Cass. 3e civ., 25 septembre 2025, n° 23-19.736
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Riom,13 juin 2023), les sociétés Slibail immobilier et Finamur (les crédit-bailleurs) ont conclu un contrat de crédit-bail immobilier avec la société Val d'Allier logistique (le crédit-preneur), portant sur la construction d'un bâtiment à usage d'entrepôt frigorifique et de bureaux.
4. Le lot étanchéité a été confié à une entreprise, assurée auprès de la société Generali.
5. La réception des travaux a eu lieu sans réserves le 17 janvier 2007.
6. Se plaignant de la dégradation de l'étanchéité du bâtiment, le crédit-preneur a, après expertise, assigné aux fins d'indemnisation la société Generali, qui a appelé dans la cause la société Haogenplast LTD, fabricant d'une membrane d'étanchéité ayant servi à la construction du bâtiment, ainsi que l'importateur de cette membrane, la société Meple, aux droits de laquelle viennent les sociétés Iko et Iko-Axter.
7. La société Finamur est intervenue volontairement à l'instance le 27 octobre 2020.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° R 23-19.794 de la société Generali et sur le second moyen du pourvoi n° S 23-21.727 de la société Haogenplast LTD
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° C 23-19.736 des sociétés Iko et Iko-Axter, sur le premier moyen du pourvoi n° R 23-19.794 de la société Generali et sur le premier moyen du pourvoi n° S 23-21.727 de la société Haogenplast LTD, réunis
Enoncé des moyens
9. Par leur moyen, les sociétés Iko et Iko-Axter font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société Finamur, de déclarer recevables les demandes de la société Val d'Allier logistique à l'encontre de la société Generali et, en conséquence, de constater le caractère décennal des désordres affectant la couverture des toitures terrasses et l'isolation de l'immeuble, de condamner la société Generali à payer à la société Val d'Allier logistique diverses sommes et de condamner la société Iko, in solidum avec la société Haogenplast LTD, à garantir la société Generali des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice de la société Val d'Allier logistique, alors :
« 1°/ que seul le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage a qualité et intérêt à agir contre les locateurs d'ouvrage en réparation des désordres de nature décennale ; que sauf mandat donné par le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, le preneur d'un contrat de crédit-bail ne peut exercer l'action en garantie décennale contre les locateurs d'ouvrage ; qu'en l'espèce, aux termes du contrat de crédit-bail conclu le 24 mars 2006 par la société Val d'Allier logistique avec les sociétés Slibail immobilier et Finamur, il était stipulé que « le crédit-bail a pour objet de permettre au preneur d'acquérir à terme l'immeuble objet du contrat et ce, à sa seule volonté. Par suite, le preneur s'obligera ci-après à faire des versements échelonnés pendant toute la durée du contrat ; ces versements qualifiés de « loyers » devront être considérés comme le remboursement et la rémunération d'une dette correspondant à l'investissement ci-après défini, demandé par le preneur au bailleur, au titre de cette opération. Le preneur ayant pris seul l'initiative du choix de l'immeuble, il assumera seul l'entière responsabilité de l'opération dans la totalité de ses conséquences et l'ensemble des risques qui découlent de sa situation juridique. En effet, bien que le droit de propriété de l'immeuble financé soit conféré au bailleur pendant toute la durée du financement, le preneur conserve la maîtrise entière de l'opération tant, le cas échéant, pendant la période de construction que pendant celle de la location de l'immeuble. Il est donc apparu légitime aux parties que soient transférés au preneur toutes les obligations et tous les risques quels qu'ils soient, même résultant de cas de force majeure, qui, selon le droit commun incomberaient au constructeur et propriétaire de l'immeuble, le bailleur en étant conventionnellement exonéré. Les parties tiennent à souligner le caractère essentiellement financier de l'intervention du bailleur dans la présente opération et de manière générale, elles entendent se référer de manière constante à la présente déclaration liminaire pour justifier la répartition entre elles des charges, obligations et risques et pour rechercher, si besoin, l'intention commune des parties » ; qu'en jugeant qu'il résultait de ces clauses que les sociétés crédit-bailleresses avaient entendu conférer à la société Val d'Allier logistique, qui avait assuré la construction de l'ouvrage, un mandat d'exercer l'action en garantie décennale contre les locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a méconnu les termes du contrat de crédit-bail, lequel se bornait à mettre à la charge de la société Val d'Allier logistique, crédit-preneur ne disposant alors d'aucun droit de propriété sur l'ouvrage, les obligations et risques de l'opération, sans qu'un mandat d'agir en justice contre les locateurs d'ouvrage ne lui soit confié, la cour d'appel a violé l'article 1134 (désormais 1103) du code civil, ensemble l'article 1792 du même code et l'article 31 du code de procédure civile ;
2°/ que le contrat de crédit-bail conclu le 24 mars 2006 par la société Val d'Allier logistique avec les sociétés Slibail immobilier et Finamur stipule à l'article 2.2.1 « Mandat en vue de la construction : "1°) Etendue du mandat: Par les présentes, le bailleur charge le preneur qui l'accepte expressément, d'exécuter les travaux (
). En conséquence, le preneur assurant les fonctions de mandataire du bailleur assurera les prérogatives du maître d'ouvrage pendant toute la durée des travaux. A ce titre, il assumera sous son entière responsabilité la conception, la direction, la réalisation, la surveillance du chantier, et fera son affaire sans recours contre le bailleur, notamment pour vices apparents ou cachés qui affecteraient les constructions à édifier ou même le sol ou le sous-sol du terrain qu'il a lui-même choisi, pour erreur ou insuffisance dans les formalités administratives, retards, malfaçons, dépassements de prix, contestation avec les entrepreneurs, architectes et maîtres d'uvre, incidents ou accidents de chantier, défaillance de l'une ou plusieurs des entreprises oeuvrant à la construction, changement d'entreprise pour quelque motif que ce soit, responsabilité civile ou pour toute autre cause. En outre, il devra décharger et indemniser totalement le bailleur des conséquences de tous recours ou actions qui seraient engagés directement contre ce dernier à l'occasion de la réalisation de la construction" » ; qu'il résulte de cette stipulation claire et précise que la société Val d'Allier logistique avait uniquement reçu mandat de faire réaliser les travaux de construction de l'ouvrage et qu'elle n'avait reçu mandat à cet effet que pendant la durée des travaux, dont la cour d'appel a constaté qu'ils avaient été réceptionnés par acte du 17 janvier 2007 ; qu'en jugeant que la société Val d'Allier logistique avait disposé d'un mandat d'agir en justice sur le fondement de la garantie décennale contre les locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a encore méconnu les termes du contrat de crédit-bail conclu par la société Val d'Allier logistique avec les sociétés Slibail immobilier et Finamur, violant ainsi l'article 1134 (désormais 1103) du code civil, ensemble l'article 1792 du même code, et l'article 31 du code de procédure civile ;
3°/ que l'intervention de la personne disposant de la qualité à agir ne peut régulariser l'action introduite par une personne dépourvue de cette qualité qu'à la condition de survenir avant toute prescription ou forclusion ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'ouvrage litigieux a fait l'objet d'une réception sans réserves le 17 janvier 2007 et que la société Finamur, crédit-bailleur de l'opération, n'était intervenue volontairement à l'instance au fond engagée par la société Val d'Allier logistique le 7 septembre 2018, que par conclusions du 27 octobre 2020 ; qu'en retenant, pour dire que l'action de la société Val d'Allier logistique était recevable, que « dans une lettre du 28 mai 2020 la banque Crédit agricole Leasing confirme que la société SA Finamur subroge la Sarl Val d'Allier logistique dans "toutes les actions destinées à préserver l'ouvrage contre des désordres constructifs apparus dans le cadre de la garantie décennale", et que "dans une lettre du 2 décembre 2021, la banque LCL Leasing confirme que la société SA Finamur subroge la SARL Val d'Allier logistique "concernant toutes les actions destinées à préserver l'ouvrage contre des désordres constructifs apparus dans le cadre de la garantie décennale" », quand la forclusion était acquise à la date d'intervention à la procédure de la société Finamur, la cour d'appel a violé l'article 126 du code de procédure civile. »
10. Par son premier moyen, la société Generali fait grief à l'arrêt de déclarer recevables à son encontre les demandes de la société Val d'Allier logistique, alors :
« 1°/ que l'action en responsabilité décennale est réservée au maître de l'ouvrage ; que le crédit-preneur qui n'a pas la qualité de maître de l'ouvrage tant qu'il n'a pas mis en uvre sa faculté de rachat du bien loué, ne peut agir en responsabilité décennale à l'encontre du constructeur ; qu'en jugeant que la société Val d'Allier logistique avait qualité pour agir à l'encontre de la société Generali au titre de sa qualité « de maître de l'ouvrage », quand il ressort de ses propres constatations qu'elle était crédit-preneur et n'avait pas levé son option de rachat, la cour d'appel a violé les articles 1792 du code civil et 31 du code de procédure civile ;
2°/ que le crédit-preneur ne peut demander, sur le fondement de la garantie décennale, la somme correspondant à la réparation des désordres de construction mais seulement l'indemnisation du préjudice en résultant ; qu'en déclarant recevable la demande de la société Val d'Allier logistique tendant à la réparation des désordres de construction, quand cette société était crédit-preneur, la cour d'appel a violé les articles 1792 du code civil, 1382 ancien devenu 1240 du même code et 31 du code de procédure civile. »
11. Par son premier moyen, la société Haogenplast LTD fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société Finamur, de déclarer recevables les demandes de la société Val d'Allier logistique à l'encontre de la société Generali, et, en conséquence, de constater le caractère décennal des désordres affectant la couverture des toitures terrasses et l'isolation de l'immeuble, de condamner la société Generali à payer à la société Val d'Allier logistique diverses sommes et de la condamner, in solidum avec la société Iko, à garantir la société Generali des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice de la société Val d'Allier logistique, alors :
« 1°/ que la qualité de maître de l'ouvrage est attachée à la propriété dudit ouvrage et non à sa jouissance ; qu'un crédit-preneur n'est ainsi pas recevable à exercer contre le constructeur une action fondée sur la responsabilité décennale de celui-ci, une telle action appartenant au crédit-bailleur, sauf convention contraire ; que, si le contrat de crédit-bail conclu entre les sociétés Finamur et Slibail immobilier, en leur qualité de crédit-bailleur, et la société Val d'Allier logistique, crédit-preneur, prévoyait en son « Exposé préalable », relatif au « Projet du preneur » concernant la construction d'un ouvrage sur le terrain, que ledit preneur « assumer[ait] seul l'entière responsabilité de l'opération dans la totalité de ses conséquences et l'ensemble des risques qui découl[ai]ent de sa situation juridique » et qu'il était « donc apparu légitime aux parties que soient transférés au preneur toutes les obligations et tous les risques quels qu'ils soient, même résultant de cas de force majeure, qui, selon le droit commun, incomberaient au constructeur et propriétaire de l'immeuble, le bailleur en étant conventionnellement exonéré », l'article B.2.2.1 de ce même acte, intitulé « Mandat en vue de la construction / 1° Étendue du mandat », prévoyait seulement que le preneur, « assurant les fonctions de mandataire du bailleur », assurerait « les prérogatives du maître d'ouvrage pendant toute la durée des travaux », c'est-à-dire au plus tard jusqu'à réception de l'ouvrage, et non pour toute la durée de la location ; qu'il ressortait ainsi des termes clairs et précis dudit bail que les premières stipulations précitées ne prévoyaient qu'un transfert au preneur des risques et obligations du bailleur, et non des droits de ce dernier, et que l'exercice de ces droits était encadré par la seule seconde stipulation précitée, limitant le mandat confié au preneur à la durée du chantier, sans lui permettre d'agir lui-même en responsabilité décennale après réception de l'ouvrage ; qu'en estimant néanmoins que les bailleresses seraient « expressément convenu[es] » avec le preneur de lui conférer la qualité de maître de l'ouvrage «avec tous les droits et obligations qui en découl[ai]ent », et de lui confier par là même un « mandat explicite comprenant tous les recours susceptibles d'être exercés (
) contre les entreprises ayant participé à la construction, cependant que le contrat de crédit-bail, ne transférant au preneur que les obligations et risques qui incombaient au constructeur et au propriétaire de l'immeuble, sans prévoir en revanche le transfert des droits de ce dernier, ne conférait pas au preneur un mandat d'agir en responsabilité décennale contre le constructeur, la cour d'appel a dénaturé l'acte de crédit-bail immobilier et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'acte qui lui est soumis ;
2°/ que l'article B.2.2.1 du contrat de crédit-bail susmentionné, intitulé « Étendue du mandat », prévoyait seulement que le bailleur chargeait le preneur « d'exécuter les travaux de construction » et qu'en conséquence, le preneur, « assurant les fonctions de mandataire du bailleur », assurerait « les prérogatives du maître d'ouvrage pendant toute la durée des travaux » ; qu'il ressortait des termes clairs et précis de cette stipulation qu'en vertu du contrat de crédit-bail, le preneur n'avait reçu mandat que pour faire réaliser les travaux de construction de l'ouvrage et pendant la durée des travaux, c'est-à-dire au plus tard jusqu'à réception de l'ouvrage, et que le crédit-preneur ne s'était donc vu conférer aucun mandat courant pendant toute la durée de la location ; qu'en estimant néanmoins qu'aux termes du contrat de crédit-bail, la société Val d'Allier Logistique s'était vu « attribuer la qualité de maître de l'ouvrage (
) durant toute la durée de la location, incluant l'existence d'un mandat implicite pour exercer l'action décennale », la cour d'appel a dénaturé ledit contrat, violant l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ que l'intérêt et la qualité pour agir s'apprécient à la date de l'action en justice ; que si le crédit-preneur, lorsqu'il est titulaire d'un mandat confié à cet effet par le crédit-bailleur, a intérêt et qualité pour exercer contre un constructeur une action en responsabilité décennale, il doit justifier d'un tel mandat déjà confié à la date de cette action ; qu'en retenant néanmoins, pour juger recevable l'action en responsabilité décennale formée le 7 septembre 2018 par la société Val d'Allier logistique, en qualité de mandataire des bailleurs, que « dans une lettre du 28 mai 2020 la banque Crédit agricole Leasing confirme que la société Finamur subroge la société Val d'Allier logistique dans "toutes les actions destinées à préserver l'ouvrage contre des désordres constructifs apparus dans le cadre de la garantie décennale" », et que « dans une lettre du 2 décembre 2021, la banque LCL Leasing confirme que la société SA Finamur subroge la SARL Val d'Allier logistique "concernant toutes les actions destinées à préserver l'ouvrage contre des désordres constructifs apparus dans le cadre de la garantie décennale" », cependant qu'en l'état des dates relevées par l'arrêt lui-même, ces deux lettres étaient postérieures à l'exercice de l'action en responsabilité décennale formée par la société Val d'Allier logistique et qu'il ne pouvait donc résulter de ces documents aucun mandat existant au jour de cette action, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 31 du code de procédure civile, ensemble l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes du contrat de crédit-bail rendait nécessaire, relevé, d'une part, que le preneur assumait seul l'entière responsabilité de l'opération dans la totalité de ses conséquences et l'ensemble des risques qui découlaient de sa situation juridique, qu'il conservait la maîtrise entière de l'opération tant pendant la période de construction que pendant celle de la location de l'immeuble et que lui étaient transférés toutes les obligations et tous les risques quels qu'ils soient, même ceux qui, selon le droit commun, incombaient au constructeur et propriétaire de l'immeuble, le bailleur en étant conventionnellement exonéré, d'autre part, que les parties avaient tenu à souligner le caractère essentiellement financier de l'intervention du bailleur.
13. Elle a pu déduire de ces seuls motifs que, les crédit-bailleurs ayant donné au crédit-preneur un mandat lui conférant tous les droits et obligations du maître de l'ouvrage, y compris les recours susceptibles d'être exercés à l'encontre des locateurs d'ouvrage, celui-ci avait qualité à agir contre l'assureur du constructeur sur le fondement de la garantie décennale.
14. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Iko et Iko-Axter, la société Generali IARD et la société Haogenplast LTD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Iko et Iko Axter, prises ensemble, d'une part, Generali IARD, d'autre part, et Haogenplast LTD, enfin, à payer, chacune, la somme de 1 000 euros à la société Val d'Allier logistique et rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-cinq septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.