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Décisions

CA Grenoble, ch. civ. A, 23 septembre 2025, n° 24/02572

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 24/02572

23 septembre 2025

N° RG 24/02572

N° Portalis DBVM-V-B7I-MKQ7

C3

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Adélaïde FREIRE-MARQUES

la SELARL BSV

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Chambre civile section A

ARRÊT DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025

Appel d'une décision (N° RG 22/01223)

rendue par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu

en date du 06 juin 2024

suivant déclaration d'appel du 08 juillet 2024

APPELANTS :

M. [W] [S]

né le 13 Mai 1973 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Mme [E] [D]

née le 10 Juillet 1970 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentés par Me Adélaïde FREIRE-MARQUES, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

INTIMES :

Mme [K] [A]

née le 28 Août 1988 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

M. [L] [P]

né le 16 Octobre 1988 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentés par Me Laure BELLIN de la SELARL BSV, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Catherine Clerc, président de chambre,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 juin 2025, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon acte notarié du 5 avril 2016, M. [L] [P] et Mme [K] [A] ont acquis de Mme [T] [O] divorcée [I], un tènement immobilier sis à [Localité 8], Mme [O] l'ayant elle-même acquis de M. [W] [S] et Mme [E] [D] suivant acte notarié du 16 juillet 2012.

Par acte extrajudiciaire du 6 février 2020, faisant valoir l'existence d'infiltrations d'eau sur le plafond du garage attenant à la maison, liées à une pente de toit insuffisante, et un empiétement du garage sur la parcelle voisine, les consorts [H]/[A] ont assigner leur venderesse Mme [O] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu aux fins d'expertise.

Par ordonnance en date du 24 mars 2020, le juge des référés a ordonné une expertise confiée à M. [J].

Sur assignation délivrée le 27 août 2020 à l'initiative des consorts [P]/[A], les opérations d'expertises ont été étendues aux consorts [S]/[D] par ordonnance du 1er décembre 2020.

L'expert commis a déposé son rapport le 18 mai 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 17 novembre 2022, les consorts [P]/ [A] ont assigné les consorts [S]/[D] devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices.

Par ordonnance du 19 décembre 2023, le juge de la mise en état, statuant sur l'incident initié par les consorts [S]/[D] a renvoyé l'affaire devant la formation de jugement du tribunal judiciaire saisi au fond.

Par jugement contradictoire du 6 juin 2024, le tribunal précité a :

rejeté la demande de rabat de l'ordonnance de clôture,

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion,

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 1er juillet 2024.

La juridiction a retenu en substance que :

la décision de renvoi de l'affaire devant le tribunal n'a pas clôturé l'instruction : il n'y a pas lieu de demander le rabat de l'ordonnance de clôture,

les consorts [S]/[D] n'établissent pas qu'au jour de l'assignation en référé du 27 août 2020 le délai de forclusion prévu par les dispositions de l'article 1792-4-1 du code civil avait expiré ; ainsi, la date d'achèvement des travaux et donc la date à laquelle ils auraient été tacitement réceptionnés n'est pas justifiée, la facture de travaux datée du 4 août 2010 dont le montant a été réglé au « 16 » août 2010 ne suffit pas à valoir réception tacite, ladite facture ne mentionnant pas la date à laquelle les travaux litigieux auraient été réalisés pas plus qu'elle ne précise qu'il s'agit d'une facture de solde de travaux, et ce d'autant que ces travaux ont fait l'objet d'une déclaration préalable déposée le 14 août 2010 et a donné lieu à un arrêté de non-opposition le 17 septembre 2010,

les consorts [S]/[D] sont mal fondés à soutenir qu'au jour de l'acte de vente du 5 avril 2016, les travaux qu'ils avaient réalisés et les désordres affectant la toiture du garage étaient connus des consorts [P]/[A] alors même qu'aucun des actes de vente et leurs annexes faisaient état de ces travaux ; ce n'est qu'à partir de l'année 2019, à la faveur d'un procès-verbal constat d'huissier et de l'obtention d'une copie de la déclaration préalable de travaux déposée le 4 août 2010 par M. [S] que les consorts [P]/[A] ont été informés que des travaux ont été réalisés sur la toiture de leurs garage. L'assignation en référé délivrée le 27 août 2020 et les conclusions signifiées le 17 novembre 2022 ont été régularisées avant l'expiration du délai de prescription quinquennal courant depuis ce procès-verbal.

Par déclaration déposée le 8 juillet 2024, les consorts [S]/[D] ont relevé appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 24 février 2025 sur le fondement des articles 1240, 1241,1792, 1792-6 et des articles 2224 et suivants du code civil, de l'article 789 du code de procédure civile, les consorts [S]/[X] demandent à la cour de :

réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

se faisant,

juger que les consorts [P]/[A] sont forclos à leur encontre au titre de la garantie décennale,

juger que les consorts [P]/[A] sont forclos à leur encontre au titre de la responsabilité civile délictuelle,

débouter les consorts [P]/[A] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions

subsidiairement sur les préjudices, juger que la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance est infondée,

juger qu'au titre de la perte de chance, seule 50% des préjudices sera allouée aux les consorts [P]/[A]

débouter les consorts [P]/[A], en conséquence, du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

condamner solidairement les consorts [P]/[A] à leur payer la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et les dépens de la procédure de référé.

Les appelants font valoir en substance que :

l'action en responsabilité décennale est forclose depuis le 4 août 2020 dès lors que les consorts [S]/[D] étant maîtres de l'ouvrage constructeurs, la date de réception est la date d'achèvement des travaux laquelle correspond à la date de la dernière facture de travaux du 4 août 2010, adressée à la fin des travaux, qui est une facture de solde dont le paiement est intervenu le 9 août 2010,et qui vaut réception tacite,

la date de réception ne peut pas être fixée au 17 septembre 2010, date de l'arrêté de non-opposition à la déclaration préalable déposée le 14 août 2010, ces documents administratifs n'ayant pas vocation à fixer la date de réception sur le plan juridique de l'article 1792 du code civil,

les consorts [P]/[A] ne peuvent pas demander la nullité relative sur le fondement du dol, n'ayant pas qualité à agir dans le cadre de cette nullité,

la date à laquelle les consorts [P]/[A] auraient dû connaître les faits leur permettant d'exercer leur action en responsabilité civile délictuelle se trouve nécessairement être la date à laquelle les infiltrations ont été connues, soit dès 2016.

l'indemnisation de la perte de chance ne pourrait dépasser 50% du préjudice qui serait retenu.

Dans leurs uniques conclusions déposées le 25 novembre 2024 au visa des articles 1343-2, 1240 et 1792 et suivants du code civil, les consorts [P]/[A] entendent voir la cour :

confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

en tant que de besoin, statuant à nouveau,

dire recevables leurs demandes comme n'étant ni forcloses, ni prescrites, tant sur le fondement de garantie décennale à titre principal, que sur le fondement de la théorie des vices intermédiaire et plus subsidiairement de la responsabilité civile délictuelle,

rejeter les demandes des consorts [S]/[D] tendant à l'irrecevabilité de leurs demandes en ce qu'elles seraient forcloses et/ou prescrites,

renvoyer l'affaire devant le tribunal Judicaire de Bourgoin-Jallieu afin qu'il soit statué sur le fond, suivant les demandes suivantes :

dire les consorts [S]/[D] responsables des désordres et préjudices subis par les requérants, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale, et à titre subsidiaire sur celui des vices intermédiaires et plus subsidiairement sur le fondement quasi délictuel,

condamner solidairement les consorts [S]/[D] à leur payer la somme de 11.843,10€ au titre des travaux de reprises, outre intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l'assignation et indexation sur l'indice BT01, avec indice de référence celui connu à la date du rapport d'expertise judiciaire,

condamner solidairement les consorts [S]/[D] à leur payer la somme de 3.600€ à titre de préjudice de jouissance, à parfaire à la date de la décision à venir, outre intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l'assignation,

ordonner la capitalisation des intérêts par année entière en application de l'article 1343- 2 du code civil sur toutes les condamnations prononcées,

condamner solidairement les consorts [S]/[D] aux entiers dépens de l'instance lesquels comprendront les frais d'expertise judiciaire et dépens de référé et ce sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la Selarl BSV avocats sur son affirmation de droit.

y ajoutant en cause d'appel,

condamner solidairement les consorts [S]/[D] à leur payer la somme de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens de l'instance d'appel sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la Selarl BSV avocats sur son affirmation de droit.

Les intimés répondent notamment que :

les consorts [S]/[D] n'établissent pas qu'au jour de l'assignation en référé du 27 août 2020, le délai de forclusion des garanties décennales et intermédiaires avait expiré.

l'assignation en référé envoyée a interrompu la prescription, leur action n'est pas prescrite.

en ne fournissant aucune information loyale lors de la vente qui leur aurait permis d'exercer leurs droits et actions à l'encontre de l'artisan concerné et son assureur en temps voulu, les consorts [S]/[D] ont commis une faute qui a été la cause de leur préjudice.

étant tiers à l'acte authentique conclu entre Mme [O] et les consorts [S]/[D], ils sont fondés à agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 mai 2025.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé exhaustif des moyens en fait et en droit des parties.

MOTIFS

Les parties ne discutent pas en appel le rejet de la demande de rabat de clôture prononcé par le premier juge.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action en garantie décennale

Il n'est pas discuté que les consorts [S]/[D], maîtres de l'ouvrage, ont également la qualité de constructeurs ayant fait réaliser par l'entreprise [N] [C] les travaux de toiture sur le garage de leur bien immobilier avant qu'ils le vendent à Mme [O] le 16 juillet 2012 et que celle-ci le revende aux consorts [P]/[A] le 5 avril 2016.

Ces travaux ont donné lieu à l'établissement de 3 factures d'acomptes par l'entreprise [N] [C], à savoir le 12 juillet 2010 (acompte de 905,16€ TTC) le 28 juillet 2010 (acompte de 1.300€ TTC) le 3 août 2010 (acompte de 680€ TTC), suivies d'une dernière facture en date du 4 août 2010 d'un montant total de 3.875,35€ TTC (fourniture et pose de bois de charpente et de mezzanine, de tuiles, et de la zinguerie) les acomptes précédemment payés étant déduits du montant total de la prestation chiffré à 3.875,35€, soit un solde restant dû de 990,19€ TTC.

Aucune autre facture n'ayant été éditée à la suite de cette facture du 4 août 2010, il doit être admis que celle-ci constitue une facture définitive des travaux.

La déclaration préalable de travaux déposée le 14 août 2010 par M. [S] et l'arrêté de non-opposition à cette déclaration rendu le 17 septembre 2010, de par leur nature administrative à visée fiscale, ne sont pas de nature à établir une date de réception au sens de l'article 1792-6 du code civil, étant rappelé qu'une déclaration d'achèvement des travaux, dont l'existence n'est pas rapportée en l'espèce, n'est pas assimilable à un procès-verbal de réception, mais constitue le point de départ du recours des tiers pour contester la conformité des travaux au permis ou à la déclaration.

Le fait non discuté que les consorts [S]/[D] se sont acquittés du paiement intégral des travaux par chèque du 4 août 2010, encaissé le 9 août 2010, sans réclamer la restitution des acomptes, et qu'ils ont utilisé leur garage, sans dénoncer des prestations non réalisées ou formaliser des protestations sur la qualité des travaux, vaut réception tacite à la date du 4 août 2010 , étant rappelé en tout état de cause que l'achèvement total de l'ouvrage n'est pas une condition de la prise de possession du bien et de sa réception.

En conséquence, à la date de l'assignation en référé, le 27 août 2020, le délai d'épreuve de l'article 1792-4-1 du code civil était expiré depuis le 4 août 2020, cette assignation en référé n'ayant pas pu interrompre un délai déjà expiré.

Le jugement déféré est infirmé en tant qu'ayant rejeté cette fin de non-recevoir.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité quasi délictuelle

Conformément à l'article 2224 du code civil, le délai de prescription quinquennal pour exercer les actions personnelles et mobilières court du jour où le titulaire d'un droit a connu ou auraît dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il est vain pour les appelants de soutenir que les consorts [P]/[A] avaient eu connaissance dès la vente du 5 avril 2016 de l'existence des désordres affectant la toiture du garage et que les travaux s'y rapportant avaient été réalisés par les consorts [S]/[D].

Le premier juge a exactement relevé à cet égard d'une part, que les actes notariés de vente du bien immobilier intégrant ce garage (vente [S]/[D] -[O] en 2012; vente [V]/[A] en 2016) ne contenaient aucune disposition quant à l'existence de ces travaux, d'autre part que l'attestation de Mme [O] certifiant avoir « été au courant que des travaux avaient été réalisés au niveau du garage et de la toiture » lors de la vente de 2012 était insuffisamment probante.

Sur ce dernier point, la cour relève qu'un tel témoignage ne permet pas de déduire que les consorts [M] ont été à leur tour informés de ces travaux au jour de la signature de l'acte de vente du 5 avril 2016, à la faveur d'une information portée soit par leur venderesse, Mme [O], soit par le notaire en charge de la vente, une telle information qui ne peut qu'être informelle dès lors que l'acte de vente et ses annexes ne fait pas état de ces travaux, n'étant aucunement rapportée par le moindre élément de preuve idoine.

De fait, les consorts [M] ont procédé à des investigations quant à la survenance de désordres seulement après leur acquisition, en faisant notamment dresser un procès-verbal de constat par huissier de justice le 19 novembre 2019, puis en assignant en référé-expertise leur venderesse le 6 février 2020, avant d'assigner à leur tour en référé les consorts [U] [O] le 24 août 2020.

La circonstance qu'ils ont exposé à l'huissier instrumentaire que « les précédents propriétaires ont effectué des travaux de toiture au niveau du garage » n'induit pas le fait qu'ils avaient connaissance de ce fait dès le 5 avril 2016, alors même qu'ils exposent, sans être contredits, avoir découvert l'existence de ceux-ci en prenant connaissance de la déclaration préalable de travaux du 14 août 2010 en se rendant à la mairie après avoir observé les désordres.

En conséquence, sans plus ample discussion, le jugement querellé est confirmé sur le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité quasi délictuelle, l'assignation en référé du 24 août 2020 et les conclusions déposées le 17 novembre 2022 portant leurs demandes sur ce fondement ayant été formalisées dans le délai de cinq ans courant à compter du 19 novembre 2019.

Le jugement déféré est également confirmé en ce qu'il a renvoyé l'affaire à la mise en état.

Sur les mesures accessoires

Les parties succombant partiellement dans leurs prétentions d'appel respectives, elles conservent la charge de leurs dépens et frais irrépétibles exposés personnellement en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action en garantie décennale,

Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,

Dit M. [L] [P] et Mme [K] [A] forclos dans leur action en garantie décennale initiée à l'encontre de M. [W] [S] et Mme [E] [D],

Dit que les parties conserveront la charge de leurs dépens et frais irrépétibles personnels exposés en appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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