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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 3, 25 septembre 2025, n° 24/20551

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/20551

25 septembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2025

(n° 358 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20551 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKP4A

Décision déférée à la cour : ordonnance du 25 novembre 2024 - président du TJ de [Localité 14] - RG n° 24/55883

APPELANT

M. [O] [N]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Anastasia TOPORKOVA-ETMAN de l'AARPI ASKOLDS, avocat au barreau de PARIS, toque : R077

INTIMÉS

M. [W] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Marie PIVOT de l'AARPI D'HERBOMEZ LAGRENADE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C517

S.A. ALLIANZ IARD, RCS de [Localité 13] n°542110291, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentée par Me Céline DELAGNEAU de la SELAS COMOLET ZANATI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P 435

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES D E DOMMAGES - F.G.A.O, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représentée par Me Van VU NGOC de l'AARPI CABINET LABERIBE & VU NGOC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1217

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 14], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 8]

Défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 septembre 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Michel RISPE, président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 906 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Michel RISPE, président de chambre

Caroline BIANCONI-DULIN, conseillère

Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO

ARRÊT :

- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.

********

Victime d'un accident de la circulation survenu le 20 octobre 2022 sur le périphérique parisien alors qu'il pilotait son scooter, par actes des 28 et 29 août 2024, M. [Y] a fait assigner par-devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris la société Allianz Iard, assureur du scooter conduit par M. [N], qui l'avait percuté par l'arrière, et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris aux fins de voir ordonner une expertise et de se voir allouer une provision de 15.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice corporel, outre une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 11 octobre 2024, la société Allianz Iard a fait assigner le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) et M. [N] en intervention forcée.

Par ordonnance réputée contradictoire du 25 novembre 2024, le dit juge des référés a notamment :

rejeté les demandes du FGAO tendant à voir déclarer irrecevable l'assignation délivrée le 11 octobre 2024 et recevable son intervention volontaire ;

dit non opposable à M. [Y] la suspension de garantie soulevée par la société Allianz Iard;

renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige et, par provision, tous moyens étant réservés;

donné acte des protestations et réserves formulées en défense ;

ordonné une expertise médicale pour déterminer les causes et l'ampleur du préjudice corporel subi par M. [Y] à la suite de l'accident subi en date du 20 octobre 2022 ;

désigné pour procéder à cette mesure d'instruction le docteur [C] [B] ; [...]

fixé à la somme de 1.500 € (mille cinq cents euros), le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par M. [Y] à la régie d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris avant le 25 février 2025, sauf prorogation expresse ;

dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

dit que si la partie demanderesse n'est pas consolidée à la date de l'expertise, il sera établi un premier rapport par l'expert ; que celui-ci pourra être ressaisi aux fins d'établissement d'un rapport complémentaire par le service du contrôle des expertises auquel sera transmis un certificat médical du médecin traitant attestant de la consolidation de son état et un chèque de 750 euros, à l'ordre de la régie d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris, montant de la provision complémentaire ;

dit que le magistrat chargé du contrôle des expertises au tribunal judiciaire de Paris sera spécialement compétent pour suivre l'exécution de cette mesure, statuer sur tous les incidents et procéder éventuellement, par simple ordonnance sur requête sur l'initiative de la plus diligente des parties, au remplacement de l'expert indisponible ou empêché ; que toute correspondance émanant des parties, de leurs conseils ou de l'expert devra lui être adressée sous l'intitulé suivant : Tribunal judiciaire de Paris, [Adresse 15];

condamné la société Allianz Iard à verser, à titre de provision, à M. [Y] la somme de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice ;

condamné M. [N] à garantir la société Allianz Iard du paiement de la provision d'un montant de 4.000 euros ;

rejeté la demande en garantie formée par la société Allianz Iard à l'encontre du FGAO ;

condamné la société Allianz Iard à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Allianz Iard à verser au FGAO la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Allianz Iard aux dépens de l'instance en référé ;

déclaré la présente décision commune à M. [N] et à la CPAM de [Localité 14] ;

dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.

Par déclaration effectuée par voie électronique le 4 décembre 2024, M. [N] a relevé appel à l'encontre de cette décision en ce qu'elle a :

considéré le véhicule terrestre à moteur de M. [N] impliqué dans le sinistre allégué par M. [Y],

attrait à l'expertise judiciaire M. [N] en qualité de responsable,

condamné M. [N] à garantir la société Allianz Iard du paiement de la provision d'un montant de 4.000 euros à M. [Y],

déclaré l'ordonnance rendue le 25 novembre 2024 commune et opposable à M. [N].

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 janvier 2025, au visa des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, M. [N] a demandé à la cour de :

infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- attrait à l'expertise judiciaire M. [N] en qualité de responsable,

- déclaré l'ordonnance rendue le 25 novembre 2024 commune et opposable à M. [N]; - condamné la société Allianz Iard à verser, à titre de provision, à M. [Y] la somme de 4.000 € à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,

- condamné M. [N] à garantir la société Allianz Iard du paiement de la provision d'un montant de 4.000 euros à M. [Y],

et statuant à nouveau,

débouter M. [Y], la société Allianz Iard, le FGAO et la CPAM de [Localité 14] de leurs demandes dirigée contre M. [N],

mettre M. [N] hors de cause,

condamner tout succombant à payer à M. [N] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 février 2025, au visa des articles 905-2 du code de procédure civile, R. 211-13 et L. 211-13 du code des assurances dans leur rédaction antérieure au 21 décembre 2023, la société Allianz Iard a demandé à la cour de :

infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- dit non opposable à M. [Y] la suspension de garantie soulevée par la société Allianz Iard,

- attrait à l'expertise judiciaire la société Allianz Iard,

- condamné la société Allianz Iard à verser, à titre de provision, à M. [Y] la somme de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,

- rejeté la demande en garantie formée par la société Allianz Iard à l'encontre du FGAO;

et statuant à nouveau,

débouter M. [Y] de ses demandes d'expertise judiciaire et de provision formées à l'encontre de la société Allianz Iard et de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires,

subsidiairement,

condamner M. [N] et le FGAO à prendre en charge l'ensemble des conséquences dommageables de l'accident de la circulation survenu le 20 octobre 2022 au préjudice de M. [Y],

condamner in solidum M. [N] et le FGAO à relever et garantir la société Allianz Iard de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre tant en principal, intérêts et frais,

en tout état de cause,

condamner tout succombant à payer à la société Allianz Iard la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 février 2025, au visa des articles L. 211-7-1, L. 421-1, R. 421-14, R. 421-15 et R. 211-13, 2° du code des assurances et de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 20 juillet 2017 (aff. C-287/16), le FGAO a demandé à la cour de:

confirmer la décision déférée dans toutes ses dispositions,

en tout état de cause, rejeter toutes demandes de condamnation du FGAO,

condamner la société Allianz Iard à verser au FGAO une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

rappeler en tout état de cause que le FGAO ne peut être condamné à quelque titre que ce soit, conformément aux dispositions de l'article R 421-15 du code des assurances, la décision ne pouvant que lui être déclarée opposable.

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 février 2025, M. [Y] a demandé à la cour de :

confirmer l'ordonnance du 25 novembre 2024 en ce qu'elle a :

- dit non opposable à M. [Y] la suspension de garantie soulevée par la société Allianz Iard,

- ordonné une expertise médicale pour déterminer les causes et l'ampleur du préjudice corporel subi par M. [Y] à la suite de l'accident subi en date du 20 octobre 2022 et désigné pour procéder à cette mesure d'instruction le docteur [C] [B],

- condamné la société Allianz Iard à verser une provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,

- condamné M. [N] à garantir la société Allianz Iard du paiement de la provision versée,

- condamné la société Allianz Iard à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Allianz Iard à verser au FGAO la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Allianz Iard aux dépens de l'instance en référé,

- déclaré la présente décision commune à M. [N] et à la CPAM de [Localité 14],

infirmer l'ordonnance du 25 novembre 2024 en ce qu'elle a limité le montant de la provision allouée à M. [Y] à la somme de 4.000 euros,

et statuant à nouveau :

condamner la société Allianz Iard à payer à M. [Y] la somme de 15.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

condamner la société Allianz Iard à payer à M. [Y] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Allianz Iard au paiement des dépens de l'instance,

déclarer la décision à intervenir opposable à M. [N], au FGAO et à la CPAM de [Localité 14],

subsidiairement,

condamner M. [N] à payer à M. [Y] la somme de 15.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

condamner M. [N] à payer à M. [Y] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [N] au paiement des dépens de l'instance,

déclarer la décision à intervenir opposable au FGAO et à la CPAM de [Localité 14].

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 septembre 2025.

Sur ce,

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il sera rappelé que les demandes tendant à voir donner acte, constater, juger ou encore dire et juger, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile mais des moyens au soutien de celles-ci en sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer de ces chefs.

En outre, selon une jurisprudence constante, les juges ne sont pas tenus de répondre à un simple argument, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni encore de répondre à une simple allégation dépourvue d'offre de preuve.

Sur le principe du droit à indemnisation

La cour rappelle qu'aux termes de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

S'il appartient au demandeur à une provision d'établir l'existence de la créance qu'il invoque, c'est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions de la partie demanderesse n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Le droit à indemnisation des victimes d'un accident dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, est régi par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, laquelle consacre un principe général d'indemnisation des victimes et prévoit que doit être considéré comme impliqué dans un accident, tout véhicule intervenu, à quelque titre que ce soit.

Cette loi, qui consacre un principe général d'indemnisation des victimes, prévoit que celles-ci, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans l'accident. Et, il est acquis qu'est impliqué dans un accident, au sens de cette loi, tout véhicule intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de cet accident.

Au cas présent, M. [N] et la société Allianz Iard soutiennent que l'implication du véhicule de celui-ci n'est pas établie alors que les éléments rapportés par M. [Y] ne sont pas de nature à en apporter la preuve. Ils observent que la fiche de renseignement de l'accident établie par les services de la Préfecture de Police de [Localité 14], 'nécessaire à l'information de l'assureur (page 1)', fait état de trois véhicules où seuls sont mentionnés les noms de M. [Y] et de M. [R], alors que celui de M. [N] n'y figure pas et qu'il n'apparaît qu'à la suite d'autres informations, et après une page blanche et sans numérotation du document. Ils considèrent que ce seul document est dépourvu de toute valeur probante, soulignant que M. [Y] ne produit pas le procès-verbal établi par les services de police.

Mais, la cour relève que la fiche de renseignements établie par les services de police, après avoir opéré leurs diligences et leurs constatations ensuite de la survenue de l'accident, mentionne clairement l'implication d'un 'véhicule A' ainsi décrit : Honda scooter, type commercial JF1211, type ou CNIT LJH22E20V079, immatriculé EZ 785 KD, assuré par la société Allianz Iard au titre de la police n°599080016 et dont M. [N] est propriétaire.

Or, il n'est pas contesté que ces éléments correspondent au véhicule dont M. [N] est le propriétaire. Et, en l'absence de tout élément probants de nature à invalider ce constat, l'obligation de M. [N] d'avoir à indemniser M. [Y] n'apparaît pas pouvoir être sérieusement contestée. En tout état de cause, la circonstance que M. [Y], malgré les démarches vainement entreprises à cette fin, n'ait pas pu obtenir la copie d'un rapport de police plus complet ne saurait remettre en cause son droit à indemnisation.

Il n'est pas, par ailleurs, développé d'éléments pour caractériser une faute qui serait imputable à M. [Y] et de nature à réduire ou exclure son droit à indemnisation.

Sur la prétendue opposabilité à M. [Y] de la déchéance de la garantie par la société Allianz Iard

En application de directives successives, destinées à rapprocher les droits internes des Etats membres de l'Union européenne en matière d'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs (directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972, directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1984, directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990, directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 mai 2000), ayant fait l'objet d'une codification finalisée dans la directive n° 2009/103 du 16 septembre 2009, a été institué un principe d'inopposabilité aux tiers victimes de certaines dispositions légales ou clauses contractuelles restrictives de leur droit à indemnisation.

Ainsi, l'article 13 de la directive précitée du 16 septembre 2009, modifié par la directive 2021/2118 du 24 novembre 2021, énonce que :

'Clauses d'exclusion

1. 1. Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers lésés à la suite d'un accident, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d'assurance délivrée conformément à l'article 3 qui exclut de l'assurance l'utilisation ou la conduite de véhicules par:

a) des personnes n'y étant ni expressément ni implicitement autorisées;

b) des personnes non titulaires d'un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné ; [...]'.

Par son arrêt du 30 juin 2005 (Cadolin, C-537/03, points 21 et 22), la cour de justice de l'Union européenne a retenu que la dérogation à la règle générale de l'inopposabilité des dispositions légales et clauses contractuelles devait faire l'objet d'une interprétation stricte, alors qu'une interprétation contraire permettrait aux États membres de limiter l'indemnisation des tiers victimes d'un accident de la circulation à certaines circonstances, ce que lesdites directives visent précisément à éviter.

Par son arrêt du 20 juillet 2017 (Fidelidade-Companhia de Seguros, C-287/16), en considération de l'objectif de protection des victimes, assuré par la nécessaire préservation de l'effet utile des directives, cette même cour a dit pour droit que ne pouvait être opposée aux tiers victimes la nullité d'un contrat d'assurance responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance en ce qui concerne l'identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d'assurance est conclu n'avait pas d'intérêt économique à la conclusion dudit contrat.

C'est à la suite de cette jurisprudence que le droit interne français a été modifié afin, comme le précisaient l'amendement gouvernemental à cette fin et le rapport de l'Assemblée Nationale (n°1761) d'être mis en conformité avec le droit communautaire, notamment avec l'introduction par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, de l'article L.211-7-1 du code des assurances qui prévoit:

'La nullité d'un contrat d'assurance souscrit au titre de l'article L. 211-1 n'est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques.

Dans une telle hypothèse, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait de ce véhicule, de cette remorque ou de cette semi-remorque, est tenu d'indemniser les victimes de l'accident ou leurs ayants droit. L'assureur est subrogé dans les droits que possède le créancier de l'indemnité contre la personne responsable de l'accident, à concurrence du montant des sommes qu'il a versées.

Un décret en Conseil d'Etat fixe les autres exceptions de garantie qui ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit'.

Ultérieurement, le décret n° 2023-1225 du 21 décembre 2023 relatif à l'indemnisation des dommages causés à la suite d'accidents de la circulation a notamment modifié les dispositions de l'article R. 211-13 du code des assurances en supprimant la possibilité d'opposer aux victimes ou à leurs ayants droit 'la suspension régulière de la garantie pour non-paiement de prime', pour désormais consacrer l'inopposabilité aux victimes ou à leurs ayants droit de toutes les déchéances.

Au cas présent, il n'est pas discuté que, comme l'a retenu le premier juge, la société Allianz Iard justifie avoir notifié à M. [N] la suspension de son contrat d'assurance le 12 octobre 2022, puis sa résiliation au 24 octobre 2022 pour non-paiement de la prime d'un montant de 139,87 euros.

Mais, c'est vainement que la société Allianz Iard soutient que la déchéance serait opposable à la victime alors que l'accident est survenu avant l'entrée en vigueur du décret du 21 décembre 2023, compte tenu de son absence d'effet rétroactif.

En effet, dès lors qu'il est constant que M. [N] a souscrit auprès de la société Allianz Iard un contrat d'assurance automobile n°59908016 concernant son véhicule immatriculé EZ785KD, en vertu du principe de primauté du droit communautaire et des règles précitées qu'il prévoit en la matière, comme l'a retenu à bon droit le premier juge, la déchéance de cette garantie résultant des stipulations du contrat à défaut de paiement de la prime ne pouvait pas être utilement opposée par cet assureur à la victime de l'accident dans lequel était impliqué ce même véhicule.

Dès lors, la décision entreprise doit être confirmée de ce chef.

Sur la demande de garantie formée par la société Allianz Iard contre le FGAO

La société Allianz Iard soutient que le FGAO doit être condamné à prendre en charge l'ensemble des conséquences dommageables de l'accident de la circulation survenu le 20 octobre 2022 au préjudice de M. [Y] et à la relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre tant en principal, intérêts et frais.

Il résulte des articles L.421-1 et R.421-13 du code des assurances que le FGAO est tenu d'indemniser les victimes ou les ayants droit des victimes des dommages résultant d'atteintes à la personne, nés d'un accident survenu en France dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, lorsque cet accident ouvre droit à leur profit à réparation dans les termes de la législation française sur la responsabilité civile, qu'il ne peut donner droit à indemnisation complète à aucun autre titre et que le responsable des dommages est inconnu.

Alors que la société Allianz Iard invoque vainement la déchéance de garantie de son assuré pour justifier sa demande à ce titre, il apparaît que c'est à tort qu'elle a cru devoir mettre en cause la FGAO, alors qu'en application des dispositions susvisées cet organisme n'a manifestement pas à intervenir dans l'indemnisation de M. [Y].

Dès lors, la décision entreprise doit être confirmée de ce chef.

Sur la détermination de la provision au titre du droit à indemnisation de M. [Y]

La cour se réfère aux dispositions précédemment rappelées et rappelle que la fonction de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte, ni profit. En outre, le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Au pas présent, le premier juge a retenu qu'en l'état des éléments médicaux versés aux débats (comptes-rendus de passage aux urgences, d'hospitalisation, et opératoire), en l'absence de rapport d'expertise amiable permettant de déterminer plus précisément les dommages corporels invoqués, et compte tenu de l'absence de toute provision déjà versée, l'existence d'une créance d'indemnisation non sérieusement contestable au titre du préjudice subi par M. [Y] en lien avec l'accident à hauteur de 4.000 euros.

Il résulte des pièces en débat que lors de l'accident de la circulation du 20 octobre 2022, M. [Y], qui pilotait un scooter, après avoir été violemment percuté par l'arrière et projeté sur un autre véhicule, a subi un important préjudice corporel.

Ainsi, il apparaît qu'après avoir été pris en charge par les sapeurs-pompiers, il a été admis au service des urgences de l'Hôpital [12] où a été constaté un traumatisme du bassin et du rachis lombaire, et que réadmis dans ce même service le 23 octobre 2022, il a été relevé qu'il présentait alors :

une fracture-tassement du plateau vertébral supérieur du L2 avec recul du mur postérieur sténosant le canal lombaire,

une fracture tassement débutante du plateau vertébral supérieur de L1.

Il est encore établi qu'il a été admis à l'hôpital [11] du 25 octobre au 1er novembre 2022 où il a subi une intervention chirurgicale et une ostéosynthèse percutanée avant de regagner son domicile où il reçu des soins infirmiers pendant 2 mois, restant en arrêt de travail jusqu'au 2 janvier 2023.

M. [Y] fait valoir qu'à ce jour il présente les séquelles suivantes :

il est fatigable en position assise et dès que la station debout excède 30 minutes,

son périmètre de marche est limité à 30 minutes,

il présente une gêne au quotidien pour certains gestes de la vie courante comme passer l'aspirateur, entrer et sortir de la baignoire, lacer ses chaussures,

il est limité dans l'exercice de son activité professionnelle et a été contraint d'arrêter ses activités de loisirs.

L'ensemble des éléments en débat quant au préjudice subi par M. [Y] conduit la cour afin de prendre en cause son exacte étendue à infirmer la décision entreprise de ce chef et à fixer le montant de la provision allouée à ce titre à hauteur de 7.500 euros.

Sur la demande de mise hors de cause des opérations d'expertise

La cour rappelle qu'en application de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

En application des dispositions qui précèdent, il entre dans les pouvoirs du juge d'ordonner une expertise, sous réserve pour le demandeur à la mesure de justifier d'un motif légitime, à savoir, l'existence d'un procès potentiel à venir entre les parties, plausible et non manifestement voué à l'échec, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.

La décision ordonnant une mesure in futurum n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.

Au cas présent, c'est vainement que M. [N] et la société Allianz Iard, qui n'ont pas contesté le bien-fondé de mesure d'instruction ordonnée à l'effet d'évaluer l'entier préjudice subi par M. [Y] du fait de l'accident, ont sollicité leur mise hors de cause des opérations d'expertise, au motif erroné de l'absence d'implication du véhicule de M. [N].

Dès lors qu'au contraire, il apparaît qu'il existe bien en ce qui les concerne un motif légitime et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire de la victime, la décision entreprise doit être confirmée de ce chef.

Sur la demande de garantie formée par la société Allianz Iard contre M. [N]

L'article R. 211-13 du code des assurances précité prévoit que l'assureur, qui peut se prévaloir d'une déchéance de la garantie et qui procède au paiement de l'indemnité pour le compte du responsable, peut exercer contre ce dernier une action en remboursement pour toutes les sommes qu'il a ainsi payées ou mises en réserve à sa place.

Au cas présent, c'est vainement, au seul motif de l'absence de démonstration de l'implication de son véhicule que M. [N] conteste devoir garantir la société Allianz Iard.

Alors que la déchéance de la garantie souscrite par M. [N] n'est pas discutée et qu'il n'est pas davantage contesté que la société Allianz Iard est tenue d'indemniser la victime à qui il ne peut utilement opposer cette déchéance, la décision entreprise doit également recevoir confirmation de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il sera rappelé que la définition des dépens afférents aux instances, actes et procédures d'exécution résulte des dispositions de l'article 695 du code de procédure civile, sans qu'il appartienne au juge de la modifier ni d'y ajouter, notamment s'agissant d'y inclure tel ou tel frais.

En application de l'article 696 alinéa 1er du même code, de principe, les dépens doivent être mis à la charge de la partie perdante.

Et, en application de l'article 700 du même code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie, la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Les dispositions de la décision entreprise relatives aux frais de procédure seront confirmées.

Parties perdantes, M. [N] et la société Allianz Iard seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Allianz Iard sera condamnée à payer à M. [Y] la somme de 3.000 euros et au FGAO celle de 2.000 euros.

Il y a lieu de rejeter les demandes de M. [N] et de la société Allianz Iard sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'elle a condamné la société Allianz Iard à payer à M. [Y], une provision de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Allianz Iard à payer à M. [Y] la somme de sept mille cinq cents euros (7.500 €) à titre d'indemnité provisionnelle au titre de l'indemnisation de on préjudice ;

Condamne M. [N] et la société Allianz Iard in solidum aux dépens d'appel ;

Condamne la société Axa France Iard à payer à M. [Y] la somme de trois mille euros (3.000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Allianz Iard à payer au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages la somme de deux mille euros (2.000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes de M. [N] et de la société Allianz Iard sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déclare la décision opposable au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages et commune à la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 14] ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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