CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 25 septembre 2025, n° 23/06578
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06578 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIKW4
Décision déférée à la cour : jugement du 30 août 2023 -conseil de prud'hommes - formation paritaire de PARIS
APPELANT
Monsieur [E] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-Bernard BOUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E2061
INTIMÉE
S.[T] FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente, et par Madame Hanane KHARRAT, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [E] [Y] a été engagé par la société France Télévisions (FTV) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 février 1979, en qualité de journaliste au sein du service des sports et plus particulièrement dans le cadre de la rédaction de l'émission « Stade 2 ».
En dernier lieu, M. [Y] a exercé en qualité de grand reporteur, statut cadre, palier 4 de la convention collective nationale des journalistes.
Mme [H], ex-journaliste et présentatrice de l'émission « Stade 2 », ayant dénoncé, dans une interview donnée au journal l'Equipe le 4 avril 2020, des situations vécues au sein du service des sports de la société France Télévisions pouvant laisser supposer l'existence de faits de harcèlement moral et de comportements sexistes, celle-ci a, le même mois, confié à la société Interstys une mission d'analyse en vue de procéder à un état des lieux des fonctionnements, agissements et comportements au sein de la direction des sports et le cas échéant de formuler des recommandations, qui a donné lieu à la remise d'un rapport le 25 juin 2020.
Par courrier du 1er juillet 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure disciplinaire, fixé au 15 juillet 2020, et par lettre du 30 juillet suivant, il a été licencié pour faute.
Sollicitant la nullité de son licenciement, M. [Y] a, par requête du 14 décembre 2022, saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 30 août 2023, a :
- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [Y] à verser à la société France Télévisions la somme brute de
46 319,14 euros à titre de remboursement de trop-perçu d'indemnité de licenciement en vertu de l'alinéa 2 de l'article 8.4.2 de l'accord France Télévisions,
- débouté la société France Télévisions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Y] aux entiers dépens.
M. [Y] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement le 1er novembre 2023.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 18 avril 2025, M. [Y] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Paris le 30 août 2023 ayant pour numéro de RG F22/09185,
et, statuant de nouveau,
- de le déclarer recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
à titre principal,
- de prononcer la nullité de son licenciement pour discrimination,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
à titre subsidiaire,
- de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 117 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
en tout état de cause,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser :
- la somme de 106 176 euros à titre de dommages et intérêts pour perte des droits à la retraite,
- la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
- d'ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation employeur destinée à Pôle emploi rectifiée, et d'un bulletin de paie afférent aux condamnations sous astreinte journalière de 100 euros par document et par jour de retard, à compter de la notification du jugement à intervenir, le conseil se réservant la faculté de liquider l'astreinte,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'assortir l'ensemble des condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts,
- de condamner la société France Télévisions aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 avril 2025, la société France Télévisions demande à la cour :
- de déclarer et juger M. [Y] mal fondé en son appel et l'en débouter,
en conséquence,
- de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- de condamner M. [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- de condamner M. [Y] aux entiers dépens de l'instance d'appel,
à titre infiniment subsidiaire :
- de cantonner son éventuelle condamnation à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à une somme ne pouvant excéder 21 000 euros,
- de débouter M. [Y] du surplus de ses demandes.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2025 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 22 mai suivant.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la validité et le bien-fondé du licenciement :
La lettre de licenciement pour faute notifiée au salarié, qui circonscrit le litige, est ainsi rédigée :
« Nous faisons suite à notre entretien en date du 15 juillet 2020, auquel nous vous avions convoqué par courrier AR du 1er juillet 2020 pour vous exposer les raisons nous conduisant à envisager à votre encontre une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave, vous rappelant à cette occasion à laquelle vous étiez assisté de Madame [U], salariée de l'entreprise, que vous aviez la faculté de solliciter la réunion de la [5] de discipline dans les trois jours suivant cet entretien, faculté que vous n'avez pas souhaité exercer.
Vos explications, que nous avons recueillies lors de l'entretien préalable, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation.
Nous nous voyons donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute, fondé sur les motifs que nous vous rappelons ci-après.
Vous êtes salarié de France Télévisions depuis le 14 juin 1982 et occupez les fonctions de [Localité 6] Reporter Palier 4 depuis le 1er janvier 2012, au sein de la Direction des Sports.
Le 21 juin 2020, ont été portés à notre connaissance de nombreux témoignages relatant des faits et situations inacceptables au sein de la Direction des Sports de France Télévisions, un nombre interpellant de témoignages vous mettant personnellement en cause pour des faits, propos ou agissements à connotation sexiste et/ou sexuelle dont vous seriez l'auteur.
Ainsi, ces témoignages rapportent de manière très explicite la tenue de propos inadaptés vis-à-vis de vos collègues de travail femmes et à titre d'exemples, sans que ceux-ci soient exhaustifs ;
' « je la baiserais bien celle-là » ;
' « il y a plein de gonzesses autour de moi, j'ai de la chance » ;
' Vous jugez une collègue trop grosse pour passer à l'antenne en pleine conférence de rédaction ;
' « Toi tu es une femme lascive, c'est quand même agréable » avant, suite à la réaction de l'intéressée, de répliquer « si tu ne veux pas qu'on te fasse de compliments, viens avec un scaphandre à la rédac » ;
' Proposition de déjeuner, dîner, avec insistance puis impolitesse (ne dit plus bonjour) suite à refus ;
' En parlant d'un journaliste à l'écran : « tu te le ferais bien ' » ;
' Proposition de déjeuner, dîner, avec insistance puis impolitesse ;
' « tu crois que je peux me la taper celle-là car j'aimerais bien » ;
' « si j'avais été plus jeune, tu m'aurais dragué, ça t'aurait bien excité ».
Un tel comportement récurrent, qui a contribué activement à la dégradation du climat et au mal-être dont les collaborateurs de la Direction des sports interrogés se sont largement fait l'écho, sans même qu'il soit nécessaire de chercher à le qualifier juridiquement, ne peut être toléré au sein d'un collectif de travail.
A cet égard, lors de l'entretien préalable vous nous avez indiqué n'avoir jamais tenu de tels propos tout en reconnaissant pouvoir faire, à l'occasion, quelques blagues de mauvais goût.
Une telle posture ne saurait être admise et plus généralement, votre comportement est totalement incompatible avec un environnement professionnel au sein duquel il y a des choses qui ne se disent et/ou qui ne se font tout simplement pas et en tout état de cause, avec ce qui est normalement attendu de la part d'un collaborateur de votre expérience et de votre niveau de positionnement au sein de la rédaction et de l'entreprise.
Votre comportement contrevient au demeurant gravement aux valeurs et aux principes que France Télévisions s'attache à défendre et à développer ou sein de l'entreprise et que, comme l'ensemble des collaborateurs, vous ne pouviez ignorer puisque nous avons largement communiqué sur le sujet, notamment à l'occasion de la mise en place des dispositifs en matière de lutte contre le harcèlement.
Ce comportement porte également une atteinte particulièrement significative à l'image de France Télévisions.
Il est par ailleurs susceptible de mettre en cause l'obligation de sécurité incombant à l'employeur et donc d'engager la responsabilité de l'entreprise.
La date de première présentation de ce courrier à votre domicile constituera le point de départ de votre préavis de trois (3) mois que nous vous dispensons d'effectuer mais qui vous sera normalement rémunéré aux conditions et aux échéances habituelles de paye. C'est à compter du terme de votre préavis que nous vous délivrerons dans les meilleurs délais les documents obligatoires afférents à la rupture de votre contrat de travail ainsi que votre solde de tout compte.(')».
Le salarié, soulignant qu'il a effectué une carrière exemplaire de plus de 40 années au sein de la société France Télévisions, dont 38 au sein du service des sports, soutient qu'en sa qualité de délégué syndical et délégué du personnel, il a systématiquement pris fait et cause pour les journalistes féminines victimes de harcèlement et/ou de sexisme, que les témoignages spontanés et lettres de soutien qu'il verse aux débats attestent de ses qualités humaines et de son exemplarité, que Mme [F], nommée présidente de la société en avril 2015, n'a cessé d'affirmer publiquement son intention de rajeunir et féminiser les antennes du service public audiovisuel évoquant, le 23 septembre 2015, « une télévision d'hommes blancs », et indiquant le 26 octobre 2022, devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, qu'elle redirait encore aujourd'hui cette phrase, à savoir « il y a trop d'hommes blancs de plus de 50 ans, il faut que ça change », et que si la volonté d'atteindre la parité est louable, elle ne peut en revanche pas se faire au détriment de salariés en poste.
Il estime que Mme [F] a mené à bien son projet d'écarter des journalistes présentateurs en raison de leur âge et/ou de leur sexe, que Mme [H] a fait des révélations sans citer de nom, que le cabinet missionné par la société pour réaliser une enquête n'est pas agréé par le ministère du travail, que la teneur du rapport remis par ce cabinet le 25 juin 2020 n'a pas été dévoilé, l'employeur refusant de le communiquer, étant précisé que M. [A], licencié dans les mêmes conditions, a obtenu la communication de ce rapport aux termes d'une décision du conseil de prud'hommes.
Il indique qu'il a appris son licenciement par des articles de presse (article du JDD paru le 2 août 2020, pièce n°6), l'employeur ayant délibérément fait 'fuiter' cette information, que le courrier de licenciement est imprécis, de sorte que les faits ne sont pas vérifiables, que l'employeur a agi dans la précipitation puisqu'il a été convoqué à un entretien préalable cinq jours après la remise du rapport, que l'interview de Mme [H] a été utilisée comme prétexte pour poursuivre la politique de chasse à « l'homme blanc de plus de 50 ans », alors qu'il n'est pas visé par les accusations de celle-ci, que dans ces conditions il sera retenu qu'il a été victime de discrimination, son licenciement étant par conséquent nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur répond que le 4 avril 2020, Mme [H] a publié un article intitulé « J'allais à Stade 2 en pleurant », dans lequel elle évoque la souffrance vécue au sein du service des sports, qu'il a dans ces conditions mandaté un consultant indépendant spécialisé afin de diligenter une enquête, que plus de cent salariés ont été entendus, que le rapport remis le 21 juin 2021 a donné lieu à une restitution au Comité social et économique (CSE), qu'il est apparu que certains témoignages mettaient en cause de manière concordante M. [Y] en lui imputant des agissements (propos ou comportements) de nature à porter atteinte à la santé physique et mentale de certains collaborateurs, qu'en conséquence le salarié a été convoqué à un entretien préalable, et qu'il n'a pas souhaité saisir la commission de discipline alors que cette possibilité lui avait été rappelée.
Il indique qu'ayant fait droit à titre exceptionnel à la demande du salarié de prolonger d'un mois son préavis, objet d'une dispense mais rémunéré, celui-ci a quitté l'entreprise le 30 novembre 2020, que la somme de 145 574,44 euros (dont 46 319,14 euros perçus en trop à la suite d'une erreur) lui a été versée à titre d'indemnité légale de licenciement, que M. [Y] a saisi la commission arbitrale des journalistes en application de l'article L.7112-4 du code du travail pour revendiquer un complément d'indemnité de licenciement au titre de ses années d'ancienneté au-delà de la quinzième année, la procédure étant toujours en cours.
Il soutient que le salarié instrumentalise une déclaration publique d'une dirigeante d'une grande entreprise audiovisuelle exprimant son souhait d''uvrer pour assurer une meilleure égalité entre les hommes et les femmes, qu'elle ne révèle pas une discrimination mais témoigne d'une volonté de rétablir un équilibre, que d'ailleurs le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a adopté une délibération relative au respect du droit des femmes par les sociétés audiovisuelles publiques et a établi un rapport qui révèle un déséquilibre manifeste.
Il explique que l'affirmation selon laquelle l'entreprise aurait mis en 'uvre un processus d'éviction du salarié ne repose sur aucun élément, que les personnalités de la télévision citées en exemple par M. [Y] n'étaient pas salariées de l'entreprise ou ont décidé de rejoindre une autre chaîne, ou, pour l'une d'elles, a été licenciée pour une faute grave qui a été définitivement jugée comme légitime.
Il précise qu'il a procédé de la même façon à l'égard de salariés concernés par des faits similaires et dont l'âge se situait entre 34 et 40 ans, de sorte que l'allégation de discrimination est sans fondement.
Sur la validité du licenciement
Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi
n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
En application de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Au soutien de la discrimination qu'il invoque, M. [Y] produit :
- de nombreux témoignages (pièces n° 8 à 46) d'anciens collègues, de journalistes et salariés de France Télévisions, hommes ou femmes, qui soulignent ses qualités tant professionnelles qu'humaines, son souci du bien-être de « ses collègues féminins et masculins », ainsi que son comportement irréprochable à l'égard des femmes, affirmant n'avoir jamais été témoins d'attitudes, de propos inappropriés ou sexistes de sa part et avoir été surpris, voire choqués, par la mesure disciplinaire prise à son encontre ;
- un document intitulé « verbatim [L] [S] devant la commission des affaires culturelles de l'assemblée nationale sur l'exécution 2021 du contrat d'objectifs et de moyens 2020-2022 ' mercredi 26 octobre 2022-souce LCP : vidéos.assemblee-nationale.fr » (pièce n°49), dont il ressort que Mme [F], présidente de FTV :
- est ainsi questionnée par Mme [Z], députée de la Drôme : « pouvez-vous nous dire en quoi votre phrase « on a une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans et ça il va falloir que ça change » illustre votre politique d'exemplarité. N'êtes-vous pas en train de discriminer ces hommes en indiquant que des femmes et des jeunes de toute origine permettraient d'augmenter la notoriété ' » ;
- et répond de la façon suivante : « sur l'égalité entre les hommes et les femmes, oui, j'ai dit il y a maintenant 7 ans, ça commence à faire, mais vous me le rappelez, donc je me dis j'ai bien fait de le dire, cette phrase « il y a trop d'hommes blancs de plus de 50 ans, il faut que ça change ». Oui je le redirais aujourd'hui. Alors moins sur le service public parce que figurez-vous qu'on a travaillé et qu'en effet il y a maintenant la parité. C'est un des objectifs d'ailleurs de notre contrat d'objectif et de moyens.(') » ;
- un jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 4 mars 2022 aux termes duquel le licenciement d'un journaliste du service des sports de France Télévisions a été jugé sans cause réelle et sérieuse (pièce n°48).
Le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte à son égard.
L'employeur verse quant à lui aux débats :
- la délibération n°2015-2 du 4 février 2015 du CSA, « ayant pour objet, en application de l'article 20-1 A de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, de préciser les programmes relatifs à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes que ces services doivent diffuser, de fixer les indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur la représentation des femmes et des hommes dans les programmes et d'encourager les diffuseurs à souscrire des engagements volontaires chaque année » visant notamment « à améliorer la représentation des femmes au sein des équipes » (pièce n°15) ;
- le rapport du CSA sur l'exercice 2016, intitulé « la représentation des femmes à la télévision et à la radio », qui préconise notamment d' « inciter les éditeurs à définir des objectifs de progression pour améliorer la présence des femmes sur leurs antennes et notamment des expertes », dès lors qu'il a été constaté que « globalement, les femmes sont moins représentées à l'antenne que les hommes », « aussi bien pour les radios que pour les télévisions » (pièce n°16) ;
- un article du journal Libération du 5 avril 2019 faisant état du licenciement pour faute grave d'un journaliste de 34 ans de France Télévisions en raison d'un comportement inapproprié à l'égard de stagiaires ou apprenties journalistes, ainsi que quatre courriers de licenciement notifiés par France Télévisions à des salariés âgés de moins de 50 ans entre le 1er avril 2019 et le 30 juillet 2020 (pièces n°19 à 23).
La société France Télévisions établit ainsi que :
- les propos tenus par Mme [F] en septembre 2015 font écho aux constats du CSA et à ses délibérations et rapport incitant à atteindre la parité « homme/femme » au sein de chaînes de radio et de télévision, étrangers à toute discrimination,
- que des licenciements ont également été mis en 'uvre à l'égard de salariés de moins de 50 ans.
Concernant plus précisément les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement, la société France Télévisions communique :
- le rapport du cabinet de conseil Interstys qui révèle notamment que 107 entretiens ont été menés, que sept victimes ont relevé avoir subi des agissements à connotation sexiste ou sexuelle, que « dix-huit témoins directs ont évoqué ces agissements concernant des victimes nommées individuellement ou des collectifs ; femmes, stagiaires, sportives », et que vingt-cinq personnes auteures de ces agissements sont mises en cause de manière nominative (pièce n°4) ;
- plusieurs témoignages extraits du rapport établi par le cabinet Interstys, et notamment ceux de :
- Mme [B] (pièce n°24), journaliste, recueilli par l'enquêtrice le 23 avril 2020 (pièces n°45 et 46) et non le 27 mars 2020 comme indiqué par erreur dans le rapport, dans lequel elle indique :
«Dans un open space, [E] [Y] (AV) dit à [D] et moi qu'on est lascives. Il me dit à moi «tu es lascive et froide ». On lui dit « tu sais ce que ça veut dire ' » on lui montre sur internet que ça veut dire érotique, libidineux. Il ne contredit pas rigole. Il me dit en parlant de [D] « elle n'a qu'à porter un scaphandre ou changer de bureau si elle n'est pas contente ». Je lui ai fait savoir que ce n'était pas possible de dire cela à une collègue sur son lieu de travail. C'était vers la fin de mon apprentissage, j'étais un peu excédée. A base de « je suis âgé, excusable », il se permet des remarques avec des femmes. Pour lui, c'est des compliments, et il ne se rend pas compte.
Remarques déplacées (avril/juin 19) : on regardait des émissions sportives sur les autres chaînes de télé, Canal + ou Bein, il dit aux stagiaires en parlant d'une journaliste femme « je la baiserais bien celle-là ». J'étais présente.
Quand on regardait des compétitions, il m'a demandé plusieurs fois, en parlant d'un journaliste ou de quelqu'un à l'écran : tu te le ferais bien ' » ;
- M. [W] (pièce n°25), journaliste, témoignage aux termes duquel il qualifie M. [Y] de « sexiste, misogyne », explique que celui-ci « ne se rend pas compte de ce qu'il dit », qu'il « balance des blagues de cul et ne s'en rend pas compte » et précise :
« Un lundi matin, avant la conférence de rédaction, [E] [Y] va raconter qu'il a fait l'amour à sa femme : « tiens ce que j'ai mis à maman hier ». C'est lourd. Je suis un garçon, ça me gêne. Alors, j'imagine pour une fille. Les autres rigolent. Personne ne dit rien. Dans le service, jusqu'aux années Metoo, c'était classique.(')
C'est un peu comme [T] [Y], il parlait mal aux filles, il pouvait être lourd (') ;
- M. [N] (pièce n°26), journaliste et représentant du personnel, délégué syndical, élu au Comité d'entreprise (CE) et au CHSCT, qui explique que de jeunes cons'urs sont venues le voir et qu'elles ont raison, un confrère n'ayant pas à dire à des femmes dans l'open space :« toi, tu es une femme lascive, ça se remarque, c'est quand même agréable », par ex [T] [Y] », et indique « qu'il en a trop vu pleurer, partir », « qu'il n'y a aucune raison que le passage dans cette rédaction soit une blessure pour beaucoup de femmes », « qu'un des problèmes de la direction des sports , c'est qu'il s'agit d'un groupe homogène, lié depuis longtemps », « que sur 17 personnes il y a 16 hommes dont 13 qui travaillent aux sports depuis 20 ans ou plus », « qu'il se connaissent tous », « que « briser l'unité du groupe c'est très mal vu » et que « du coup il a reçu des messages tournant à l'intimidation » ;
- Mme [I] (pièce n°27), journaliste reporter ainsi rédigé :« On sent toujours qu'on est une femme. Exemples :(')
- Un stagiaire m'a raconté qu'un jour, alors que j'étais sortie d'une salle, un journaliste [E] [Y] lui a dit : tu crois que je peux me la taper celle-là car j'aimerais bien. Il y a eu beaucoup de remarques de la part d'[E] [Y]. J'en ai parlé, je l'ai dit à la présidente de la SDJ.
- Juin 19 : je suis en face de son bureau, [E] me dit « s'il y avait un mot pour te décrire, ce serait lascive. Si tu ne sais pas ce que cela veut dire, tu devrais regarder sur internet ». Je regarde et lui dis tu te rends compte de ce que tu me dis ' Il me dit « tout le monde est d'accord, on en a parlé au sein de la rédac ».
Une alternante, [X] [B] qui est à côté, s'énerve. Il me dit « Si tu ne veux pas qu'on te fasse de compliments, viens avec un scaphandre à la rédac ». L'après-midi, j'étais choquée, je raconte ce qu'il m'a dit à tous ceux qui venaient à notre bureau, devant [E], tous rigolaient. (')
[E] [Y] fait partie du syndicat des journalistes. Un jour il m'avait dit « si tu as des problèmes, tu peux venir m'en parler ». Comment aller lui en parler alors qu'il est lui-même à l'origine ' » ;
- M. [M] (pièce n°28), documentaliste à la direction des sports, qui répond ainsi la à question suivante :
« Avez-vous été témoin de propos [à] connotation sexuelle ou sexiste '
[E] [Y] me dit : « si j'avais été plus jeune, tu m'aurais dragué ' ». Il y a une absence même de retenue, de respect. Il l'a dit en venant nous voir, en nous demandant des images. On parle de tout et de rien et ça va dévier vers une remarque désobligeante.
Quand on est gay au service des sports, ce n'est pas évident, mais je n'en ai pas trop souffert, je n'ai pas eu à vivre une situation de discrimination, les mentalités ont un peu évolué, les lois sont passées, mais pour certains c'est ancré dans leur disque dur' ».
La preuve étant libre en matière prud'homale, il appartient au juge d'apprécier la valeur et la portée des éléments versés aux débats, et notamment des témoignages, étant rappelé à ce sujet que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et que dès lors, rien ne s'oppose à ce que ceux-ci soient examinés.
En l'espèce, la société France Télévisions, qui n'avait pas l'obligation de mandater un cabinet agréé par le ministère du travail pour diligenter une enquête au sein de l'entreprise, a confié à la société Interstys, cabinet de conseil spécialisé dans l'accompagnement « des crises humaines », le soin de réaliser « un état des lieux élargi des fonctionnements, agissements et comportements au sein de la directions des sports » de l'entreprise, qui a donné lieu à une enquête et à un rapport, dont le sérieux et l'objectivité ne sont remis en cause par aucun élément de la procédure, comprenant notamment divers témoignages recueillis lors d'entretiens menés dans le cadre de l'exercice de sa mission.
Il résulte de ce qui précède que, même si les qualités professionnelles et humaines de M. [Y] sont mises en exergue dans les attestations qu'il communique, les entretiens réalisés par la société Interstys ont permis à plusieurs salariés de révéler dans des termes circonstanciés, concordants, précis, non stéréotypés, et donc probants, des comportements et propos sexistes adoptés par M. [Y] dont ils ont été personnellement victimes ou témoins.
Il s'ensuit que l'employeur établit que sa décision de licencier le salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes visant à dire son licenciement nul et à obtenir l'allocation de dommages-intérêts de ce chef.
Sur le bien-fondé du licenciement
Sur le licenciement verbal
Le salarié expose qu'ayant été licencié verbalement par la voix de M. [P] qui a fait connaître sa décision dans les médias, son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur répond que si, par courtoisie, le salarié a été contacté pour l'informer de l'envoi d'un courrier de licenciement, ce qui n'est pas établi, le licenciement lui a bien été notifié par écrit, qu'en toute hypothèse l'annonce verbale de la décision prise concomitamment à l'envoi de la lettre de notification du licenciement ne pourrait tout au plus caractériser qu'une simple irrégularité de procédure sans effet sur la légitimité d'un licenciement.
En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer les motifs du licenciement dans la lettre le notifiant au salarié. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, le licenciement verbal est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il est admis qu'un licenciement notifié au salarié d'abord par un appel téléphonique avant l'envoi de la lettre de licenciement est un licenciement verbal, et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse, peu important les justifications avancées par l'employeur.
Il appartient à celui qui invoque l'existence d'un licenciement verbal d'en rapporter la preuve.
Aucune des pièces de la procédure ne révèle que M. [Y] aurait appris son licenciement « par la voix de M. [P] », avant sa notification par courrier du 30 juillet 2020.
Par ailleurs, le seul article de presse communiqué par le salarié, intitulé « France TV veut licencier trois journalistes des sports », est extrait du Journal du dimanche paru le 2 août 2020, soit postérieurement à la notification du licenciement, et ne donne aucun élément sur « les sources » des informations obtenues.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la preuve du caractère verbal du licenciement n'est pas rapportée.
Sur les griefs retenus à l'encontre du salarié
Si le courrier de licenciement devait être retenu, le salarié soutient que le seul grief trop évasif n'est pas établi par l'employeur, les témoignages qu'il verse aux débats étant non-conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, étant précisé qu'il n'a jamais été sanctionné et s'est montré exemplaire pendant l'exécution du contrat de travail.
Il estime que la disproportion entre les faits 'gravissimes' reprochés et la sanction révèle que l'employeur a profité des déclarations d'une journaliste pour se « débarrasser » de trois journalistes qui ne correspondaient plus à l'image voulue par la direction de la société.
Il ajoute que ses demandes indemnitaires sont justifiées eu égard à son ancienneté, à son âge et au préjudice considérable qu'il a subi, son licenciement étant intervenu alors que la couverture des Jeux Olympiques devait être le point d'orgue de sa carrière avant de prendre sa retraite.
Il indique que son licenciement ayant précipité sa retraite, il perçoit une pension inférieure à celle dont il aurait bénéficié s'il avait pu poursuivre sa carrière jusqu'en 2024, et que compte tenu de l'espérance de vie, sa demande à hauteur de 106 176 euros est légitime.
L'employeur répond que depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2017-1718 du 22 septembre 2017 (dite « ordonnance Macron ») et donc la modification de l'article L.1235-2 du code du travail, l'insuffisance de motivation d'une lettre de licenciement, même lorsqu'elle est caractérisée (ce qui n'est pas le cas en l'espèce), ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, sauf pour le salarié à avoir demandé à l'employeur de préciser ces motifs dans les quinze jours de sa notification, demande que n'a pas formulée M. [Y].
Il expose que la matérialité des faits ayant motivé le licenciement du salarié est établie de manière précise, circonstanciée et concordante par les témoignages recueillis dans le cadre de la mission d'analyse menée par le consultant externe indépendant mandaté à cet effet.
Il explique que compte tenu de son obligation de sécurité, il a dû prendre des mesures pour protéger la santé physique et mentale des salariés, que M. [Y] ne pouvait ignorer que les comportements qu'il a adoptés contrevenaient aux valeurs et principes de la société qui a largement communiqué à ce sujet, que de telles attitudes sont sanctionnées de la même façon, que plusieurs délégués syndicaux ont salué la mise en 'uvre d'une enquête et insisté sur la nécessité de mettre fin à l'impunité.
Il ajoute, d'une part, que certains des témoignages versés aux débats par le salarié sont dépourvus d'impartialité car établis par des collaborateurs en litige avec la société ou qui se sont illustrés par des comportements similaires, d'autre part, que des pressions ont été exercées sur certains salariés pour les dissuader de témoigner.
Il précise qu'il a exercé son pouvoir disciplinaire de manière mesurée, qu'il a pris le parti de s'en tenir à une mesure de licenciement pour faute simple, laissant ainsi au salarié le bénéfice de son préavis et d'une indemnité de licenciement substantielle, tout en lui signifiant le caractère inacceptable des faits et leur gravité.
Il souligne que le préjudice allégué par le salarié n'est pas établi, que celui relatif à la perte des droits à la retraite n'est pas distinct de celui indemnisé par l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que s'agissant du préjudice moral, la procédure a été régulière, et qu'il n'est pas responsable de la médiatisation du signalement à l'origine de l'enquête.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Il résulte de ce qui précède que les propos ou agissements à connotation sexiste ou sexuelle récurrents reprochés au salarié aux termes du courrier de licenciement sont établis par le rapport réalisé par la société Interstys et les témoignages qu'elle a recueillis qui mettent en exergue la gêne, le malaise, voire la honte ressentis par les témoins et victimes de ces propos et comportements, les pleurs et la souffrance de celles-ci, le silence longtemps gardé à ce sujet et la parole qui s'est libérée quand [C] [H] a quitté le service.
Dans ces conditions, et compte tenu de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur, de l'ancienneté ainsi que des responsabilités du salarié, il doit être considéré que la mesure de licenciement prise à son encontre est proportionnée et justifiée par une cause réelle et sérieuse.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes consécutives d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de remise de documents de fin de contrat et de dommages-intérêts pour perte des droits à la retraite.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice subi en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement
Le salarié demande l'allocation d'une somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct subi en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement, insistant sur le fait que le motif de son licenciement a été relayé par la presse par l'employeur, que les accusations à son encontre sont infamantes et portent atteinte à sa dignité ainsi qu'à son honneur.
L'employeur répond que la procédure de licenciement est régulière, qu'il a même accepté de prolonger exceptionnellement le préavis, et qu'il n'est pas responsable de la médiatisation du signalement ayant déclenché l'enquête.
La demande d'indemnisation formulée par le salarié suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.
Il ne résulte des éléments de la procédure ni que l'employeur est responsable de la médiatisation du licenciement de M. [Y], ni que celui-ci a été mis en 'uvre de façon brutale et/ou vexatoire, et ce d'autant que l'employeur a fait droit à la demande de prolongation du préavis de celui-ci.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.
Sur la demande de remboursement d'un trop-perçu au titre de l'indemnité de licenciement
L'employeur demande le remboursement de la somme de 46 319,14 euros versée au salarié à titre d'indemnité conventionnelle complémentaire alors que, compte tenu de la nature disciplinaire du licenciement, elle n'était pas due en application de l'article 8.4.4.2 de l'accord d'entreprise.
Le salarié ne répond pas sur ce point.
En vertu de l'article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette et ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
L'article 8.4.4.2 relatif aux « indemnités de licenciement des journalistes » de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions dispose :
«En dehors du cas du licenciement pour faute grave ou lourde, tout journaliste licencié percevra une indemnité calculée conformément aux dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail soit un mois de salaire de référence par année d'ancienneté dans la limite de quinze mois. Par ailleurs conformément aux dispositions de l'article L.7112-4 du code du travail pour tout journaliste dont l'ancienneté est supérieure à 15 ans le montant de l'indemnité due est déterminé par une commission arbitrale.
En dehors du cas du licenciement disciplinaire, tout journaliste licencié percevra, outre l'indemnité calculée conformément à l'article L.7112-3 du code du travail, une indemnité complémentaire ainsi calculée :
- pour plus de cinq ans d'ancienneté : quatre douzièmes du salaire annuel de
référence,
- pour plus de dix ans d'ancienneté : cinq douzièmes et demi du salaire annuel
de référence,
- pour plus de quinze ans d'ancienneté : sept douzièmes du salaire annuel de
référence. ('). »
L'employeur justifie avoir versé au salarié la somme de 145 574,44 euros à titre d'indemnité de licenciement correspondant à 22 mois de salaire.
M. [Y] a ainsi reçu outre l'indemnité calculée conformément aux dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail dans la limite de quinze mois, une indemnité complémentaire alors qu'elle n'est pas due en cas de licenciement disciplinaire, comme en l'espèce.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné le salarié à rembourser à l'employeur la somme de 46 319,14 euros au titre de l'indemnité complémentaire de licenciement prévue par l'article 8.4.4.2 relatif aux « indemnités de licenciement des journalistes » de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le salarié, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.
Il n'y a pas lieu, pour des raisons tirées de l'équité et de la situation économique des parties, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre des frais irrépétibles de première instance, par confirmation du jugement déféré, qu'à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
REJETTE les autres demandes des parties comprenant celles formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [E] [Y] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06578 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIKW4
Décision déférée à la cour : jugement du 30 août 2023 -conseil de prud'hommes - formation paritaire de PARIS
APPELANT
Monsieur [E] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-Bernard BOUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E2061
INTIMÉE
S.[T] FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente, et par Madame Hanane KHARRAT, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [E] [Y] a été engagé par la société France Télévisions (FTV) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 février 1979, en qualité de journaliste au sein du service des sports et plus particulièrement dans le cadre de la rédaction de l'émission « Stade 2 ».
En dernier lieu, M. [Y] a exercé en qualité de grand reporteur, statut cadre, palier 4 de la convention collective nationale des journalistes.
Mme [H], ex-journaliste et présentatrice de l'émission « Stade 2 », ayant dénoncé, dans une interview donnée au journal l'Equipe le 4 avril 2020, des situations vécues au sein du service des sports de la société France Télévisions pouvant laisser supposer l'existence de faits de harcèlement moral et de comportements sexistes, celle-ci a, le même mois, confié à la société Interstys une mission d'analyse en vue de procéder à un état des lieux des fonctionnements, agissements et comportements au sein de la direction des sports et le cas échéant de formuler des recommandations, qui a donné lieu à la remise d'un rapport le 25 juin 2020.
Par courrier du 1er juillet 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure disciplinaire, fixé au 15 juillet 2020, et par lettre du 30 juillet suivant, il a été licencié pour faute.
Sollicitant la nullité de son licenciement, M. [Y] a, par requête du 14 décembre 2022, saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 30 août 2023, a :
- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [Y] à verser à la société France Télévisions la somme brute de
46 319,14 euros à titre de remboursement de trop-perçu d'indemnité de licenciement en vertu de l'alinéa 2 de l'article 8.4.2 de l'accord France Télévisions,
- débouté la société France Télévisions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Y] aux entiers dépens.
M. [Y] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement le 1er novembre 2023.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 18 avril 2025, M. [Y] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Paris le 30 août 2023 ayant pour numéro de RG F22/09185,
et, statuant de nouveau,
- de le déclarer recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
à titre principal,
- de prononcer la nullité de son licenciement pour discrimination,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
à titre subsidiaire,
- de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 117 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
en tout état de cause,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser :
- la somme de 106 176 euros à titre de dommages et intérêts pour perte des droits à la retraite,
- la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
- d'ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation employeur destinée à Pôle emploi rectifiée, et d'un bulletin de paie afférent aux condamnations sous astreinte journalière de 100 euros par document et par jour de retard, à compter de la notification du jugement à intervenir, le conseil se réservant la faculté de liquider l'astreinte,
- de condamner la société France Télévisions à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'assortir l'ensemble des condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts,
- de condamner la société France Télévisions aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 avril 2025, la société France Télévisions demande à la cour :
- de déclarer et juger M. [Y] mal fondé en son appel et l'en débouter,
en conséquence,
- de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- de condamner M. [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- de condamner M. [Y] aux entiers dépens de l'instance d'appel,
à titre infiniment subsidiaire :
- de cantonner son éventuelle condamnation à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à une somme ne pouvant excéder 21 000 euros,
- de débouter M. [Y] du surplus de ses demandes.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2025 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 22 mai suivant.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la validité et le bien-fondé du licenciement :
La lettre de licenciement pour faute notifiée au salarié, qui circonscrit le litige, est ainsi rédigée :
« Nous faisons suite à notre entretien en date du 15 juillet 2020, auquel nous vous avions convoqué par courrier AR du 1er juillet 2020 pour vous exposer les raisons nous conduisant à envisager à votre encontre une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave, vous rappelant à cette occasion à laquelle vous étiez assisté de Madame [U], salariée de l'entreprise, que vous aviez la faculté de solliciter la réunion de la [5] de discipline dans les trois jours suivant cet entretien, faculté que vous n'avez pas souhaité exercer.
Vos explications, que nous avons recueillies lors de l'entretien préalable, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation.
Nous nous voyons donc contraints de vous notifier votre licenciement pour faute, fondé sur les motifs que nous vous rappelons ci-après.
Vous êtes salarié de France Télévisions depuis le 14 juin 1982 et occupez les fonctions de [Localité 6] Reporter Palier 4 depuis le 1er janvier 2012, au sein de la Direction des Sports.
Le 21 juin 2020, ont été portés à notre connaissance de nombreux témoignages relatant des faits et situations inacceptables au sein de la Direction des Sports de France Télévisions, un nombre interpellant de témoignages vous mettant personnellement en cause pour des faits, propos ou agissements à connotation sexiste et/ou sexuelle dont vous seriez l'auteur.
Ainsi, ces témoignages rapportent de manière très explicite la tenue de propos inadaptés vis-à-vis de vos collègues de travail femmes et à titre d'exemples, sans que ceux-ci soient exhaustifs ;
' « je la baiserais bien celle-là » ;
' « il y a plein de gonzesses autour de moi, j'ai de la chance » ;
' Vous jugez une collègue trop grosse pour passer à l'antenne en pleine conférence de rédaction ;
' « Toi tu es une femme lascive, c'est quand même agréable » avant, suite à la réaction de l'intéressée, de répliquer « si tu ne veux pas qu'on te fasse de compliments, viens avec un scaphandre à la rédac » ;
' Proposition de déjeuner, dîner, avec insistance puis impolitesse (ne dit plus bonjour) suite à refus ;
' En parlant d'un journaliste à l'écran : « tu te le ferais bien ' » ;
' Proposition de déjeuner, dîner, avec insistance puis impolitesse ;
' « tu crois que je peux me la taper celle-là car j'aimerais bien » ;
' « si j'avais été plus jeune, tu m'aurais dragué, ça t'aurait bien excité ».
Un tel comportement récurrent, qui a contribué activement à la dégradation du climat et au mal-être dont les collaborateurs de la Direction des sports interrogés se sont largement fait l'écho, sans même qu'il soit nécessaire de chercher à le qualifier juridiquement, ne peut être toléré au sein d'un collectif de travail.
A cet égard, lors de l'entretien préalable vous nous avez indiqué n'avoir jamais tenu de tels propos tout en reconnaissant pouvoir faire, à l'occasion, quelques blagues de mauvais goût.
Une telle posture ne saurait être admise et plus généralement, votre comportement est totalement incompatible avec un environnement professionnel au sein duquel il y a des choses qui ne se disent et/ou qui ne se font tout simplement pas et en tout état de cause, avec ce qui est normalement attendu de la part d'un collaborateur de votre expérience et de votre niveau de positionnement au sein de la rédaction et de l'entreprise.
Votre comportement contrevient au demeurant gravement aux valeurs et aux principes que France Télévisions s'attache à défendre et à développer ou sein de l'entreprise et que, comme l'ensemble des collaborateurs, vous ne pouviez ignorer puisque nous avons largement communiqué sur le sujet, notamment à l'occasion de la mise en place des dispositifs en matière de lutte contre le harcèlement.
Ce comportement porte également une atteinte particulièrement significative à l'image de France Télévisions.
Il est par ailleurs susceptible de mettre en cause l'obligation de sécurité incombant à l'employeur et donc d'engager la responsabilité de l'entreprise.
La date de première présentation de ce courrier à votre domicile constituera le point de départ de votre préavis de trois (3) mois que nous vous dispensons d'effectuer mais qui vous sera normalement rémunéré aux conditions et aux échéances habituelles de paye. C'est à compter du terme de votre préavis que nous vous délivrerons dans les meilleurs délais les documents obligatoires afférents à la rupture de votre contrat de travail ainsi que votre solde de tout compte.(')».
Le salarié, soulignant qu'il a effectué une carrière exemplaire de plus de 40 années au sein de la société France Télévisions, dont 38 au sein du service des sports, soutient qu'en sa qualité de délégué syndical et délégué du personnel, il a systématiquement pris fait et cause pour les journalistes féminines victimes de harcèlement et/ou de sexisme, que les témoignages spontanés et lettres de soutien qu'il verse aux débats attestent de ses qualités humaines et de son exemplarité, que Mme [F], nommée présidente de la société en avril 2015, n'a cessé d'affirmer publiquement son intention de rajeunir et féminiser les antennes du service public audiovisuel évoquant, le 23 septembre 2015, « une télévision d'hommes blancs », et indiquant le 26 octobre 2022, devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, qu'elle redirait encore aujourd'hui cette phrase, à savoir « il y a trop d'hommes blancs de plus de 50 ans, il faut que ça change », et que si la volonté d'atteindre la parité est louable, elle ne peut en revanche pas se faire au détriment de salariés en poste.
Il estime que Mme [F] a mené à bien son projet d'écarter des journalistes présentateurs en raison de leur âge et/ou de leur sexe, que Mme [H] a fait des révélations sans citer de nom, que le cabinet missionné par la société pour réaliser une enquête n'est pas agréé par le ministère du travail, que la teneur du rapport remis par ce cabinet le 25 juin 2020 n'a pas été dévoilé, l'employeur refusant de le communiquer, étant précisé que M. [A], licencié dans les mêmes conditions, a obtenu la communication de ce rapport aux termes d'une décision du conseil de prud'hommes.
Il indique qu'il a appris son licenciement par des articles de presse (article du JDD paru le 2 août 2020, pièce n°6), l'employeur ayant délibérément fait 'fuiter' cette information, que le courrier de licenciement est imprécis, de sorte que les faits ne sont pas vérifiables, que l'employeur a agi dans la précipitation puisqu'il a été convoqué à un entretien préalable cinq jours après la remise du rapport, que l'interview de Mme [H] a été utilisée comme prétexte pour poursuivre la politique de chasse à « l'homme blanc de plus de 50 ans », alors qu'il n'est pas visé par les accusations de celle-ci, que dans ces conditions il sera retenu qu'il a été victime de discrimination, son licenciement étant par conséquent nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur répond que le 4 avril 2020, Mme [H] a publié un article intitulé « J'allais à Stade 2 en pleurant », dans lequel elle évoque la souffrance vécue au sein du service des sports, qu'il a dans ces conditions mandaté un consultant indépendant spécialisé afin de diligenter une enquête, que plus de cent salariés ont été entendus, que le rapport remis le 21 juin 2021 a donné lieu à une restitution au Comité social et économique (CSE), qu'il est apparu que certains témoignages mettaient en cause de manière concordante M. [Y] en lui imputant des agissements (propos ou comportements) de nature à porter atteinte à la santé physique et mentale de certains collaborateurs, qu'en conséquence le salarié a été convoqué à un entretien préalable, et qu'il n'a pas souhaité saisir la commission de discipline alors que cette possibilité lui avait été rappelée.
Il indique qu'ayant fait droit à titre exceptionnel à la demande du salarié de prolonger d'un mois son préavis, objet d'une dispense mais rémunéré, celui-ci a quitté l'entreprise le 30 novembre 2020, que la somme de 145 574,44 euros (dont 46 319,14 euros perçus en trop à la suite d'une erreur) lui a été versée à titre d'indemnité légale de licenciement, que M. [Y] a saisi la commission arbitrale des journalistes en application de l'article L.7112-4 du code du travail pour revendiquer un complément d'indemnité de licenciement au titre de ses années d'ancienneté au-delà de la quinzième année, la procédure étant toujours en cours.
Il soutient que le salarié instrumentalise une déclaration publique d'une dirigeante d'une grande entreprise audiovisuelle exprimant son souhait d''uvrer pour assurer une meilleure égalité entre les hommes et les femmes, qu'elle ne révèle pas une discrimination mais témoigne d'une volonté de rétablir un équilibre, que d'ailleurs le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a adopté une délibération relative au respect du droit des femmes par les sociétés audiovisuelles publiques et a établi un rapport qui révèle un déséquilibre manifeste.
Il explique que l'affirmation selon laquelle l'entreprise aurait mis en 'uvre un processus d'éviction du salarié ne repose sur aucun élément, que les personnalités de la télévision citées en exemple par M. [Y] n'étaient pas salariées de l'entreprise ou ont décidé de rejoindre une autre chaîne, ou, pour l'une d'elles, a été licenciée pour une faute grave qui a été définitivement jugée comme légitime.
Il précise qu'il a procédé de la même façon à l'égard de salariés concernés par des faits similaires et dont l'âge se situait entre 34 et 40 ans, de sorte que l'allégation de discrimination est sans fondement.
Sur la validité du licenciement
Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi
n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
En application de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Au soutien de la discrimination qu'il invoque, M. [Y] produit :
- de nombreux témoignages (pièces n° 8 à 46) d'anciens collègues, de journalistes et salariés de France Télévisions, hommes ou femmes, qui soulignent ses qualités tant professionnelles qu'humaines, son souci du bien-être de « ses collègues féminins et masculins », ainsi que son comportement irréprochable à l'égard des femmes, affirmant n'avoir jamais été témoins d'attitudes, de propos inappropriés ou sexistes de sa part et avoir été surpris, voire choqués, par la mesure disciplinaire prise à son encontre ;
- un document intitulé « verbatim [L] [S] devant la commission des affaires culturelles de l'assemblée nationale sur l'exécution 2021 du contrat d'objectifs et de moyens 2020-2022 ' mercredi 26 octobre 2022-souce LCP : vidéos.assemblee-nationale.fr » (pièce n°49), dont il ressort que Mme [F], présidente de FTV :
- est ainsi questionnée par Mme [Z], députée de la Drôme : « pouvez-vous nous dire en quoi votre phrase « on a une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans et ça il va falloir que ça change » illustre votre politique d'exemplarité. N'êtes-vous pas en train de discriminer ces hommes en indiquant que des femmes et des jeunes de toute origine permettraient d'augmenter la notoriété ' » ;
- et répond de la façon suivante : « sur l'égalité entre les hommes et les femmes, oui, j'ai dit il y a maintenant 7 ans, ça commence à faire, mais vous me le rappelez, donc je me dis j'ai bien fait de le dire, cette phrase « il y a trop d'hommes blancs de plus de 50 ans, il faut que ça change ». Oui je le redirais aujourd'hui. Alors moins sur le service public parce que figurez-vous qu'on a travaillé et qu'en effet il y a maintenant la parité. C'est un des objectifs d'ailleurs de notre contrat d'objectif et de moyens.(') » ;
- un jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 4 mars 2022 aux termes duquel le licenciement d'un journaliste du service des sports de France Télévisions a été jugé sans cause réelle et sérieuse (pièce n°48).
Le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte à son égard.
L'employeur verse quant à lui aux débats :
- la délibération n°2015-2 du 4 février 2015 du CSA, « ayant pour objet, en application de l'article 20-1 A de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, de préciser les programmes relatifs à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes que ces services doivent diffuser, de fixer les indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur la représentation des femmes et des hommes dans les programmes et d'encourager les diffuseurs à souscrire des engagements volontaires chaque année » visant notamment « à améliorer la représentation des femmes au sein des équipes » (pièce n°15) ;
- le rapport du CSA sur l'exercice 2016, intitulé « la représentation des femmes à la télévision et à la radio », qui préconise notamment d' « inciter les éditeurs à définir des objectifs de progression pour améliorer la présence des femmes sur leurs antennes et notamment des expertes », dès lors qu'il a été constaté que « globalement, les femmes sont moins représentées à l'antenne que les hommes », « aussi bien pour les radios que pour les télévisions » (pièce n°16) ;
- un article du journal Libération du 5 avril 2019 faisant état du licenciement pour faute grave d'un journaliste de 34 ans de France Télévisions en raison d'un comportement inapproprié à l'égard de stagiaires ou apprenties journalistes, ainsi que quatre courriers de licenciement notifiés par France Télévisions à des salariés âgés de moins de 50 ans entre le 1er avril 2019 et le 30 juillet 2020 (pièces n°19 à 23).
La société France Télévisions établit ainsi que :
- les propos tenus par Mme [F] en septembre 2015 font écho aux constats du CSA et à ses délibérations et rapport incitant à atteindre la parité « homme/femme » au sein de chaînes de radio et de télévision, étrangers à toute discrimination,
- que des licenciements ont également été mis en 'uvre à l'égard de salariés de moins de 50 ans.
Concernant plus précisément les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement, la société France Télévisions communique :
- le rapport du cabinet de conseil Interstys qui révèle notamment que 107 entretiens ont été menés, que sept victimes ont relevé avoir subi des agissements à connotation sexiste ou sexuelle, que « dix-huit témoins directs ont évoqué ces agissements concernant des victimes nommées individuellement ou des collectifs ; femmes, stagiaires, sportives », et que vingt-cinq personnes auteures de ces agissements sont mises en cause de manière nominative (pièce n°4) ;
- plusieurs témoignages extraits du rapport établi par le cabinet Interstys, et notamment ceux de :
- Mme [B] (pièce n°24), journaliste, recueilli par l'enquêtrice le 23 avril 2020 (pièces n°45 et 46) et non le 27 mars 2020 comme indiqué par erreur dans le rapport, dans lequel elle indique :
«Dans un open space, [E] [Y] (AV) dit à [D] et moi qu'on est lascives. Il me dit à moi «tu es lascive et froide ». On lui dit « tu sais ce que ça veut dire ' » on lui montre sur internet que ça veut dire érotique, libidineux. Il ne contredit pas rigole. Il me dit en parlant de [D] « elle n'a qu'à porter un scaphandre ou changer de bureau si elle n'est pas contente ». Je lui ai fait savoir que ce n'était pas possible de dire cela à une collègue sur son lieu de travail. C'était vers la fin de mon apprentissage, j'étais un peu excédée. A base de « je suis âgé, excusable », il se permet des remarques avec des femmes. Pour lui, c'est des compliments, et il ne se rend pas compte.
Remarques déplacées (avril/juin 19) : on regardait des émissions sportives sur les autres chaînes de télé, Canal + ou Bein, il dit aux stagiaires en parlant d'une journaliste femme « je la baiserais bien celle-là ». J'étais présente.
Quand on regardait des compétitions, il m'a demandé plusieurs fois, en parlant d'un journaliste ou de quelqu'un à l'écran : tu te le ferais bien ' » ;
- M. [W] (pièce n°25), journaliste, témoignage aux termes duquel il qualifie M. [Y] de « sexiste, misogyne », explique que celui-ci « ne se rend pas compte de ce qu'il dit », qu'il « balance des blagues de cul et ne s'en rend pas compte » et précise :
« Un lundi matin, avant la conférence de rédaction, [E] [Y] va raconter qu'il a fait l'amour à sa femme : « tiens ce que j'ai mis à maman hier ». C'est lourd. Je suis un garçon, ça me gêne. Alors, j'imagine pour une fille. Les autres rigolent. Personne ne dit rien. Dans le service, jusqu'aux années Metoo, c'était classique.(')
C'est un peu comme [T] [Y], il parlait mal aux filles, il pouvait être lourd (') ;
- M. [N] (pièce n°26), journaliste et représentant du personnel, délégué syndical, élu au Comité d'entreprise (CE) et au CHSCT, qui explique que de jeunes cons'urs sont venues le voir et qu'elles ont raison, un confrère n'ayant pas à dire à des femmes dans l'open space :« toi, tu es une femme lascive, ça se remarque, c'est quand même agréable », par ex [T] [Y] », et indique « qu'il en a trop vu pleurer, partir », « qu'il n'y a aucune raison que le passage dans cette rédaction soit une blessure pour beaucoup de femmes », « qu'un des problèmes de la direction des sports , c'est qu'il s'agit d'un groupe homogène, lié depuis longtemps », « que sur 17 personnes il y a 16 hommes dont 13 qui travaillent aux sports depuis 20 ans ou plus », « qu'il se connaissent tous », « que « briser l'unité du groupe c'est très mal vu » et que « du coup il a reçu des messages tournant à l'intimidation » ;
- Mme [I] (pièce n°27), journaliste reporter ainsi rédigé :« On sent toujours qu'on est une femme. Exemples :(')
- Un stagiaire m'a raconté qu'un jour, alors que j'étais sortie d'une salle, un journaliste [E] [Y] lui a dit : tu crois que je peux me la taper celle-là car j'aimerais bien. Il y a eu beaucoup de remarques de la part d'[E] [Y]. J'en ai parlé, je l'ai dit à la présidente de la SDJ.
- Juin 19 : je suis en face de son bureau, [E] me dit « s'il y avait un mot pour te décrire, ce serait lascive. Si tu ne sais pas ce que cela veut dire, tu devrais regarder sur internet ». Je regarde et lui dis tu te rends compte de ce que tu me dis ' Il me dit « tout le monde est d'accord, on en a parlé au sein de la rédac ».
Une alternante, [X] [B] qui est à côté, s'énerve. Il me dit « Si tu ne veux pas qu'on te fasse de compliments, viens avec un scaphandre à la rédac ». L'après-midi, j'étais choquée, je raconte ce qu'il m'a dit à tous ceux qui venaient à notre bureau, devant [E], tous rigolaient. (')
[E] [Y] fait partie du syndicat des journalistes. Un jour il m'avait dit « si tu as des problèmes, tu peux venir m'en parler ». Comment aller lui en parler alors qu'il est lui-même à l'origine ' » ;
- M. [M] (pièce n°28), documentaliste à la direction des sports, qui répond ainsi la à question suivante :
« Avez-vous été témoin de propos [à] connotation sexuelle ou sexiste '
[E] [Y] me dit : « si j'avais été plus jeune, tu m'aurais dragué ' ». Il y a une absence même de retenue, de respect. Il l'a dit en venant nous voir, en nous demandant des images. On parle de tout et de rien et ça va dévier vers une remarque désobligeante.
Quand on est gay au service des sports, ce n'est pas évident, mais je n'en ai pas trop souffert, je n'ai pas eu à vivre une situation de discrimination, les mentalités ont un peu évolué, les lois sont passées, mais pour certains c'est ancré dans leur disque dur' ».
La preuve étant libre en matière prud'homale, il appartient au juge d'apprécier la valeur et la portée des éléments versés aux débats, et notamment des témoignages, étant rappelé à ce sujet que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et que dès lors, rien ne s'oppose à ce que ceux-ci soient examinés.
En l'espèce, la société France Télévisions, qui n'avait pas l'obligation de mandater un cabinet agréé par le ministère du travail pour diligenter une enquête au sein de l'entreprise, a confié à la société Interstys, cabinet de conseil spécialisé dans l'accompagnement « des crises humaines », le soin de réaliser « un état des lieux élargi des fonctionnements, agissements et comportements au sein de la directions des sports » de l'entreprise, qui a donné lieu à une enquête et à un rapport, dont le sérieux et l'objectivité ne sont remis en cause par aucun élément de la procédure, comprenant notamment divers témoignages recueillis lors d'entretiens menés dans le cadre de l'exercice de sa mission.
Il résulte de ce qui précède que, même si les qualités professionnelles et humaines de M. [Y] sont mises en exergue dans les attestations qu'il communique, les entretiens réalisés par la société Interstys ont permis à plusieurs salariés de révéler dans des termes circonstanciés, concordants, précis, non stéréotypés, et donc probants, des comportements et propos sexistes adoptés par M. [Y] dont ils ont été personnellement victimes ou témoins.
Il s'ensuit que l'employeur établit que sa décision de licencier le salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes visant à dire son licenciement nul et à obtenir l'allocation de dommages-intérêts de ce chef.
Sur le bien-fondé du licenciement
Sur le licenciement verbal
Le salarié expose qu'ayant été licencié verbalement par la voix de M. [P] qui a fait connaître sa décision dans les médias, son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur répond que si, par courtoisie, le salarié a été contacté pour l'informer de l'envoi d'un courrier de licenciement, ce qui n'est pas établi, le licenciement lui a bien été notifié par écrit, qu'en toute hypothèse l'annonce verbale de la décision prise concomitamment à l'envoi de la lettre de notification du licenciement ne pourrait tout au plus caractériser qu'une simple irrégularité de procédure sans effet sur la légitimité d'un licenciement.
En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer les motifs du licenciement dans la lettre le notifiant au salarié. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, le licenciement verbal est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il est admis qu'un licenciement notifié au salarié d'abord par un appel téléphonique avant l'envoi de la lettre de licenciement est un licenciement verbal, et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse, peu important les justifications avancées par l'employeur.
Il appartient à celui qui invoque l'existence d'un licenciement verbal d'en rapporter la preuve.
Aucune des pièces de la procédure ne révèle que M. [Y] aurait appris son licenciement « par la voix de M. [P] », avant sa notification par courrier du 30 juillet 2020.
Par ailleurs, le seul article de presse communiqué par le salarié, intitulé « France TV veut licencier trois journalistes des sports », est extrait du Journal du dimanche paru le 2 août 2020, soit postérieurement à la notification du licenciement, et ne donne aucun élément sur « les sources » des informations obtenues.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la preuve du caractère verbal du licenciement n'est pas rapportée.
Sur les griefs retenus à l'encontre du salarié
Si le courrier de licenciement devait être retenu, le salarié soutient que le seul grief trop évasif n'est pas établi par l'employeur, les témoignages qu'il verse aux débats étant non-conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, étant précisé qu'il n'a jamais été sanctionné et s'est montré exemplaire pendant l'exécution du contrat de travail.
Il estime que la disproportion entre les faits 'gravissimes' reprochés et la sanction révèle que l'employeur a profité des déclarations d'une journaliste pour se « débarrasser » de trois journalistes qui ne correspondaient plus à l'image voulue par la direction de la société.
Il ajoute que ses demandes indemnitaires sont justifiées eu égard à son ancienneté, à son âge et au préjudice considérable qu'il a subi, son licenciement étant intervenu alors que la couverture des Jeux Olympiques devait être le point d'orgue de sa carrière avant de prendre sa retraite.
Il indique que son licenciement ayant précipité sa retraite, il perçoit une pension inférieure à celle dont il aurait bénéficié s'il avait pu poursuivre sa carrière jusqu'en 2024, et que compte tenu de l'espérance de vie, sa demande à hauteur de 106 176 euros est légitime.
L'employeur répond que depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2017-1718 du 22 septembre 2017 (dite « ordonnance Macron ») et donc la modification de l'article L.1235-2 du code du travail, l'insuffisance de motivation d'une lettre de licenciement, même lorsqu'elle est caractérisée (ce qui n'est pas le cas en l'espèce), ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, sauf pour le salarié à avoir demandé à l'employeur de préciser ces motifs dans les quinze jours de sa notification, demande que n'a pas formulée M. [Y].
Il expose que la matérialité des faits ayant motivé le licenciement du salarié est établie de manière précise, circonstanciée et concordante par les témoignages recueillis dans le cadre de la mission d'analyse menée par le consultant externe indépendant mandaté à cet effet.
Il explique que compte tenu de son obligation de sécurité, il a dû prendre des mesures pour protéger la santé physique et mentale des salariés, que M. [Y] ne pouvait ignorer que les comportements qu'il a adoptés contrevenaient aux valeurs et principes de la société qui a largement communiqué à ce sujet, que de telles attitudes sont sanctionnées de la même façon, que plusieurs délégués syndicaux ont salué la mise en 'uvre d'une enquête et insisté sur la nécessité de mettre fin à l'impunité.
Il ajoute, d'une part, que certains des témoignages versés aux débats par le salarié sont dépourvus d'impartialité car établis par des collaborateurs en litige avec la société ou qui se sont illustrés par des comportements similaires, d'autre part, que des pressions ont été exercées sur certains salariés pour les dissuader de témoigner.
Il précise qu'il a exercé son pouvoir disciplinaire de manière mesurée, qu'il a pris le parti de s'en tenir à une mesure de licenciement pour faute simple, laissant ainsi au salarié le bénéfice de son préavis et d'une indemnité de licenciement substantielle, tout en lui signifiant le caractère inacceptable des faits et leur gravité.
Il souligne que le préjudice allégué par le salarié n'est pas établi, que celui relatif à la perte des droits à la retraite n'est pas distinct de celui indemnisé par l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que s'agissant du préjudice moral, la procédure a été régulière, et qu'il n'est pas responsable de la médiatisation du signalement à l'origine de l'enquête.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Il résulte de ce qui précède que les propos ou agissements à connotation sexiste ou sexuelle récurrents reprochés au salarié aux termes du courrier de licenciement sont établis par le rapport réalisé par la société Interstys et les témoignages qu'elle a recueillis qui mettent en exergue la gêne, le malaise, voire la honte ressentis par les témoins et victimes de ces propos et comportements, les pleurs et la souffrance de celles-ci, le silence longtemps gardé à ce sujet et la parole qui s'est libérée quand [C] [H] a quitté le service.
Dans ces conditions, et compte tenu de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur, de l'ancienneté ainsi que des responsabilités du salarié, il doit être considéré que la mesure de licenciement prise à son encontre est proportionnée et justifiée par une cause réelle et sérieuse.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes consécutives d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de remise de documents de fin de contrat et de dommages-intérêts pour perte des droits à la retraite.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice subi en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement
Le salarié demande l'allocation d'une somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct subi en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement, insistant sur le fait que le motif de son licenciement a été relayé par la presse par l'employeur, que les accusations à son encontre sont infamantes et portent atteinte à sa dignité ainsi qu'à son honneur.
L'employeur répond que la procédure de licenciement est régulière, qu'il a même accepté de prolonger exceptionnellement le préavis, et qu'il n'est pas responsable de la médiatisation du signalement ayant déclenché l'enquête.
La demande d'indemnisation formulée par le salarié suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.
Il ne résulte des éléments de la procédure ni que l'employeur est responsable de la médiatisation du licenciement de M. [Y], ni que celui-ci a été mis en 'uvre de façon brutale et/ou vexatoire, et ce d'autant que l'employeur a fait droit à la demande de prolongation du préavis de celui-ci.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.
Sur la demande de remboursement d'un trop-perçu au titre de l'indemnité de licenciement
L'employeur demande le remboursement de la somme de 46 319,14 euros versée au salarié à titre d'indemnité conventionnelle complémentaire alors que, compte tenu de la nature disciplinaire du licenciement, elle n'était pas due en application de l'article 8.4.4.2 de l'accord d'entreprise.
Le salarié ne répond pas sur ce point.
En vertu de l'article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette et ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
L'article 8.4.4.2 relatif aux « indemnités de licenciement des journalistes » de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions dispose :
«En dehors du cas du licenciement pour faute grave ou lourde, tout journaliste licencié percevra une indemnité calculée conformément aux dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail soit un mois de salaire de référence par année d'ancienneté dans la limite de quinze mois. Par ailleurs conformément aux dispositions de l'article L.7112-4 du code du travail pour tout journaliste dont l'ancienneté est supérieure à 15 ans le montant de l'indemnité due est déterminé par une commission arbitrale.
En dehors du cas du licenciement disciplinaire, tout journaliste licencié percevra, outre l'indemnité calculée conformément à l'article L.7112-3 du code du travail, une indemnité complémentaire ainsi calculée :
- pour plus de cinq ans d'ancienneté : quatre douzièmes du salaire annuel de
référence,
- pour plus de dix ans d'ancienneté : cinq douzièmes et demi du salaire annuel
de référence,
- pour plus de quinze ans d'ancienneté : sept douzièmes du salaire annuel de
référence. ('). »
L'employeur justifie avoir versé au salarié la somme de 145 574,44 euros à titre d'indemnité de licenciement correspondant à 22 mois de salaire.
M. [Y] a ainsi reçu outre l'indemnité calculée conformément aux dispositions de l'article L.7112-3 du code du travail dans la limite de quinze mois, une indemnité complémentaire alors qu'elle n'est pas due en cas de licenciement disciplinaire, comme en l'espèce.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné le salarié à rembourser à l'employeur la somme de 46 319,14 euros au titre de l'indemnité complémentaire de licenciement prévue par l'article 8.4.4.2 relatif aux « indemnités de licenciement des journalistes » de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le salarié, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.
Il n'y a pas lieu, pour des raisons tirées de l'équité et de la situation économique des parties, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre des frais irrépétibles de première instance, par confirmation du jugement déféré, qu'à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
REJETTE les autres demandes des parties comprenant celles formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [E] [Y] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE