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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 25 septembre 2025, n° 23/02649

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 23/02649

25 septembre 2025

N° RG 23/02649 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O4IK

Décision du

Bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5]

Au fond

du 04 octobre 2020

[P]

C/

[O]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 25 Septembre 2025

APPELANT :

Mme [K] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparante et assistée de Me Sophie JUGE de la SELARL JUGE FIALAIRE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T 359

INTIME :

Me [W] [O]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Comparante en personne

* * * * * *

L'affaire a été régulièrement communiquée à Madame Le Procureur Général

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Novembre 2024

Date de mise à disposition : 6 février 2025 prorogée au 25 septembre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- [K] WYON, président

- Julien SEITZ, conseiller

- Thierry GAUTHIER, conseiller

assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Mme [O], Mme [P] et M. [M] ont exercé en qualité d'avocats au sein du barreau de Toulouse dans le cadre de la SCP [O] [P] [M] (ci-après la SCP).

La SCP s'est dotée d'un règlement intérieur le 31 janvier 2013.

M. [M] a fait valoir son droit de retrait à compter du 1er octobre 2014.

Me [P] a exercé les fonctions de Bâtonnier en 2015 et 2016.

Mme [O] a pris sa retraite au 30 juin 2016, a démissionné de l'ordre des avocats puis a cédé ses parts sociales à Mme [P] suivant acte de cession du 30 septembre 2016. Elle a démissionné de ses fonctions de gérante de la SCP le 05 octobre 2017.

Les statuts de la SCP ont été modifiés en conséquence le 5 octobre 2017.

La SCP a été dissoute le 31 octobre 2019 et Mme [P] a poursuivi son exercice à titre individuel.

Un litige est survenu entre Mme [P] et Mme [O] au sujet de la régularisation des comptes entre associés et du règlement de certains frais.

Mme [P] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5] le 30 décembre 2019 afin d'obtenir :

' la condamnation de Mme [O] à lui payer :

- 57'100,08 € au titre de la régularisation des comptes, avec intérêts depuis 2016,

- 10'744,73 € au titre de frais indûment payés à Mme [O] à compter de juillet 2016, outre intérêts depuis la demande,

- 32'000 euros sauf à parfaire au titre de sommes indûment prélevées ou payées à Mme [O] à compter de juillet 2016, outre intérêts depuis la demande,

- 10'000 euros, sauf à parfaire, au titre de l'indemnisation des préjudices subis, outre intérêts depuis la demande,

- 5000 euros au titre des frais de la procédure, outre les dépens,

' la condamnation de Mme [O], soit qu'elle retire l'attestation qu'elle a faite le 5 décembre 2019 dans le cadre de l'affaire en cours d'arbitrage d'honoraires devant la cour, soit qu'elle soit condamnée à la somme réclamée à ce particulier, à savoir 2580 euros outre intérêts depuis le 21 janvier 2019 et frais de 799,28 euros, contre désistement par la requérante de la procédure en cours contre ce particulier,

' ordonner l'exécution provisoire,

' dire et juger qu'il sera fait application de l'article 1154 du code civil sur la capitalisation des intérêts des sommes dues.

Le bâtonnier a rendu une décision de prorogation de délai le 22 juin 2020, précisant qu'il serait statué sur le fond du litige au plus tard le 22 octobre 2020.

Le 23 juillet 2020, considérant que le bâtonnier n'avait rendu aucune décision dans le délai requis, Mme [P], a saisi la cour d'appel de Toulouse, en se fondant sur les articles 179-5 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Cette procédure a été enrôlée à la cour d'appel sour le numéro RG 20/02178.

Par décision du 14 octobre 2020, les deux délégués du bâtonnier ont constaté l'existence d'une tentative de conciliation préalable, rejeté la fin de non-recevoir soulevée sur ce fondement par Mme [O], débouté Mme [P] de toutes ses demandes et condamné Mme [P] à rembourser à Mme [O] la somme de 1755,47 euros au titre de son compte courant d'associé.

Mme [P] a relevé appel de cette décision le 19 octobre 2020 devant la cour d'appel de Toulouse. Cette procédure a été enrôlée sous le numéro RG 20/02826.

Mme [O] a soulevé l'irrecevabilité de la requête du 30 décembre 2019, motif pris de l'absence de tentative de conciliation préalable, et a sollicité le prononcé de la nullité de la sentence arbitrale du 14 octobre 2020.

Par arrêt du 2 juin 2021, la cour d'appel de Toulouse, après avoir ordonné la jonction des deux instances, a :

Déclaré recevables les recours formés devant la cour d'appel de Toulouse par Mme

le bâtonnier [K] [P] ;

Déclaré irrecevable la requête aux fins d'arbitrage adressée par Mme le bâtonnier [K] [P] le 30 décembre 2019 à défaut de conciliation préalable ;

Annulé, en conséquence, la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau

de [Localité 5] du 14 octobre 2020 ;

Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer au fond ;

Débouté Mme le bâtonnier [W] [O] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Débouté Mme le bâtonnier [K] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour

'exception dilatoire';

Condamné Mme le bâtonnier [K] [P] aux dépens de la présente instance ;

Débouté Mme le bâtonnier [K] [P], d'une part, et Mme le bâtonnier [W] [O], d'autre part, de leurs demandes présentées au titre des dispositions de l'article

700 alinéa premier du code de procédure civile.

Par arrêt du 8 mars 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, aux motifs suivants, au visa des articles 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et des articles 142, 179-1 et 179-4 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié:

6. Selon le premier de ces textes, le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau ; tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits.

7. Selon le troisième, en cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties.

8. Selon le deuxième, rendu applicable par le quatrième, l'acte de saisine précise, à peine d'irrecevabilité, l'objet du litige, l'identité des parties et les prétentions du saisissant.

9. Si ces dispositions prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier, elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.

10. Pour déclarer irrecevable la requête aux fins d'arbitrage formée le 30 décembre 2019 par Mme [P] et annuler la décision du bâtonnier, l'arrêt retient que la conciliation s'est inscrite dans le cours de la procédure d'arbitrage, que la procédure de conciliation est un nécessaire préalable à l'engagement de l'action aux fins d'arbitrage auprès du bâtonnier et que la tentative de conciliation, mise en place par le bâtonnier postérieurement à sa saisine, ne saurait ni constituer la tentative de conciliation préalable exigée par les textes, ni pallier l'irrégularité qu'elle engendre, de sorte qu'est fondée la fin de non-recevoir soulevée par Mme [O] .

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation a désigné la cour d'appel de Lyon comme cour de renvoi.

Mme [P] a saisi la présente cour par courriel du 29 mars 2023 qui a fait l'objet de la procédure numéro 23/2649 puis par déclaration de saisine du 17 octobre 2023. Les deux procédures RG 23/2649 et 23/07921 ont été jointes par ordonnance du 9 janvier 2024.

Par conclusions n°3 déposées au greffe le 16 septembre 2024, Mme [P] demande à la cour de :

- à titre liminaire, prononcer la jonction des deux recours qu'elle a formés les 23 juillet et le 19 octobre 2020,

- débouter Mme [O] de l'ensemble de ses exceptions et fins de non-recevoir et la condamner sur le fondement de l'article 123 du code de procédure civile et subsidiairement sur le fondement de l'article 1240 du code civil à lui payer 6.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- subsidiairement, si par impossible il était fait droit à l'une des exceptions et fins de non recevoir invoquées par Mme [O], condamner cette dernière sur le fondement de la théorie de l'estoppel à lui payer à titre de dommages et intérêts l'ensemble des sommes ci-dessous demandées 'au fond' par cette dernière,

- juger nulle et de nul effet la décision du 14 octobre 2020 dont appel :

' pour absence de désignation des arbitres ayant rendu cette décision,

' subsidiairement pour défaut de qualité de ces arbitres,

- juger que demeurant la litispendance existante, les arbitres étaient incompétents pour statuer sur le litige,

- juger qu'au visa de l'article 78 du code de procédure civile, les arbitres ont violé le principe du contradictoire et annuler en conséquence la décision dont appel,

- juger irrecevables l'intégralité des demandes reconventionnelles de Mme [O] pour n'avoir été formées que postérieurement à la tentative de conciliation du Bâtonnier et en tout état de cause, au visa de l'article 70 du code de civile ainsi que pour défaut de fondement juridique ;

En tout état de cause au fond et par effet dévolutif,

- débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [O] à lui payer les sommes de :

- 59'807,70 euros au titre de la régularisation des comptes, outre intérêts depuis juillet 2016,

- 10'744,73 euros au titre des frais indûment payés pour le compte de Mme [O], outre intérêts depuis le 18 décembre 2018, date de la mise en demeure,

- 40'885 euros au titre de sommes indûment prélevées ou payées à Mme [O] à compter de juillet 2016, outre intérêts depuis la demande en justice du 30 décembre 2019,

- 25'000 euros sauf à parfaire, au titre de l'indemnisation des préjudices subis, outre intérêts depuis la demande en justice du 30 décembre 2019,

- 2580 euros en principal outre intérêts depuis le 21 janvier 2019, et 797,28 euros de frais au titre du 'dossier [H]', au regard de la violation de ses obligations vis-à-vis de Mme [P] et des engagements pris en violation manifeste aux droits de cette dernière sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil et subsidiairement 1240 du même code,

- juger qu'il sera fait application de l'ancien article 1154, devenu article 1343 -2 du code civil sur la capitalisation demandée dès l'origine des intérêts des sommes dues ;

- condamner Mme [O] à payer à Mme [P] la somme de 35'000 euros au titre des frais de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 27 juin 2024, Mme [O] demande à la cour de :

A titre principal,

vu l'ordonnance de jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/2649 et 23/07921,

- constater la caducité de la déclaration de saisine de la cour d'appel de Lyon,

- faire droit à la fin de non-recevoir présentée pour irrégularité de la saisine de la cour de renvoi par Mme [P],

- faire droit à la fin de non-recevoir présentée pour défaut de tentative de conciliation préalable du Bâtonnier,

- déclarer irrecevables les demandes présentées pour défaut de qualité à agir de l'appelante.

A titre subsidiaire,

- dire et juger que les arbitres avaient qualité et étaient compétents pour juger en première instance,

- confirmer le rejet de l'exception de litispendance,

- débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes concernant les comptes d'associés comme injuste et mal fondées au regard du règlement intérieur de la SCP

et des bilans acceptés et non contestés par elle lors de leur établissement et les déclarations fiscales et sociales en découlant,

- dire et juger en tout état de cause que les années 2013-2014 sont prescrites, la demande ayant été présentée en décembre 2019, soit plus de cinq ans après ;

- la débouter également de ses demandes de remboursement des frais de parking, téléphone portable et frais au registre du commerce, dommages et intérêts et article 700 du code de procédure civile,

- confirmer la décision rendue par les arbitres en ce qu'elle l'a condamnée au paiement de la somme de 1755,47 euros outre intérêts à compter du 14 octobre 2020,

Y ajoutant et prenant droit de la demande reconventionnelle parfaitement recevable :

- la condamner au paiement d'une somme de 84'000 euros au titre du travail effectué pour son compte pendant 24 mois en qualité de collaborateur, secrétaire et secrétaire comptable,

- la condamner au paiement d'une somme de 20'000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi et avoir porté atteinte à son honneur et sa probité,

- condamner Mme [P] au paiement d'une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par soit-transmis du 22 avril 2024, Monsieur l'avocat général à qui le dossier de la procédure a été communiqué a indiqué qu'il ne formait aucune observation.

À l'audience du 7 novembre 2024, Mme [P] et Mme [O] ont réitéré leurs demandes en se référant expressément à leurs écritures.

Il convient en conséquence de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

A- sur la procédure

La jonction des deux procédures issues des deux déclarations de saisine ayant été ordonnée le 9 janvier 2024, il n'y a pas lieu de statuer à nouveau sur ce point.

- sur la régularité de la saisine de la cour de renvoi

Mme [O] soutient que faute de signification de la déclaration de saisine de Mme [P] dans les 10 jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation, cpmme le prévoit l'article 1037-1 du code de procédure civile, la déclaration de saisine se trouve frappée de caducité)

Toutefois, ce texte s'applique aux procédures ordinaires devant la cour d'appel. En l'espèce, la présente procédure n'est pas une procédure ordinaire, mais une procédure orale, régie par l'article 1036 du code de procédure civile. L'article 1037-1 n'est pas applicable en l'espèce.

L'article 1036 du même code prévoit que le greffier de la juridiction de renvoi adresse aux parties, par lettre simple, copie de la déclaration, ce qu'a fait le greffe le 30 mars 2023 après la déclaration de saisine du 29 mars précédent, de même que le 19 octobre 2023 après la déclaration de saisine du 17 octobre précédent. Mme [P] ayant comparu à la suite suite de ces transmissions, son assignation par acte de commissaire de justice ne s'est pas avérée nécessaire.

En conséquence, la demande de Mme [O] tendant à ce que soit déclarée caduque la déclaration de saisine au motif que Mme [P] ne la lui a pas signifiée ne peut qu'être rejetée.

- sur la tentative de conciliation préalable à la requête aux fins d'arbitrage

Il résulte de l'article 21 alinéa 2 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, de l'article 179-1 du décret du 27 novembre 1991 et des articles 142 et 179-4 de ce décret, ainsi que de l'article 14.6 du règlement intérieur national qu'en cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel ou de litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail, le bâtonnier statue à charge d'appel après avoir tenté de concilier les parties. Cependant, il n'a pas été édicté de sanction en cas d'absence d'audience préalable de conciliation. Annuler la procédure au motif qu'il n'a pas été procédé à une tentiative de conciliation reviendrait ainsi à ajouter aux textes applicables en l'espèce une sanction qu'ils ne comportent pas.

En conséquence, aucune irrégularité ne résultant de l'absence d'audience de conciliation dans le cadre de la procédure engagée par Mme [P] devant le bâtonnier, la fin de non-recevoir soulevée par Mme [O] sera écartée.

- sur la qualité pour agir de Mme [P]

Mme [O] conteste la qualité à agir de Mme [P] au motif que la SCP a été placée en liquidation amiable le 31 octobre 2018, les opérations de liquidation clôturées le 31 octobre 2019 et la SCP radiée du RCS le 20 décembre 2019. Elle affirme que si des sommes sont dues, elles le sont à la SCP et non à Mme [P] qui n'a pas qualité pour agir.

Mme [P] répond qu'elle a repris à titre personnel les actifs de la SCP en vertu du procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 31 octobre 2019 et donc les créances de la structure, y compris celles qui sont incertaines. Elle s'appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle l'ancien associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée dispose d'un droit propre et personnel sur les créances dont le recouvrement aurait été omis lors de liquidation dès lors qu'il en est devenu titulaire à la suite de la société. Elle conclut au rejet de la fin de non-recevoir, en faisant observer qu'il importe peu que la créance ne figure pas dans les comptes d'actifs de la liquidation.

Sur ce,

Il résulte de l'article 1844-5, alinéa 4, du code civil que l'associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée, peut se prévaloir, à compter de la date de la clôture de la procédure de liquidation, d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société (voir notamment 1ère Civ., 4 décembre 2024, n° 23-13.213, 23-13.216).

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l'espèce, Mme [P], associée unique de la SCP dissoute, a un intérêt légitime à recouvrer les créances dont disposait la SCP.

En conséquence, les demandes de Mme [P] ne seront pas déclarées irrecevables.

- sur la nullité de la décision critiquée

Mme [P] soulève la nullité de la décision pour absence de désignation des « arbitres » qui l'ont rendue et subsidiairement pour défaut de qualité des dits arbitres.

Elle indique n'avoir pas obtenu du secrétariat du bâtonnier la décision officielle désignant M. [J], ancien bâtonnier, et M. [I], ancien membre du conseil de l'ordre, en qualité d'arbitres, malgré ses demandes.

Elle fait observer que les courriers que lui a adressés le bâtonnier ne constituent pas désignation comme le soutient Mme [O].

Elle ajoute que le bâtonnier a indiqué 'déléguer le bâtonnier [J] auquel je vous remercie de me confirmer que nous pouvons donner mission d'amiable compositeur en dernier ressort', ce qui ne constitue pas une décision de désignation comme arbitre et rappelle que seules les parties ont pouvoir de décider de soumettre le litige à un tribunal arbitral en application des articles 1462 et suivants du code de procédure civile.

Elle indique que l'article 143 du décret du 27 novembre 1991 auquel renvoie l'article 179-4 du même décret prévoit qu'en cas d'abstention ou de récusation du bâtonnier en exercice, il est remplacé par le plus ancien bâtonnier dans l'ordre du tableau, membre du conseil de l'ordre ou, à défaut, par le membre du conseil de l'ordre le plus ancien dans l'ordre d'inscription au tableau et fait valoir que le bâtonnier s'étant abstenu ne pouvait valablement désigner comme arbitre ni le bâtonnier [J], ni Me [I], puisque le bâtonnier [J] n'est pas membre du conseil de l'ordre et que Me [I] n'est pas le membre du conseil de l'ordre le plus ancien dans la description du tableau.

Elle en déduit que la désignation se trouve entachée de nullité.

Mme [O] répond que les arbitres ont bien été désignés par le bâtonnier comme cela résulte des pièces 59 et 60 produites par Me [P], que l'article 143 du décret du 27 novembre 1991 ne concerne pas le cas d'espèce et que la désignation du bâtonnier [J] et de Me [I] satisfait aux dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971. Elle demande à la cour de dire que les arbitres avaient qualité pour juger en première instance.

Sur ce,

L'article 21 alinéa 3 de la loi n° 71-1190 du 31 décembre 1971 dispose que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats. En cette matière, le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu'à tout membre ou ancien membre du conseil de l'ordre.

L'alinéa 5 précise que les conditions dans lesquelles le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs et les modalités de la procédure d'arbitrage sont déterminées par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil national des barreaux.

L'article 7 alinéa 2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 prévoit que le bâtonnier peut déléguer les pouvoirs qu'il tient du dernier alinéa de l'article 7 et du troisième alinéa de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 précitée aux anciens bâtonniers de l'ordre et aux anciens membres du conseil de l'ordre inscrits sur une liste qu'il dresse chaque année après délibération du conseil de l'ordre (souligné par la cour) .

Il s'ensuit que la délégation n'est soumise à aucune forme particulière et qu'il ne saurait être reproché au Bâtonnier d'avoir confié la procédure au bâtonnier [J] et à Me [I] sans formaliser de décision à cette fin.

Il incombe à Mme [P] qui soulève l'irrégularité de la délégation pour défaut de qualité des arbitres de produire la liste prévue par ce dernier texte pour l'année durant laquelle est intervenue la délégation qu'elle critique. Mme [P] qui produit un courriel par lequel elle a sollicité la communication de la délégation ne justifie nullement avoir réclamé au Bâtonnier ou à son secrétariat la liste prévue par le texte cité ci-avant, qu'elle ne verse pas aux débats.

En conséquence, faute pour Mme [P] de rapporter la preuve de l'irrégularité de la désignation des arbitres, la sentence dont appel n'encourt pas l'annulation.

Mme [P] demande également à la cour de 'juger que demeurant la litispendance existante, les arbitres étaient incompétents pour statuer sur le litige'. Mme [O] répond que les arbitres étaient compétents pour juger en première instance.

Mme [P] ne précisant pas quelle conséquence juridique elle tire à hauteur d'appel de l'incompétence des arbitres, alors au surplus que la cour évoque l'entier litige, la cour ne statuera pas, n'étant pas saisie d'une prétention sur ce point.

Mme [P] sollicite encore l'annulation de la décision critiquée au motif que les arbitres ont violé le principe du contradictoire lorsque, en appliquant les dispositions de l'article 78 du code de procédure civile, ils ont retenu leur compétence pour statuer sur le fond du litige sans la mettre en mesure de conclure sur le fond. Elle rappelle que les arbitres étaient incompétents pour statuer dans la mesure où elle avait préalablement saisi la cour d'appel en raison du dépassement du délai dont disposait le bâtonnier pour statuer sur sa requête.

Sur ce,

L'article 78 du code de procédure civile énonce que le juge peut, dans un même jugement, mais par des dispositions distinctes, se déclarer compétent et statuer sur le fond du litige, après avoir, le cas échéant, mis préalablement les parties en demeure de conclure sur le fond.

Il ressort de la décision critiquée que les deux parties ont comparu personnellement à l'audience du 1er octobre 2020 et ont été entendues en leurs explications. Elles sont donc présumées s'être expliquées oralement sur tous les points en débat.

Il est précisé dans la décision critiquée que Mme [O] a communiqué un mémoire le 7 septembre 2020, soit trois semaines avant l'audience, ce mémoire faisant état de ses demandes reconventionnelles.

Les arbitres ont pris soin d'indiquer dans leur décision qu'aucune demande de report n'avait été formée, alors que Mme [P], professionnelle du droit, pouvait parfaitement solliciter le renvoi de la procédure à une audience ultérieure si elle estimait avoir besoin d'un délai pour répondre aux demandes reconventionnelles de Mme [O].

La décision relate avec une grande précision l'intégralité des prétentions, ainsi que des moyens de fait et de droit soumis aux arbitres par les parties.

Il résulte de sa lecture que la violation alléguée du principe du contradictoire n'est nullement prouvée et qu'en conséquence, la décision dont appel n'encourt pas la nullité de ce chef.

- sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de Mme [O]

Mme [P] soulève l'irrecevabilité de ces demandes au motif qu'elles n'ont pas été présentées préalablement à la tentative de conciliation du bâtonnier et qu'elles ne se rattachent pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, conformément à l'article 70 du code de procédure civile.

Mme [O] répond que sa demande reconventionnelle a un lien suffisant avec les demandes principales formées par l'appelante, en ce qui concerne le compte courant entre associés et le travail qu'elle a effectué pour le compte de la SCP du 1er juillet 2016 au 15 octobre 2018, dans la mesure où notamment, Mme [P] demande le remboursement des frais de parking et de téléphone portable.

Sur ce,

L'article 567 du code de procédure civile prévoit que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel. La demande reconventionnelle est celle par laquelle 'le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire' (art. 64 du même code) et nécessite de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant (art. 70).

Tel est le cas des demandes reconventionnelles formées par Mme [O], qui ont pour fondement l'activité qu'elle a exercée au sein de la SCP pendant la période sur laquelle porte le litige et donc un lien suffisant avec les demandes formées par Mme [P].

D'autre part, les éventuelles demandes reconventionnelles, qui sont susceptibles d'être formées au cours de la procédure et répondent aux demandes adverses ne peuvent être soumises à une audience de conciliation devant le bâtonnier.

En conséquence, les demandes reconventionnelles de Mme [O] seront déclarées recevables.

- sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme [P]

Mme [P] soutient que Mme [O] a soulevé des fins de non-recevoir et des exceptions de procédure au dernier moment, a modifié ses arguments dans ses conclusions successives devant le bâtonnier, devant la cour de [Localité 5] et devant la présente cour de renvoi, cela à des fins purement dilatoires. Elle ajoute qu'en modifiant ses demandes au fil de ses conclusions sans matérialiser les changements qu'elle y apporte, Mme [O] l'a contrainte à rechercher les différences entre les jeux de conclusions, ce qui lui a occasionné un préjudice. Elle demande que soit sanctionné le comportement procédural de son adversaire qu'elle qualifie de déloyal.

Mme [O] n'a pas répondu sur ce point.

Mme [P] ne rapporte aucunement la preuve de l'intention malveillante et dilatoire qui aurait présidé, selon elle, aux exceptions de procédure et fins de non-recevoir soulevées par Mme [O], chaque partie ayant libre choix des prétentions qu'elle forme dans le but d'assurer sa défense.

D'autre part, si chaque nouveau jeu de conclusions doit faire apparaître les ajouts et modifications par un signe distinctif, généralement une barre verticale située en face dans la marge, aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect de cette préconisation, de sorte qu'il appartient à la partie qui s'en plaint de demander que les conclusions soient mises en conformité auprès du conseiller de la mise en état ou du magistrat en charge de la procédure, ce qui n'a pas été réclamé en l'espèce.

La cour retient qu'en ce qui concerne la procédure qui lui est soumise, Mme [P] a conclu à trois reprises et sur 71 pages pour ses dernières conclusions et fait état de deux jeux de conclusions de Mme [O], l'un du 9 mai 2024 et l'autre du 27 juin 2024, ce dernier sur 24 pages.

Au surplus, Mme [P] ne justifie pas d'un préjudice particulier résultant de la lecture comparée des écritures de Mme [O] dont la longueur ne peut être qualifiée d'excessive, afin de s'assurer des modifications apportées aux conclusions précédentes, alors qu'elle est une professionnelle du droit expérimentée, habituée à exploiter les conclusions de ses confrères.

C'est pourquoi sa demande tendant à l'allocation d'une somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts sera rejetée.

B- au fond

- sur la prescription

Dans le dispositif de ses écritures, Mme [O] demande à la cour de 'dire et juger que les années 2013 et 2014 sont prescrites, la demande ayant été présentée en décembre 2019, soit plus de 5 années après'. Il s'évince de cette formulation que Mme [O] soulève l'irrecevabilité des demandes de Mme [P] concernant les exercices 2013 et 2014.

Mme [P] répond que les comptes de ces exercices n'ont pas été arrêtés, que les résultats n'étaient que provisoires et se sont reportés sur les années suivantes jusqu'à l'arrêté de compte effectué en 2018-2019 en vue de la dissolution et clôture de la SCP.

Elle ajoute que les résultats de 2013 ont été connus en 2014 et ceux de 2014 en 2015, et que la demande formée le 30 décembre 2019 n'est ainsi pas prescrite.

Les exercices de la SCP commençaient le 1er janvier et s'achevaient le 31 décembre. En conséquence, la créance alléguée par Mme [P] est née au plus tard le 31 décembre de chaque année civile.

Il en résulte que la demande en paiement formée par Mme [P] au titre de l'exercice 2013 se heurte à la prescription, dans la mesure où elle a formé sa demande le 30 décembre 2019 soit plus de cinq ans après la clôture de l'exercice 2013, mais non la demande qu'elle forme au titre de l'exercice 2014 qui s'est achevé cinq ans moins un jour avant sa saisine du bâtonnier.

Seule la demande de Mme [P] au titre de l'exercice 2013 sera déclarée irrecevable.

- sur la répartition des bénéfices

Mme [P] reproche à Mme [O], en sa qualité de gérante de la SCP, de n'avoir pas réparti les résultats des années 2013 à 2016 conformément aux statuts et, Mme [O] répondant qu'ils l'ont été en application du règlement intérieur, conteste la validité de ce règlement intérieur faute d'avoir été validé par une assemblée générale ultérérieure et fait valoir qu'il n'a pas été appliqué conformément à ce qu'il prévoit.

Elle rappelle que les statuts prévoient que les associés se réunissent en assemblée générale dans les trois mois qui suivent la clôture de l'exercice à l'effet de statuer sur les comptes (art. 18), et qu'aucune assemblée générale n'a été tenue pour approuver les comptes des exercices précédents.

Elle précise n'avoir pas participé à la négociation et à l'établissement du règlement intérieur qu'elle a toutefois signé car elle était d'accord pour que soient pris en considération les résultats de chacun dans la répartition des bénéfices, que Mme [O] établissant seule la comptabilité, elle ignorait comment il était procédé à la répartition, et qu'elle a découvert fin 2018 que celle-ci était effectuée en fonction du nom de l'associé indiqué sur les dossiers ou les factures, y compris quand un autre avocat avait travaillé sur le dossier, alors que cette modalité ne figurait pas dans le règlement intérieur et ne correspondait pas au travail de chacun. Elle affirme que la quasi-totalité des dossiers a été ouverte au nom de ses associés dans ce but.

Elle indique avoir contesté cette répartition dès le mois de décembre 2018 et avoir réitéré sa contestation dans sa requête au bâtonnier du 30 décembre 2019.

Elle fait observer que les nouveaux statuts de 2014 ne font aucune référence au règlement intérieur et reprennent la règle de répartition des bénéfices figurant dans les statuts de 2012, de sorte que les dispositions du règlement intérieur ont été mises à néant en 2014.

Elle affirme que les déclarations fiscales et sociales des associés ne valident en rien les comptes entre associés, et se prévaut de la jurisprudence de la Cour de cassation (Com. 12 juin 2012 n°11-17.042).

Elle soutient qu'il y a lieu d'appliquer la TVA aux sommes qu'elle réclame, qui sont dues à la SCP dont elle détient les droits par reprise de ses actifs.

Mme [O] rappelle que Mme [P] et M. [M] sont devenus associés et co-gérants de la SCP au 1er janvier 2001, que jusqu'en 2012, la répartition des bénéfices a été faite conformément aux statuts et qu'au cours de l'année 2012, en raison des résultats moindres de Mme [P], il a été convenu de modifier la répartition des bénéfices et notamment la rémunération des parts d'industrie pour valoriser le travail de chacun.

Elle précise que de nouveaux statuts ont été adoptés (le 27 novembre 2012, pièce n°2 de Mme [P]), et qu'un règlement intérieur a été signé le 31 janvier 2013 avec effet au 1er janvier 2013.

En réponse aux arguments adverses, elle indique que c'est par l'assemblée générale extraordinaire du 27 novembre 2012 que la modification de la répartition des bénéfices a été votée à l'unanimité et que le règlement intérieur s'est appliqué jusqu'à la date de son départ à la retraite, le 30 juin 2016.

Elle fait observer que Mme [P] n'a jamais dénoncé ce règlement intérieur, excipe de la jurisprudence aux termes de laquelle les associés peuvent ratifier par un acte un fonctionnement constant d'une société (Cass. 1ère, 02 mars 2004, pourvoi n° 01-14.243) et affirme que Mme [P] a chaque année, par des actes indiscutables, validé les comptes dans le cadre des déclarations fiscales et sociales, faisant remarquer qu'au surplus, en sa qualité de cogérante, elle avait la possibilité de convoquer ses associés en assemblée générale en vue de l'examen des comptes.

Elle conteste avoir écarté Mme [P] de la gestion de la SCP et précise que celle-ci pouvait consulter le logiciel de gestion SECIB qui était installé sur son poste.

Sur ce,

Les statuts de la SCP [O] [P] [M] en date du 27 novembre 2012 prévoient notamment que :

- le capital social est de 4207 euros, divisé en 4107 parts sociales de un euro chacune ainsi réparties : Mme [O] 2135 parts sociales, Mme [P] et M. [M] 1036 parts sociales chacun (art. 10).

- chacun des trois associés est titulaire de 50 parts d'industrie (art. 7)

- les associés se réunissent en assemblée générale dans les trois mois qui suivent la clôture de l'exercice à l'effet de statuer sur les comptes (art.18)

- l'exercice social commence le 1er janvier et finit le 31 décembre (art. 22)

- les produits nets de la société, telle que constatés au bilan annuel, après déduction de tous frais généraux, de tous amortissements et de toutes provisions jugées nécessaires par la gérance, constituent le bénéfice distribuable.

L'assemblée des associés peut décider d'affecter une fraction de ce bénéfice à un compte de réserve générale spéciale.

Le surplus est réparti entre les associés comme suit :

' affectation de 50 % du bénéfice aux parts sociales existantes, proportionnellement au nombre de parts que détient chaque associé ;

' affectation de 50 % du bénéfice aux parts en industrie existantes ;

La répartition des bénéfices affectés aux parts en industrie est fixée par règlement intérieur et, à défaut, proportionnellement au nombre de parts en industrie que détient chaque associé au moment de la répartition (art. 25).

La SCP s'est dotée le 31 janvier 2013 d'un règlement intérieur (pièce 108 de Mme [P]), qui avait pour objet de réglementer le fonctionnement de la SCP, les modalités de rémunération des parts d'industrie et la prise en charge des frais professionnels et des dépenses d'investissement.

L'article 1er de ce règlement intérieur cite la répartition générale des bénéfices prévue par l'article 25 des statuts et précise qu'à compter du 1er janvier 2013, l'attribution des parts d'industrie est réalisée en fonction de la participation des associés à la réalisation du chiffre d'affaires comme il est dit ci-dessous.

L'article 2 est ainsi rédigé : chaque associé participe à la réalisation du chiffre d'affaires hors taxes et les 150 parts d'industrie attribuées chaque année aux associés sont affectées en fonction de la participation proportionnelle de chaque associé à la création du CA HT.

Lors de l'approbation des comptes annuels de la SCP en année N+1, (...) il est procédé à la validation des résultats et à la détermination des pourcentages réalisés par chacun des associés dans la réalisation du CA HT.

Il en résulte un pourcentage pour chaque associé arrondi pour les dixièmes en faveur du chiffre le moins important, le tout représentant 100 %.

L'article 3 précise que la détermination des bénéfices affectés aux parts d'industrie est répartie entre associés en fonction du pourcentage obtenu comme il est dit à l'article 2.

Aux termes de l'article 1853 du code civil dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 1978 au 14 septembre 2024, les décisions collectives des sociétés civiles sont prises par les associés réunis en assemblée. Les statuts peuvent aussi prévoir qu'elles résulteront d'une consultation écrite.

L'article 1854 du même code dispose que les décisions peuvent encore résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte.

Il n'est pas contestable en l'espèce que les trois associés qui ont signé le règlement intérieur du 31 janvier 2013 ont consenti à la détermination des bénéfices telle qu'indiquée aux articles du règlement intérieur cités ci-avant.

Cependant, le règlement intérieur ne précise pas de quelle manière est déterminée la participation proportionnelle de chaque associé à la création du CA HT. Il y est expressément prévu que les résultats de la SCP et la détermination des pourcentages doit être validée lors de l'approbation des comptes annuels. Or, il n'est pas contesté par Mme [O] qu'aucune assemblée générale n'a été tenue pendant la période considérée.

L'assemblée générale de 2012 préalable à l'établissement du règlement intérieur contesté, si elle consacre la nouvelle répartition des bénéfices affectés aux parts d'industrie, ne précise aucunement comment sera évaluée la participation de chaque associé à la création du chiffre d'affaires. Il en résulte que la détermination des bénéfices revenant à chacun des associés n'a pas été édictée par des règles figurant dans les statuts ou dans le règlement intérieur de la SCP.

Mme [O] affirme qu'en effectuant ses déclarations fiscales et sociales sur la base de la répartition des bénéfices à laquelle il avait été procédé pour chaque exercice, Mme [P] a manifesté le consentement prévu par l'article 1854 du code civil. Or, non seulement il est constant qu'une déclaration à l'administration ne constitue pas l'acte auquel ce texte fait référence (Com. 12 juin 2012, pourvoi n° 11-17042), mais encore il n'est pas contestable qu'une déclaration fiscale ou sociale n'exprime pas le consentement à une décision, mais consiste seulement en la déclaration et la reconnaissance d'une situation à l'égard de l'administration. Cette déclaration n'a pas été renseignée par les associés, ensemble, exprimant un consentement unanime, mais par un associé seul. De plus, tout associé peut être conduit à corriger sa déclaration postérieurement par un second acte ne concernant que lui et l'administration. En conséquence, une telle déclaration ne saurait révéler ou caractériser une prise de décision collective.

Il n'est pas non plus démontré par Mme [O] que Mme [P] était co-gérante de la SCP, les statuts étant muets sur ce point, ni même que Mme [P] avait accès à la comptabilité du cabinet, les affirmations de Mme [O] selon lesquelles elle avait accès au logiciel de gestion étant contestées par l'intéressée et contredisant le témoignage de M. [M] selon lequel la comptabilité était rangée dans un meuble du bureau de Mme [O] et librement accessible.

Au surplus, quand bien même Mme [P] aurait-elle eu accès à la comptabilité de la SCP, il n'en demeure pas moins que la détermination des pourcentages du chiffre d'affaires hors taxes réalisés par chaque associé, qui ne pouvait ressortir des écritures comptables, devait être déterminée puis validée par l'assemblée générale statuant sur les comptes annuels.

En conséquence, aucune preuve n'étant rapportée de ce que Mme [P] a consenti à ce que 50 % des bénéfices de la SCP soient répartis entre les associés au seul vu des initiales des associés figurant sur les dossiers ayant produit des honoraires au profit du cabinet, la répartition des bénéfices affectés aux parts en industrie devait être calculée ainsi que le prévoyait l'article 25 des statuts, soit proportionnellement au nombre de parts en industrie détenues par chaque associé au moment de la répartition.

Mme [O] n'a formé aucune critique sur le montant des réclamations de Mme [P], dont les calculs effectués conformément à l'article 25 des statuts sont détaillés en page 34 et 35 de ses écritures.

La demande de Mme [P] au titre de l'exercice 2013 a été déclarée irrecevable. Or, Mme [P] ayant procédé à un calcul global des bénéfices sur les exercices 2013 et 2014, il convient de reprendre le chiffrage en appliquant sa méthode aux résultats de l'exercice 2014: 119'740, 85 + 34.054,37 = 153'795, 22 euros

Répartition :

153'795,22 x 50 % = 76 897, 61 euros

Capital Mme [O] (2.035 parts sur 4.207) : 76.897,61 x 2135/4207 = 39'024,57 euros

Industrie Mme [O] (50 parts sur 150) : 76.897,61 x 50/150 = 25.632,53 euros

Total : 90.289,63 euros

Pendant cet exercice, Mme [O] a perçu à titre d'acomptes les sommes de

51'976,76 euros et 19'766,97 euros soit en tout 71743,73 euros.

Il n'en résulte aucun trop-perçu de Mme [O] au titre de l'exercice 2014.

Mme [P] a mis en évidence au profit de Mme [O] un trop-perçu de 15'341,42 euros au titre de l'exercice 2015 et un autre de 7037, 82 euros au titre de l'exercice 2016, soit au total 22'379,64 euros hors-taxes .

Mme [O] sera en conséquence condamnée à payer cette somme à Mme [P], avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019, date de la demande.

La cour prononcera la condamnation hors taxes, car elle n'est pas prononcée au profit de la SCP aujourd'hui dissoute, mais au profit de Mme [P], en vertu du droit propre et personnel dont elle est personnellement devenue titulaire à la suite de la société (Civ. 1ère, 4 décembre 2024 n° 23-13213 déjà cité infra) .

- sur les frais

Mme [P] sollicite la condamnation de Mme [O] à lui rembourser le coût des formalités qu'elle a effectuées en 2018 dans l'intérêt exclusif de Mme [O], suite à la demande de celle-ci auprès du bâtonnier, au motif que si l'acte de cession de parts de 2016 indique que les frais, droits et honoraires de l'acte et ceux qui en seront la conséquence seront supportés par le cessionnaire qui s'y oblige, cette stipulation ne concerne pas les formalités devenues totalement inutiles.

Elle soutient que la dissolution-liquidation de la SCP était en cours de publication au RCS, et qu'il était en conséquence inutile de publier à cette date les modifications effectuées en 2016.

Mme [O] répond que ces frais concernent les publications indispensables à la suite de la cession de ses parts du 30 septembre 2016, que les nouveaux statuts devaient être obligatoirement publiés, et s'oppose à la demande.

L'acte de cession de parts de 2016 prévoit que les frais afférents doivent être supportés par Mme [P], sans distinguer entre les frais utiles et les frais inutiles. Les frais objets du litige concernent la publication au RCS de la modification du nombre d'associés et de la cession de parts intervenues en 2016, et la modification de la gérance effectuée en 2017. Tous ces frais sont consécutifs à la cession de ses parts par Mme [O] à Mme [P], cette dernière doit donc en conserver la charge en application de l'article 1103 du code civil, la décision querellée méritant confirmation en ce qu'elle a rejeté la demande formée à ce titre.

Mme [P] sollicite également la condamnation de Mme [O] à lui rembourser 3.580,86 euros de frais de parking et 6.575,22 euros de frais de téléphone portable correspondant à l'usage, par Mme [O], des moyens du cabinet à des fins personnelles après le 30 juin 2016, date à laquelle elle a pris sa retraite.

Mme [O] répond qu'elle a travaillé pour le cabinet à compter du 1er juillet 2016 et que la SCP a encaissé de ce fait la somme totale de 119'814,75 euros entre le 1er juillet 2016 et le 15 octobre 2018, date à laquelle Mme [P] l'a contrainte à quitter le cabinet, et que ces avantages en constituent la contrepartie.

Elle conteste être redevable des frais de parking pour la période du 15 au 30 octobre 2018, et soutient que le montant total des frais du téléphone portable qu'elle utilisait s'élève à 1.919,05 hors-taxes (pièce 21).

Le numéro de la ligne téléphonique utilisée par Mme [O] étant le 06 19 01 09 99, il convient de reprendre les factures produites par Mme [P], étant observé qu'aucun décompte n'est versé aux débats.

Facture du 02 juillet 2016 : 64,34 euros

Facture du 1er août 2016 : 45,40 euros

Facture du 1er septembre 2016 : 35,65 euros

Facture du 02 octobre 2016 : 87,79 euros

Facture du 02 novembre 2016 : 35,65 euros

Facture du 02 décembre 2016 : 35,65 euros

Facture du 1er janvier 2017 : 35,65 euros

Facture du 02 février 2017 : 45,35 euros

Facture du 02 mars 2017 : 45,35 euros

Facture du 03 avril 2017 : 60,35 euros

Facture du 02 mai 2017 : 46,72 euros

Facture du 02 juin 2017 : 58,88 euros

Facture du 3 juillet 2017: 54,37 euros

Facture du 02 août 2017 : 250,95 euros dont 160,60 euros au titre de consommations facturées et 45 euros au titre d'autres prestations (3 packs jour data intense les 24,25 et 26 juillet)

Facture du 02 septembre 2017 : 101,43 euros dont 11,08 euros au titre de consommations facturées et 45 euros au titre de packs jour data intense les 27, 28 et 29 juillet

Facture du 03 octobre 2017 : 77,39 dont 32,04 euros de consommations facturées

Facture du 03 novembre 2017 : 49,85 euros

Facture du 02 décembre 2017 : 45,35 euros

Facture du 02 janvier 2018 : 45,35 euros

Facture du 2 février 2018 : 52,87 euros

Facture du 02 mars 2018 : 45,35 euros

Facture du 02 avril 2018 : 69,35 euros

Facture du 02 mai 2018 : 45,35 euros

Facture du 03 juin 2018 : 57,35 euros

Facture du 02 juillet 2018 : 77,60 euros

Facture du 02 août 2018 : 93,57 euros

Facture du 02 septembre 2018 : 100,08 euros

Facture du 07 octobre 2018 : 28, 50 euros

Facture du 02 novembre 2018 : 30,36 euros

Facture du 02 décembre 2018 : 40,17 euros

total : 1862,02 euros

Mme [O] soutient qu'une extension de contrat a été effectuée à compter d'août 2018, et que les frais supplémentaires correspondent à des frais de tablette et d'ordinateur qui ne la concernent pas, et conclut au rejet de la demande.

L'acte de cession du 30 septembre 2016 ne prévoit ni la rémunération de Mme [O] au titre de l'activité qu'elle exercerait au sein de la SCP après son départ à la retraite 30 juin 2016, ni la prise en charge par la SCP, à compter de cette date, de ses frais de parking et de téléphone.

Mme [O] indique elle-même dans ses écritures qu'après le 30 juin 2016, en sa qualité d'avocat honoraire, elle a sollicité de son bâtonnier l'autorisation de continuer à suivre et assister des clients dans six dossiers, que cette assistance était faite pour le compte exclusif de la SCP, et qu'elle agissait ainsi comme collaborateur bénévole du cabinet.

Faute pour elle de rapporter la preuve qu'il avait été convenu entre elle et la SCP de la faire bénéficier à titre gratuit de la ligne téléphonique et du parking qu'elle utilisait pendant son activité, elle sera condamnée à rembourser les frais engagés par la SCP à ce titre, la décision dont appel étant infirmée sur ce point.

Mme [O] fait observer qu'il lui est demandé remboursement des frais de parking jusqu'au 31 octobre 2018 alors que la résiliation de sa place a été effectuée dès le 9 octobre 2018. La cour relève que le récapitulatif Indigo versé aux débats démontre que le cabinet a conservé deux places de parking, celle de Mme [O] et celle de M. [M] (ce dernier louant des locaux au sein du cabinet) jusqu'au 31 mars 2019 (pièce n°20 page 4 de Me [P]), et que le paiement était trimestriel, de sorte qu'il n'y a pas lieu de réduire la somme dont Mme [O] est redevable à ce titre, le quatrième trimestre de l'année étant entamé.

S'agissant des frais téléphoniques, Mme [O] ne démontre pas que l'augmentation des factures soit liée à une extension de contrat qu'elle n'aurait pas réclamée et il sera fait droit à la demande à hauteur de la somme ci-dessus, étant observé qu'il ressort des dates des factures que les plus élevées correspondent aux périodes de congés.

En conséquence, Mme [O] sera condamnée à payer à Mme [P] la somme de 3580,86 euros au titre de la location du parking et 1862,02 euros au titre des frais d'abonnement téléphonique pour un total de 5442,88 euros. Cette somme ne portera pas intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 décembre 2018, comme le demande Mme [P], faute pour celle-ci d'avoir indiqué dans ses conclusions le numéro de la pièce correspondant à la mise en demeure, que la cour n'a pas découverte parmi les 146 pièces qu'elle a produites, mais à compter du 30 décembre 2019, date de la saisine du bâtonnier valant demande en justice.

- sur la rémunération de l'activité de Mme [O] après le 30 juin 2016

Mme [O] forme une demande reconventionnelle et rétroactive de rétrocession d'honoraires à hauteur de 84.000 euros au titre de son activité au sein du cabinet après son départ à la retraite.

Mme [P] répond que Mme [O] ne fournit aucune pièce justifiant ses affirmations et le chiffrage auquel elle a procédé, et répond que ses demandes sont irrecevables et infondées.

La cour a rappelé ci-avant que Mme [O] a elle-même indiqué dans ses écritures qu'après son départ à la retraite, elle agissait au sein du cabinet en qualité de collaborateur bénévole. De plus, Mme [O] s'abstient de produire une convention à titre onéreux la liant à la SCP pour le travail effectué pendant la période considérée.

En conséquence, la décision qui a rejeté sa demande sur ce point sera confirmée.

- sur le remboursement du solde du compte courant

Mme [O] sollicite le remboursement de son compte courant et fait valoir que Mme [P] en connaissait l'existence. Elle en veut pour preuve une note manuscrite que cette dernière a rédigée à son intention (pièce 18 bis de Mme [O]) et les arrêtés de compte précisant le suivi des comptes courants (sa pièce 22 et les pièces de Mme [P] n° 9, 11, 12, 16, 17, 18).

Or, il ne peut être déduit de la note par laquelle Mme [P] évoque ce qui est dû à Mme [O] que celle-ci évoque le compte courant. D'autre part, Mme [P] affirme n'avoir pas été destinataire des pièces comptables intitulées 'répartition des résultats de la SCP [O]- [P]- [M]', Mme [O] affirmant le contraire.

Mme [P] se prévaut de l'attestation de Me [Y] qui indique avoir évalué les droits de Mme [O] en 2016, à la demande de Mme [P] et avoir effectué un traitement liquidatif au vu de deux facteurs essentiels, la soulte que versait leur ancien associé et le constat d'une baisse de chiffre d'affaires de la SCP entre 2014-2015 et d'une baisse susceptible d'être encore supérieure en 2016 pour soutenir que la question du remboursement du compte courant de Mme [O] n'a jamais été évoquée et que si elle en avait appris l'existence, elle n'aurait pas accepté de payer le même prix pour les parts sociales, compte tenu de l'évolution à la baisse du chiffre d'affaires du cabinet.

Mme [O] répond que l'acte de cession des parts sociales ne tient pas compte du solde du compte courant et sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Mme [P] à lui régler la somme de 1755,47 euros, réclamant en outre des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2020 sur cette somme.

Mme [P] fait observer que le compte courant s'établissait à 11'039,54 euros au 31 décembre 2016, que Mme [O] a opéré sur ce compte des prélèvements de 40'885 euros entre le 1er juillet 2016 et le 31 décembre 2018 et en conséquence elle doit être condamnée à lui rembourser cette somme de 40'885 euros (ses conclusions p.59). Page 67 des mêmes conclusions, elle conclut à l'infirmation de la décision critiquée en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Mme [O] une somme de 1755,47 euros au motif qu'il n'existe pas de compte courant au bénéfice de Mme [O].

Sur ce,

Il ressort des éléments de comptabilité de la SCP qui sont versés aux débats que chacun des associés était titulaire d'un compte courant dont le montant variait chaque année, ce qui suffit à en démontrer l'existence.

A défaut de disposition spécifique, un associé peut solliciter le remboursement de tout ou partie de son compte courant. Dès la perte de la qualité d'associé, le solde du compte courant est exigible. En cas de cession de parts sociales, ou d'actions, le cédant perd la qualité d'associé, mais demeure titulaire de son compte courant dont il peut exiger le remboursement à tout moment.

Il résulte des écritures des parties que Mme [O] a continué à exercer la gérance de la SCP bien qu'ayant cédé ses parts au 30 juin 2016, de sorte qu'elle était en capacité d'effectuer sur ce compte des prélèvements, ce qui ne peut lui être reproché.

En l'absence de toute mention dispensant la SCP du remboursement du solde du compte courant de Mme [O] dans l'acte de cession des parts, ou dans un autre acte, il y a lieu de confirmer la décision entreprise, qui a condamné Mme [P] à payer à Mme [O] la somme de 1755,47 euros à ce titre. La somme due portera intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2020, date de la décision dont appel, comme le demande Mme [O].

Mme [P] sera déboutée de sa demande de restitution de la somme prélevée sur son compte courant par Mme [O] après le 30 juin 2016, celle-ci pouvant en exiger le remboursement à tout moment et ayant alors qualité pour procéder à de tels remboursements dans la mesure où elle continuait, avec l'accord de Mme [P], à exercer la gérance de la SCP.

- sur le préjudice de Mme [P]

1- Mme [P] déplore des agissements fautifs de Mme [O] à qui elle reproche d'avoir encaissé le maximum d'honoraires restant dus pendant le premier semestre 2016 et d'avoir provisionné très fortement un grand nombre de dossiers pour lesquels le travail restait encore à effectuer après le 30 juin 2016 et qu'en conséquence le résultat du cabinet au deuxième semestre 2016 a été catastrophique.

2- Mme [P] se plaint également que Mme [O] s'est permis d'informer les clients du cabinet qu'elle en avait été « virée ». Elle produit un courriel adressé par Mme [O] à Monsieur [S] [Z] le 22 octobre 2018 qui contient cette unique phrase : 'pour info je n'ai pas quitté le cabinet mais je suis « virée » de celui-ci.' (Pièce 39).

Mme [P] ne produit pas de justificatifs supplémentaires démontrant que Mme [O] aurait diffusé cette information auprès d'autres clients

3- Elle indique que Mme [O] a profité de ce que la signature sur le compte de la SCP ne lui avait pas été retirée pour virer sur son compte personnel 1000 euros le 28 novembre 2018 et 1000 euros le 7 décembre suivant, et produit les relevés du compte bancaire de la SCP qui en justifient.

4- Elle dit avoir vu Mme [O] fouiller dans la case de la SCP au palais de justice le 27 juin 2019.

5- Elle affirme que Mme [O] s'est fait payer 2000 euros en espèces par une cliente qui bénéficiait de l'aide juridictionnelle totale, sans remettre cette somme au cabinet, et produit le témoignage de la cliente en ce sens, étant précisé que les deux décisions d'aide juridictionnelle dont bénéficiait cette cliente datent de 2014 et 2015.

6- Elle déplore que Mme [O] ait rédigé le 5 décembre 2019 une attestation au profit d'un client dans le cadre d'une procédure de contestation des honoraires du cabinet (p. 44) contrevenant ainsi à ses obligations de loyauté et de délicatesse. Elle lui reproche d'avoir attesté que la liquidation de la succession [H] devait être suivie gratuitement par le cabinet en raison des liens d'amitié qu'entretenait Mme [O] avec Mme [H] et en raison de la simplicité de la dernière formalité à effectuer, alors que postérieurement au départ de Mme [O] en retraite, un cohéritier avait émis des prétentions et que les difficultés s'en étaient ensuivies, nécessitant un travail de recherche et d'assistance du cabinet qui justifiait la perception d'un complément honoraires.

7- Elle reproche à Mme [O] de s'être opposée auprès du bâtonnier à la publication de la radiation de la SCP en décembre 2019. Le courriel du bâtonnier qu'elle produit relate que celui-ci a été interpellé par Mme [O] qui lui a indiqué qu'elle attendait le règlement du solde de son compte courant à hauteur de 1700 euros. Le bâtonnier a rappelé à Me [P] que les comptes devaient être effectués dans le cadre de la liquidation et que s'il existait un compte courant, celui-ci devait être payé à celui qui en était créancier (p 45). Elle fait valoir qu'en conséquence, le bâtonnier a décidé de suspendre toute délivrance de documents, l'empêchant ainsi de procéder aux formalités de publicité de la clôture de la SCP (p.46), et qu'elle a dû saisir le conseil de l'ordre pour obtenir le document nécessaire pour la radiation de la SCP.

Soutenant que l'ensemble de ses agissements lui ont causé un préjudice au moins moral, elle réclame la condamnation de Mme [O] à lui verser 20'000 euros à ce titre.

Mme [O] conclut au rejet de la demande en faisant valoir qu'elle n'entend pas répondre aux arguments par lesquels Mme [P] fustige son attitude, qui sont tous faux, et qu'au demeurant aucun lien de causalité entre les prétendues fautes invoquées et le préjudice allégué n'est établi.

S'agissant de la somme perçue en espèces d'une cliente bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, elle indique que Mme [P] oublie de préciser et de communiquer la réponse qu'elle a faite au Bâtonnier le 25 juillet 2019, [exposant] les raisons pour lesquelles elle avait facturé cette cliente alors qu'elle bénéficiait de l'AJ totale (ses écritures, p.23).

Sur ce,

1- S'agissant de l'encaissement d'honoraires et de provisions substantielles pendant le premier semestre 2016, Mme [P] produit les résultats comptables (pièce n°25) et un argumentaire qu'elle a elle-même rédigé (p.101). Il ne résulte pas de ces pièces ni du reste de la production de Mme [P] la preuve que des provisions ont été réclamées par Mme [O] au cours du premier semestre 2016 sans que le travail correspondant n'ait été réalisé pendant la même période, étant rappelé que nul ne peut se faire de témoignage à soi-même et que la note de Mme [P] est en conséquence dépourvue de force probante.

2- Sur l'information par Mme [O] des clients du cabinet qu'elle en avait été chassée, Mme [P] produit un courriel adressé par Mme [O] à Monsieur [S] [Z] le 22 octobre 2018 mais aucun autre justificatif démontrant que Mme [O] aurait diffusé cette information auprès d'un nombre plus important de clients, de sorte que l'emploi par Mme [P] du pluriel pour évoquer la diffusion de cette information auprès 'des clients' est inapproprié. Malgré son contenu, il n'est nullement établi que le message de Mme [O] à M. [Z] dont le litige était en voie de résolution par la conclusion d'un protocole d'accord, ait occasionné à Mme [P] un préjudice particulier nécessitant réparation.

3- En ce qui concerne la somme de 2.000 euros prélevée par Mme [O] sur le compte de la SCP après son départ définitif du cabinet début octobre 2018, il n'est ni justifié ni même allégué par Mme [O] aucun motif à ces prélèvements. Mme [P] qui ne réclame pas remboursement de cette somme en a conséquence subi a minima un préjudice moral qui doit être indemnisé.

4- Sur la consultation par Mme [O], postérieurement au 9 octobre 2018, des pièces se trouvant dans la case de la SCP au Palais, Mme [P] n'en témoigne qu'en produisant une note qu'elle a rédigée elle-même (p.41). Une telle preuve n'étant pas recevable, aucun manquement n'est établi de ce chef.

5- Le fait que Mme [O] se soit fait remettre 2000 euros en espèces par une cliente qui bénéficiait de l'aide juridictionnelle totale en 2014 ou 2015 sans verser cette somme au cabinet est justifié par le témoignage écrit de la cliente. Mme [O] allègue l'explication qu'elle aurait fournie au Bâtonnier, sans divulguer son contenu et surtout sans fournir la copie de ce courrier explicatif.

En l'absence de toute justification de cette situation, la cour ne peut que considérer que les faits ont occasionné à Mme [P], en sa qualité d'associée de la SCP un préjudice moral qui mérite indemnisation.

6- S'agissant de la liquidation de la succession [H], Mme [P] reproche à Mme [O] d'avoir attesté en faveur de Mme [H] dans le cadre d'une procédure de contestation d'honoraires opposant celle-ci à Me [P] pour indiquer qu'elle s'était acquittée de tous les honoraires qui étaient dus alors que cette cliente était redevable d'un supplément d'honoraires en raison de difficultés survenues après le départ à la retraite de Mme [O].

D'une part, si des honoraires supplémentaires devaient être réclamés à cette cliente, il incombait à Me [P] ou au collaborateur en charge du dossier d'en informer préalablement et clairement Mme [H] et de lui expliquer quelles diligences devaient être accomplies et quel en était le coût, voire de conclure avec elle une convention d'honoraires.

Le courrier adressé par Mme [O] au Bâtonnier démontre qu'elle avait connaissance de ces difficultés mais non que celles-ci entraînaient un coût supplémentaire pour la cliente, de sorte que le contenu de l'attestation ne peut lui être reproché, étant rappelé qu'elle indique être unie par des liens d'amitié avec cette cliente.

En conséquence, aucune faute de Mme [O] à l'égard de Me [P] n'est établie en l'espèce.

7- Mme [O] s'étant adressée au Bâtonnier pour lui faire savoir qu'elle attendait le paiement de son compte courant par la SCP alors en cours de liquidation, et la présente juridiction faisant droit à sa demande en paiement sur ce point, il ne peut lui être reproché à faute d'avoir interpellé le bâtonnier.

En raison de ce qui précède aux points n° 3 et 5, la cour condamnera Mme [O] à payer à Mme [P] une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle lui a occasionné.

- sur la demande en paiement par Mme [O] des honoraires dus par Mme [H]

Mme [P] réclame la condamnation de Mme [O] à lui payer les sommes qu'aurait dû régler Mme [H] à titre d'honoraires. Elle reproche à l'intimée d'avoir affirmé dans son attestation que la liquidation de la succession [H] devait être suivie gratuitement par le cabinet, alors que postérieurement à son départ à la retraite, un travail de recherche et d'assistance du cabinet avait été nécessaire, qui justifiait des honoraires supplémentaires. Elle affirme que Mme [O] le savait parfaitement puisqu'elle était au cabinet lorsqu'un collaborateur avait travaillé sur ce dossier, et qu'elle avait, en sa qualité d'avocat honoraire, assisté Mme [H] lors d'une réunion chez le notaire, ce qui lui était interdit et avait été dénoncé au bâtonnier par l'adversaire ( p.102).

Mme [O] oppose à cette demande l'autorité de la chose jugée de la décision rendue par le délégué du premier président de la cour d'appel de Toulouse statuant en matière de contestation d'honoraires.

Il ressort de la décision confirmative du rejet de la demande de Mme [P] en date du 21 octobre 2020 (pièce 24 de Mme [O]) qu'aucun honoraire n'était dû à la SCP par Mme [H] au titre de son intervention lors de la liquidation de la succession.

Si cette décision, qui n'intervient pas entre les mêmes parties, est dépourvue de toute autorité de la chose jugée dans le litige opposant Mme [P] à Mme [O], sa motivation éclairante interdit à la cour de mettre à la charge de Mme [O] le montant des honoraires en question.

Sa demande de ce chef ne peut qu'être rejetée.

- sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme [O]

Mme [O] fait valoir que l'attitude de Mme [P] à son égard depuis le mois d'octobre 2018 est fautive et lui a occasionné un préjudice, en ce qu'elle a été contrainte de quitter le cabinet et évacuer ses dossiers et ses affaires personnelles en moins de 15 jours, dans un contexte violent de rupture, alors que Mme [P] avait organisé cette rupture en amont, comme le prouve la date de résiliation du parking dont elle bénéficiait le 8 octobre précédent. Elle relate avoir trouvé les serrures du cabinet changées le 2 novembre 2018 et son portable professionnel coupé, avoir subi l'exposé des doléances de Mme [P] à son égard au bâtonnier et aux membres de l'ordre des avocats, et le reproche infondé d'avoir pris des engagements avec des fournisseurs, alors que le contrat concernant le photocopieur avait bien été souscrit et signé par Mme [P]. Elle reproche à Mme [P] de l'avoir accusée de percevoir de l'argent 'au noir' et réclame la condamnation de Mme [P] à lui verser 20'000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son honneur et à sa probité.

Mme [P] répond que cette demande est irrecevable et infondée.

Elle indique n'avoir commis aucune faute en ayant prié Mme [O], en octobre 2018, de ne plus venir au cabinet alors qu'elle avait pris sa retraite depuis le 30 juin 2016, qu'elle commettait des actes de gestion illégaux, et qu'elle avait eu 27 mois pour retirer ses affaires. Elle affirme n'avoir commis ni discrimination ni injures à l'égard de Mme [O].

Le mot manuscrit rédigé par Mme [P] à l'intention de Mme [O] (sa pièce 31) montre qu'elle a réagi à la lettre adressée par Mme [O] au Bâtonnier le 26 octobre pour s'opposer à la liquidation de la SCP au motif qu'elle lui était préjudiciable dans la mesure où elle était toujours associée de la structure.

Faisant allusion à la volonté de Mme [O] de lui créer des difficultés, Mme [P] lui impartit jusqu'au 29 octobre pour quitter le cabinet et lui restituer le téléphone et les clés.

Mme [O] évoque essentiellement les conditions de la rupture de ses relations avec Mme [P] mais réclame des dommages et intérêts pour atteinte à son honneur et à sa probité. Elle n'articule aucun grief précis, elle ne cite pas de propos de Mme [P] à son égard ni des mots qu'elle aurait employés dans les courriers adressés au bâtonnier ou à ses confrères, qui caractériseraient l'atteinte à l'honneur et à la probité dont elle se plaint.

Enfin, Mme [O] ne produit aucun élément de nature à contredire le témoignage de sa cliente qui affirme lui avoir versé des honoraires en numéraire.

En conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son honneur et à sa probité.

La cour, d'office, ordonne la compensation des créances réciproques des parties.

Les demandes de Mme [P] étant partiellement accueillies, Mme [O] qui succombe sera condamnée aux dépens. L'équité ne commande pas de faire application en l'espèce de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Vu l'arrêt rendu le 8 mars 2023 par la Cour de cassation ;

Rejette la demande tendant à ce que la déclaration de saisine soit déclarée caduque;

Confirme la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse du 14 octobre 2020 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'audience de conciliation préalable ;

Déclare recevables sur le fondement de l'article 31 du code de procédure civile les demandes formées par Mme [P] ;

Rejette les demandes tendant à obtenir l'annulation de la décision du 14 octobre 2020,

Confirme la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse du 14 octobre 2020 en ce qu'elle a :

- débouté Mme [O] de sa demande reconventionnelle en rétrocession d'honoraires ;

- débouté Mme [P] de sa demande de remboursement des frais consécutifs à l'acte de cession des parts de Mme [O] ;

- condamné Mme [P] à payer à Mme [O] la somme de 1755,47 euros au titre de son compte courant d'associé ;

- débouté Mme [O] de sa demande de dommages et intérêts;

L'infirmant sur le surplus,

Déclare irrecevables les demandes de Mme [P] au titre de l'exercice 2013 ;

Condamne Mme [O] à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

- 22'379,64 euros hors-taxes outre intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019 au titre des exercices 2014 à 2016 ;

- 5.442,88 euros au titre des frais payés pour son compte par la SCP du 1er juillet 2016 au 31 octobre 2018 outre intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019;

- 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [P] à payer à Mme [O] des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2020 sur la somme de 1.755,47 euros due au titre du solde de son compte courant;

Ordonne la compensation des créances respectives des parties ;

Rejette le surplus des demandes, y compris celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [O] aux dépens.

LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ

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