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Décisions

CA Rouen, ch. soc., 25 septembre 2025, n° 24/02789

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/02789

25 septembre 2025

N° RG 24/02789 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JXJC

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 24 Juillet 2024

APPELANTE :

Association [Localité 6] INSTITUT SOUNNA

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Ahmed AKABA, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Cindy PERRET, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [A] [F]

Chez Monsieur [L] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l'EURE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C76540-2024-008306 du 21/01/2025 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 7])

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 Juin 2025 sans opposition des parties devant M. LABADIE, Conseiller, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice

M. LABADIE, Conseiller

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 25 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 septembre 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BACHELET, conseillère, pour la présidente empêchée Madame LEBAS-LIABEUF, et par Madame DUBUC, Greffière.

***

Soutenant avoir été lié par un contrat de travail en qualité d'imam à compter du 1er février 2015 avec l'association des rapatriés français musulmans, devenue l'association Louviers institut Sounna, et avoir été licencié le 14 juin 2022, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Louviers le 8 décembre 2022 en reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, en contestation de la rupture, ainsi qu'en paiement d'indemnités et rappel de salaires.

Par jugement du 24 juillet 2024, le conseil de prud'hommes a constaté l'existence d'un contrat de travail à temps partiel d'octobre 2018 à mars 2022, puis à temps plein à compter d'avril 2022 et s'est déclaré compétent mais ne constatant pas l'existence d'un travail dissimulé, ne relevant pas de fait constitutif de harcèlement, ne retenant aucun caractère vexatoire entourant le licenciement, a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, a débouté M. [F] de l'ensemble de ses prétentions et l'association Louviers institut Sounna de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [F] aux entiers dépens.

M. [F] a interjeté appel de cette décision le 2 août 2024.

Par conclusions remises le 29 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [F] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté l'association [Localité 6] institut Sounna de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, de :

- condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à lui payer les sommes suivantes :

- indemnité pour travail dissimulé : 11 111,70 euros

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 15 000 euros

- dommages et intérêts pour violation de l'obligation de prévention des faits de harcèlement moral : 7 500 euros

- indemnité compensatrice de préavis : 3 703,90 euros

- congés payés afférents : 370,39 euros

- indemnité légale de licenciement : 3 472,40 euros

- dommages et intérêts résultant du caractère brutal et vexatoire du licenciement : 2 500 euros

- dommages et intérêts pour nullité du licenciement : 35 000 euros nets de CSG et de CRDS, et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 14 815,60 euros

- condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à déclarer et payer les cotisations sociales sur la base d'un salaire net de 1 426,71 euros du 14 juin 2019 au 31 mars 2022,

- dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête et du jour de la décision à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire,

- ordonner à l'association [Localité 6] institut Sounna de lui remettre un bulletin de salaire et une attestation France travail rectifiés selon la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard courant à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision à intervenir et se réserver la faculté de liquider l'astreinte,

- condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à Me Locatelli une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve du renoncement à la part contributive de l'Etat, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 28 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, l'association Louviers institut Sounna demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'existence d'un contrat de travail à temps partiel d'octobre 2018 à mars 2022, puis à temps plein à compter d'avril 2022 et s'est déclarer compétent et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, constater qu'aucun contrat de travail ne la lie à M. [F], se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire d'Evreux, débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 3 juin 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la question de l'existence d'un contrat de travail.

M. [F] explique avoir été embauché par l'association le 1er février 2015 en qualité d'intervenant culturel-imam sans aucun contrat de travail écrit, ni sans aucune déclaration et ce, contre une rémunération de 800 euros en espèces pour 35 heures de travail. Il précise qu'à compter du 1er octobre 2018, il a été déclaré pour 51 heures de travail contre paiement en chèque emploi associatif couplé à un contrat de concession de logement de fonction, tout en étant payé 1 000 euros par mois en espèces à raison du temps plein qu'il accomplissait avant qu'un avenant au contrat de travail ne soit régularisé en avril 2022 sur la base d'un temps plein.

Aussi, rappelant que l'engagement religieux d'une personne n'est susceptible d'exclure l'existence d'un contrat de travail que pour les activités qu'elle accomplit au bénéfice d'une congrégation ou d'une association cultuelle légalement établie, ce que n'est pas l'association [Localité 6] institut Sounna, il relève qu'il exerçait des fonctions d'intervenant socio-culturel comprenant des missions annexes à celles d'imam, et ce, contre rémunération et dans un lien de subordination, le président de l'association lui donnant ordres et directives comme le prévoit d'ailleurs le contrat de travail et comme en témoignent plusieurs adhérents de la mosquée, étant noté qu'il a d'ailleurs été licencié en juin 2022, ce qui caractérise le pouvoir de sanction.

En réponse, tout en rappelant que la jurisprudence exclut l'existence d'une relation salariée entre un religieux et une association cultuelle et que trois éléments sont nécessaires pour caractériser un contrat de travail, et notamment le lien de subordination, peu important la qualification donnée au contrat signé, l'association [Localité 6] institut Sounna conteste toute relation salariée et estime que cette action n'a pour seul objet que d'affaiblir le président de l'association, M. [C], qui prône des valeurs républicaines d'intégration quand M. [F] s'est pour sa part radicalisé.

Elle relève par ailleurs que M. [F] organisait lui-même les cours d'arabe au sein de la mosquée contre rémunération directement perçue des personnes y participant, intervenait dans trois autres mosquées et que la lettre de licenciement ne reflète aucunement un pouvoir de sanction mais uniquement une tentative désespérée de faire partir une personne menaçante pour l'intégrité physique et morale de son président, M. [C].

L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs, et l'engagement religieux d'une personne n'est susceptible d'exclure l'existence d'un contrat de travail que pour les activités qu'elle accomplit pour le compte et au bénéfice d'une congrégation ou d'une association cultuelle légalement établie.

En l'espèce, si l'association [Localité 6] institut Sounna créée le 20 mars 2020, en remplacement de l'association des anciens combattants rapatriés français musulmans, a, notamment, pour objet social de contribuer à trouver des solutions aux questions liées à l'exercice du culte musulman, promouvoir la gestion des affaires liées au culte musulman, défendre une image, une lecture et une pratique saine de l'islam, pour autant, elle relève du statut des associations de la loi de 1901 sans aucunement justifier répondre aux obligations de la loi de 1905 relatives aux associations cultuelles.

Dès lors, cette association privée de fidèles n'étant ni une congrégation, ni une association cultuelle légalement établie, il convient de rechercher si les critères d' un contrat de travail sont réunis, et notamment par l'existence d'un lien de subordination, caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements d'un subordonné.

Pour autant, si en l'absence de contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui en invoque l'existence d'en apporter la preuve, inversement, en cas de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui le conteste d'apporter la preuve de son caractère fictif.

En l'espèce, il est produit aux débats un 'avenant au contrat à durée indéterminée' signé le 1er avril 2022 par les deux parties aux termes duquel il est indiqué que ce contrat a pour objet de définir la mission du salarié et ses obligations vis-à-vis de l'association, fixer sa rémunération, ses congés payés et il y est ainsi expressément indiqué que M. [F] est engagé par l'association pour une période indéterminée à compter du 1er avril 2022 et qu'il s'engage à dispenser les causeries religieuses hebdomadaires (prêches du vendredi), les cinq prières et la délivrance des conseils spirituels aux fidèles pour une durée de 35 heures en contrepartie d'un salaire mensuel brut de 1 851,95 euros.

Il est par ailleurs produit des chèques emplois associatifs pour la période du 1er décembre 2021 au 31 mars 2022 pour une durée de travail de 51 heures, puis des bulletins de salaire à compter du 1er avril 2022 pour un temps de travail de 151,67 heures.

Enfin, il est justifié d'un contrat de concession d'un logement de fonction signé le 1er octobre 2018 aux termes duquel il est indiqué que le logement mis à disposition est concédé à titre d'accessoire du contrat de travail souscrit entre les parties le 1er octobre 2018.

Au vu de ces éléments, s'il n'existe aucun contrat de travail apparent antérieurement au 1er octobre 2018 et qu'il appartient donc à M. [F] de rapporter la preuve de l'existence d'une telle relation salariée, il convient au contraire de retenir que le contrat de concession d'un logement de fonction faisant expressément référence à un contrat de travail est constitutif d'un contrat de travail apparent impliquant que l'association [Localité 6] institut Sounna fasse la preuve du caractère fictif de la relation salariée à compter du 1er octobre 2018.

Dès lors, et quand bien même M. [F] est lui-même défaillant à rapporter la preuve de l'existence d'un lien de subordination antérieurement au 1er octobre 2018, lequel ne ressort pas de sa seule assiduité, ni de sa grande implication, ni ne peut ressortir de consignes et sanctions postérieures à la période sur laquelle un contrat de travail apparent a régi les relations des parties, l'association [Localité 6] institut Sounna ne peut pour autant se retrancher derrière cette défaillance, sauf à inverser la charge de la preuve, pour en conclure que le contrat de travail apparent la liant à M. [F] serait fictif, et ce, d'autant qu'il résulte des attestations et messages whats'app produits aux débats que ce dernier assurait effectivement les offices religieux, nécessairement à des horaires fixes et que par courrier du 14 juin 2022, elle a expressément exercé son pouvoir de sanction en licenciant M. [F].

Aussi, à défaut de toutes pièces produites par l'association [Localité 6] institut Sounna de nature à rapporter la preuve du caractère fictif du contrat de travail l'ayant liée à M. [F], il convient de retenir l'existence d'une relation salariée du 1er octobre 2018 au 14 juin 2022 et de se déclarer compétent.

Sur la demande de paiement des cotisations sociales et d'indemnité pour travail dissimulé.

Faisant valoir que l'association [Localité 6] institut Sounna a régularisé un contrat de travail pour 51 heures à compter du 1er octobre 2018 alors même qu'il effectuait 151,67 heures et était rémunéré de manière occulte à hauteur de 1 000 euros par mois, M. [F] soutient qu'elle s'est ainsi rendue coupable de travail dissimulé et qu'elle doit au surplus payer les cotisations sociales dues pour la période du 14 juin 2019 au 31 mars 2022 sur la base d'un temps plein, soit 1 426,71 euros nets.

Aux termes de l'article L. 8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli(...).

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article L. 1272-4, la rédaction d'un contrat de travail à temps partiel n'était pas nécessaire dans la mesure où les associations et les fondations utilisant le chèque-emploi associatif sont réputées satisfaire à l'ensemble des formalités liées à l'embauche et à l'emploi de leurs salariés et qu'il en va ainsi notamment des formalités relatives à la déclaration préalable à l'embauche, prévue par l'article L. 1221-10 ou l'établissement d'un contrat de travail écrit et l'inscription des mentions obligatoires, prévues à l'article L. 3123-14, pour les contrats de travail à temps partiel.

Au-delà de cet aspect, il résulte de l'attestation de l'ancien trésorier, M. [P], que M. [C] versait mensuellement un salaire à M. [F] et que ce dernier lui a réclamé à de très nombreuses reprises de régulariser sa situation et de le déclarer à 100% afin qu'il puisse être en règle avec l'administration et que son contrat reflète la réalité de son travail. Il précise que c'est lors d'une assemblée générale de février 2022 que M. [C] s'est résolu à déclarer M. [F] à 100% car il craignait un contrôle de l'URSSAF, sachant qu'il a été découvert peu de temps après des malversations de la part de M. [C], ce qui l'a conduit à déposer plainte à son encontre, sachant qu'il a été remplacé au poste de trésorier en juin 2022 par le frère de M. [C].

Si cette attestation permet de révéler l'existence d'un conflit opposant M. [C] à M. [P], il lui est pour autant donné force probante dans la mesure où elle répond aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile et rappelle notamment les sanctions encourues en cas de fausse attestation, et qu'elle est au surplus précise et corroborée par les attestations d'autres fidèles de la mosquée qui corrobore la réalité d'un travail à temps complet, et ce, avant même la signature de l'avenant de 2022.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'existence d'un travail dissimulé et de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à M. [F] la somme de 11 111,70 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

Il y a également lieu d'ordonner à l'association [Localité 6] institut Sounna de régulariser les cotisations sociales de M. [F] sur la base d'un salaire net de 1 426,71 euros du 14 juin 2019 au 31 mars 2022.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

M. [F] invoque à l'appui de cette demande l'impact du travail dissimulé, les humiliations, le dénigrement, les insultes et les violences qu'il a subies et enfin le licenciement expéditif et injustifié dont il a été l'objet, faisant valoir qu'il ressort des propres messages du président de l'association qu'il était totalement satisfait de ses prestations et de ses valeurs et qu'il n'a jamais proféré d'insultes ou propos diffamatoires.

En réponse, l'association [Localité 6] institut Sounna conteste la réalité des faits ainsi dénoncés et explique que la 'lettre de licenciement' n'est en réalité qu'une réaction à l'attitude menaçante de M. [F] pour qu'il n'officie plus au sein de l'association, M. [C] ayant pris peur lorsqu'il a constaté l'influence grandissante de l'imam auprès des jeunes fidèles influençables avec une vision de la religion musulmane considérablement durcie avec le temps et ne correspondant plus aux valeurs républicaines et d'intégration, étant précisé que c'est M. [C] qui a été agressé verbalement et physiquement par M. [F] et ses amis.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande, M. [F] produit plusieurs attestations dont aucun élément ne permet de remettre en cause la force probante et il résulte de plusieurs d'entre elles que M. [C] lui interdisait d'allumer le chauffage dans son logement durant l'hiver alors que les températures extérieures étaient parfois négatives, qu'au mois de février, M. [C] a souhaité entrer dans son logement de fonction à son insu et par force, qu'il a affiché son salaire à l'entrée afin de lui nuire psychologiquement alors qu'il était en congés, M. [O] ajoutant pour sa part avoir été témoin d'injures à son égard, telles que 'bougnoule', 'bras cassé' ou 'blaireau'.

Il convient de préciser que si l'association [Localité 6] institut Sounna produit une attestation de M. [Y] aux termes de laquelle il atteste que le logement mis à disposition de l'imam était chauffé pendant les périodes de froid, il ne peut lui être accordé force probante pour être intégralement dactylographiée, y compris s'agissant de la signature qui ne peut donc être authentifiée.

Il est également établi par plusieurs attestations que le 14 juin 2022, M. [F] a reçu un texto de M. [C] afin de lui demander d'être présent après la prière pour un entretien préalable et que lorsque M. [C] s'est présenté devant M. [F], il lui a fait de manière arrogante un geste de la main sans lui adresser la parole puis est parti.

Enfin, il est produit aux débats la lettre de licenciement datée du 14 juin 2022 rédigée dans ces termes :

'Par la présente, je vous notifie votre licenciement avec effet immédiat. Vous ne vous êtes pas présenté le 14 juin 2022 comme je vous l'avais demandé. Vous avez interdiction de guider toutes les prières et l'interdiction de faire des prêches ainsi que les cours.

En effet, il y a des conflits, des enregistrements faits à l'insu des fidèles, des tensions, et des propos fallacieux, qui sont tenus au sein de la mosquée et qui concerne le bureau, l'association. Qui plus est, il y a eu de la violence verbale, des altercations dont vous êtes à l'origine.

De plus, vous avez créé de la discordance entre la mosquée Badr sise à [Localité 6] et notre mosquée en colportant des propos mensongers ce qui n'est pas acceptable. Le président de la mosquée [5] et son comité m'ont contacté car en tant que responsable religieux les faits qui vous sont reprochés sont graves. Il y a un témoignage écrit de leur part car il s'agit de dénonciation calomnieuse.'.

Il ressort de ces éléments, auquel s'ajoute la situation de travail dissimulé, que M. [F] présente des faits de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et il appartient à l'association [Localité 6] institut Sounna de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Outre que la situation de travail dissimulé ne peut être objectivement justifié, aucune pièce ne justifie davantage les brimades et insultes établies par M. [F].

S'agissant du licenciement qui, s'il n'est pas qualifié, est motivé par une faute grave pour mettre immédiatement fin au contrat, il appartient à l'association [Localité 6] institut Sounna, qui s'est placée sur ce terrain d'apporter la preuve des faits reprochés.

Or, pour ce faire, elle produit la plainte de M. [T] [C] du 10 septembre 2022 aux termes de laquelle il explique avoir été agressé ce jour-là physiquement par M. [F], laquelle, sans qu'il soit nécessaire d'en examiner le bien-fondé, est sans intérêt pour statuer sur la question du bien-fondé du licenciement dès lors que les faits ainsi dénoncés lui sont postérieurs.

Par ailleurs, au-delà de l'attestation de M. [B] [C], frère du président de l'association, les autres attestations produites font simplement état de vente de sandwichs et de rémunération des cours d'arabe, ce qui n'est pas reproché à M. [F] dans la lettre de licenciement.

Enfin, s'agissant de l'attestation de M. [B] [C], s'il évoque des prêches radicalisés, M. [F] encourageant les fidèles à se méfier de la République française et des établissements scolaires, allant même jusqu'à dire que les enfants devaient être retirés de l'école publique pour ne pas être 'déradicalisés', pour autant, outre que les faits ne sont pas datés, ils ne sont pas ceux reprochés à M. [F] aux termes de la lettre de licenciement.

Ainsi, au-delà de la propre audition de M. [T] [C] devant les services de police qui fait état de ce que M. [F] l'aurait à tort accusé de vol, de ce qu'il y aurait eu 'un problème' avec son imam au sein de la mosquée [5], aucune autre pièce ne corrobore ces faits, ni ne les précise.

Dès lors, le licenciement ne reposant sur aucun fait prouvé et aucun élément objectif ne justifiant les brimades et insultes portées à l'égard de M. [F], pas plus que le travail dissimulé, il y a lieu d'infirmer le jugement, de retenir l'existence d'un harcèlement moral et de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à M. [F] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur la question de la nullité du licenciement.

Le licenciement ayant concouru au harcèlement moral mis en oeuvre à l'égard de M. [F], il convient d'infirmer le jugement et d'en prononcer la nullité.

Aussi, il convient de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à M. [F] la somme de 3 703,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 370,39 euros au titre des congés payés.

Par ailleurs, compte tenu d'une ancienneté de 3 ans et 9 mois complets, préavis compris, il y a lieu de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à lui payer la somme de 1 736,20 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

Conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, et alors que M. [F] justifie avoir bénéficié de 619 allocations journalières à la suite du licenciement, il y a lieu de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à lui payer la somme de 11 500 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Enfin, en vertu de l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à l'association [Localité 6] institut Sounna de rembourser à France travail les indemnités chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de deux mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral.

M. [F] indique que son employeur ne s'est jamais posé la question de l'impact psychique et de la souffrance au travail engendré du fait de l'absence de déclaration conforme du contrat de travail et de la durée du travail, qu'il n'a mis en oeuvre aucune action de prévention relative au harcèlement moral et a même été directement responsable des insultes, actes d'humiliation et dénigrement dont il a souffert.

Alors que M. [F] ne justifie pas d'un préjudice distinct né de ce manquement de prévention alors même que l'employeur est lui-même à l'origine du harcèlement moral, il convient de le débouter de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires.

Il résulte des précédents développements que le licenciement de M. [F] est intervenu sans même respecter la procédure de licenciement et sans même lui expliciter les raisons conduisant à l'envisager, et ce, avec effet immédiat, aussi, il convient d'infirmer le jugement, de retenir le caractère vexatoire du licenciement et de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les intérêts.

Les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents.

Il convient d'ordonner à l'association [Localité 6] institut Sounna de remettre à M. [F] une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés, sans que les circonstances de la cause justifient de prononcer une astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles.

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner l'association [Localité 6] institut Sounna aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Me Locatelli la somme de 3 500 euros sur ce même fondement et sur celui de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve du renoncement à la part contributive de l'Etat.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent, a débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral et en ce qu'il a débouté l'association [Localité 6] institut Sounna de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que M. [A] [F] a été lié par un contrat de travail avec l'association [Localité 6] institut Sounna du 1er octobre 2018 au 14 juin 2022 ;

Dit que le licenciement intervenu le 14 juin 2022 est nul ;

Condamne l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à M. [A] [F] les sommes suivantes :

- indemnité pour travail dissimulé : 11 111,70 euros

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 1 000 euros

- indemnité compensatrice de préavis : 3 703,90 euros

- congés payés afférents : 370,39 euros

- indemnité de licenciement : 1 736,20 euros

- dommages et intérêts pour licenciement nul : 11 500 euros bruts

- dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires : 500 euros

Dit que les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Ordonne à l'association [Localité 6] institut Sounna de remettre à M. [A] [F] une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés ;

Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

Ordonne à l'association [Localité 6] institut Sounna de rembourser à France travail les indemnités chômage versées à M. [A] [F] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de deux mois ;

Ordonne à l'association [Localité 6] institut Sounna de régulariser les cotisations sociales relatives au salaire de M. [A] [F] sur la base d'un salaire net de 1 426,71euros et ce, pour la période du 14 juin 2019 au 31 mars 2022 ;

Condamne l'association [Localité 6] institut Sounna aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Condamne l'association [Localité 6] institut Sounna à payer à Me Locatelli la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve du renoncement à la part contributive de l'Etat ;

Déboute l'association [Localité 6] institut Sounna de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA CONSEILLÈRE

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