ont pas été effectuées puisque le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus a dû reprendre les travaux pour les mener à leur terme. Le montant des factures de avril-mai-juin et juillet s'élève à 2.860,80 euros TTC.
41. Le tribunal a, en conséquence, débouté la société Safigec Dauphiné Savoies de sa demande en paiement, et l'a condamnée à rembourser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu pour les périodes d'avril à août 2022.
42. La cour constate qu'il ressort du grand livre tenu par la société Safigec Dauphiné Savoies que le solde de 11.358,72 euros inclut les factures émises jusqu'au 31 août 2022. Il est à noter que la société Energie Plus est systématiquement en retard sur le paiement des honoraires, ne versant mensuellement que 600 euros chaque mois. Ce retard est persistant sur toute la durée figurant dans l'extrait de ce compte. Ce compte concerne 18 factures partiellement impayées entre le 31 mars 2021 et le 31 août 2022, et l'appelante fournit le listing de ces factures et les produit.
43. La cour relève que la lettre de mission a prévu que le non paiement des honoraires peut, après rappel par lettre recommandée avec accusé de réception, entraîner la suspension des travaux ou mettre fin à la mission. Or, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juillet 2022, la société Safigec Dauphiné Savoies a mis en demeure la société Energie Plus de régler les honoraires impayés et a suspendu immédiatement l'ensemble de ses missions.
44. Enfin, la cour constate que l'une des factures émises par la société Safigec Dauphiné Savoies concerne une période postérieurement à la date de la suspension de sa mission. Il s'agit de la facture du 31 août 2022 au titre d'un acompte sur ce mois et des honoraires de rupture conventionnelle d'un contrat de travail, pour 896,40 euros. La cour, au regard de la suspension de sa mission notifiée par l'appelante à compter du 25 juillet 2022, ne peut que retenir que cette facture du 31 août 2022 n'est pas due.
45. Il en résulte qu'à la date de la cessation de la mission d'expertise comptable, l'intimée était redevable d'un total de 10.462,32 euros TTC (11.358,72 ' 896,40) au titre des travaux effectués par l'expert-comptable. Si la société Energie Plus soutient que l'appelante aurait manqué à ses obligations à compter du mois d'avril 2022, elle n'en rapporte pas la preuve, n'ayant émis aucune remarque à compter de cette date jusqu'à la suspension de la lettre de mission. La cour remarque que dans sa mise en demeure du 25 juillet 2022, l'expert-comptable rappelle que les pièces comptables lui ont été adressées avec retard depuis plusieurs mois, ce qui n'a
pas alors été démenti par la société Energie Plus. Il n'existe aucune contestation sur l'absence de réalisation des travaux comptables avant la survenue du litige, alors que la lettre de mission indique que le client doit signaler à l'expert-comptable ses contestations motivées dès la facturation de ses travaux. En la cause, à l'occasion du prélèvement mensuel des honoraires de l'appelante, aucune contestation n'a été émise par la société Energie Plus. Sous réserve du montant fixé ci-dessus, la preuve de l'obligation invoquée par l'appelante est rapportée.
46. En conséquence, la cour ne peut qu'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal l'appelante de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné l'appelante à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu.
47. Statuant à nouveau, la cour fixera ainsi la créance de l'appelante au solde de 10.462,32 euros TTC au titre du solde des factures impayées à la date de la mise en demeure, avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2022 jusqu'au 20 février 2024, date de l'ouverture de la procédure judiciaire de l'intimée, cette ouverture arrêtant le cours des intérêts. Dans cet intervalle, les intérêts seront capitalisés selon les modalités prévues à l'article 1343-2 du code civil.
2) Concernant la demande de mainlevée de l'opposition au paiement du prix de la vente du fonds de commerce de la société Energie Plus :
48. Selon le jugement déféré, la société Safigec Dauphiné Savoies a formé son opposition sans titre exécutoire, et n'a pas, lorsque la société Energie Plus a engagé son action en mainlevée de l'opposition, entamé de procédure au fond. Les pièces fournies par la société Safigec Dauphiné Savoies ne permettent pas de prouver l'existence de sa créance, de sorte que son opposition est faite sans titre ni cause.
49. S'agissant en premier lieu du moyen pris d'une nullité de forme de l'opposition, la cour constate que selon la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par la société Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 au notaire détenant les fonds provenant de la cession du fonds de commerce, l'adresse de la société Safigec Dauphiné Savoies est située sur le ressort du tribunal de commerce de Grenoble, dans lequel le fonds de commerce de l'intimée est située. Il en ressort qu'il n'existe pas de cause de nullité de cette opposition.
50. S'agissant ensuite du caractère exigible de la créance revendiquée par l'opposante, la cour constate que l'article L141-14 du code de commerce n'impose pas que le créancier opposant dispose d'une créance exigible, pourvu qu'elle soit certaine. L'opposition peut ainsi être formée sans que le créancier dispose d'un titre exécutoire. Il s'agit d'une mesure conservatoire, ayant pour seul effet de rendre indisponible le prix de vente et de permettre au créancier de faire valoir postérieurement ses droits dans une distribution du prix.
51. La cour relève que suite à l'opposition formée le 28 novembre 2022 entre les mains du notaire détenant les fonds provenant de la cession du fonds de commerce de la société Energie Plus, l'appelante l'a assignée au fond le 21 juillet 2023. Le présent arrêt reconnaît les caractères certain, liquide et exigible de la créance de l'appelante. Il en résulte que le jugement déféré n'a pu ainsi ordonner la mainlevée de l'opposition au motif qu'elle a été pratiquée sans titre et sans cause.
52. Cependant, l'opposition faite dans les conditions définies par l'article L141-14 du code de commerce n'a pas pour effet de conférer au créancier opposant un privilège sur le prix de cession du fonds de commerce, mais seulement d'empêcher le détenteur des fonds de les verser au cédant. Or, la société Energie Plus fait désormais l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Le principe de suspension des poursuites et des voies d'exécution, d'ordre public, impose ainsi d'ordonner la mainlevée de l'opposition.
3) Concernant les préjudices invoqués par la société Energie Plus :
53. Selon les premiers juges, l'ordonnance de référé du 9 juin 2023 a indiqué que la société Safigec Dauphiné Savoies ne justifie pas avoir adressé une mise en demeure de payer préalablement à la suspension de ses prestations, ni avoir sollicité une conciliation de l'ordre des experts-comptables, ni avoir notifié son intention de retenir les documents comptables. Aucune pièce ne vient lever les manquements de la société Safigec Dauphiné Savoies relevés par cette ordonnance, alors qu'elle n'a pas apporté la preuve des sommes réclamées.
54 Ils ont indiqué, en outre, que suite à l'ordonnance de référé, la société Safigec Dauphiné Savoies a transmis des documents retenus le 16 juin et le 31 juillet 2023, la première livraison étant incomplète. Elle a mis fin à la relation avec la société Energie Plus le 25 juillet 2022. Cette transmission tardive engendre du retard et des difficultés avec l'administration, dans la gestion comptable, fiscale et sociale de l'entreprise.
55. Le tribunal a retenu que la société Energie Plus subit des dépenses supplémentaires qu'elle justifie, et il a en conséquence condamné l'appelante au paiement des sommes réglées à cet effet.
56. La cour ne peut que rappeler que l'appelante a suspendu sa mission suite à un défaut de paiement de ses factures, réglées partiellement de façon systématique à partir du mois de septembre 2021, point de départ de l'extrait du grand livre versé aux débats. Cette suspension était ainsi légitime, alors que l'intimée en a été avisée le 25 juillet 2022.
57. La présente instance est engagée sur le fond, alors que l'ordonnance de référé du 9 juin 2023, rendue à la demande de la société Energie Plus pour se voir remettre les documents retenus par la société Safigec Dauphiné Savoies, n'a qu'une valeur provisoire, cédant devant la présente procédure.
58. Au regard d'un défaut récurent du paiement de ses factures, l'appelante était ainsi fondée à interrompre sa mission, à exercer son droit de rétention sur les pièces comptables, et l'intimée est en conséquence mal fondée à se prévaloir des désagréments résultant de travaux comptables supplémentaires du cabinet Janus-Bonaz nécessités par la reprise de sa comptabilité, de l'impossibilité de déposer ses comptes annuels dans les temps ou d'effectuer ses télédéclarations fiscales et sociales.
59. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante au paiement des sommes de 3.888 euros, 862,80 euros et 1.200 euros. Statuant à nouveau, la cour déboutera l'intimée de ces demandes.
60. La cour déboutera également la société Energie Plus de sa demande additionnelle concernant le coût de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, d'autant qu'aucun élément ne vient confirmer qu'elle est la conséquence de la suspension de la mission d'expertise comptable.
61. La demande en paiement de l'appelante n'est pas ainsi abusive. La cour déboutera ainsi la société Energie Plus de sa demande visant le paiement d'amendes civiles.
*****
62. Le sens du présent arrêt impose d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'appelante à verser à la société Energie Plus la somme de 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, incluant ceux de la procédure de référé.
63. Statuant à nouveau, la cour fixera au passif de la société Energie Plus la somme de 4.000 euros au titre des frais exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile. La société Energie Plus sera condamnée aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire, par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L141-14 et suivants du code de commerce, les articles 1101 et suivants du code civil, l'article 32-1 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu ;
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la concluante le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- condamné la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la somme de 1.500 euros à la société Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référée RG2023R298 ;
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour;
statuant à nouveau ;
Fixe au passif de la société Energie Plus la créance de la société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, pour la somme de 10.462,32 euros TTC, au titre du solde des factures impayées à la date de la mise en demeure du 25 juillet 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2022 jusqu'au 20 février 2024, date de l'ouverture de la procédure judiciaire de la société Energie Plus ;
Dit les intérêts seront capitalisés selon les modalités prévues à l'article 1343-2 du code civil, pour ceux dus sur la période du 25 juillet 2022 au 20 février 2024 ;
Ordonne la mainlevée de l'opposition pratiquée sur le prix de la cession du fonds de commerce de la société Energie Plus en raison de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire la concernant ;
Déboute la société Energie Plus, assistée par la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire, de sa demande formée au titre de ses préjudices concernant :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
* les frais liés à la procédure de redressement judiciaire, dont à titre provisionnel la somme de 2.351, 25 euros HT ;
Déboute la société Energie Plus, assistée par la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire, de sa demande visant la condamnation de la société Safigec Dauphiné Savoies au paiement d'une amende civile ;
Fixe au passif de la société Energie Plus la créance de la société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, pour la somme de 4.000 euros au titre des frais exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Energie Plus aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire ;
Signé par Madame FIGUET, Présidente et par Madame RICHET, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL GUMUSCHIAN-ROGUET-BONZY
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 25 SEPTEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° RG 2023J00234)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 17 mai 2024
suivant déclaration d'appel du 19 juin 2024
APPELANTE :
La société NUMANS DAUPHINE SAVOIE (anciennement dénommée SAFIGEC DAUPHINE) SAVOIES, société à responsabilité limitée au capital de 410 416 €, inscrite au RCS de [Localité 7] sous le n° 402 447 726, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me David ROGUET de la SELARL GUMUSCHIAN-ROGUET-BONZY, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. [L] & ASSOCIES Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Maître [L], Commissaire à l'exécution du plan de la SAS ENERGIE PLUS, Société par Actions Simplifiée au capital social de 8.000€ inscrite au RCS de GRENOBLE sous le numéro 449 989 920, aux termes d'un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE le 20 février 2024
[Adresse 1]
[Localité 4] / FRANCE
S.A.S. ENERGIE PLUS au capital social de 8 000 euros, identifiée au SIREN sous le numéro 449 989 920 et immatriculé au Registre du commerce et des sociétés de GRENOBLE, agissant poursuite et diligences de son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3] / FRANCE
représentées par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 juin 2025, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. La société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, et la société Energie Plus ont conclu le 22 mai 2019 un contrat de mission d'expertise comptable, incluant notamment la présentation des comptes annuels, l'archivage des données comptables, l'établissement des contrats de travail des salariés et des fiches de paies. Cette mission a pris effet à compter du 1er avril 2018.
2. Le 25 juillet 2022, la société Safigec Dauphiné Savoies a adressé à la société Energie Plus une mise en demeure de régulariser des honoraires non réglés pour 11.358,72 euros, rappelant que ses honoraires n'ont pas été réglés malgré de nombreuses relances. Elle a précisé suspendre ses missions, notamment l'établissement des fiches de paies, des comptes annuels, des déclarations fiscales et sociales. Cette lettre a en outre indiqué que ce n'est qu'après plusieurs relances qu'elle a pu obtenir les pièces manquantes et les justificatifs lui permettant d'établir les comptes annuels.
3. Le 25 novembre 2022, la cession du fonds de commerce appartenant à la société Energie Plus a été publiée au Bodacc. La société Safigec Dauphiné Savoies a en conséquence formé opposition au paiement du prix de la vente de ce fonds pour la somme de 11.358,72 euros le 28 novembre 2022.
4. Le 25 mai 2023, la société Energie Plus a assigné en référé la société Safigec Dauphiné Savoies afin de voir ordonner la mainlevée de cette opposition. Par ordonnance du 8 août 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a rejeté cette demande.
5. Par ordonnance du 9 juin 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à restituer à la société Energie Plus l'ensemble des documents qu'elle détient, et à produire l'intégralité des factures qu'elle a émises pendant la durée de la relation contractuelle.
6. La société Safigec Dauphiné Savoies a saisi le tribunal de commerce de Grenoble le 21 juillet 2023 afin d'obtenir le paiement de la somme de 11.358,72 euros.
7. Le 20 février 2024, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte concernant la société Energie Plus, laquelle se trouvait antérieurement bénéficier d'un plan de sauvegarde qui est ainsi résolu.
8. Par jugement du 17 mai 2024, le tribunal de commerce de Grenoble a rendu la décision suivante :
« - Déboute en principal la société la Sarl Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts.
- Condamne la société la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu.
- Ordonne la mainlevée de ladite opposition formée par la
Sarl Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
* Les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* Les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- Déboute la société Energie Plus de sa demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la somme de 1.500 euros à Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la Sarl Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG2023R298.
- Liquide les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 701 du code de procédure civile.»
9. La société Safigec Dauphiné Savoies a interjeté appel de cette décision le 19 juin 2024, en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel, à l'exception de celle ayant débouté la société Energie Plus de sa demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive.
10. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 15 mai 2025.
Prétentions et moyens de la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) :
11. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 21 mars 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal la concluante de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné la concluante à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu ;
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la concluante le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause ;
- condamné la concluante à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- condamné la concluante à verser la somme de 1.500 euros à Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la concluante aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG2023R298 ;
- liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 701 du code de procédure civile.
12. Elle demande à la cour, statuant à nouveau :
- de fixer la créance détenue par la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) à l'encontre de la société Energie Plus à la somme de 11.358,72 euros correspondant aux factures impayées ;
- de juger que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 juillet 2022 ;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
- de débouter la société Energie Plus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- de condamner la société Energie Plus à payer à la société Numans Dauphiné Savoies (anciennement dénommée Safigec Dauphiné Savoies) la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
13. L'appelante expose :
14. - concernant les sommes que la société Energie Plus lui doit, que le grand livre de la concluante fait apparaître un solde arrêté au 31 août 2021 de 8.965,92 euros, puisque la société Energie Plus ne versait que des acomptes mensuels partiels; que la concluante a déclaré sa créance au passif de la société Energie Plus le 10 avril 2024 et a appelé en cause le mandataire judiciaire; que sa demande tendant à la fixation de sa créance à 11.358,72 euros est ainsi bien fondée, alors que les intérêts doivent courir à compter de la mise en demeure du 25 juillet 2022 ;
15. - concernant la demande de mainlevée de l'opposition, que si la société Energie Plus a invoqué devant le tribunal une nullité de l'opposition au motif qu'elle a été faite par la société Numans Dauphiné Savoies immatriculée à Lyon et non par la société Safigec Dauphiné Savoies, il ne s'agit que d'une nullité de forme au sens de l'article 114 du code de procédure civile, justifiant la preuve d'un grief qui n'est pas rapportée alors qu'il ne s'agit pas d'une cause d'ordre public ;
16. - en outre, que selon l'article L141-14 du code de commerce, le créancier opposant n'a pas l'obligation de justifier d'un titre exécutoire, l'opposition constituant une mesure conservatoire (ainsi, Com 2 décembre 2020 n°18-14.272) ; que le tribunal n'a ainsi pu retenir que les pièces produites par la société Safigec Dauphiné Savoies ne permettent pas de prouver l'existence de sa créance et que l'opposition a été faite sans titre ni cause ;
17. - concernant la prétendue résistance abusive dont la société Safigec Dauphiné Savoies aurait fait preuve, en résiliant brutalement le contrat de mission et en retenant les pièces comptables de la société Energie Plus, que cette dernière n'a pas réglé les prestations à plusieurs reprises, alors qu'elle a été relancée à plusieurs occasions ; que le tribunal n'a pas relu les stipulations figurant dans la lettre de mission concernant les honoraires dus à l'expert-comptable, devant être réglés à leur date d'échéance à peine de suspension des travaux ou fin de la mission et de rétention des documents comptables ; que le contrat a prévu que toute contestation d'une facture doit être faite dès sa réception, et être motivée ;
18. -qu'en l'espèce, la société Energie Plus n'a jamais contesté les factures, et a attendu que la société Safigec Dauphiné Savoies cesse ses diligences et la mette en demeure pour finalement contester les factures impayées ; que le fait qu'elle ait dû saisir en urgence un autre expert-comptable résulte de sa carence ; qu'elle ne peut ainsi en faire supporter le coût à la société Safigec Dauphiné Savoies ;
19. - s'agissant de l'exercice du droit de rétention, qu'il est prévu par l'article 168 du décret du 30 mars 2012, et est justifié par le solde dû au 31 août 2021;
20. - qu'il en résulte que la concluante n'a pas fait preuve d'une résistance abusive et a exercé un droit prévu par la loi ;
21. - en outre, que la société Energie Plus n'a jamais transmis à la concluante des documents originaux, mais que des copies dématérialisées, alors que la concluante a communiqué au nouvel expert-comptable les documents le 6 septembre 2022, soit un jour après sa demande ; que le tribunal n'a ainsi pu dire que suite à l'ordonnance du 9 juin 2023, les documents ont été remis à la société Energie Plus les 16 juin et 31 juillet 2023, la première livraison étant incomplète, d'autant que celle-ci a apporté des ajouts à ses demandes au fil de courriels officiels ;
22. - concernant les dépenses supplémentaires que le tribunal a mis à la charge de la société Safigec Dauphiné Savoies au titre de frais d'expertise comptable exceptionnels, de frais de prorogation de dépôt des comptes, et l'amende fiscale, que la concluante n'a commis aucune faute, alors que c'est la société Energie Plus qui est fautive pour ne pas avoir réglé les prestations, et ainsi responsable de la désignation d'un nouvel expert-comptable, alors qu'elle devait légalement recourir à un expert-comptable, étant une société commerciale ; qu'elle disposait des documents nécessaires; que les frais résultant du report du dépôt des comptes annuels résultent de ses fautes ;
23. - concernant la demande de condamnation de la concluante pour procédure abusive, qu'il n'existe aucune preuve d'un acharnement, alors que la concluante n'a fait qu'exercer son droit d'agir et d'avoir accès à un double degré de juridiction.
Prétentions et moyens de la société Energie Plus et de la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire :
24. Selon leurs conclusions remises par voie électronique le 23 décembre 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, des articles L141-14, L141-15 et L141-16 du code de commerce, de l'article 32-1 du code de procédure civile, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser la somme de 1.500 euros à la société Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé RG 2023R298,
- débouté en principal la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de l'article 701 du code de procédure civile,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu,
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la société Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause,
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice à hauteur de :
' Les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
' Les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
' L'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros.
25. Les intimées demandent à la cour de :
- condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus les frais liés à la procédure de redressement judiciaire, dont à titre provisionnel la somme de 2.351, 25 euros HT ;
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Energie Plus de sa demande au titre de la résistance abusive ;
- statuant à nouveau, de condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à une amende civile d'un montant de 10.000 euros au titre de la procédure abusive de première instance et de 3.000 euros au titre de la procédure d'appel ;
- de débouter la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la société Safigec Dauphiné Savoies à verser la somme de 3.000 euros à la société Energie Plus et la somme de 3.000 euros à la Selarl [L] & Associés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant la cour d'appel, ainsi que les entiers dépens d'appel.
26. Les intimées soutiennent :
27. - concernant les demandes de l'appelante, que les factures en cause, émises entre le 31 mars 2021 et le 31 août 2022, figurant dans le tableau communiqué au séquestre, ont été payées, ainsi qu'il résulte du grand livre établi par la société Safigec Dauphiné Savoies, indiquant que 10.333 euros ont été payés entre le 31 mars 2021 et le 29 juillet 2022 ;
28. - que les sommes payées au titre des factures émises depuis le mois d'avril 2022 doivent être remboursées, puisque la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas établi les documents à partir de cette date, alors qu'elle les a facturés ; que les écritures concernées ont ainsi été comptabilisées par le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus pour établir le bilan au 31 mars 2023, ce qui a engendré une surfacturation; ainsi, que les factures pour un montant total de 2.860,80 euros n'étaient pas dues ;
29. - que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pu valablement émettre sa facture de 896,40 euros TTC le 31 août 2022 à titre d'acompte d'honoraires pour le mois d'août, puisqu'elle avait notifié le 25 juillet la suspension de l'ensemble de ses missions ;
30. - que c'est ainsi la somme totale de 4.757,20 euros qui ne correspond à aucune prestation ; que le tribunal a justement constaté que la société Energie Plus avait trop payé à hauteur de 3.731,48 euros entre avril et août 2022 ;
31. - concernant la mainlevée de l'opposition pratiquée par la société Safigec Dauphiné Savoies, que cette mesure a été pratiquée sans titre, et sans cause en raison du mal fondée des demandes du créancier ;
32. - subsidiairement, que l'opposition est nulle en la forme, puisqu'elle a été faite par la société Safigec Dauphiné Savoies immatriculée à Lyon, sans qu'il y ait eu élection de domicile dans le ressort du tribunal de commerce de Grenoble, lieu dans lequel est situé le fonds de commerce, contrairement aux dispositions de l'article L141-14 du code de commerce ;
33. - reconventionnellement, concernant la résiliation du contrat de mission, que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas préalablement avisé la société Energie Plus de prétendus arriérés de paiement ; que l'ordonnance de référé du 9 juin 2023, définitive, a ainsi constaté que la société Safigec Dauphiné Savoies a résilié le contrat sans mise en demeure, et sans avoir sollicité l'arbitrage du président de l'ordre des experts-comptables, et sans avoir notifié son intention de retenir les pièces comptables ; que le contrat étant stipulé reconductible tacitement chaque année, la société Energie Plus pensait qu'elle était à jour des honoraires ; que la lettre de mission a prévu une résiliation mais après envoi d'une mise en demeure par lettre recommandée restée sans effet ;
34. - que la société Energie Plus a ainsi été contrainte, dans l'urgence, de trouver un nouvel expert-comptable, lequel a accepté un travail inhabituel car contraint de reconstituer une comptabilité; que si des documents ont été transmis le 15 juin 2023, il ne s'agit que d'éléments incomplets ne permettant pas au nouvel expert-comptable de prendre la suite, ce dont il a fait part par courrier du 3 juillet 2023; qu'un second envoi de documents a également été incomplet ; qu'il en a résulté l'impossibilité d'établir et de déposer les comptes pour l'exercice clos au 31 mars 2022, avec la nécessité de déposer deux requêtes afin d'obtenir une prorogation du délai de dépôt de ces comptes ;
35. - que la société Energie Plus a subi ainsi un préjudice résultant de la facture du cabinet comptable [R] pour 3.888 euros TTC au titre de ses tâches exceptionnelles, du coût des deux requêtes adressées au tribunal pour obtenir une prorogation de la date de dépôt des comptes et des frais d'avocat, outre la pénalité de 1.200 euros infligée par l'administration fiscale pour non télétransmission des comptes ;
36. - que le refus de donner mainlevée de l'opposition et l'action engagée par la société Safigec Dauphiné Savoies ont empêché la société Energie Plus de régler l'échéance de son plan de sauvegarde, de sorte qu'elle a été placée en redressement judiciaire, ce qui a entraîné le paiement des honoraires fixes du mandataire judiciaire pour 2.351,25 euros HT ;
37. - que la société Safigec Dauphiné Savoies a agi abusivement, alors qu'elle ne pouvait ignorer la situation fragile de la société Energie Plus en raison de la tenue de sa comptabilité, ce qui a entraîné six procédures judiciaires, au regard d'une créance contestée de 11.358,72 euros, outre le risque de placer sa cliente en liquidation judiciaire, ce qui justifie le prononcé d'amendes civiles.
*****
38. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
1 ) Concernant la demande en paiement de l'appelante :
39. Selon le jugement déféré, l'examen des pièces fournies par l'appelante donne la situation suivante :
- Elle fournit une situation comptable et les factures concernées pour la période du 31 mai 2021 au 31 août 2022. Le total des factures produites donne un montant de 11.358,72 euros, soit la somme réclamée.
- Elle fournit également un extrait du grand livre sur une période plus longue que la situation comptable produite. Seules les factures de la période du 31 mars 2021 au 31 août 2022 sont produites. Toutes les factures antérieures à cette période ne sont pas produites.
- Le grand livre montre que sur la période incriminée du 31 mars 2021 au 31 août 2022, la société Energie Plus a payé 10.133 euros de prestation.
- L'ordonnance 2023R00125 du tribunal de commerce de Grenoble du 9 juin 2023 condamne la société Safigec Dauphiné Savoies à produire l'intégralité des factures qu'elle a émises pendant toute la durée de la relation avec la société Energie Plus. La société Safigec Dauphiné Savoies ne le fait pas dans la fourniture des pièces qu'elle verse au dossier.
- Dans la liste des factures fournies figure la prestation d'août 2022 qui n'a pas été effectuée puisque le contrat a été arrêté à l'initiative de la société Safigec Dauphiné Savoies le 25 juillet 2022. La facture d'août 2022 s'élève à 896,40 euros.
- Les factures émises entre avril 2022 et juillet 2022 correspondent à des prestations non effectuées. C'est le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus qui reprend les travaux que la société Safigec Dauphiné Savoies n'a pas terminé pour les mener à leur terme. Deux demandes de prorogation du délai de réunion de l'assemblée générale chargée d'approuver les comptes sont nécessaires pour lui permettre de présenter ses travaux terminés.
40. Le tribunal a ainsi retenu que la société Safigec Dauphiné Savoies n'apporte pas la preuve du non-paiement de 11.358,72 euros sur la période du 31 mars 2021 au 31 août 2022. Au contraire, les documents produits montrent que 10.133 euros ont été payés. De plus, parmi la liste de factures fournies, les prestations d'avril à août ne sont pas effectuées, forçant le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus à reprendre les travaux. La facture d'août 2022 pour un montant de 896,40 euros TTC concerne une période où la société Safigec Dauphiné Savoies n'assure plus le service à la société Energie Plus puisqu'elle a arrêté le contrat le 25 juillet 2022. Les factures émises d'avril à juillet concernent des factures dont les prestations n'ont pas été effectuées puisque le nouvel expert-comptable de la société Energie Plus a dû reprendre les travaux pour les mener à leur terme. Le montant des factures de avril-mai-juin et juillet s'élève à 2.860,80 euros TTC.
41. Le tribunal a, en conséquence, débouté la société Safigec Dauphiné Savoies de sa demande en paiement, et l'a condamnée à rembourser à la société Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu pour les périodes d'avril à août 2022.
42. La cour constate qu'il ressort du grand livre tenu par la société Safigec Dauphiné Savoies que le solde de 11.358,72 euros inclut les factures émises jusqu'au 31 août 2022. Il est à noter que la société Energie Plus est systématiquement en retard sur le paiement des honoraires, ne versant mensuellement que 600 euros chaque mois. Ce retard est persistant sur toute la durée figurant dans l'extrait de ce compte. Ce compte concerne 18 factures partiellement impayées entre le 31 mars 2021 et le 31 août 2022, et l'appelante fournit le listing de ces factures et les produit.
43. La cour relève que la lettre de mission a prévu que le non paiement des honoraires peut, après rappel par lettre recommandée avec accusé de réception, entraîner la suspension des travaux ou mettre fin à la mission. Or, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juillet 2022, la société Safigec Dauphiné Savoies a mis en demeure la société Energie Plus de régler les honoraires impayés et a suspendu immédiatement l'ensemble de ses missions.
44. Enfin, la cour constate que l'une des factures émises par la société Safigec Dauphiné Savoies concerne une période postérieurement à la date de la suspension de sa mission. Il s'agit de la facture du 31 août 2022 au titre d'un acompte sur ce mois et des honoraires de rupture conventionnelle d'un contrat de travail, pour 896,40 euros. La cour, au regard de la suspension de sa mission notifiée par l'appelante à compter du 25 juillet 2022, ne peut que retenir que cette facture du 31 août 2022 n'est pas due.
45. Il en résulte qu'à la date de la cessation de la mission d'expertise comptable, l'intimée était redevable d'un total de 10.462,32 euros TTC (11.358,72 ' 896,40) au titre des travaux effectués par l'expert-comptable. Si la société Energie Plus soutient que l'appelante aurait manqué à ses obligations à compter du mois d'avril 2022, elle n'en rapporte pas la preuve, n'ayant émis aucune remarque à compter de cette date jusqu'à la suspension de la lettre de mission. La cour remarque que dans sa mise en demeure du 25 juillet 2022, l'expert-comptable rappelle que les pièces comptables lui ont été adressées avec retard depuis plusieurs mois, ce qui n'a
pas alors été démenti par la société Energie Plus. Il n'existe aucune contestation sur l'absence de réalisation des travaux comptables avant la survenue du litige, alors que la lettre de mission indique que le client doit signaler à l'expert-comptable ses contestations motivées dès la facturation de ses travaux. En la cause, à l'occasion du prélèvement mensuel des honoraires de l'appelante, aucune contestation n'a été émise par la société Energie Plus. Sous réserve du montant fixé ci-dessus, la preuve de l'obligation invoquée par l'appelante est rapportée.
46. En conséquence, la cour ne peut qu'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal l'appelante de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné l'appelante à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu.
47. Statuant à nouveau, la cour fixera ainsi la créance de l'appelante au solde de 10.462,32 euros TTC au titre du solde des factures impayées à la date de la mise en demeure, avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2022 jusqu'au 20 février 2024, date de l'ouverture de la procédure judiciaire de l'intimée, cette ouverture arrêtant le cours des intérêts. Dans cet intervalle, les intérêts seront capitalisés selon les modalités prévues à l'article 1343-2 du code civil.
2) Concernant la demande de mainlevée de l'opposition au paiement du prix de la vente du fonds de commerce de la société Energie Plus :
48. Selon le jugement déféré, la société Safigec Dauphiné Savoies a formé son opposition sans titre exécutoire, et n'a pas, lorsque la société Energie Plus a engagé son action en mainlevée de l'opposition, entamé de procédure au fond. Les pièces fournies par la société Safigec Dauphiné Savoies ne permettent pas de prouver l'existence de sa créance, de sorte que son opposition est faite sans titre ni cause.
49. S'agissant en premier lieu du moyen pris d'une nullité de forme de l'opposition, la cour constate que selon la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par la société Safigec Dauphiné Savoies le 28 novembre 2022 au notaire détenant les fonds provenant de la cession du fonds de commerce, l'adresse de la société Safigec Dauphiné Savoies est située sur le ressort du tribunal de commerce de Grenoble, dans lequel le fonds de commerce de l'intimée est située. Il en ressort qu'il n'existe pas de cause de nullité de cette opposition.
50. S'agissant ensuite du caractère exigible de la créance revendiquée par l'opposante, la cour constate que l'article L141-14 du code de commerce n'impose pas que le créancier opposant dispose d'une créance exigible, pourvu qu'elle soit certaine. L'opposition peut ainsi être formée sans que le créancier dispose d'un titre exécutoire. Il s'agit d'une mesure conservatoire, ayant pour seul effet de rendre indisponible le prix de vente et de permettre au créancier de faire valoir postérieurement ses droits dans une distribution du prix.
51. La cour relève que suite à l'opposition formée le 28 novembre 2022 entre les mains du notaire détenant les fonds provenant de la cession du fonds de commerce de la société Energie Plus, l'appelante l'a assignée au fond le 21 juillet 2023. Le présent arrêt reconnaît les caractères certain, liquide et exigible de la créance de l'appelante. Il en résulte que le jugement déféré n'a pu ainsi ordonner la mainlevée de l'opposition au motif qu'elle a été pratiquée sans titre et sans cause.
52. Cependant, l'opposition faite dans les conditions définies par l'article L141-14 du code de commerce n'a pas pour effet de conférer au créancier opposant un privilège sur le prix de cession du fonds de commerce, mais seulement d'empêcher le détenteur des fonds de les verser au cédant. Or, la société Energie Plus fait désormais l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Le principe de suspension des poursuites et des voies d'exécution, d'ordre public, impose ainsi d'ordonner la mainlevée de l'opposition.
3) Concernant les préjudices invoqués par la société Energie Plus :
53. Selon les premiers juges, l'ordonnance de référé du 9 juin 2023 a indiqué que la société Safigec Dauphiné Savoies ne justifie pas avoir adressé une mise en demeure de payer préalablement à la suspension de ses prestations, ni avoir sollicité une conciliation de l'ordre des experts-comptables, ni avoir notifié son intention de retenir les documents comptables. Aucune pièce ne vient lever les manquements de la société Safigec Dauphiné Savoies relevés par cette ordonnance, alors qu'elle n'a pas apporté la preuve des sommes réclamées.
54 Ils ont indiqué, en outre, que suite à l'ordonnance de référé, la société Safigec Dauphiné Savoies a transmis des documents retenus le 16 juin et le 31 juillet 2023, la première livraison étant incomplète. Elle a mis fin à la relation avec la société Energie Plus le 25 juillet 2022. Cette transmission tardive engendre du retard et des difficultés avec l'administration, dans la gestion comptable, fiscale et sociale de l'entreprise.
55. Le tribunal a retenu que la société Energie Plus subit des dépenses supplémentaires qu'elle justifie, et il a en conséquence condamné l'appelante au paiement des sommes réglées à cet effet.
56. La cour ne peut que rappeler que l'appelante a suspendu sa mission suite à un défaut de paiement de ses factures, réglées partiellement de façon systématique à partir du mois de septembre 2021, point de départ de l'extrait du grand livre versé aux débats. Cette suspension était ainsi légitime, alors que l'intimée en a été avisée le 25 juillet 2022.
57. La présente instance est engagée sur le fond, alors que l'ordonnance de référé du 9 juin 2023, rendue à la demande de la société Energie Plus pour se voir remettre les documents retenus par la société Safigec Dauphiné Savoies, n'a qu'une valeur provisoire, cédant devant la présente procédure.
58. Au regard d'un défaut récurent du paiement de ses factures, l'appelante était ainsi fondée à interrompre sa mission, à exercer son droit de rétention sur les pièces comptables, et l'intimée est en conséquence mal fondée à se prévaloir des désagréments résultant de travaux comptables supplémentaires du cabinet Janus-Bonaz nécessités par la reprise de sa comptabilité, de l'impossibilité de déposer ses comptes annuels dans les temps ou d'effectuer ses télédéclarations fiscales et sociales.
59. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante au paiement des sommes de 3.888 euros, 862,80 euros et 1.200 euros. Statuant à nouveau, la cour déboutera l'intimée de ces demandes.
60. La cour déboutera également la société Energie Plus de sa demande additionnelle concernant le coût de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, d'autant qu'aucun élément ne vient confirmer qu'elle est la conséquence de la suspension de la mission d'expertise comptable.
61. La demande en paiement de l'appelante n'est pas ainsi abusive. La cour déboutera ainsi la société Energie Plus de sa demande visant le paiement d'amendes civiles.
*****
62. Le sens du présent arrêt impose d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'appelante à verser à la société Energie Plus la somme de 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, incluant ceux de la procédure de référé.
63. Statuant à nouveau, la cour fixera au passif de la société Energie Plus la somme de 4.000 euros au titre des frais exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile. La société Energie Plus sera condamnée aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire, par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L141-14 et suivants du code de commerce, les articles 1101 et suivants du code civil, l'article 32-1 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté en principal la société Safigec Dauphiné Savoies de ses demandes de paiement du principal de 11.358,72 euros, des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à Energie Plus la somme de 3.731,48 euros au titre du trop-perçu ;
- ordonné la mainlevée de ladite opposition formée par la concluante le 28 novembre 2022 car sans titre et sans cause ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies à verser à la société Energie Plus au titre du préjudice :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
- condamné la Sarl Safigec Dauphiné Savoies à verser à la somme de 1.500 euros à la société Energie Plus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Safigec Dauphiné Savoies aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référée RG2023R298 ;
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour;
statuant à nouveau ;
Fixe au passif de la société Energie Plus la créance de la société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, pour la somme de 10.462,32 euros TTC, au titre du solde des factures impayées à la date de la mise en demeure du 25 juillet 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2022 jusqu'au 20 février 2024, date de l'ouverture de la procédure judiciaire de la société Energie Plus ;
Dit les intérêts seront capitalisés selon les modalités prévues à l'article 1343-2 du code civil, pour ceux dus sur la période du 25 juillet 2022 au 20 février 2024 ;
Ordonne la mainlevée de l'opposition pratiquée sur le prix de la cession du fonds de commerce de la société Energie Plus en raison de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire la concernant ;
Déboute la société Energie Plus, assistée par la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire, de sa demande formée au titre de ses préjudices concernant :
* les frais d'expertise comptables exceptionnels pour un montant de 3.888 euros TTC,
* les frais de prorogations dépôts des comptes pour un montant de 862,80 euros TTC,
* l'amende fiscale pour un montant de 1.200 euros ;
* les frais liés à la procédure de redressement judiciaire, dont à titre provisionnel la somme de 2.351, 25 euros HT ;
Déboute la société Energie Plus, assistée par la Selarl [L], ès-qualités de mandataire judiciaire, de sa demande visant la condamnation de la société Safigec Dauphiné Savoies au paiement d'une amende civile ;
Fixe au passif de la société Energie Plus la créance de la société Safigec Dauphiné Savoies, devenue Numans Dauphiné Savoies, pour la somme de 4.000 euros au titre des frais exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Energie Plus aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire ;
Signé par Madame FIGUET, Présidente et par Madame RICHET, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente