CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 25 septembre 2025, n° 24/12875
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 25 SEPTEMBRE 2025
N° 2025/495
Rôle N° RG 24/12875 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN3TR
S.A.S. HIVORY
C/
S.A.S. VALOCIME
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Pierre-Yves IMPERATORE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du TJ de [Localité 11] en date du 11 Octobre 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/04962.
APPELANTE
S.A.S. HIVORY
dont le siège social est [Adresse 6]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et assistée par Me Emmanuelle BON-JULIEN, avocat au barreau de RENNES
INTIMEE
S.A.S. VALOCIME
dont le siège social est [Adresse 9]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et assistée par Me Reynald BRONZONI de l'AARPI ANTES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
M. Laurent DESGOUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La société par actions simplifiée (SAS) Hivory est un gestionnaire d'infrastructures de communications électroniques, dite 'Tower Companie'.
Elle a été créée par la société SFR qui, dans le cadre d'un apport partiel d'actifs en date du 30 novembre 2018, lui a apporté son parc d'infrastructures passives, supportant les antennes de réseau mobile et les baux ou conventions d'occupation attachés.
Elle a pour objet social la gestion et l'exploitation de sites points hauts afin de fournir des services d'accueil aux opérateurs de communications électroniques ou/et audiovisuels avec lesquels elle est liée par des contrats de services. A ce titre, elle gère 10 500 sites hébergeant majoritairement, mais non exclusivement, les antennes de l'opérateur français de téléphonie mobile SFR.
Le 2 décembre 2004, la société SFR a conclu avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] un bail prévoyant la mise à disposition d'une emprise de 150 m² sur la terrasse-toiture de l'immeuble situé sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10] du territoire de la commune de [Localité 11] .
Dans les suites de la signature de ce contrat de location, elle a construit un site de téléphonie mobile incluant une antenne.
Le bail conclu pour une durée de 12 annnées, commençant à courir le 1er janvier 2005, prévoyait une tacite reconduction par échéances de cinq années sauf résiliation d'une des parties notifiée par lettre recommandé avec accusé de réception avec un préavis de 12 mois avant chaque échéance.
La société par actions simplifiée (SAS) Valocime, se présente également comme une Tower Companie, dite TowerCo. Son modèle consiste à rechercher et reprendre des sites existants au terme des baux de ses concurrents.
Par actes sous seing privé en date des 5 et 25 juin 2019, elle a conclu avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] un contrat portant sur la mise à dispostion de l'emplacement précité.
La convention a été signée par le cabinet Immobilière Patrimoine et Finance en sa qualité de syndic, dûment habilité suivant délibération de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 27 mars précédent.
Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 12 octobre 2020, reçue le lendemain, la société Valocîme a notifié à la société SFR la décision du syndicat de copropriétaires de ne pas renouveler le bail postérieurement au 31 décembre 2021.
Concomitamment, les opérateurs mobiles présents sur le site ont été informés du non-renouvellement du bail de la société Hivory et de la proposition de la société Valocîme de lui succéder de façon à maintenir leurs installations sur les lieux.
Aucune décision n'ayant été prise par la société Hivory, la société Valocîme lui a fait signifier, le 8 juin 2022, une mise en demeure d'avoir à quitter les lieux sous huitaine.
Suite au refus de la société Hivory de s'exécuter, signifié par lettre recommandée du 23 juin 2022, la société Valocîme l'a fait assigner, par acte de commissaire de justice en date du 20 octobre 2023, devant le président du tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé, aux fins d'entendre constater qu'elle est occupante sans droit ni titre de la terrasse de l'immeuble [Adresse 3] à Marseille, ordonner son expulsion sous astreinte et l'entendre condamner à :
- enlever tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement, et à le remettre en son état d'origine, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- lui verser une somme mensuelle de 1 088 euros à titre de provision sur indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2022 et jusqu'à parfaite libération des lieux ainsi que 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par ordonnance contradictoire en date du 11 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a :
- déclaré la SAS Valocîme recevable en ses demandes ;
- ordonné l'expulsion de la société Hivory, ainsi que celle de tout occupant de son chef, de la terrasse de l'immeuble situé [Adresse 4], et ce, avec l'assistance d'un serrurier, du commissaire de police et de la force armée si besoin est, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard durant trois mois, passé le délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance ;
- condamné la société Hivory à procéder à l'enlèvement de tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement et à le remettre en son état d'origine et ce, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard durant trois mois, passé le délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance ;
- dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation des astreintes ;
- condamné la société Hivory à payer, à titre provisionnel, à la société Valocîme, une indemnité mensuelle provisionnelle de 1 088 euros à titre de provision sur l'indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2022 jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- condamné la société Hivory à payer à la société Valocîme la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Hivory aux entiers dépens de référé distraits au profit de l'avocat de la cause qui en a fait la demande ;
- rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires des parties ;
Il a notamment considéré :
- que l'action intentée par la société Valocîme était recevable puisque :
' les dispositions de l'article L 34-9-1-1 du code des postes et communications électroniques, relatives au mandat opérateur ne sont pas applicables dès lors que la société Valocîme agit en qualité de locataire et que son action a pour objet la protection possessoire des biens donnés à bail dont elle se trouve évincée ;
' l'article L 34-9-1-1 susvisé ne réserve pas l'action en expulsion au titulaire d'un mandat opérateur mais l'exige seulement dans l'hypothèse où la société Valocîme ferait ultérieurement édifier un nouveau pilône ;
- qu'il était constant que la SAS Hivory, qui ne conteste pas ne plus être titulaire d'un bail la liant au Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], occupait toujours la parcelle et empêchait de ce fait la SAS Valocîme de prendre possession de l'emplacement qu'elle a loué, ce qui constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser ;
- que la société HIVORY ne pouvait valablement opposer les dispositions des article L 65 et L 66 du code des postes et communications électroniques pour justifier l'impossibilité de démonter les équipements et infrastructures qui y sont installées et maintenues en dehors de toute convention avec le bailleur, alors même que ses dispositions ont pour objet de sanctionner pénalement des actes de malveillance ;
- que la société Hivory avait, au jour où il statuait, déjà bénéficié d'un délai de plus de deux ans pour quitter les lieux et procéder à l'enlèvement des infrastructures et équipements s'y trouvant et qu'elle n'avait manifesté aucune intention de le faire en sorte qu'elle devait être déboutée de sa demande de délais ;
- que contrairement aux affirmations de la société Hivory, la société Valocîme ne sollicitait pas une indemnisation provisionnelle à valoir sur une perte de chance de générer des revenus par l'exploitation de la terrasse mais l'indemnisation provisionnelle du préjudice subi du fait de l'impossibilité de disposer des parcelles dont elle était locataire alors même qu'elle était débitrice d'un loyer forfaitaire annuel.
Selon déclaration reçue au greffe le 23 octobre 2024, la SAS Hivory a interjeté appel de cette décision, l'appel visant à la critiquer en toutes ses dispositions.
Par dernières conclusions transmises le 3 juin 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
- à titre principal, déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire :
' juge n'y avoir lieu à référé et renvoie la société Valocîme à mieux se pourvoir au fond ;
' déboute, en conséquence, la société Valocîme de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire, lui octroie un délai de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir pour la remise en état de l'emplacement qu'elle occupe sur l'emprise de 40 m² dépendant de la toiture-terrasse de l'immeuble situé [Adresse 5] ;
- en toute état de cause :
' déboute la société Valocîme de l'ensemble de ses demandes ;
' condamne la société Valocîme à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamne la société Valocîme aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières conclusions transmises le 10 juin 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Valocîme sollicite de la cour qu'elle confirme l'ordonnance et, y ajoutant :
- condamne la société Hivory à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Hivory aux entiers dépens d'instance, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre Yves Imperatore, avocat associé de la SELARL LX Aix en Provence, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 10 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les fins de non-recevoir
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 31 du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'intérêt et la qualité à agir d'une partie s'apprécient au jour de l'introduction de sa demande en justice.
En sa rédaction du 9 juillet 1975, l'article 2278 du code civil (ex 2282, recodifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), dispose : La possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace. La protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits.
Tandis que le possesseur exerce un droit qui ne l'oblige pas à restituer la chose (propriété exclusive, propriété indivise, nue-propriété...), sont qualifiés de détenteurs ceux dont le droit induit une restitution, qu'il s'agisse d'un droit réel (usufruit, usage, habitation, gage, antichrèse...) ou d'un droit personnel (prêt, bail, dépôt ...).
Dès lors, en application du second alinéa de l'article précité, le locataire, titulaire d'un droit personnel sur la chose, peut, tout comme le possesseur, exercer une action possessoire à l'encontre de celui qui trouble sa détention.
Ce trouble est de nature à être qualifié de manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile en sorte ledit locataire a qualité et intérêt à saisir le juge des référés afin de le faire cesser.
En l'espèce, il n'est pas discuté que, par convention signée les 5 et 25 juin 2019, le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], a loué à la SASValocîme l'emplacement litigieux située sur le toit-terrasse de la parcelle cadastrée section [Cadastre 10]. Il n'est pas davantage contesté que, mandatée par son bailleur, cette société a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 12 octobre 2020, donné congé au précédent locataire, la SAS Hivory, à effet au 1er janvier 2022, échéance de son bail.
Pour contester la qualité et l'intérêt à agir de la société Valocîme, la société Hivory excipe de la nullité absolue de la convention signée les 5 et 25 juin 2019, au motif qu'en infraction avec les dispositions de l'article L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication, l'intimée ne disposait et ne dispose toujours pas d'un accord cadre ou ponctuel avec un opérateur de téléphonie mobile afin d'installer des antennes relais sur les infrastrutures qu'elle pourrait être amenée à construire ou racheter. Elle fait, en effet, valoir que les dispositions de ce texte doivent être interprétées à l'aune de l'article 17 du projet de loi de simplification de la vie économique qui, dans le cadre de ce que la presse a qualifié de 'guerre des pylônes' et/ou 'guerre secrète des TowerCo', a été adopté en première lecture par le Sénat le 22 octobre 2024. Elle ajoute que l'intérêt à agir de la SAS Valocîme n'est pas né ni actuel dans la mesure où elle ne justifie pas de sa capacité à exploiter la parcelle conformément à son 'business plan' consistant à sous-louer ses infrastructures à un ou plusieurs opérateurs de téléphonie mobile.
En réplique, la société Valocîme fait valoir qu'en sa qualité de locataire de l'emplacement situé sur la parcelle section K [Cadastre 7] n° [Cadastre 1], elle peut agir en expulsion et que les articles L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunications électroniques et L. 425-17 du code de l'urbanisme ne sont pas applicables au stade de la signature de la convention d'occupation mais seulement à celui de l'édification des pylônes. Ils ne sauraient être, en l'état du droit positif, interprêtés à l'aune du projet de simplication de la vie économique en cours de discussion au parlement. Elle ajoute que la société Hivory, tiers au contrat, ne peut se prévaloir des dispositions des articles 1128, 1178 et 1179 du code civil, que le juge des référés n'est pas juge de l'intérêt général, qu'elle n'a pas à se justifier de l'usage qu'elle fera de la parcelle louée et que le risque de dégradation ou coupure du réseau n'est nullement avéré. En tout état de cause, il n'est pas discutable que la société Hivory occupe le terrain litigieux sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2022.
L'article L 34-9-1-1 du code des postes et des télécommunications électroniques dispose que tout acquéreur ou preneur d'un contrat de bail ou de réservation d'un terrain qui, sans être soumis lui-même à l'article L. 33-1, destine ce terrain à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques en informe par écrit le maire de la commune où se situe ce terrain ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale : il joint à cette information un document attestant d'un mandat de l'opérateur de téléphonie mobile ayant vocation à exploiter ces installations.
Les termes de cet article, qui ne nécessitent aucune interprétation, à laquelle le juge des référés ne saurait se livrer, n'établissent aucune fin de non-recevoir au sens où ils ne réservent pas l'action en expulsion de l'ancien titulaire du bail au seul locataire muni d'un 'mandat opérateur' mais sanctionnent seulement celui qui n'a pas annexé ce document, lors de l'information délivrée au maire, par une impossibilité de réaliser les travaux d'édification des pylônes. Comme indiqué supra, la qualité à agir de la société Valocîme s'induit de la convention signée avec le Syndicat de copropriétaires du [Adresse 3] les 5 et 25 juin 2019, rapprochée du maintien sur les lieux de la société Hivory, à compter du 1er janvier 2022, et donc postérieurement à l'échéance de son bail, eu égard au congé qui lui été régulièrement délivré le 12 octobre 2020.
Par ailleurs, outre le fait que le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la validité d'une convention, la société Hivory ne saurait tirer argument de la façon dont l'intimée entend jouir et exploiter la parcelle section K [Cadastre 8] pour lui dénier son intérêt né et actuel à agir alors que son propre droit à se maintenir sur le site est l'objet même de la présente action (en expulsion) et que, comme le soutient la société Valocîme, son refus de partir constitue une entrave à la pleine jouissance des lieux par le nouveau locataire. Dès lors, s'ils peuvent éventuellement permettre de discuter l'existence d'un trouble ou son caractère manifestement illicite, sur ce qu'un oxymore judiciaire conduit à qualifier de 'fond du référé', à savoir l'application à l'espèce des dispositions de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, de tels moyens ne peuvent être considérés comme opérants sur le terrain de fins de non-recevoir fondées sur l'intérêt ou la qualité à agir.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté lesdites fins de non-recevoir et déclaré recevable l'action intentée par la société Valocîme.
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.
En l'espèce la SAS Hivory soutient que le trouble allégué n'est pas constitué dès lors qu'il ne peut y avoir d'atteinte au droit de jouissance sur le fondement d'un contrat illicite et que, ne disposant d'aucun 'mandat opérateur', la société Valocîme s'empêche elle-même d'exécuter le contrat sur lequel elle fonde son action. Elle ajoute que le conseil d'Etat et le Sénat ont chacun, dans leurs domaines d'intervention respectifs, reconnu l'intérêt public à voir assurer la couverture de l'ensemble du territoire national par le réseau de téléphonie mobile en sorte qu'après mise en balance des intérêts en présence, le caractère illicite du trouble allégué n'est pas établi.
La société Valocîme reprend, sur le terrain du trouble manifestement illicite, les moyens développés supra, au titre des fins de non recevoir. Elle précise qu'une occupation sans droit ni titre est, par nature, constitutive d'un trouble manifestement illicite et qu'elle s'acquitte, à perte, de ses loyers depuis le 1er janvier 2022. Elle ajoute que le maintien sur site de la société Hivory entrave la négociation et signature d'accords commerciaux avec les opérateurs alors même que ces derniers auront financièrement intérêt à contracter avec elle. Elle soutient qu'ils ne peuvent lui opposer aucun droit personnel au maintien dans les lieux et qu'elle peut donc poursuivre leur expulsion en leur qualité d'occupants 'du chef' de la société Hivory sans, pour autant, devoir les mettre en cause.
Comme indiqué supra, en l'état du droit positif, l'article L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication, dont les dispositions ne nécessitent aucune interprétation, n'impose la détention d'un 'mandat opérateur' qu'au stade de l'édification d'un pilône. Son objet et/ou finalité sont d'ailleurs expressément précisés par l'article L. 425-17 du code de l'urbanisme qui y renvoie en ces termes : Les travaux destinés à l'aménagement de terrains, à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques ne peuvent être réalisés avant, s'il y a lieu, l'information mentionnée à l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques.
Au demeurant, comme le relève l'intimée, c'est bien parce qu'en l'état du droit positif, il n'a pas vocation a entraver la libre signature de conventions de reprise de baux que le Sénat a voté, le 24 octobre 2024, l'article 17 du projet de loi de simplification de la vie économique, ajoutant notamment à l'article L 34-9-1-1 les alinéas suivants :
- alinéa 2 : La nullité est absolue et de plein droit pour le contrat ou la convention portant sur un emplacement accueillant une infrastructure mentionnée au premier alinéa qui ne respecte pas les dispositions du présent article ;
- alinéa 3 : Cette disposition est d'ordre public.
Il doit être relevé, à l'instar de la SAS Valocîme, que l'Association des maires de France (AMF) s'est expressément opposée à ce projet de loi. C'est ainsi que, dans un communiqué de presse diffusé le 3 juin 2024, elle a fait valoir que l'arrivée des TowerCo bouleverse les relations contractuelles entre ces acteurs et les maires dans leur relation foncière, en particulier dans la fixation des loyers encore trop souvent sous évalués. Et d'ajouter : dans cette perspective, il serait souhaitable que la discussion parlementaire permette l'adoption d'une disposition sur la transparence des loyers versés aux communes, prévoyant notamment des modalités objectives dans la fixation et un montant conforme à la valorisation du patrimoine des collectivités.
Au demeurant, certains maires, à l'instar de celui de [Localité 12] (dans une lettre adressée à l'Autorité de la concurrence le 13 novembre 2023) revendiquent leur liberté contractuelle et la nécessité qui est la leur d'optimiser la gestion du patrimoine foncier de leur commune, en faisant valoir que certains locataires ne se sont pas donné la peine d'ajuster leur offre de location ni en termes de durée .. ni de tarif bien en dessous de la concurrence.
Considérées dans leur contexte, ces remarques conduisent, en toute logique, à s'interroger, à l'instar de la SAS Valocîme, sur la constitutionnalité et/conventionnalité du projet de loi précité en ce :
- qu'il pourrait aboutir à muer en un bail perpétuel les conventions signées avec les TowerCo historiques par des collectivités et bailleurs privés, et donc à les placer en situation de vulnérabilité juridique et économique en portant atteinte à leur droit de propriété ;
- qu'il constituerait incontestablement une entrave au principe de la libre concurrence.
Il doit enfin être souligné que, même s'il peut y être expressément dérogé, l'article 2 du code civil pose le principe de la non rétroactivité des lois, lesquelles, en principe, ne disposent que pour l'avenir.
Dès lors, alors même que le trouble de jouissance subi par la société Valocîme s'induit du seul maintien, sans droit ni titre, de la société Hivory dans les lieux, lequel dissuade les opérateurs historiques de contracter avec l'intimée, malgré des propositions commerciales plus avantageuses (diminution des loyers d'environ 20 %), l'illicéité dudit trouble ne peut être sérieusement contestée en arguant de la nullité de la convention de des 5 et 25 juin 2019 par référence aux dispositions des articles L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication et L 425-17 du code de l'urbanisme.
Elle ne peut davantage l'être par référence à la possibilité qu'aurait la SAS Valocîme d'agir à l'encontre de son bailleur sur le fondement d'un manquement à l'obligation de délivrance, voire d'un trouble de jouissance, dès lors que la SAS Hivory est un tiers à la convention signée aux dates précitées avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], que les éventuelles difficultés d'exécution de celle-ci ne saurait la restaurer dans son droit d'occuper la parcelle litigieuse et que, comme développé supra, la société Valocîme est en droit de solliciter son expulsion en justice sur le fondement des dispositions de l'article 2278 du code civil.
Dès lors, non seulement le droit positif ne permet pas de discuter le caractère manifestement illicite du maintien, sans droit ni titre, de la société Hivory dans la place mais, de plus, celle-ci ne peut arguer de l'absence de détention d'un 'mandat opérateur' par la société Valocîme pour conclure que cette dernière ne subit matériellement aucun trouble. En effet, elle ne dispose d'aucun droit de regard sur l'usage que l'intimée entend faire de la parcelle louée et n'est nullement chargée de la protection de l'intérêt général entendu comme le maintien de la 'couverture réseau' de la Commune de [Localité 11]. En outre, l'argument de la société Valocîme selon lequel, le maintien de l'appelante dans les lieux fait obstacle à l'instauration de relations d'affaire avec les opérateurs de téléphonie mobile est tout à fait entendable.
Enfin, sur le terrain de la balance des intérêts en présence, la mesure d'expulsion sollicitée ne saurait être considérée comme portant une atteinte excessive aux droits de la société Hivory et à l'intérêt général, que cette dernière, simple TowerCo, n'a pas pour mission de garantir, dès lors :
- qu'aucune pièce du dossier n'établit que l'interruption des émissions depuis l'antenne située sur la parcelle [Cadastre 10] de la Commune de [Localité 11] serait de nature à établir une 'zone blanche', d'autres installations pouvant éventuellement prendre le relai en mode plus ou moins dégradé ;
- qu'il n'est pas davantage avéré qu'en dehors de SFR, d'autres opérateurs ne contracteront pas avec la société Valocîme et ce, d'autant que les conditions commerciales qu'elle propose semblent plus avantageuses ;
- qu'il n'est pas non plus établi qu'aucune autre parcelle située sur la Commune de [Localité 11], appartenant à des particuliers ou à des collectivité locales, ne peut être louée par la SAS Hivory puis sous louée à des opérateurs de téléphonie mobile.
Dans ces conditions, le risque hypothétique d'une rupture de réseau, qui incomberait pour l'essentiel au refus de principe desdits opérateurs de contracter avec l'intimée et dont ils pourraient avoir à répondre vis à vis des pouvoirs publics (notamment de l'ARCEP), à l'égard desquels ils se sont engagés pour l'obtention de licences, ne saurait contrebalancer le droit du Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] de disposer comme il le veut de sa parcelle, dans le respect des conventions qu'il a signées, et celui de la société Valocîme de jouir comme elle l'entend de la parcelle qu'elle a louée.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a constaté que la SAS Hivory est occupante sans droit ni titre de l'emprise de 150 m2 située sur le toit-terrasse de l'immeuble situé [Adresse 3], sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10] de la Commune de [Localité 11] et ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique passé un délai d'un mois à compter se sa signifcation.
Sur le dernier point relatif aux occupants du chef de l'appelante, qui vise plus singulièrement les opérateurs de téléphonie mobile, la société Hivory, qui échoue à établir et ne soutient d'ailleurs pas que lesdits occupants disposeraient d'un droit personnel opposable au Syndicat des copropriétaires, devra faire son affaire du départ de ses sous-locataires, le moyen tiré de l'absence de mise en cause de ces derniers étant inopérant.
Sur la remise en état des lieux, les délais de grâce et les astreintes
Contrairement à ce que soutient la SAS Hivory, le démontage ordonné par une décision de justice visant à faire cesser un trouble manifestement illicite n'est pas justiciable des articles L 65 et 66 du code des postes et communications électroniques, destinés à protéger les installations de radio diffusion contre les actes de vandalisme et malveillance. En outre, dans la mise en demeure qu'elle a fait signifier à la SAS Hivory le 8 juin 2022, la société Valocîme, mandatée par la SCI Bess, lui a bien demandé, par l'intermédiaire de son conseil, de quitter les lieux et retirer l'ensemble de (ses) installations et équipements techniques dans un délai de huit jours.
Il convient néanmoins de relever que la convention signée le 28 février 2008, par la société SFR et le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] stipule en son article 8 § 2 qu'en fin de contrat, qu'elle qu'en soit la cause, SFR ne reprendra pas les éléments non détachables (améliorations et installations) qu'elle aurait incorporé à l'immeuble à moins que LE PROPRIETAIRE (majuscules dans le texte) ne préfère lui demander le rétablissement des lieux mis à disposition dans leur état primitif
La société Hivory ne demande pas à la cour de faire une quelconque distinction, au niveau de la remise en état de l'emprise, entre les éléments détachables et les non-détachables. Elle ne formule d'ailleurs, dans le dispositif de ses conclusions, aucune prétentions en ce sens.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle l'a condamnée à procéder à l'enlèvement de tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement et à le remettre en son état d'origine.
Comme indiqué supra l'appelante aurait dû quitter les lieux depuis plus de quatre ans et six mois au moment où le premier juge à statué étant précisé que congé lui avait été donné 18 mois avant l'échéance de son bail.
A ce jour, alors qu'elle a bénéficié d'un délai de près de 5 ans depuis l'échéance de son bail, elle ne justifie d'aucune démarche pour trouver un nouvel emplacement.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a assorti les condamnations à quitter et remettre les lieux dans leur état initial, chacune d'une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant sa signification et accordé en cas d'expulsion le concours de la force publique et d'un serrurier.
En effet aucune dispositions légale ne limite le prononcé de telles mesures à des locaux d'habitation et le juge tient compte pour les ordonner de la bonne ou mauvaise volonté ainsi que de la résistance manifestée par la personne condamnée. En outre, même s'il s'agit d'un emplacement de toit terrasse équipé d'une antenne de radio-diffusion, une distinction peut être faite entre les deux condamnations prononcées dès lors que l'obligation de quitter les lieux peut être considérée comme remplie lorsque l'exploitation, entendue comme la diffusion des ondes, cesse et ce, indépendamment du retrait des équipement qui ne peut être que postérieur. Leur exécution peut être échelonnée dans le temps ce qui justifie le prononcé de deux astreintes distinctes.
L'ordonnance entreprise sera également et pour les mêmes raisons, confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de délais formulée par la SAS Hivory.
Cette dernière sera, pour les mêmes motifs, déboutée de sa demande de délais supplémentaires.
Sur l'indemnité d'occupation
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande tant en son principe qu'en son montant, celle-ci n'ayant alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Il n'est pas contesté que la demande de versement d'une indemnité d'occupation revêt un caractère indemnitaire lorsqu'elle est formulée, comme en l'espèce, à l'encontre d'un occupant sans droit ni titre.
En l'espèce, même si elle ne peut justifier d'aucun 'mandat opérateur', la société Valocîme s'acquitte auprès du Syndicat de copropriété du [Adresse 3] d'un loyer annuel de 13 050 euros (soit 1 087,50 euros par mois) depuis le 1er janvier 2022 alors même qu'elle ne peut jouir comme elle l'entend de l'emplacement litigieux. Dès lors, si sa perte d'exploitation ne peut être établie avec l'évidence requise en référé, elle est fondée à demander, a minima, le remboursement desdits loyers sous la forme d'une indemnité d'occupation provisionnelle correspondante.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné la SAS Hivory à payer à la SAS Valocîme une indemnité provisionnelle de 1 088 euros par mois à compter du 1er janvier 2022 jusqu'à sa libération effective des lieux.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SAS Hivory aux dépens, recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société Valocîme la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Hivory, qui succombe au litige, sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 5 000 euros en cause d'appel.
La SAS Hivory supportera en outre les dépens de la procédure d'appel qui seront distraits au profit de de Maître Pierre-Yves Imperatore, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés, sur son affirmation de droit.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute la SAS Hivory de sa demande de délais supplémentaires ;
Condamne la SAS Hivory à payer à la SAS Valocîme la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Hivory de sa demande sur ce même fondement ;
Condamne la SAS Hivory aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 25 SEPTEMBRE 2025
N° 2025/495
Rôle N° RG 24/12875 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN3TR
S.A.S. HIVORY
C/
S.A.S. VALOCIME
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Pierre-Yves IMPERATORE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du TJ de [Localité 11] en date du 11 Octobre 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/04962.
APPELANTE
S.A.S. HIVORY
dont le siège social est [Adresse 6]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et assistée par Me Emmanuelle BON-JULIEN, avocat au barreau de RENNES
INTIMEE
S.A.S. VALOCIME
dont le siège social est [Adresse 9]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et assistée par Me Reynald BRONZONI de l'AARPI ANTES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
M. Laurent DESGOUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La société par actions simplifiée (SAS) Hivory est un gestionnaire d'infrastructures de communications électroniques, dite 'Tower Companie'.
Elle a été créée par la société SFR qui, dans le cadre d'un apport partiel d'actifs en date du 30 novembre 2018, lui a apporté son parc d'infrastructures passives, supportant les antennes de réseau mobile et les baux ou conventions d'occupation attachés.
Elle a pour objet social la gestion et l'exploitation de sites points hauts afin de fournir des services d'accueil aux opérateurs de communications électroniques ou/et audiovisuels avec lesquels elle est liée par des contrats de services. A ce titre, elle gère 10 500 sites hébergeant majoritairement, mais non exclusivement, les antennes de l'opérateur français de téléphonie mobile SFR.
Le 2 décembre 2004, la société SFR a conclu avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] un bail prévoyant la mise à disposition d'une emprise de 150 m² sur la terrasse-toiture de l'immeuble situé sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10] du territoire de la commune de [Localité 11] .
Dans les suites de la signature de ce contrat de location, elle a construit un site de téléphonie mobile incluant une antenne.
Le bail conclu pour une durée de 12 annnées, commençant à courir le 1er janvier 2005, prévoyait une tacite reconduction par échéances de cinq années sauf résiliation d'une des parties notifiée par lettre recommandé avec accusé de réception avec un préavis de 12 mois avant chaque échéance.
La société par actions simplifiée (SAS) Valocime, se présente également comme une Tower Companie, dite TowerCo. Son modèle consiste à rechercher et reprendre des sites existants au terme des baux de ses concurrents.
Par actes sous seing privé en date des 5 et 25 juin 2019, elle a conclu avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] un contrat portant sur la mise à dispostion de l'emplacement précité.
La convention a été signée par le cabinet Immobilière Patrimoine et Finance en sa qualité de syndic, dûment habilité suivant délibération de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 27 mars précédent.
Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 12 octobre 2020, reçue le lendemain, la société Valocîme a notifié à la société SFR la décision du syndicat de copropriétaires de ne pas renouveler le bail postérieurement au 31 décembre 2021.
Concomitamment, les opérateurs mobiles présents sur le site ont été informés du non-renouvellement du bail de la société Hivory et de la proposition de la société Valocîme de lui succéder de façon à maintenir leurs installations sur les lieux.
Aucune décision n'ayant été prise par la société Hivory, la société Valocîme lui a fait signifier, le 8 juin 2022, une mise en demeure d'avoir à quitter les lieux sous huitaine.
Suite au refus de la société Hivory de s'exécuter, signifié par lettre recommandée du 23 juin 2022, la société Valocîme l'a fait assigner, par acte de commissaire de justice en date du 20 octobre 2023, devant le président du tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé, aux fins d'entendre constater qu'elle est occupante sans droit ni titre de la terrasse de l'immeuble [Adresse 3] à Marseille, ordonner son expulsion sous astreinte et l'entendre condamner à :
- enlever tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement, et à le remettre en son état d'origine, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir ;
- lui verser une somme mensuelle de 1 088 euros à titre de provision sur indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2022 et jusqu'à parfaite libération des lieux ainsi que 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par ordonnance contradictoire en date du 11 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a :
- déclaré la SAS Valocîme recevable en ses demandes ;
- ordonné l'expulsion de la société Hivory, ainsi que celle de tout occupant de son chef, de la terrasse de l'immeuble situé [Adresse 4], et ce, avec l'assistance d'un serrurier, du commissaire de police et de la force armée si besoin est, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard durant trois mois, passé le délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance ;
- condamné la société Hivory à procéder à l'enlèvement de tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement et à le remettre en son état d'origine et ce, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard durant trois mois, passé le délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance ;
- dit n'y avoir lieu de se réserver la liquidation des astreintes ;
- condamné la société Hivory à payer, à titre provisionnel, à la société Valocîme, une indemnité mensuelle provisionnelle de 1 088 euros à titre de provision sur l'indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2022 jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- condamné la société Hivory à payer à la société Valocîme la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Hivory aux entiers dépens de référé distraits au profit de l'avocat de la cause qui en a fait la demande ;
- rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires des parties ;
Il a notamment considéré :
- que l'action intentée par la société Valocîme était recevable puisque :
' les dispositions de l'article L 34-9-1-1 du code des postes et communications électroniques, relatives au mandat opérateur ne sont pas applicables dès lors que la société Valocîme agit en qualité de locataire et que son action a pour objet la protection possessoire des biens donnés à bail dont elle se trouve évincée ;
' l'article L 34-9-1-1 susvisé ne réserve pas l'action en expulsion au titulaire d'un mandat opérateur mais l'exige seulement dans l'hypothèse où la société Valocîme ferait ultérieurement édifier un nouveau pilône ;
- qu'il était constant que la SAS Hivory, qui ne conteste pas ne plus être titulaire d'un bail la liant au Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], occupait toujours la parcelle et empêchait de ce fait la SAS Valocîme de prendre possession de l'emplacement qu'elle a loué, ce qui constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser ;
- que la société HIVORY ne pouvait valablement opposer les dispositions des article L 65 et L 66 du code des postes et communications électroniques pour justifier l'impossibilité de démonter les équipements et infrastructures qui y sont installées et maintenues en dehors de toute convention avec le bailleur, alors même que ses dispositions ont pour objet de sanctionner pénalement des actes de malveillance ;
- que la société Hivory avait, au jour où il statuait, déjà bénéficié d'un délai de plus de deux ans pour quitter les lieux et procéder à l'enlèvement des infrastructures et équipements s'y trouvant et qu'elle n'avait manifesté aucune intention de le faire en sorte qu'elle devait être déboutée de sa demande de délais ;
- que contrairement aux affirmations de la société Hivory, la société Valocîme ne sollicitait pas une indemnisation provisionnelle à valoir sur une perte de chance de générer des revenus par l'exploitation de la terrasse mais l'indemnisation provisionnelle du préjudice subi du fait de l'impossibilité de disposer des parcelles dont elle était locataire alors même qu'elle était débitrice d'un loyer forfaitaire annuel.
Selon déclaration reçue au greffe le 23 octobre 2024, la SAS Hivory a interjeté appel de cette décision, l'appel visant à la critiquer en toutes ses dispositions.
Par dernières conclusions transmises le 3 juin 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
- à titre principal, déclare la société Valocîme irrecevable en l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire :
' juge n'y avoir lieu à référé et renvoie la société Valocîme à mieux se pourvoir au fond ;
' déboute, en conséquence, la société Valocîme de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire, lui octroie un délai de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir pour la remise en état de l'emplacement qu'elle occupe sur l'emprise de 40 m² dépendant de la toiture-terrasse de l'immeuble situé [Adresse 5] ;
- en toute état de cause :
' déboute la société Valocîme de l'ensemble de ses demandes ;
' condamne la société Valocîme à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamne la société Valocîme aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières conclusions transmises le 10 juin 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Valocîme sollicite de la cour qu'elle confirme l'ordonnance et, y ajoutant :
- condamne la société Hivory à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Hivory aux entiers dépens d'instance, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre Yves Imperatore, avocat associé de la SELARL LX Aix en Provence, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 10 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les fins de non-recevoir
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 31 du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'intérêt et la qualité à agir d'une partie s'apprécient au jour de l'introduction de sa demande en justice.
En sa rédaction du 9 juillet 1975, l'article 2278 du code civil (ex 2282, recodifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), dispose : La possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace. La protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits.
Tandis que le possesseur exerce un droit qui ne l'oblige pas à restituer la chose (propriété exclusive, propriété indivise, nue-propriété...), sont qualifiés de détenteurs ceux dont le droit induit une restitution, qu'il s'agisse d'un droit réel (usufruit, usage, habitation, gage, antichrèse...) ou d'un droit personnel (prêt, bail, dépôt ...).
Dès lors, en application du second alinéa de l'article précité, le locataire, titulaire d'un droit personnel sur la chose, peut, tout comme le possesseur, exercer une action possessoire à l'encontre de celui qui trouble sa détention.
Ce trouble est de nature à être qualifié de manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile en sorte ledit locataire a qualité et intérêt à saisir le juge des référés afin de le faire cesser.
En l'espèce, il n'est pas discuté que, par convention signée les 5 et 25 juin 2019, le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], a loué à la SASValocîme l'emplacement litigieux située sur le toit-terrasse de la parcelle cadastrée section [Cadastre 10]. Il n'est pas davantage contesté que, mandatée par son bailleur, cette société a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 12 octobre 2020, donné congé au précédent locataire, la SAS Hivory, à effet au 1er janvier 2022, échéance de son bail.
Pour contester la qualité et l'intérêt à agir de la société Valocîme, la société Hivory excipe de la nullité absolue de la convention signée les 5 et 25 juin 2019, au motif qu'en infraction avec les dispositions de l'article L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication, l'intimée ne disposait et ne dispose toujours pas d'un accord cadre ou ponctuel avec un opérateur de téléphonie mobile afin d'installer des antennes relais sur les infrastrutures qu'elle pourrait être amenée à construire ou racheter. Elle fait, en effet, valoir que les dispositions de ce texte doivent être interprétées à l'aune de l'article 17 du projet de loi de simplification de la vie économique qui, dans le cadre de ce que la presse a qualifié de 'guerre des pylônes' et/ou 'guerre secrète des TowerCo', a été adopté en première lecture par le Sénat le 22 octobre 2024. Elle ajoute que l'intérêt à agir de la SAS Valocîme n'est pas né ni actuel dans la mesure où elle ne justifie pas de sa capacité à exploiter la parcelle conformément à son 'business plan' consistant à sous-louer ses infrastructures à un ou plusieurs opérateurs de téléphonie mobile.
En réplique, la société Valocîme fait valoir qu'en sa qualité de locataire de l'emplacement situé sur la parcelle section K [Cadastre 7] n° [Cadastre 1], elle peut agir en expulsion et que les articles L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunications électroniques et L. 425-17 du code de l'urbanisme ne sont pas applicables au stade de la signature de la convention d'occupation mais seulement à celui de l'édification des pylônes. Ils ne sauraient être, en l'état du droit positif, interprêtés à l'aune du projet de simplication de la vie économique en cours de discussion au parlement. Elle ajoute que la société Hivory, tiers au contrat, ne peut se prévaloir des dispositions des articles 1128, 1178 et 1179 du code civil, que le juge des référés n'est pas juge de l'intérêt général, qu'elle n'a pas à se justifier de l'usage qu'elle fera de la parcelle louée et que le risque de dégradation ou coupure du réseau n'est nullement avéré. En tout état de cause, il n'est pas discutable que la société Hivory occupe le terrain litigieux sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2022.
L'article L 34-9-1-1 du code des postes et des télécommunications électroniques dispose que tout acquéreur ou preneur d'un contrat de bail ou de réservation d'un terrain qui, sans être soumis lui-même à l'article L. 33-1, destine ce terrain à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques en informe par écrit le maire de la commune où se situe ce terrain ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale : il joint à cette information un document attestant d'un mandat de l'opérateur de téléphonie mobile ayant vocation à exploiter ces installations.
Les termes de cet article, qui ne nécessitent aucune interprétation, à laquelle le juge des référés ne saurait se livrer, n'établissent aucune fin de non-recevoir au sens où ils ne réservent pas l'action en expulsion de l'ancien titulaire du bail au seul locataire muni d'un 'mandat opérateur' mais sanctionnent seulement celui qui n'a pas annexé ce document, lors de l'information délivrée au maire, par une impossibilité de réaliser les travaux d'édification des pylônes. Comme indiqué supra, la qualité à agir de la société Valocîme s'induit de la convention signée avec le Syndicat de copropriétaires du [Adresse 3] les 5 et 25 juin 2019, rapprochée du maintien sur les lieux de la société Hivory, à compter du 1er janvier 2022, et donc postérieurement à l'échéance de son bail, eu égard au congé qui lui été régulièrement délivré le 12 octobre 2020.
Par ailleurs, outre le fait que le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la validité d'une convention, la société Hivory ne saurait tirer argument de la façon dont l'intimée entend jouir et exploiter la parcelle section K [Cadastre 8] pour lui dénier son intérêt né et actuel à agir alors que son propre droit à se maintenir sur le site est l'objet même de la présente action (en expulsion) et que, comme le soutient la société Valocîme, son refus de partir constitue une entrave à la pleine jouissance des lieux par le nouveau locataire. Dès lors, s'ils peuvent éventuellement permettre de discuter l'existence d'un trouble ou son caractère manifestement illicite, sur ce qu'un oxymore judiciaire conduit à qualifier de 'fond du référé', à savoir l'application à l'espèce des dispositions de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, de tels moyens ne peuvent être considérés comme opérants sur le terrain de fins de non-recevoir fondées sur l'intérêt ou la qualité à agir.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté lesdites fins de non-recevoir et déclaré recevable l'action intentée par la société Valocîme.
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.
En l'espèce la SAS Hivory soutient que le trouble allégué n'est pas constitué dès lors qu'il ne peut y avoir d'atteinte au droit de jouissance sur le fondement d'un contrat illicite et que, ne disposant d'aucun 'mandat opérateur', la société Valocîme s'empêche elle-même d'exécuter le contrat sur lequel elle fonde son action. Elle ajoute que le conseil d'Etat et le Sénat ont chacun, dans leurs domaines d'intervention respectifs, reconnu l'intérêt public à voir assurer la couverture de l'ensemble du territoire national par le réseau de téléphonie mobile en sorte qu'après mise en balance des intérêts en présence, le caractère illicite du trouble allégué n'est pas établi.
La société Valocîme reprend, sur le terrain du trouble manifestement illicite, les moyens développés supra, au titre des fins de non recevoir. Elle précise qu'une occupation sans droit ni titre est, par nature, constitutive d'un trouble manifestement illicite et qu'elle s'acquitte, à perte, de ses loyers depuis le 1er janvier 2022. Elle ajoute que le maintien sur site de la société Hivory entrave la négociation et signature d'accords commerciaux avec les opérateurs alors même que ces derniers auront financièrement intérêt à contracter avec elle. Elle soutient qu'ils ne peuvent lui opposer aucun droit personnel au maintien dans les lieux et qu'elle peut donc poursuivre leur expulsion en leur qualité d'occupants 'du chef' de la société Hivory sans, pour autant, devoir les mettre en cause.
Comme indiqué supra, en l'état du droit positif, l'article L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication, dont les dispositions ne nécessitent aucune interprétation, n'impose la détention d'un 'mandat opérateur' qu'au stade de l'édification d'un pilône. Son objet et/ou finalité sont d'ailleurs expressément précisés par l'article L. 425-17 du code de l'urbanisme qui y renvoie en ces termes : Les travaux destinés à l'aménagement de terrains, à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques ne peuvent être réalisés avant, s'il y a lieu, l'information mentionnée à l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques.
Au demeurant, comme le relève l'intimée, c'est bien parce qu'en l'état du droit positif, il n'a pas vocation a entraver la libre signature de conventions de reprise de baux que le Sénat a voté, le 24 octobre 2024, l'article 17 du projet de loi de simplification de la vie économique, ajoutant notamment à l'article L 34-9-1-1 les alinéas suivants :
- alinéa 2 : La nullité est absolue et de plein droit pour le contrat ou la convention portant sur un emplacement accueillant une infrastructure mentionnée au premier alinéa qui ne respecte pas les dispositions du présent article ;
- alinéa 3 : Cette disposition est d'ordre public.
Il doit être relevé, à l'instar de la SAS Valocîme, que l'Association des maires de France (AMF) s'est expressément opposée à ce projet de loi. C'est ainsi que, dans un communiqué de presse diffusé le 3 juin 2024, elle a fait valoir que l'arrivée des TowerCo bouleverse les relations contractuelles entre ces acteurs et les maires dans leur relation foncière, en particulier dans la fixation des loyers encore trop souvent sous évalués. Et d'ajouter : dans cette perspective, il serait souhaitable que la discussion parlementaire permette l'adoption d'une disposition sur la transparence des loyers versés aux communes, prévoyant notamment des modalités objectives dans la fixation et un montant conforme à la valorisation du patrimoine des collectivités.
Au demeurant, certains maires, à l'instar de celui de [Localité 12] (dans une lettre adressée à l'Autorité de la concurrence le 13 novembre 2023) revendiquent leur liberté contractuelle et la nécessité qui est la leur d'optimiser la gestion du patrimoine foncier de leur commune, en faisant valoir que certains locataires ne se sont pas donné la peine d'ajuster leur offre de location ni en termes de durée .. ni de tarif bien en dessous de la concurrence.
Considérées dans leur contexte, ces remarques conduisent, en toute logique, à s'interroger, à l'instar de la SAS Valocîme, sur la constitutionnalité et/conventionnalité du projet de loi précité en ce :
- qu'il pourrait aboutir à muer en un bail perpétuel les conventions signées avec les TowerCo historiques par des collectivités et bailleurs privés, et donc à les placer en situation de vulnérabilité juridique et économique en portant atteinte à leur droit de propriété ;
- qu'il constituerait incontestablement une entrave au principe de la libre concurrence.
Il doit enfin être souligné que, même s'il peut y être expressément dérogé, l'article 2 du code civil pose le principe de la non rétroactivité des lois, lesquelles, en principe, ne disposent que pour l'avenir.
Dès lors, alors même que le trouble de jouissance subi par la société Valocîme s'induit du seul maintien, sans droit ni titre, de la société Hivory dans les lieux, lequel dissuade les opérateurs historiques de contracter avec l'intimée, malgré des propositions commerciales plus avantageuses (diminution des loyers d'environ 20 %), l'illicéité dudit trouble ne peut être sérieusement contestée en arguant de la nullité de la convention de des 5 et 25 juin 2019 par référence aux dispositions des articles L 34-9-1-1 du code des postes et télécommunication et L 425-17 du code de l'urbanisme.
Elle ne peut davantage l'être par référence à la possibilité qu'aurait la SAS Valocîme d'agir à l'encontre de son bailleur sur le fondement d'un manquement à l'obligation de délivrance, voire d'un trouble de jouissance, dès lors que la SAS Hivory est un tiers à la convention signée aux dates précitées avec le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], que les éventuelles difficultés d'exécution de celle-ci ne saurait la restaurer dans son droit d'occuper la parcelle litigieuse et que, comme développé supra, la société Valocîme est en droit de solliciter son expulsion en justice sur le fondement des dispositions de l'article 2278 du code civil.
Dès lors, non seulement le droit positif ne permet pas de discuter le caractère manifestement illicite du maintien, sans droit ni titre, de la société Hivory dans la place mais, de plus, celle-ci ne peut arguer de l'absence de détention d'un 'mandat opérateur' par la société Valocîme pour conclure que cette dernière ne subit matériellement aucun trouble. En effet, elle ne dispose d'aucun droit de regard sur l'usage que l'intimée entend faire de la parcelle louée et n'est nullement chargée de la protection de l'intérêt général entendu comme le maintien de la 'couverture réseau' de la Commune de [Localité 11]. En outre, l'argument de la société Valocîme selon lequel, le maintien de l'appelante dans les lieux fait obstacle à l'instauration de relations d'affaire avec les opérateurs de téléphonie mobile est tout à fait entendable.
Enfin, sur le terrain de la balance des intérêts en présence, la mesure d'expulsion sollicitée ne saurait être considérée comme portant une atteinte excessive aux droits de la société Hivory et à l'intérêt général, que cette dernière, simple TowerCo, n'a pas pour mission de garantir, dès lors :
- qu'aucune pièce du dossier n'établit que l'interruption des émissions depuis l'antenne située sur la parcelle [Cadastre 10] de la Commune de [Localité 11] serait de nature à établir une 'zone blanche', d'autres installations pouvant éventuellement prendre le relai en mode plus ou moins dégradé ;
- qu'il n'est pas davantage avéré qu'en dehors de SFR, d'autres opérateurs ne contracteront pas avec la société Valocîme et ce, d'autant que les conditions commerciales qu'elle propose semblent plus avantageuses ;
- qu'il n'est pas non plus établi qu'aucune autre parcelle située sur la Commune de [Localité 11], appartenant à des particuliers ou à des collectivité locales, ne peut être louée par la SAS Hivory puis sous louée à des opérateurs de téléphonie mobile.
Dans ces conditions, le risque hypothétique d'une rupture de réseau, qui incomberait pour l'essentiel au refus de principe desdits opérateurs de contracter avec l'intimée et dont ils pourraient avoir à répondre vis à vis des pouvoirs publics (notamment de l'ARCEP), à l'égard desquels ils se sont engagés pour l'obtention de licences, ne saurait contrebalancer le droit du Syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] de disposer comme il le veut de sa parcelle, dans le respect des conventions qu'il a signées, et celui de la société Valocîme de jouir comme elle l'entend de la parcelle qu'elle a louée.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a constaté que la SAS Hivory est occupante sans droit ni titre de l'emprise de 150 m2 située sur le toit-terrasse de l'immeuble situé [Adresse 3], sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 10] de la Commune de [Localité 11] et ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique passé un délai d'un mois à compter se sa signifcation.
Sur le dernier point relatif aux occupants du chef de l'appelante, qui vise plus singulièrement les opérateurs de téléphonie mobile, la société Hivory, qui échoue à établir et ne soutient d'ailleurs pas que lesdits occupants disposeraient d'un droit personnel opposable au Syndicat des copropriétaires, devra faire son affaire du départ de ses sous-locataires, le moyen tiré de l'absence de mise en cause de ces derniers étant inopérant.
Sur la remise en état des lieux, les délais de grâce et les astreintes
Contrairement à ce que soutient la SAS Hivory, le démontage ordonné par une décision de justice visant à faire cesser un trouble manifestement illicite n'est pas justiciable des articles L 65 et 66 du code des postes et communications électroniques, destinés à protéger les installations de radio diffusion contre les actes de vandalisme et malveillance. En outre, dans la mise en demeure qu'elle a fait signifier à la SAS Hivory le 8 juin 2022, la société Valocîme, mandatée par la SCI Bess, lui a bien demandé, par l'intermédiaire de son conseil, de quitter les lieux et retirer l'ensemble de (ses) installations et équipements techniques dans un délai de huit jours.
Il convient néanmoins de relever que la convention signée le 28 février 2008, par la société SFR et le Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] stipule en son article 8 § 2 qu'en fin de contrat, qu'elle qu'en soit la cause, SFR ne reprendra pas les éléments non détachables (améliorations et installations) qu'elle aurait incorporé à l'immeuble à moins que LE PROPRIETAIRE (majuscules dans le texte) ne préfère lui demander le rétablissement des lieux mis à disposition dans leur état primitif
La société Hivory ne demande pas à la cour de faire une quelconque distinction, au niveau de la remise en état de l'emprise, entre les éléments détachables et les non-détachables. Elle ne formule d'ailleurs, dans le dispositif de ses conclusions, aucune prétentions en ce sens.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle l'a condamnée à procéder à l'enlèvement de tous biens, infrastructures et équipements de l'emplacement et à le remettre en son état d'origine.
Comme indiqué supra l'appelante aurait dû quitter les lieux depuis plus de quatre ans et six mois au moment où le premier juge à statué étant précisé que congé lui avait été donné 18 mois avant l'échéance de son bail.
A ce jour, alors qu'elle a bénéficié d'un délai de près de 5 ans depuis l'échéance de son bail, elle ne justifie d'aucune démarche pour trouver un nouvel emplacement.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a assorti les condamnations à quitter et remettre les lieux dans leur état initial, chacune d'une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant sa signification et accordé en cas d'expulsion le concours de la force publique et d'un serrurier.
En effet aucune dispositions légale ne limite le prononcé de telles mesures à des locaux d'habitation et le juge tient compte pour les ordonner de la bonne ou mauvaise volonté ainsi que de la résistance manifestée par la personne condamnée. En outre, même s'il s'agit d'un emplacement de toit terrasse équipé d'une antenne de radio-diffusion, une distinction peut être faite entre les deux condamnations prononcées dès lors que l'obligation de quitter les lieux peut être considérée comme remplie lorsque l'exploitation, entendue comme la diffusion des ondes, cesse et ce, indépendamment du retrait des équipement qui ne peut être que postérieur. Leur exécution peut être échelonnée dans le temps ce qui justifie le prononcé de deux astreintes distinctes.
L'ordonnance entreprise sera également et pour les mêmes raisons, confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de délais formulée par la SAS Hivory.
Cette dernière sera, pour les mêmes motifs, déboutée de sa demande de délais supplémentaires.
Sur l'indemnité d'occupation
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande tant en son principe qu'en son montant, celle-ci n'ayant alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Il n'est pas contesté que la demande de versement d'une indemnité d'occupation revêt un caractère indemnitaire lorsqu'elle est formulée, comme en l'espèce, à l'encontre d'un occupant sans droit ni titre.
En l'espèce, même si elle ne peut justifier d'aucun 'mandat opérateur', la société Valocîme s'acquitte auprès du Syndicat de copropriété du [Adresse 3] d'un loyer annuel de 13 050 euros (soit 1 087,50 euros par mois) depuis le 1er janvier 2022 alors même qu'elle ne peut jouir comme elle l'entend de l'emplacement litigieux. Dès lors, si sa perte d'exploitation ne peut être établie avec l'évidence requise en référé, elle est fondée à demander, a minima, le remboursement desdits loyers sous la forme d'une indemnité d'occupation provisionnelle correspondante.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné la SAS Hivory à payer à la SAS Valocîme une indemnité provisionnelle de 1 088 euros par mois à compter du 1er janvier 2022 jusqu'à sa libération effective des lieux.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SAS Hivory aux dépens, recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société Valocîme la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Hivory, qui succombe au litige, sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 5 000 euros en cause d'appel.
La SAS Hivory supportera en outre les dépens de la procédure d'appel qui seront distraits au profit de de Maître Pierre-Yves Imperatore, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés, sur son affirmation de droit.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute la SAS Hivory de sa demande de délais supplémentaires ;
Condamne la SAS Hivory à payer à la SAS Valocîme la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Hivory de sa demande sur ce même fondement ;
Condamne la SAS Hivory aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président